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Une semaine à la Trappe: Sainte-Marie du Désert

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XVII
Le cloître.

« Le mot cloître, en prenant la partie pour le tout, est synonyme de monastère, d’après le langage reçu dans le monde, qui l’emploie trop souvent en mauvaise part. Cependant le mot cloître ne désigne, par sa signification véritable, que la galerie intérieure qui relie ensemble les divers corps de la bâtisse, servant de passage commun, d’issue pour aller d’un endroit dans un autre. »

« Il ne faut pas, a dit un écrivain, se représenter le cloître tel qu’il règne aujourd’hui autour de nos cathédrales, désert, triste et froid, avec ses fenêtres privées de verres : le cloître au moyen âge était le vrai paradis du moine ; par son royal rempart de discipline, il séparait le religieux du monde et offrait une image de la paix du ciel.

» Le cloître est le lieu le plus important du monastère. Il relie entre eux tous les lieux réguliers. C’est sous ses voûtes et le long de ses galeries que se développent les majestueuses processions des moines. Au jour de la glorieuse Ascension du Seigneur dans le ciel, le sous-diacre répandant l’eau bénite s’avance en tête, suivi du diacre, revêtu de l’aube et de l’étole, portant la croix et escorté par deux acolytes avec des flambeaux. Les religieux laïcs viennent ensuite, puis les clercs et les prêtres ; tous marchent sur deux rangs, de chaque côté du cloître, la tête découverte et chantant des hymnes sacrés. A la Chandeleur, ils tiennent des flambeaux à la main, et, au dimanche des Rameaux, de vertes palmes en signe de triomphe. L’abbé suit, appuyé sur sa crosse, et marche seul au milieu des rangs. Après lui, s’avancent les novices et les frères convers, tous dans le même ordre. Ils chantent d’une voix mâle et sévère : car, dans le chant comme ailleurs, ils ont porté la réforme. Leur plain-chant est le chant grégorien.

» Chaque année, le jeudi saint ramène une scène bien touchante. Les pauvres de Jésus-Christ, en nombre égal à celui des religieux, assis sous la galerie qui longe la nef méridionale de l’église, attendent la fin de l’office. Après none, l’abbé, suivi de ces religieux qui marchent un à un, descend de l’église au cloître, passe devant tous les pauvres et va se placer en face du dernier. Au signal qu’il donne, tous se mettent à genoux, lavent les pieds du vieillard ou du jeune enfant que chacun a devant soi, les essuient avec soin, puis les baisent avec amour. Ils sont aidés en cette cérémonie par les frères convers, qui leur présentent l’eau et les linges et participent ainsi à cette fête religieuse. Remettant ensuite à chaque pauvre une aumône qu’ils accompagnent d’un baiser sur les mains, ils les aident à reprendre leur chaussure. Cela fait, ils se prosternent de nouveau et disent ensemble ces paroles du Psalmiste : « Nous avons reçu, ô mon Dieu, votre miséricorde dans l’enceinte de votre temple. » C’est le salut d’adieu qu’ils adressent aux membres souffrants de Jésus-Christ. C’est le même aussi par lequel ils reçoivent les pèlerins qui viennent les visiter. Les pèlerins et les pauvres sont pour ces hommes de foi les représentants de la miséricorde divine, qu’ils accueillent comme les messagers du pardon.

» En un mot, le cloître est, à proprement parler, le séjour et l’habitation du moine. La souveraine et la gardienne du monastère, la toute aimable Marie elle-même, l’a choisi pour sa demeure. Elle en fait sa salle du trône, et son image chérie, qui s’élève au-dessus du siége abbatial, laisse tomber, chaque soir, à la lecture qui précède complies, une bénédiction transmise par les mains vénérées de l’abbé qui préside en son nom. Là, le religieux fait ses lectures, ses méditations, étudie les divines Ecritures. On peut le voir alors gravement assis entre deux colonnes, le capuce ramené sur la tête, mais disposé pourtant de manière à laisser voir qu’il ne dort point. Quelquefois, sous la direction du chantre, il répète à mi-voix les répons de la fête prochaine, prépare les leçons et s’exerce à bien prononcer les syllabes longues ou brèves. Mais ils ne doivent point se troubler mutuellement par de vaines et nombreuses questions. Le strict nécessaire et en peu de mots, c’est tout ce qui est permis ; car le cloître est surtout le lieu du silence où, tous les jours de sa vie, le moine, prisonnier de l’amour divin, met laborieusement en œuvre les instruments au moyen desquels il doit, selon la règle, achever et parfaire l’édifice de sa perfection. » (Annales d’Aiguebelle).

C’est sous les colonnes du cloître que saint Bernard médita les saintes Ecritures, Rancé promena ses secrets, et Abélard épura ses affections ; là, les riches venaient jeter leurs trésors, et les grands déposer leur puissance, Amédée son sceptre, Charles-Quint sa couronne, et plusieurs princes, regrettant de n’avoir pu y passer leur vie, y envoyaient leur dépouille mortelle, y faisaient déposer leurs cadavres ; là ; enfin, il était permis au moine, à cette époque, de prendre la plume pour faire la leçon aux rois.

Voici à cet égard un curieux document :

« Cloître de Cluny, l’an 1106.

» Frère Hugues, abbé de Cluny, à Philippe, roi de France par la grâce de Dieu, gloire et salut.

» Dieu, qui nous a ouvert la porte de l’amitié pour arriver jusqu’à vous, afin de vous parler plus familièrement, veut que je vous dise, tout d’abord, que vous étiez depuis longtemps l’objet de mes pensées et de mes prières. J’ai demandé souvent au Seigneur d’incliner vos penchants, de diriger vos efforts et de tourner votre volonté vers lui, qui est le seul, le vrai et le souverain bien. O mon royal ami ! vous vous en souvenez, plusieurs fois vous m’avez demandé si jamais prince s’était fait moine… »

Ici, il lui cite l’exemple de Gontrant retiré dans le cloître, et il termine en ajoutant :

« Faites comme lui, venez, et nous sommes prêts à vous recevoir en roi, à vous traiter en roi, et à vous obéir en humbles sujets ; venez, et nous prierons le Roi des rois dévotement, pour vous qui de roi serez devenu moine par amour pour lui, afin qu’il vous rétablisse dans vos droits, et un jour le moine deviendra roi, non sur un petit coin de terre pendant un jour ou deux, mais dans le grand empire, au ciel, où votre règne n’aura plus de fin. Ainsi soit-il. »

On enterrait autrefois sous le cloître, ce qui en faisait une salle mortuaire ou salle des aïeux : les ancêtres étaient là témoins de tout, au centre du monastère ; et, plus d’une fois sans doute, le moine vit le fantôme de la mort, enveloppé de son suaire, sortir du tombeau et s’asseoir sur la pierre sépulcrale, pour faire la leçon aux vivants et rappeler le moine à son devoir. Le cloître ressemblait donc à cette chambre réservée aux ancêtres, dans nos vieux manoirs, autour de laquelle on plaçait les portraits de famille. On nommait cette chambre la salle des aïeux, où le descendant d’une illustre race n’entrait jamais sans sentir battre son cœur, et sans entendre une voix mystérieuse qui disait à son oreille que noblesse oblige.

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