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Une semaine à la Trappe: Sainte-Marie du Désert

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XII
La profession.

Ce n’est pas peu de chose de vivre dans un monastère ou dans une congrégation, de n’y être jamais une occasion de plainte, et d’y persévérer fidèlement jusqu’à la mort. (IMIT.)

Au bout d’un an et un jour, le novice trappiste prononce des vœux simples ; car, Grégoire XVI, de sainte mémoire, déclara par un édit que, à partir du premier jour du mois de mars 1837, les vœux émis à l’avenir par les Trappistes, dans les limites de la France, devaient être regardés comme simples[9].

[9] D’après un décret de notre saint-père Pie IX, on ne peut prononcer des vœux, dans les congrégations où l’on émet des vœux solennels, qu’après trois années de noviciat ; de plus, il faut être âgé de vingt et un ans, c’est-à-dire lorsqu’on est capable, par la maturité de son raisonnement, de comprendre la démarche qu’on fait. Est-ce là se déterminer à la légère et par un mouvement irréfléchi ?

Ce décret ne regarde pas les Trappistes, dont les vœux, quoique perpétuels, sont toujours simples.

Le profès doit se donner tout entier et ne rien réserver de l’holocauste. Mais, en retour de sa générosité, Dieu lui communiquera un surcroît de cette paix surabondante, qu’il ne refuse jamais à ses serviteurs de bonne volonté : Pax hominibus bonæ voluntatis.

Aussi on ne doit pas être surpris de la sainte jubilation de tous ceux qui ont le bonheur de faire leur profession, si l’on considère avec attention les grands avantages qu’elle procure.

Il est nécessaire avant d’aller plus loin, de répondre à une objection qui tend à condamner les vœux religieux, à les regarder comme contraires même aux intérêts de notre âme, préjudiciables à notre salut, qui n’en deviendra, dit-on, que bien plus difficile si on a le malheur ensuite de faire une faute, car plus on se lie, plus on s’oblige ; le péché d’un religieux sera bien plus grand que le péché d’un séculier.

Ecoutez saint Anselme :

« Un jour deux serviteurs se présentèrent à un maître. L’un d’eux lui dit : — Je veux vous servir avec dévouement, fidélité et obéissance ; mais je ne me donne pas à vous irrévocablement, je veux rester libre de vous quitter demain, si je le désire. — Le second au contraire, lui dit : J’aime votre commandement, je vous promets fidélité et sujétion, j’obéirai à vos ordres aujourd’hui, demain, toujours. — Or, il arriva que tous deux, infidèles à leur devoir, se présentèrent une seconde fois à leur maître pour lui demander pardon. Le maître dit au premier : — Tu as voulu rester libre contre moi, et moi je le suis contre toi, tu n’es qu’un étranger, je réclame mes droits, tu me paieras tout jusqu’à un denier. — Et changeant de langage, il répondit au second : — Tu as péché, malheureux, il est juste que tu sois puni ; mais au lieu de te chasser comme cet étranger, je te corrigerai, sans te mettre dehors, tout en te gardant chez moi, car tu m’appartiens, tu es membre de ma famille. — C’est là, conclut saint Anselme, le jugement que Dieu prononcera envers le séculier et le religieux profès. Les avantages de la profession ressortent aux yeux de tous, d’après cette similitude, qui montre évidemment que si le vœu grossit le péché, il facilite aussi le compte qu’on aura à rendre et incline nécessairement à l’indulgence le juge dont il a fait un père. »

Le lendemain, on se réjouit au couvent, on bénit Dieu, on chante à la profession d’un novice, qui, heureusement inspiré, s’est consacré à Dieu par le vœu de chasteté, renonce à sa liberté par le vœu d’obéissance, se dépouille de tout par le vœu de pauvreté, et se donne pour toujours à la Trappe par le vœu de stabilité ; car, à partir du jour de sa profession solennelle, le religieux ne peut plus quitter le monastère : trois gendarmes en gardent la porte.

Voici, à ce sujet, ce que dit un écrivain qui a visité Aiguebelle :

« A l’entrée du cloître, sont écrits ces trois mots : LA MORT, LE JUGEMENT, L’ÉTERNITÉ. Ce sont trois gendarmes qui gardent le monastère ; les religieux ne peuvent le quitter, et il ajoute ce trait à l’appui de sa réflexion :

» Nous avions aperçu au chœur un religieux des plus vénérables, portant sur sa tête une triple couronne de vieillesse, de bonté et de vertu. Dans le monde, il avait possédé une brillante fortune : il avait été préfet, il avait été député, il avait de nombreux amis qui étaient heureux de passer dans son château quelques heures de bonheur, et cependant, las et fatigué de toutes les humaines grandeurs, un jour il partit pour Aiguebelle.

» A cette nouvelle, grande fut la désolation de tous ceux qui l’aimaient. Ils coururent sur ses pas ; mais déjà il avait revêtu cette robe, sous laquelle il se trouve plus heureux que sous les décorations qui ornaient jadis sa poitrine… On le presse, on le conjure de retourner au sein de sa famille : — Je ne le puis. — On insiste : — Je ne le puis, vous dis-je, trois gendarmes m’empêchent de sortir ; ne les avez-vous pas vus ? ils sont à la porte du monastère. — Non, sans doute, ils s’étaient probablement cachés ; mais il est donc vrai, votre Trappe est un bagne ! Le bon trappiste sourit à ces mots, et, après avoir joui quelques instants de la perplexité de ses amis, il leur dit : Eh quoi ! n’avez-vous pas lu, en entrant, ces trois mots : LA MORT, LE JUGEMENT, L’ÉTERNITÉ ? Voilà les trois gendarmes qui m’empêchent de sortir. »

Il a persévéré dans sa vocation.

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