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Lord Northcliffe

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Les missions de lord Northcliffe

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Au mois de juin 1917, le gouvernement britannique envoyait lord Northcliffe en Amérique avec le titre de chef de la Mission britannique de guerre (British War Mission) aux Etats-Unis. Et M. Bonar Law l’en remerciait publiquement à la Chambre des Communes comme d’un vrai service rendu à la patrie.

Le directeur du Times et du Daily Mail est étonnamment populaire aux Etats-Unis, plus encore qu’en Grande-Bretagne, car il n’y compte pas d’ennemis. On se plaît à lui reconnaître toutes les qualités qui font les grands Américains. Et on lui sait gré d’aimer, de comprendre l’Amérique, d’y être venu vingt fois, de ne pas ignorer une parcelle de son territoire.

Pendant six mois, il assuma la tâche gigantesque de diriger et de coordonner, en collaboration avec notre haut-commissaire, M. Tardieu, l’œuvre des missions britanniques: il parcourut les Etats-Unis, leur révélant l’effort passé des Alliés, l’importance de l’effort à venir, fouettant leur zèle, les suppliant de consacrer à la guerre toute leur immense puissance industrielle et jusqu’à la dernière once de leur énergie, insistant avec force sur la construction rapide et intense d’aéroplanes et surtout de navires. C’est dans la marine marchande, répétait-il, qu’est la clef de l’intervention américaine, le facteur suprême de la guerre.

Puis, ayant joué son rôle d’excitateur, il revint en Europe. La lettre ouverte à M. Lloyd George, où, tout en refusant le Ministère de l’Aviation, il réclamait l’unité de direction des opérations militaires, la répression de tout élément séditieux, une politique plus rigoureuse vis-à-vis des ennemis naturalisés, la mobilisation de toutes les forces masculines et féminines de l’Angleterre, et le rationnement obligatoire, fut le coup de clairon, bref et sonore, qui annonçait son retour, stimulant de tous les sacrifices, appel à toutes les énergies.

Il emportait des Etats-Unis, avec une profonde admiration pour l’élan d’énergie enthousiaste et féconde, d’origine presque mystique, qui entraînait dans cette croisade lointaine cent millions d’Américains, une confiance totale dans le Président Wilson. «Le Président possède ce qu’il appelle lui-même «un esprit au sentier unique», a singletrack mind, a-t-il dit. Sa méthode consiste à ne faire qu’une chose à la fois. Mais il la fait.»

Il revenait aussi avec la conviction qu’il était urgent, pour les Alliés, de discuter d’un commun accord et de coordonner les demandes en matières premières, en vivres, en munitions qu’ils faisaient à l’Amérique. Et cela afin d’utiliser dans toute leur étendue la généreuse abondance des ressources que met à leur disposition la vaste République d’outre-mer. «Hommes, tonnage, aéroplanes, autos, acier, cuivre, blé, bestiaux, que sais-je? a-t-il déclaré, l’Amérique est prête à tout donner. Encore faut-il qu’elle sache pourquoi, comment et en quelles quantités...»

—Je vais me battre pour l’unité de contrôle, avait-il dit en quittant l’Amérique.

Il tint parole. Et cette unité de contrôle naquit, en effet, de la première grande conférence interalliée qui se tint à Paris en décembre 1917 et à laquelle il prit part. Nous en avons récolté les prodigieux résultats.

Depuis lors, M. Lloyd George, qui ne désespérait pas d’associer à son ministère cette force précieuse, offrit de nouveau un siège à lord Northcliffe, au Cabinet de guerre, cette fois. Et, de nouveau, celui-ci refusa. Il tient, par-dessus tout, à conserver son indépendance et celle de ses journaux.

—Je suis plus utile ainsi, dit-il simplement.

Ses amis n’ont cessé de regretter cette décision. Peut-être lord Northcliffe voyait-il plus juste et plus loin: son rôle, un rôle unique au monde, n’est-il pas d’autant plus important qu’il ne veut aucune consécration officielle?

Mais, en même temps qu’il restait à Londres le chef des missions britanniques aux Etats-Unis, il acceptait, sans portefeuille, les fonctions de Directeur de la Propagande en pays ennemis, pour lesquelles il ne relevait que de M. Lloyd George et du Cabinet de guerre.

Son œuvre considérable et celle de ses collaborateurs y resta secrète. C’est uniquement par les explosions de rage éclatant dans les feuilles austro-germaniques qu’on en put mesurer les effets. Celles-ci accusaient «Northcliffe, prince du mensonge, homme dénué de conscience morale, dont les outils quotidiens sont la fourberie, la brutalité, le cynisme où il est passé maître», elles l’accusaient «d’assassiner l’Allemagne avec des armes empoisonnées». Elles soulignaient son sourire sardonique lorsque «fomentant la révolution à l’intérieur de l’Autriche, qui est devenue le centre même de son activité», il exaltait et excitait Tchèques, Polonais, Slaves.

«Sont-ce des individus comme Lloyd George, Northcliffe ou Herr Wilson qui peuvent entraîner les peuples?» s’écriaient comiquement leurs scribes. Puis, après avoir juré qu’ils ne concluraient jamais la paix avec cette troupe de bandits (il ne faut jurer de rien), ils se lamentent de ne point posséder en Allemagne de pareil propagandiste, ils éclatent en reproches amers et naïfs contre l’inertie de leur gouvernement.

Le Kaiser lui-même reconnaissait la puissance de lord Northcliffe et la redoutait.

Dans le livre de curieux souvenirs qu’a publiés son dentiste américain, M. Arthur Davis, on le voit s’écrier:

—Lloyd George mène l’Angleterre à la ruine. C’est un socialiste et c’est l’agent, le porte-paroles de lord Northcliffe, le véritable maître de l’Angleterre à l’heure actuelle...»

Dans un ordre du jour dénonçant la propagande anglaise en Allemagne, le général Von Hutier stigmatisait pesamment lord Northcliffe, «le plus fieffé coquin de l’Entente», sous le titre pompeux de «Ministre de la Destruction de la Confiance Germanique».

Et Hindenburg surenchérissait encore.

Aussi la haine des Allemands croît-elle avec leurs craintes. En Amérique, des policiers ne cessaient d’escorter, malgré lui, le chef de la mission britannique contre lequel se préparaient complots et attentats. En Angleterre, les Tudesques envoyaient des avions, des croiseurs ou des sous-marins bombarder sa maison. Ils frappaient une médaille contre lui; ils publiaient, sous le nom d’Anti-Northcliffe Mail un hebdomadaire en plusieurs langues débordant d’injures et de calomnies, dont les aviateurs ennemis répandaient sans cesse des exemplaires dans les lignes britanniques. Signes indiscutables que la propagande atteignait son but: la bête écumait, elle était touchée. On en eut la preuve plus tôt qu’on ne s’y attendait.

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