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Lord Northcliffe

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Directeur de journal à 20 ans

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Cette initiation, une chance malheureuse allait la fournir au jeune Harmsworth: les docteurs durent lui interdire le séjour de Londres. Car il faut le noter ici: cet homme à l’allure robuste, ce travailleur acharné, ce lutteur a toujours eu une santé fort délicate qui vint à tout instant l’entraver et dont il ne put s’accommoder que par des miracles de volonté et la plus prudente sagesse dans la conduite et l’équilibre de son existence quotidienne. «Ah! si du moins j’avais eu une belle santé!...» ai-je entendu soupirer plus d’un raté ou d’un aigri. Lord Northcliffe eut encore cet obstacle à surmonter. Il le vainquit.

Vers cette même époque, il avait eu la douleur de perdre son père; étant l’aîné, il devenait chef de famille avec toutes les responsabilités que ce titre entraîne. Il les chargea vaillamment sur ses épaules et à l’âge de vingt ans environ quitta Londres pour diriger un journal dans la ville de Coventry.

«Dans les vastes organisations que sont les journaux des grandes cités comme Londres, New-York ou Paris, continue lord Northcliffe, le néophyte doit en vérité ouvrir des yeux bien grands pour arriver à comprendre l’ensemble de ces organisations; mais dans un journal de province où le secrétaire de la rédaction et les rédacteurs sont en contact étroit et quotidien, où le même homme peut avoir à jouer simultanément plusieurs rôles, où propriétaire, directeur, typographes, reporters et articliers doivent être constamment associés, il est aisé d’embrasser dans son entier le mécanisme d’un journal.»

Il pénétrait donc bientôt tous les secrets de cette officine mystérieuse et compliquée.

C’est à Coventry également que parut le numéro initial d’Answers, la première publication qu’organisa Alfred Harmsworth. Il n’avait pas vingt-trois ans. C’était une revue hebdomadaire dont les demandes formulées par les lecteurs et les réponses qu’on leur donnait formaient l’intérêt principal.

Elle végétait quand le jeune directeur l’acheta pour lui insuffler la vie ardente qui galvanisait tout ce qu’il touchait. Il la rédigeait presqu’entière à lui seul, articles de tête, variétés, nouvelles, mots d’esprit et jusqu’aux annonces avec une verve jaillissante et drue et la plus ingénieuse entente de ce que désirait le public. Un habile système de concours et de primes, lancé avec une audace qui aurait pu paraître téméraire si elle ne s’était appuyée sur une intuition géniale du pouvoir de la réclame et le sens psychologique le plus avisé, vint assurer le succès. Les murs se couvrirent d’affiches éclatantes, les abonnements affluèrent avec une abondance qui touchait au scandale, des légendes prestigieuses se formèrent. Et tout ce tintamarre, tout ce bouleversement prenaient leur source dans un tout petit bureau où travaillaient nuit et jour une poignée de jeunes et hardis lurons.

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