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Une semaine à la Trappe: Sainte-Marie du Désert

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IX
La communion.

C’est aujourd’hui la grande fête au couvent : celle de saint Bernard. Il est dix heures ; tous les religieux se rendent à l’église.

Le chœur est fort grand ; il contient deux rangs de salles de chaque côté : les novices occupent celles d’en bas, les profès le rang au-dessus. La stalle du R. P. abbé se distingue par la crosse qui est toujours enclavée à son adossement, et l’abbé lui-même ne diffère des autres que par sa croix pastorale, son cordon violet et l’anneau qu’il porte au doigt. A voir tous ces religieux, on croirait se trouver au milieu d’un chœur nombreux de chanoines, où tous les offices se célèbrent et toutes les cérémonies s’exécutent presque sans interruption, durant la nuit comme pendant le jour, avec la pompe et la solennité que l’on admire dans les métropoles.

J’ai assisté à la grand’messe, qui était très-solennelle. L’officiant avait une chasuble de casimir blanc, dont la croix entière était composée de fleurs habilement brodées et nuancées en laine ; de pieuses et nobles mains ont sans doute fait ce présent au père abbé.

Je m’étais figuré ces religieux dépourvus de tout lien qui les unît les uns aux autres ; mais l’instant si beau de la communion m’a prouvé le contraire.

Le prêtre vient de prononcer les paroles du Domine non sum dignus, et aussitôt commence cette cérémonie si parlante de la sainte communion. O vous qui avez eu le bonheur de jouir du spectacle de la Trappe faisant la sainte communion, n’est-il pas vrai que cette vue a pénétré votre cœur et l’a attendri jusqu’aux larmes ? n’est-il pas vrai qu’encore ce souvenir vous touche délicieusement ? Au moment de la communion du prêtre, le diacre, qui s’était mis à genoux à côté de lui, se lève, baise avec un saint tremblement l’autel sacré où repose la Victime de propitiation, qui va se distribuer pour devenir la nourriture des élus du ciel ; il se penche ensuite au cou du ministre saint, en reçoit le baiser de paix. Comme autrefois, dans l’institution de ce sacrifice redoutable, le souverain Sacrificateur, prêtre et victime, voulut embrasser tous ses disciples avant de les admettre à la participation de son corps et de son sang adorable ; ainsi, dans la continuation des mêmes mystères, le diacre, au nom du prêtre, qui ne s’éloigne pas du Saint des saints, va porter cette paix au sous-diacre et, par lui, à tous ceux qui vont se ranger autour du banquet divin.

Quelle charité, quelle joie, quelle félicité dans ces amis du Sauveur ! Ils le suivent constamment au chemin de la croix, pour monter avec lui jusqu’au Calvaire, et c’est pour les dédommager et les encourager en même temps, que souvent il daigne les admettre aux délices du Thabor. Aussi, qui dirait les ravissements qui enivrent ces âmes, vides des affections de la terre, dans les moments où elles s’unissent si intimement au Dieu de charité et de toute consolation !

Qu’il est touchant et sublime de contempler ces zélés serviteurs de Dieu, lorsqu’ils défilent lentement et avec majesté, le front incliné, les mains jointes !

Au moment de la communion, je vis tous les religieux quitter leurs stalles et leurs bancs, sans faire entendre le bruit de leurs pas. C’est un à un que les prédestinés de la Trappe se présentent pour recevoir leur Dieu, et dans le même ordre qu’ils se retirent ; chacun suit son rang, celui d’ancienneté dans la maison ; jamais de confusion, jamais le moindre dérangement. Arrivé à la première marche de l’autel, le premier religieux s’arrête et attend le baiser de paix antique et pieux. Le baiser de paix donné par le célébrant au diacre passe par le sous-diacre au premier frère qui se présente et par celui-ci à tous les autres. Les deux frères se saluent avec respect, puis approchant leurs têtes et étendant les bras, ils se donnent le saint et fraternel baiser.

Quand le diacre récite le Confiteor, tous tombent à genoux, le front presque contre les dalles du sanctuaire. Dans cette humble posture, ils se reconnaissent indignes de recevoir le Dieu trois fois saint, et se purifient par un sincère aveu des taches qui pourraient leur demeurer encore ; ils se relèvent. Celui qui doit être le premier s’avance très-lentement ; à peine a-t-il vu l’hostie sainte élevée par les mains du prêtre, qu’il se prosterne de nouveau pour l’adorer ; il approche dans un saint tremblement, la reçoit avec amour et se retire en passant derrière l’autel ; tous les autres le suivent, observant exactement les mêmes cérémonies.

Là, je n’en doute pas, Dieu se rend visible et se montre à ses bien-aimés, à ceux qui ont tout quitté pour le suivre, pour s’attacher à lui… Oui, j’en crois la céleste expression de toutes ces figures ; la sainte joie qui les anime ne peut venir que d’une vision divine : c’est un reflet de la gloire du Dieu que ces saints viennent de voir qui brille sur leurs visages, si calmes, si heureux, si recueillis ; la terre n’a point de contentement pareil : c’est celui des anges et des élus !

C’est encore une continuation de ce spectacle frappant d’édification, que cette démarche si grave, si modeste et si recueillie des Trappistes, se retirant de la sainte communion toujours sur un seul rang. Ils avancent, mais si lentement, qu’ils semblent immobiles ; on dirait que leurs sens extérieurs sont interdits, pour concentrer toute leur action dans le cœur où se trouve leur Bien-Aimé : ou plutôt, on dirait les sages précautions de l’Epoux des Cantiques, pour ne pas troubler avant l’heure, donec ipsa velit, le sommeil de l’Epouse qui les tient dans un saint ravissement.

Cette cérémonie a tant de solennité, qu’on la revoit toujours avec la même émotion ; les impies eux-mêmes, qui viennent pour se moquer de la pénitence, répriment tout à coup leurs sarcasmes devant ce témoignage de charité.

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