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Lord Northcliffe

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Un journaliste de 15 ans

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Il quitta l’Irlande dès sa première enfance, son père étant venu s’installer à Londres, dans un de ces grands faubourgs où des kilomètres de cottages vêtus de lierre et de vigne vierge s’alignent au milieu de jardins verts. Il y a encore des gens à Hampstead qui se souviennent des jeunes Harmsworth, garçons robustes, joyeux, bruyants, très sportifs, qui jouaient au foot-ball et à la raquette, vagabondaient à travers la campagne et fréquentaient une école secondaire du voisinage, analogue à nos lycées. Alfred Harmsworth n’a rien du fort en thème et devait étouffer dans l’atmosphère confinée d’une classe. C’est la vie qu’il fallait comme livre à ce jeune esprit curieux, impatient, avide d’émotions et d’action. Mais comme il avait également le goût de penser et d’écrire, le journalisme lui sembla réaliser ce double idéal. Ce fut une vocation précoce, irrésistible, à laquelle il sut rester fidèle. Il aima toujours passionnément son métier. Peut-être est-ce le secret profond de sa force et de son succès.

Il ne trouva guère d’encouragement autour de lui. Son père, soucieux de le voir s’engager dans les sentiers risqués de l’aventure, le suppliait de revenir à la grande route du barreau. «Mais il ne m’apparaissait pas, a dit lord Northcliffe, que l’étude du droit, l’existence d’un homme de loi et tous les délais qu’infligent les pratiques chicanières de la basoche soient des concomitants nécessaires d’initiative, d’énergie, d’action et de décision.» Deux journalistes connus, dont l’un, sir William Hardman, était un ami de son père, et l’autre, G.-A. Sala, après quarante ans d’expérience, un vieux cheval de retour de la presse, s’efforcèrent mais en vain de le détourner de sa vocation. Rien n’y fit. Etant encore au collège, il avait fondé et dirigé le magazine de l’école, si bien que la rédaction, l’impression, la correction des épreuves n’avaient dès cette époque plus de mystère pour lui. Il se faufilait dans les salles de rédaction et d’imprimerie afin d’en renifler l’odeur d’encre fraîche et de papier, aussi enivrante à ses narines que les senteurs du goudron pour les futurs marins. A peine âgé de seize ans, il écrivait déjà de ci de là, en franc-tireur. Un vieil Ecossais sagace, plein de perception, M. James Henderson, qui possédait plusieurs publications hebdomadaires dont un magazine pour la jeunesse, The Young Folk’s Budget, montra son flair en se faisant le parrain en journalisme de l’adolescent auquel il ouvrit à la fois ses colonnes et sa maison. Tandis que la plupart des directeurs de journaux se retranchaient dans l’auguste solitude de leur tour d’ivoire, dressée très haut au-dessus de l’humble foule de leurs collaborateurs, celui-ci les recevait familièrement à sa table et c’est par lui qu’Alfred Harmsworth s’immisça dans les cercles littéraires et connut plusieurs écrivains célèbres, dont le grand Robert-Louis Stevenson. A dix-sept ans, il était nommé secrétaire de la rédaction d’un hebdomadaire, Youth, où il put prendre une première idée des rouages intérieurs d’une publication. Entre temps il continuait à faire avec une hardiesse tenace ce qu’il appelait «des attaques brusquées contre les fortifications hérissées de fil de fer barbelé des grands quotidiens du matin et du soir». Ses raids étaient souvent couronnés de succès. Mais il garde une gratitude toute particulière à un M. Greenwood, rédacteur en chef de la Saint-James’s Gazette qui, dit-il, «lui fit beaucoup de bien en refusant la plupart des articles qu’il lui apportait». Aux natures de cette trempe, un échec est un coup d’éperon.

En outre et surtout, Alfred Harmsworth promenait sur les choses et les gens son jeune regard aigu d’Indien sur le sentier de la guerre, notant, comparant, critiquant avec une impitoyable lucidité, emmagasinant faits et documents dans la mémoire la plus vaste et la plus fidèle qui soit; et déjà au creuset de cet esprit créateur s’élaborait le plan de ses futures entreprises.

Le hasard d’un secrétariat qui lui valut ses premiers voyages sur le Continent vint encore l’enrichir d’expériences nouvelles: il y acquit le germe de ses connaissances si profondes sur l’âme, la politique, les mouvements économiques et sociaux des peuples de l’Europe.

«Quand des parents viennent me demander comment leurs fils devraient se préparer au journalisme, a écrit lord Northcliffe, je réponds invariablement: «La meilleure instruction possible, la connaissance du français et une période d’initiation dans un journal de province.»

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