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Voyage à travers les Cévennes avec un âne

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NOTRE-DAME DES NEIGES


FRÈRE APOLLINAIRE

En partant de Luc, le matin du 26 septembre, Stevenson changea le système de chargement de Modestine. Le sac ne fut plus doublé: il forma un rouleau long de six pieds placé en travers du bât et rabattu de chaque côté. C’était plus pittoresque. La charge était plus équilibrée, partant moins susceptible de culbuter et fatiguait moins la bête.

Le voyageur remonta le cours de l’Allier. La vallée qui sépare le Gévaudan (Lozère) du Vivarais (Ardèche), vallée dénudée, sauf quelques espaces boisés, renferme des prairies, des cultures et des pâturages: mais les vraies gorges de l’Allier s’ouvrent plus loin, aux confins de la Haute-Loire et de la Lozère.

Arrivé à la Bastide, l’Anglais, sur les indications qu’on lui donna, quitta la rivière et prit une route qui se dirigeait à l’Est dans les montagnes de l’Ardèche. Il voulait visiter l’Abbaye de Notre-Dame des Neiges qui se trouve dans les environs.

Du point où il était, il avait devant lui, au sud-est, de profondes vallées et une succession de crêtes en étage qui allaient se perdre dans un lointain bleuâtre. Il était heureux de trouver enfin un paysage gai et coloré après les mornes contrées qu’il venait de traverser. Mais c’était une terre promise dans laquelle il était encore loin d’entrer. Le froid et la solitude continuaient à régner sur les hauteurs qu’il parcourait. Une croix plantée sur chaque mamelon faisait présager le voisinage d’un asile pieux et bientôt une blanche statue de la Vierge placée au coin d’une plantation récente indiqua au voyageur Notre-Dame des Neiges.

Quelques pas plus loin il entendit le tintement d’une cloche et sans savoir pourquoi, son cœur en fut troublé. En approchant du Monastère il fut pris d’un sentiment de vague terreur, nouveau pour lui. C’était, dit-il, le résultat de son éducation protestante. Soudain, à un tournant du chemin, la peur le prit, si bien qu’il n’osait avancer. Là, sur un bout de route nouvellement tracée au milieu des pins, parut comme un revenant du Moyen-Age, un frère traînant une brouettée de mottes. C’était à n’en pas douter un des ermites du Monastère représentés sur les gravures du livre de Marco Sadeler qui l’avaient tant fait rêver dans son enfance. Il était vêtu de blanc, comme un spectre et son capuchon rejeté en arrière laissait voir un crâne rasé d’un jaune d’ivoire.

Stevenson, n’osant lui parler, ôta son chapeau et lui fit une grande révérence. Le frère rendit le salut et lui demanda s’il se rendait au monastère. «Vous êtes Anglais, dit-il, peut-être Irlandais?»—Non, dit Stevenson je suis Ecossais.» Il n’avait jamais vu d’Ecossais et en le regardant sa bonne grosse figure en fut toute réjouie. On n’admettait pas tout le monde à N.-D. des Neiges. Peut-être cependant lui donnerait-on à manger. Puis, quand il apprit que Stevenson n’était pas un colporteur, mais un homme de lettres paysagiste, il se ravisa et lui conseilla d’aller voir le père Prieur et de lui adresser sa requête.

Abbaye de Notre-Dame des Neiges.

Au fait, dit-il, je vais vous accompagner. Puis-je dire que vous êtes géographe?—Pas précisément.—Auteur alors. Mais au moins êtes-vous chrétien?—A peu près.—Cette réponse ne le satisfit qu’à demi. Ce robuste religieux avait construit lui-même, dans l’espace d’un an, la route qu’ils suivaient. Bientôt des bâtiments blancs se dressèrent devant eux au-delà d’un bois. La cloche tinta; ils allaient arriver. Le frère Apollinaire, c’était ainsi qu’il s’appelait, dit à Stevenson: Je ne puis parler qu’à l’extérieur de l’Abbaye, mais adressez-vous au frère portier et tout ira bien. Alors il prit les devants et disparut dans l’intérieur.

Stevenson, non sans appréhension, poussa en avant Modestine, mais la bête avait sans doute aussi des préjugés à l’égard des Monastères, car c’était la première fois qu’en voyant une porte elle n’entrait pas sans vergogne.—L’Anglais sonna, et, après avoir parlementé avec frère Michel l’hospitalier et deux ou trois autres frères à robe brune, il put pénétrer dans la place. Il pensa que c’était le sac porté par Modestine qui, en excitant la curiosité des autres frères, comme il avait déjà fasciné frère Apollinaire, lui en avait facilité l’accès. Assurés que ce n’était pas un colporteur, les religieux chargés de la réception des étrangers l’avaient admis sans difficulté. Modestine fut conduite aux écuries par des frères servants et le voyageur et son sac furent reçus dans la salle destinée aux pèlerins.

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