Lord Northcliffe
La famille Harmsworth
————
Alfred, Charles, William Harmsworth, vicomte Northcliffe, naquit en Irlande, en 1865, d’un père anglais, avocat du Middle Temple à Londres, mais à cette époque inscrit au barreau de Dublin, lettré délicat dont il tient ses dons d’orateur et ses aptitudes littéraires, et d’une mère irlandaise qui avait dans les veines du sang écossais. Il doit à l’élément celte sa fougue audacieuse, son caractère généreux et violent par saccades, son bel optimisme rebondissant; à l’élément anglo-saxon, sa lucidité réfléchie, sa redoutable et inflexible ténacité.
Une photographie le représentée l’âge d’un an sur les genoux de sa mère. La tête posée droite et fière sur les épaules menues, le front bombé, étonnamment large et haut, mais surtout le regard des prunelles limpidement ouvertes sur le monde, avec une expression à la fois pensive et ravie, sont étrangement suggestifs. De la mère, on ne voit sous des cheveux en bandeaux que le front au beau modelé, le profil tendrement incliné et le geste de deux mains qui enveloppent d’une caresse protectrice le corps allongé et nu de son premier-né. On sent qu’elle n’est là que pour lui. S’aperçoit-elle même qu’elle s’efface? C’est qu’elle fut mère avant tout, une mère admirable.
Elle eut treize enfants, que, restée veuve de bonne heure elle sut élever avec une énergie pleine de douceur et qui entourent maintenant sa vieillesse d’un culte fait d’amour et de gratitude. Elle est la seule femme au monde qui ait quatre fils au Parlement: deux à la Chambre des Lords, Lord Northcliffe et Lord Rothermere qui, ministre de l’Aviation, organisa si brillamment l’Etat-major de l’air et effectua la délicate fusion de l’aviation militaire et navale; deux à la Chambre des Communes, dont l’un, Sir Leicester Harmsworth, recevait dernièrement le titre de baronet, tandis que l’autre, Cecil Harmsworth, secrétaire parlementaire de M. Lloyd George, fut chargé de diriger pendant la guerre l’industrie de la pêche, si importante en Angleterre.
Lord Northcliffe, parlant de sa mère, décrivait cette vie d’ordre équilibré, de simple activité et tout l’intérêt, toute la part que, malgré son âge, elle prend à la guerre et aux œuvres de guerre.
—Elle est aussi intellectuellement active qu’une femme de trente ans, my very wonderful mother! concluait-il avec émotion.
Où qu’il se trouve, et Dieu sait s’il a voyagé, lord Northcliffe écrit ou télégraphie chaque jour à sa mère. Quand il est en Angleterre, malgré la tâche écrasante à laquelle il doit suffire, il s’efforce de lui consacrer au moins une journée par semaine. Elle est restée le lien vivant et l’âme de cette famille où frères et sœurs s’aiment et s’épaulent avec une solidarité dans l’affection plus rare en Angleterre que chez nous, car le cercle du foyer y est moins étroit. Quand on étudie la vie d’un homme célèbre: «Cherchez la mère», devrait-on dire. Dans le cas de lord Northcliffe, on cherche et on trouve.