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Une semaine à la Trappe: Sainte-Marie du Désert

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XI
Le noviciat.

L’habit et la tonsure servent peu : c’est le changement de mœurs et la mortification entière des passions qui font le vrai religieux. (IMIT. DE J. C.)

« Le noviciat, conseillé par la prudence naturelle et établi par des lois ecclésiastiques, est ce temps, plus ou moins long, qui précède la profession, pendant lequel on éprouve sa vocation, avant de se lier par des vœux. »

Chaque état a le sien, quelque nom qu’on lui donne, stage, surnumérariat ou apprentissage ; la vie elle-même a son noviciat, les années d’enfance, qui servent à former l’homme en l’instruisant par des leçons, l’encourageant par des récompenses, le corrigeant même par des châtiments.

Il importe d’étudier sa vocation, de la mettre à l’épreuve et d’entrer surtout dans la voie où Dieu nous appelle, religieux ou séculier, sous peine de se jeter dans l’inconnu et de se préparer un avenir dont on ne peut prévoir l’issue, semblable à ces astres errants qui vont à l’aventure, sans orbite déterminée, jouets de toutes les influences, longtemps ballotés à droite et à gauche, pour être jetés un jour on ne sait où… Une vocation manquée ne peut promettre à la religion et à la société qu’un fléau destructeur, menaçant comme une comète, un révolutionnaire ou un apostat.

Les ordres religieux ont eu leurs moines réfractaires et des religieux infidèles, violateurs de leurs vœux ; mais ces cas sont bien rares aujourd’hui.

On n’offre plus les enfants à Dieu dans les monastères, comme on le faisait à une autre époque, en enveloppant la main du nouveau Samuël dans le voile de l’autel, après l’avoir déshérité d’avance de tous biens, présents et à venir, pour l’obliger ainsi à garder des vœux qu’il n’avait pas faits ; mais, l’excès contraire a prévalu : on s’oppose aux vocations naissantes, on cherche même à les tuer dans leur germe ; et, s’il en éclôt quelqu’une au souffle de la grâce, on en gêne l’exécution, on en arrête la réalisation, au risque de tout compromettre en mettant obstacle aux desseins du Très-Haut.

Le noviciat est ordinairement précédé de cette grande lutte contre la chair et le sang, qu’un amour aveugle suscite, la première des épreuves qu’une vocation religieuse ait à subir, la plus décisive même ; car, après cette victoire sur la nature, on peut le dire, le monde est vaincu… et alors la prise d’habit sera pour le postulant un jour de fête.

Je n’ai pas eu le bonheur d’assister ni à la prise d’habit ni à la profession d’un religieux trappiste. Aussi suis-je obligé, pour compléter mon récit, d’emprunter les détails de ces cérémonies à la Vie du P. Marie Ephrem.

Le matin du jour où le postulant doit prendre le saint habit, immédiatement après prime, on le mène à la salle du chapitre, où toute la communauté vient de se réunir, parée de ses plus beaux habits ; il se fait un grand silence. Le père-maître, qui l’accompagne, le conduit jusque vis-à-vis le siége abbatial ; il s’y prosterne de toute la longueur de son corps, son front touche à terre.

Le révérend père lui adresse alors ces courtes paroles :

Quid petis ? Que demandez-vous ?

Il répond, toujours prosterné : Misericordiam Dei et ordinis. La miséricorde du Seigneur et l’indulgence dans la communauté.

Surge, in nomine Domini. Levez-vous ; au nom du Seigneur, lui dit alors le père abbé. Il se lève et se tient debout, pendant que le supérieur lui adresse une courte allocution :

« Mon frère, lui dit-il, avez-vous bien considéré l’action que vous venez de faire ? C’est proprement la réponse à la demande que vous venez de nous adresser. Vous demandez d’être admis dans notre ordre, notre ordre vous répond en vous faisant allonger par terre en forme de croix ; c’est pour vous faire voir que dans cette prostration se trouve l’abrégé de toute votre vie, si vous la passez parmi nous : porter la croix, embrasser la croix, c’est là toute la vie du moine. Il est vrai, cette croix, portée avec amour et dévouement, n’est pas un fardeau insupportable ; la grâce de Dieu en diminue le poids aux âmes généreuses, et de plus elle vous assurera la miséricorde du Seigneur que vous sollicitez ; car, pour obtenir ce trésor inappréciable, nous ne connaissons d’autre moyen que le travail, la pauvreté, la souffrance, les humiliations. Croyez-vous donc, mon cher frère, avoir la force de courir dans cette carrière et de soutenir le genre de vie qui se pratique ici ?

Oui, mon révérend père ; répond le postulant, je l’espère avec la grâce de Dieu et le secours de vos prières.

Eh bien ! mon frère, je n’ai qu’un seul mot à ajouter ; ce mot est celui que notre bienheureux père saint Bernard adressait à ses novices, quand il leur donnait le saint habit : « Si vous faites tant que de commencer, mettez-vous y tout de bon. Si incipis, perfectè incipe. Dieu couronnera votre zèle. Vous allez vous dépouiller de vos habits, pour en prendre de plus grossiers et de plus pauvres ; c’est pour vous apprendre que vous devez quitter toutes vos habitudes et toutes les affections que vous avez eues dans ce monde, pour vous revêtir des sentiments qui conviennent à des pénitents. »

Aussitôt après cette courte instruction, le postulant est conduit par le père-maître au bas du siége de l’abbé ; on l’aide à se dépouiller de ses habits laïques, et il se revêt de l’humble froc du religieux trappiste, que l’on vient de bénir pour lui.

Aussitôt, son nom de famille disparaîtra, et il ne sera plus connu que sous le nom que la religion lui aura donné et il le conservera jusqu’à la tombe.

L’habit du Trappiste est pauvre et grossier : une chemise de serge qui, dans les commencements, semble une espèce de cilice ; une robe et un habit blanc de dessus, qu’on appelle scapulaire, pour le temps du travail ; et dans le reste du temps, une grande tunique, qui est appelée chape pour les frères novices et coule pour les religieux ; une ceinture en lisière. Le scapulaire est surmonté d’un capuce, qui sert de chapeau pendant le jour et de bonnet pendant la nuit. Tous ses habits très-simples sont en laine : en hiver, ils sont un peu légers ; mais aussi, pendant les chaleurs de l’été, ils sont trop pesants.

Voici, d’après la légende, l’origine mystérieuse de la coule, habit à longues et larges manches :

« Un ancien abbé de Cîteaux, saint Albéric, dévot à la sainte Vierge, eut une vision : un jour, pendant qu’il était à l’office avec ses frères, il venait de lui consacrer son ordre, de se dévouer à la Reine du ciel, et la sainte Vierge lui apparut vêtue de blanc et portant dans ses mains un manteau semblable au sien, dont elle revêtit le pieux abbé. »

Cette tradition explique comment le Cistercien est vêtu de blanc, quoique fils de Saint-Benoît ; comment il a renoncé à la coule noire pour prendre la coule blanche, et pourquoi chaque couvent de l’ordre se trouve placé sous le patronage de Notre-Dame.

Pendant la cérémonie de la vêture, la communauté chante le cantique d’action de grâce : Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël, de ce qu’il a daigné visiter les siens et les retirer de la servitude. Benedictus Dominus Deus Israël… Tous les religieux sont dans la joie, un nouveau frère vient de leur être donné.

Après sa réception, le jeune novice est confié à la sollicitude d’un religieux appelé père-maître des novices, qui est chargé de lui expliquer la règle sous laquelle il désire combattre et les engagements qu’il doit contracter ; il lui en retrace toute l’étendue et toute la sévérité. Plusieurs fois par semaine et pendant une année entière, le novice doit aussi lui-même par trois fois renouveler sa demande du premier jour ; on ne manque pas de lui représenter chaque fois que, libre encore, il peut en toute liberté de conscience se retirer, mais que le dernier pas une fois fait, ce sera sans retour et pour jamais.

En attendant, la règle oblige le supérieur à exercer le novice dans toute sorte d’humiliations, à temps et à contre-temps, ce sont ses propres termes. Dans toutes les communautés tant soit peu nombreuses, il y a toujours des emplois et des offices plus fatigants et plus humiliants à remplir : c’est un avantage qu’ils obtiennent sur leurs pères et sur leurs frères convers.

Ce n’est qu’après ces diverses épreuves que tous les religieux, réunis en une sorte de conclave, sont invités à décider en conscience et au moyen du scrutin secret, si le novice peut être admis à faire sa profession, et alors seulement celui-ci se prononce ; spontanément, sans insinuation aucune, sans même qu’on paraisse tenir beaucoup à lui, il demande à prononcer ses vœux.

Certes, il s’en faut qu’on procède d’ordinaire avec autant de circonspection et de sagesse, quand il est question de s’engager au milieu du monde, dans des états où incontestablement les périls ne sont pas moins redoutables, ni les regrets moins amers et moins fréquents.

Il ne faut pas se le dissimuler, l’année du noviciat donne plus d’épines que de roses, soit parce que les commencements sont toujours difficiles, soit parce qu’il faut rompre avec d’anciennes habitudes, acheter par des sacrifices le droit de s’appeler Trappiste, faire preuve d’humilité, d’obéissance et d’abnégation complète, en un mot ; faire l’apprentissage du martyre avant d’être admis à l’école du Calvaire, où le Crucifié enseigne à ses disciples une passion nouvelle qu’on peut appeler la passion de la croix, et fait de chaque religieux un autre Christ marqué aux stigmates de la pénitence.

Chaque jour du noviciat amène son épreuve donnant occasion de dompter sa nature, de se corriger aujourd’hui d’un défaut, demain d’un penchant et d’obtenir une à une les vertus qui feront le bon religieux.

Je voudrais bien pouvoir ici satisfaire la curiosité de mes lecteurs en racontant quelques-unes des épreuves que les novices ont à subir ; mais c’est un secret d’intérieur, un de ces mystères sacrés connus seulement de ses initiés et caché au vulgaire qui, ne sachant en comprendre la haute signification, pourrait en profaner la sainteté.

Le cloître est un séjour de privations et de croix, recouvrant, il est vrai, de célestes et angéliques délices ; mais là plus de plaisirs tels qu’en offre le monde, plus d’amitiés humaines, plus de dissipations, plus de lectures amusantes, plus de volonté propre : il faut se taire quand on voudrait parler et parler quand on voudrait se taire ; agir quand on voudrait se reposer et se reposer quand on voudrait agir. Il faut savoir supporter une confusion sans trouble, une correction sans excuse, une louange sans plaisir, un commandement tout opposé à ses goûts sans réplique et même avec joie.

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