Une semaine à la Trappe: Sainte-Marie du Désert
II
Sainte-Marie du Désert.
Ponam in deserto viam.
« Ce monastère, situé dans le doyenné de Cadours, au diocèse de Toulouse et à vingt kilomètres de cette ville, tire son nom d’une chapelle dédiée à la sainte Vierge, bâtie en ce lieu sous le vocable de Sainte-Marie du Désert. Les villages d’alentour avaient la pieuse coutume d’y venir en pèlerinage offrir à la Reine du ciel l’hommage de leur dévotion. Ce fut à l’occasion de l’une de ces réunions si agréables à la Mère de Dieu, que le R. P. Avignon, zélé missionnaire du Calvaire, conçut le projet d’animer cette solitude par la présence d’une famille religieuse. La fertilité du sol, la salubrité de l’air et, plus encore, le bien-être dont l’âme peut y jouir, le confirmèrent dans sa pensée. Nul doute qu’elle ne vînt du ciel et qu’elle n’eût été inspirée par Marie. Il n’eut qu’à la manifester pour obtenir une approbation générale. On délibéra à l’instant sur le choix des solitaires, et il fut décidé qu’on appellerait les Trappistes. Ceci se passait en 1849.
» Son Eminence le cardinal-archevêque Mgr d’Astros, d’heureuse et sainte mémoire, appuya de son approbation l’œuvre projetée. Mme Guyon, née Dupeysset, riche propriétaire de Garac, donna gratuitement une métairie d’environ vingt hectares, sur lesquels devait s’élever le monastère. Quelques autres bienfaiteurs ont élargi peu à peu les limites de ce monastère, qui est loin d’être construit en entier. Les religieux manquent encore de beaucoup de choses essentielles, et pour se les procurer, comme pour construire les bâtiments les plus indispensables, ils n’ont que les ressources de la divine Providence, qui ne les a pas jusqu’à présent laissé manquer des choses de la première nécessité.
» Le 8 septembre 1850, fête de la Nativité de la sainte Vierge, on a posé la première pierre du monastère. Dom Orsise, alors abbé d’Aiguebelle, avait promis d’envoyer une colonie de religieux aussitôt que des moyens suffisants d’existence leur seraient assurés. Avant qu’il eût pu remplir sa promesse, le vénérable abbé avait cédé le gouvernement de sa maison à dom Bonaventure. Son successeur ne perdit pas de vue la nouvelle fondation. Il envoya cinq religieux sous la conduite du R. P. Bernard. Ils arrivèrent à Sainte-Marie le 21 décembre 1852. Rien n’était fait pour les abriter convenablement. De pauvres cabanes adossées à la chapelle existante leur servirent de refuge. Les premiers religieux de Cîteaux n’étaient pas plus dénués de ressources. Malgré la charité, les soins empressés des gens du pays et les attentions presque miraculeuses de la Providence, cette fondation, faite à la hâte et, comme les précédentes, en dehors des règles établies par les constitutions, eut à essuyer des épreuves dont elle s’est longtemps ressentie et qui viennent à peine de finir. Mais tous les obstacles ne rendirent que plus sensible la protection de Marie. Après six mois de grandes privations, il y eut possibilité d’habiter le premier corps du bâtiment, où l’on s’installa le 43 juillet 1853. Dom Bonaventure envoya alors un renfort de religieux, parmi lesquels se trouvait le R. P. Marcel, qui fut élu prieur titulaire et installé le 21 du mois de juin 1855. A cette époque, dom Bonaventure était déjà passé à une meilleure vie.
» Sous la direction habile et active du nouveau prieur, la communauté, soulagée d’ailleurs par l’arrivée de quelques religieux, surmonta peu à peu les difficultés qui arrêtaient son développement. Mme Guyon augmenta ses libéralités, en récompense desquelles les religieux n’ont point cru trop faire en donnant à leur généreuse bienfaitrice, après sa mort, une place dans leur propre cimetière. Si l’affluence des vocations eût répondu à sa prospérité matérielle, ce prieuré de quelques années aurait été au niveau des anciennes abbayes.
» Le R. P. dom Gabriel, abbé d’Aiguebelle, visiteur et père immédiat de Notre-Dame du Désert, bénissant le Ciel de cet état de choses, proposa, dans une session du chapitre général de 1859, d’ériger cette maison en abbaye, puisque désormais elle pouvait se suffire. La proposition fut accueillie. Les formalités voulues ayant été fidèlement remplies auprès de l’archevêque par dom François-Régis, procureur général de la congrégation, Sa Grandeur obtint de Rome un rescrit favorable, le 19 novembre 1860, et, munie des pouvoirs apostoliques, elle publia, par ses lettres du 15 février 1861, l’acte d’érection en abbaye du prieuré de Notre-Dame du Désert. Deux jours après, le R. P. dom Gabriel le faisait lire en présence de la communauté capitulairement assemblée. Depuis ce moment, on ne cessa d’adresser au Ciel de ferventes prières afin qu’il daignât éclairer les religieux sur le choix de son représentant. Elles furent exaucées, et le 19, jour fixé pour l’élection, le R. P. dom Marie, religieux profès de Notre-Dame du Désert, fut élu à la majorité des suffrages. Confirmé le 2 mars suivant par le révérendissime dom Théobaldo Césari, abbé de Saint-Bernard-aux-Thermes et président général du saint ordre de Cîteaux, installé le 11 avril par dom Gabriel, il a été béni solennellement le 26 mai de la même année par Mgr Florian Desprez, dans l’église paroissiale de Lévignac, dédiée à saint Maur abbé. M. Louis Junca, neveu de la fondatrice et l’ami du monastère, voulut se charger lui-même des frais de la fête et s’associer une fois de plus, en cette circonstance, à la pieuse libéralité de sa tante. » (Annales d’Aiguebelle, t. II, p. 450.)
A quelque distance du monastère, on voit une ancienne chapelle rebâtie après la révolution de 1793, connue sous le vocable de Sainte-Marie du Désert, et cette chapelle a donné son nom à la communauté nouvelle, mais elle n’appartient pas aux religieux, qui ne peuvent pas même y dire la sainte messe[4].
[4] Nous ne connaissons pas les motifs qui empêchent aux pères trappistes de dire l’office dans cette chapelle ; mais cela nous étonne d’autant plus que cette partie de la France a toujours été essentiellement religieuse.
La propriété conventuelle est située dans un bas-fond un peu découvert : c’est un véritable désert, et la vue de ces lieux solitaires suffit seule pour faire oublier le monde à celui qui en a connu toutes les illusions. Mais il n’est pas besoin de chercher le silence et la retraite pour apprendre à ne plus l’aimer ; jusque dans ses pompes les plus brillantes, il laisse toujours au fond du cœur un dégoût inexplicable qui le trahit et qui semble nous dire que tout chez lui est faux et trompeur. On ne peut se défendre d’un sentiment de tristesse au milieu de ses fêtes en apparence les plus joyeuses. Le plaisir nous avertit lui-même qu’il est loin d’être le bonheur, et le monde s’efforce en vain de nous dérober son néant derrière le voile éclatant de ses folies.
A Sainte-Marie du Désert, plus que partout ailleurs, l’âme religieuse est enivrée de délices et de consolations ; elle s’écrie avec le grand apôtre : Superabundo gaudio, je suis comblée de joie au service de mon Dieu. Ses sacrifices que dans les transports de son bonheur elle n’ose les nommer ainsi, elle ne les échangerait pas pour les trésors de l’univers ; l’âme qui renonce à tout ce qui est ici-bas, trouve ce centuple promis par Notre-Seigneur, et, dans le secret de l’ombre et du silence, elle se délecte au souvenir de l’amour de son Dieu. Ceux qui, avides du bonheur de ce monde, le convoitent en vain, peuvent aller à loisir contempler ce calme et ce repos sans fin, dont jouissent les Trappistes dans leur solitude ; leurs plaisirs sont plus purs et bien plus durables.
Peu de personnes sont appelées à quitter le monde pour la solitude et la retraite ; mais celles que Dieu veut bien y conduire trouveront dans cette nouvelle vie de puissants moyens de sanctification, si elles sont attentives à la voix du Seigneur.
Il vous importe donc, ô vous qui vous sentez attirés au désert, de bien discerner si c’est véritablement l’Esprit de Dieu qui vous anime.
Dès que vous aurez, par les lumières et les conseils d’un sage directeur, reconnu que c’est lui qui vous parle au cœur, ne différez point d’exécuter ce qu’il vous inspire. Souvenez-vous de ce que dit saint Ambroise : « La grâce du Saint-Esprit ne connaît point de retardement. » Cette grâce, comme nous l’enseignent les maîtres de la vie spirituelle, a ses temps et ses moments : si on la rejette par endurcissement, ou si on la néglige par indifférence, elle se retire bientôt et nous abandonne à nous-mêmes. Malheur à ceux qui ne répondent point à l’inspiration divine dans un choix de cette importance ! ils doivent craindre de n’être pas trouvés propres au royaume de Dieu. Quel aveuglement de s’exposer ainsi à perdre son éternité ! Ayez donc une grande confiance en Celui qui, après vous avoir appelés, ne manquera pas de vous donner le secours de sa grâce pour soutenir une entreprise qu’il vous aura lui-même suggérée. Dites, avec saint Paul : « Je puis tout en Celui qui me fortifie. » Et encore, avec saint Augustin : « Ne pourrais-je donc pas, avec le secours de la grâce, ce qu’ont pu ceux-ci et ceux-là ? » Pensez que si le chemin de la croix a ses difficultés, il a bien aussi ses douceurs. « Les hommes voient la croix, dit saint Bernard, mais ils n’aperçoivent pas l’onction de la croix. »