Autour des trônes que j'ai vu tomber
XVII
COMMENT JE FUS A LA FOIS RENDUE A LA LIBERTÉ ET A LA RAISON
Je devais aller aux Eaux. J'en avais le plus grand besoin. Les petites stations thermales abondent en pays germanique. La difficulté n'était pas de trouver un lieu salutaire à ma santé, où mes gardiens n'auraient pas à craindre une foule cosmopolite, et pourraient me tenir prisonnière et isolée.
Cependant, aussitôt après l'incident des lettres jetées dans ma voiture, j'appris que je resterais à Lindenhof. La cure promise était supprimée.
Par bonheur, le médecin professeur, appelé pour moi en consultation, prit parti en ma faveur, consciencieusement, et me promit d'intervenir. En attendant, mes promenades cessèrent. J'acceptai même de ne point sortir, dupe des histoires que l'on me raconta, le Docteur Pierson, tout le premier.
Il me gardait jalousement, mais avec égards. Que je ne fusse point folle, il le savait bien; mais il savait encore mieux que ma pension était d'un prix très rémunérateur. L'idée de me perdre lui était extrêmement désagréable. Il s'ingéniait à me conserver autant qu'à me plaire, et se persuadait sans peine que Lindenhof devait être, pour moi, un séjour enchanteur.
Si n'avaient été, à mes yeux, ses titres de médecin aliéniste et de geôlier, ses visites n'auraient eu rien de trop désagréable. Elles ne manquaient point de courtoisie.
Le Docteur Pierson prenait aisément l'air du dévouement et de la bonté. Il me fit part, du ton le plus sincèrement alarmé, de certains avis qu'il disait tenir de source sûre, et qu'il m'appartenait de prendre en considération, si je ne voulais le désoler: des bandits avaient résolu de m'attaquer en forêt, à l'improviste, et de me dépouiller des bijoux que je portais ordinairement. Certes, le Docteur Pierson ne contestait pas que le comte eût pu m'écrire. Toutefois, la lettre saisie par ma «Demoiselle de compagnie» n'était pas ce que j'imaginais sans doute. Elle semblait apocryphe et fort inquiétante par son mystère même. On ne pouvait me la montrer, parce qu'il appartenait d'abord à la justice de la connaître. Je serais sage de remettre celle que j'avais gardée. Elle émanait assurément de cette bande qui préparait un attentat où je pouvais être volée et assassinée.
Effrayée de l'entendre, déprimée, d'ailleurs, par l'existence qui m'était faite, je me laissai convaincre. Je ne voulus pas sortir. Pendant plusieurs jours, je vécus angoissée, oppressée, incertaine. Le sommeil me fuyait. A la réflexion, je ne savais plus que croire et que penser. Supplice ajouté au supplice.
On ne peut concevoir la résistance qu'il faut pour conserver une certaine lucidité, quand on vit, pendant des années, dans le voisinage des aliénés. La hantise est telle que, si l'on n'a point la force de s'abstraire du milieu, on succombe, forcément.
Mais Dieu me permettait de m'évader sans cesse, en esprit, et de rejoindre le sauveur espéré. Je finis donc par me reprendre, et redemandai à sortir. On ne put s'y refuser.
Cependant, je restais impressionnée. Je n'osais me faire conduire aussi loin dans la forêt qu'auparavant. Et si j'apercevais un cycliste ou plusieurs, je m'effrayais, sans rien dire.
Venaient-ils pour m'attaquer? Venaient-ils pour me délivrer?
O Imagination! C'étaient de bonnes gens qui allaient tranquillement à leurs affaires.
Mon médecin professeur n'avait pas oublié sa promesse. Son intervention obtint l'effet désiré. Il fut décrété que j'irais aux eaux de Bad-Elster, en Bavière. C'est dans la montagne, à un quart d'heure, en voiture, de la frontière autrichienne. Si je m'échappais de Charybde, je tomberais en Scylla!
Le pays est agreste, et mériterait d'attirer la clientèle cosmopolite. Mais sa renommée, purement allemande, rassurait d'avance mes geôliers. Personne n'irait me chercher dans ce modeste Wiesbaden bavarois. Et si, d'aventure, mon défenseur surgissait, il trouverait les avenues gardées.
De fait, l'hôtel où je descendis avec ma suite de policiers et de policières fut immédiatement entouré, selon les règles de l'art, d'un cordon de sentinelles et de surveillants.
Quiconque d'inhabitué, d'inconnu, approchait, était suivi, observé et promptement identifié.
Le Comte se garda bien de se montrer, quoique, par les intelligences qu'il s'était ménagées à Koswig, il eût appris sans retard que j'étais partie pour Bad-Elster.
La police ne signala rien d'insolite à mes gardiens. Personnellement, j'étais, à mon habitude, sans impatience ni révolte. Ma «demoiselle de compagnie» ne pouvait que rendre hommage à ma gracieuseté. Mais, en moi-même, je sentais venir la délivrance.
Cette intuition se trouva promptement confirmée:
Un jour, au tennis, je vis passer un gros homme, dont l'allure, le chapeau, le costume annonçaient un Autrichien. Ses yeux cherchèrent les miens qu'ils fixèrent avec insistance, pendant qu'il me saluait avec respect. J'aurais juré que le regard de cet homme venait de m'annoncer le Comte!
Je ne me serais point trompée!
Un peu plus tard, à l'hôtel, je sortais de la salle à manger, précédée du médecin de police attaché à ma personne, et suivie, à cinq ou six pas, de ma «demoiselle de compagnie», un individu blond me frôle et murmure:
—Attention! On s'occupe de vous!
Je faillis m'appuyer au chambranle d'une porte, incapable soudain d'avancer. Je pus heureusement surmonter ce trouble. Mes deux Cerbères ne s'aperçurent de rien.
Le lendemain, à l'heure du dîner, j'arrive, toujours escortée de mes deux inséparables, le Docteur et la suivante. Le «Kellner» qui, habituellement, nous servait, était un peu en retard et achevait de disposer le couvert. D'ordinaire, il n'osait me regarder qu'avec discrétion. Je m'aperçois que ses yeux me parlent. En même temps, sa main passe et repasse sur la nappe, près de ma place. Il efface un pli, il tapote le linge, il n'en finit pas. Je m'assieds et, au bout d'un moment, j'effleure, d'un geste négligent, l'endroit que le garçon semblait indiquer: je sens craquer un papier sous la nappe…
Mes deux gardiens parlaient de Wagner; ils égrenaient des lieux communs laudatifs. Ils purent me voir approuver d'un gracieux sourire leurs banalités. Ils redoublèrent d'éloquence, tout à leur sujet. J'en profitai pour saisir et faire disparaître une lettre habilement placée à portée de ma main, entre la nappe et le bois, au bord de la table, près de moi.
Je lus cette lettre, je la dévorai, dès que je pus être seule, dans ma chambre. Elle était bien de qui je pensais! Elle m'annonçait la délivrance prochaine. Elle me donnait des explications sur ce qui s'était fait, et ce qui allait se faire pour que j'échappe à ma longue torture. Je devais répondre par la même voie. Je pouvais compter sur le «Kellner».
C'est ainsi qu'une correspondance quotidienne s'établit entre le Comte et moi. Je sus bientôt, en détail, quelles mesures je devais prendre, quelle attitude garder, quels préparatifs effectuer et de qui j'avais à craindre ou à espérer.
Le gardien de nuit était gagné à mon évasion. Ce brave homme, comme le «Kellner», risquait gros à ce jeu. On ne saura jamais tous les dévouements qu'a suscités, que suscite encore l'affreuse persécution dont j'ai été victime.
J'eus enfin le billet avidement attendu: celui qui me disait: «Ce sera pour demain.»
Pour demain! Demain! Je n'avais plus qu'un jour à attendre, et je serais libre… C'était en août 1904. Depuis sept ans, j'avais perdu ma liberté; je vivais dans le voisinage immédiat des fous, traitée en folle.
Une pensée me glaça d'effroi: le Comte allait sans doute surgir, se montrer. Or, récemment, ma «demoiselle de compagnie», exhibant un revolver, m'avait froidement prévenue que, pour sa part, elle avait l'ordre—de qui?—de tirer sur mon sauveur.
Jamais ma prière ne fut plus ardente. Puis, rassérénée, confiante, je fus toute à mes préparatifs.
J'avais besoin de quelques heures pour ranger mes papiers, détruire des lettres, disposer ce que j'emporterais. Comment faire tout cela sans éveiller des soupçons?
Je m'avisai de déclarer qu'au lieu de sortir, l'après-midi, je me laverais la tête. Ce soin, auquel je procédais souvent moi-même, me laisserait le loisir de rester chez moi en séchoir, sans que la «demoiselle de compagnie», infatigable espionne, pût s'alarmer. La femme de chambre disposa donc tout ce qu'il fallait, puis, seule, je fis dans mon appartement un grand bruit d'eau. Mais j'eus bien soin de garder mes cheveux secs, de crainte de quelque rhume ou névralgie qui serait venu intempestivement diminuer les bonnes conditions où il fallait que je fusse.
La tête enveloppée, je pris les mesures nécessaires, sans être dérangée. Puis, le soir venu, reposée, rafraîchie, à m'entendre, par l'opportune lotion de l'après-midi, je me rendis au théâtre, avec mon habituelle escorte.
De toutes les pièces que j'ai pu entendre, aucune ne m'a laissé moins de souvenir que celle dont le petit théâtre de Bad-Elster régalait, ce soir-là, son honnête auditoire. J'étais, par la pensée, à ce qui allait suivre, et je me disais:
—Advienne que pourra, si la vie est en jeu, jouons la vie!
Le spectacle achevé, je revins à mon hôtel sans rien laisser paraître de mon agitation intérieure. Le docteur et la suivante furent aimablement congédiés au seuil de ma chambre, et ma dernière phrase put ajouter à leur tranquillité:
—Nous devons aller au tennis demain un peu tôt, dis-je. Je sens que je passerai une bonne nuit. Retardons d'une heure notre partie.»
Comment douter, là-dessus, que j'allais bien sagement m'abandonner au sommeil? Au surplus, chaque soir, mes chaussures et mes vêtements m'étaient enlevés, et si je n'étais pas enfermée dans ma chambre, quoiqu'on y eût pensé—à mon arrivée, les serrures avaient été renouvelées, à cette intention,—le veilleur de nuit ne devait pas perdre de vue mon appartement, et des sentinelles entouraient l'hôtel.
Mais le veilleur était gagné à ma cause, et, quant aux sentinelles, je verrais bien ce qu'il en serait! Je craignais beaucoup plus ma «demoiselle de compagnie», logée à côté de moi, fine d'oreille, et toujours sur le qui-vive.
Et puis, j'avais dans ma chambre mon chien de prédilection, le bon, le fidèle «Kiki». Qu'en ferais-je? Comment accepterait-il ma fuite? Il aboyait pour une mouche. L'heure venue d'agir, je voyais le chemin se hérisser d'obstacles.
Je ruminais tout cela, tandis que la femme de chambre achevait son office. Enfin, je fus seule…
J'eus promptement revêtu un costume et chaussé des bottines que j'étais parvenue à dissimuler, en prévision du soir de ma fuite. Mon bagage fut bientôt achevé. Toute lumière éteinte, retenant mon souffle, j'attendis le signal.
Mais quel signal? Je n'en savais rien. J'écoutais…
Peu à peu, le silence se faisait complet dans ce coin tranquille de Bavière où le spectacle, comme il est d'usage en Allemagne, prend fin avant dix heures. Les soupeurs qui s'attardent sont rares. La calme nuit enveloppait Bad-Elster, une belle nuit de pleine lune. Un danger de plus, cette clarté lunaire. Mais je n'avais pas le choix, et mon temps de «villégiature» touchait à son terme.
Les douze coups de minuit sonnèrent, puis la demie, puis le premier coup de l'heure, et presque aussitôt j'entendis à ma porte un grattement de souris. Kiki se dressa… Mais d'un signe, je lui fis: «Chut!» Et il comprit!
J'ouvris doucement. L'ombre du gardien de nuit se dessina dans le corridor.
—Me voilà, dis-je, très bas.
—Silence!… Tenez-vous prête. Je viendrai quand il en sera temps.
Il s'éloigna.
Je suis restée deux heures, collée à la porte, ma valise près de moi. Enfin, j'ai perçu un glissement. C'était le gardien. Je me suis retournée vers mon chien. Il m'observait, inquiet. Je suis venue à lui. Les oreilles droites, assis sur son séant, au creux d'un coussin dans un fauteuil, il comprenait que j'allais partir, et partir sans lui!
Je lui ai dit, en le caressant:
—Kiki, ne fais pas de bruit. Si tu fais du bruit, je suis perdue!
Il n'a pas bougé. Il n'a pas aboyé. Il n'a même pas gémi, comme parfois, en enfant gâté.
Déjà, j'étais à côté du gardien, sur le seuil de la porte.
—Il faut ôter vos chaussures, murmura-t-il. On vous entendrait.
Il se baissa et me les enleva, puis, se chargeant de mon mince bagage, il m'entraîna, appuyée à son bras.
D'un dernier coup d'œil, j'avais dit adieu aux choses familières que je laissais dans ma chambre, et recommandé le silence à mon bon petit chien. Je suivis le corridor sur lequel s'ouvraient, proches de la mienne, les portes de la «Demoiselle de compagnie» et du docteur. Dieu merci, elles restèrent closes. Un autre corridor nous mena à un escalier par lequel nous gagnâmes le rez-de-chaussée. Là, dans l'obscurité presque totale, j'aperçus une ombre, un doigt sur la bouche. C'était le Comte…
Le veilleur de nuit ne nous laissa pas nous attarder. Il me fit reprendre mes bottines et nous guida, protégés de la clarté lunaire par l'hôtel, jusqu'à une serre, puis à une terrasse, qui accédait à la route.
Là, deux sentinelles s'étaient rejointes et causaient paisiblement, éclairées par la lune qui, pour notre perte, illuminait devant nous le chemin de la délivrance.
Nous attendions, anxieux. Bientôt, les sentinelles se séparèrent et s'éloignèrent dos à dos… Le Comte, prenant brusquement son parti, me fit franchir la route en quelques bonds légers. Il tenait ma valise; le gardien de nuit était resté caché sur la terrasse. Nous étions à présent sous des arbres, de l'autre côté du chemin. Les sentinelles n'avaient rien vu, rien entendu!
Restait à atteindre la voiture postée, pour nous, à quelque distance. C'était un landau à deux chevaux, équipage local qui pouvait passer inaperçu. Tout autre, inconnu au pays, eût pu être signalé.
Catastrophe! La voiture n'était pas où elle aurait dû être. Nous eûmes un moment de désespoir. Quelle nuit! Quels instants! Tout cela, fiévreusement sous des arbres que traversaient les rayons de la lune et que les jeux d'ombre et de lumière peuplaient de fantômes effrayants. Enfin, quelqu'un des gens gagnés à mon évasion nous rejoignit et nous mena vers le landau. J'y montai. Il partit. Mais ses chevaux fatigués allaient lentement. Soudain, en plein bois, l'équipage s'arrête. Le cocher confesse qu'il s'est égaré et ne connaît plus son chemin.
Il nous fallait arriver à un endroit appelé «les Trois Pierres», délimitation de trois royaumes. La Bavière, la Saxe et l'Autriche s'y rencontrent.
Le cocher tournait le dos à la bonne direction, et revenait vers Bad-Elster, alors que nous voulions gagner la petite station de Hof, et monter dans le train de Berlin.
Nous eûmes la chance d'être tirés d'angoisse par deux de nos partisans, inquiets de ne pas nous voir arriver, et qui survinrent à propos.
Bref, nous parvînmes à Hof, et, quelques heures plus tard, nous étions dans la capitale de la Prusse.
Mon gendre et son impérial beau-frère ne s'en doutèrent pas, lorsque leur arriva la nouvelle de mon évasion. Le bruit fut énorme. Les choses avaient été si bien arrangées à Bad-Elster; les braves gens y étaient si sincèrement pour moi, que les polices allemande et autrichienne en furent pour leurs frais de recherches. Je m'étais évanouie, dissipée en vapeur comme un farfadet. Du comte lui-même on ne retrouvait plus trace.
Cependant, à Berlin, hôtes secrets d'un député socialiste, le Docteur Sudekum, qui se fit le généreux défenseur de ma cause, nous attendions une accalmie dans la tempête, pour gagner un sol hospitalier.
Tout examiné, nous résolûmes d'aller en automobile jusqu'à une gare où s'arrêterait le Nord-Express, et de partir pour la France par ce train de luxe, en traversant la Belgique.
Passons sur une alerte à l'hôtel, à Magdebourg, où j'aurais été reconnue et dénoncée, si je n'avais appelé le Docteur Sudekum mon mari! Nous parûmes subitement très unis, et il fut évident qu'un célèbre socialiste allemand ne pouvait avoir pour épouse une fille de Roi.
Enfin, je pus monter en sleeping et, par bonheur, être seule dans mon compartiment. Le train roulait à travers l'Allemagne. Le Comte veillait sur moi, dans le même wagon, et se tenait le plus possible dans le couloir. Les heures passèrent. J'entendis crier: «Herbesthal!»
J'allais entrer en Belgique, j'allais revoir ma patrie sans oser m'y arrêter. Hélas! le Roi était du côté du Prince de Cobourg… J'osais à peine m'approcher de la fenêtre. Je tremblais. La douane belge passait dans les wagons.
On heurte à la porte de mon compartiment et, derrière le conducteur, les douaniers parurent. Mais on leur répondit pour moi. Ils se retirèrent confiants.
O ironie de la banale question:
—Vous n'avez rien à déclarer?
Que n'avais-je, au contraire, à déclarer, fille aînée du grand Roi de ces braves gens qui ne me reconnaissaient pas! J'aurais voulu crier jusqu'au palais de Laeken la cruelle injustice du sort qui faisait de moi, partout, une victime et une exilée!
J'étais toute à ces pensées lorsque passa un vieux contrôleur de chemins de fer belges. Celui-ci ne fit pas comme les douaniers. Il me dévisagea, et je vis qu'il démêlait sur-le-champ qui j'étais.
Le Comte, en observation dans le corridor, eut comme moi la certitude que j'étais reconnue. Il suivit le contrôleur. Cet homme le regarda, lut son anxiété sur ses traits, et, l'identifiant aussi, sans doute, par les portraits publiés dans les journaux, il s'arrêta, puis, bonnement:
—C'est notre Princesse, n'est-ce pas?… N'ayez donc pas peur! Personne ici ne la trahira.
Je n'ai jamais su le nom de ce fidèle et bon compatriote. S'il vit encore, puisse-t-il apprendre, par ces lignes, que ma gratitude est allée vers lui bien des fois.
J'arrivai enfin à Paris, saine et sauve. Je n'avais plus rien à craindre. J'étais sur une terre hospitalière, protégée par de justes lois.
On sait que les plus éminents des aliénistes français reconnurent, après de longues séances où je fus minutieusement interrogée et examinée, l'inanité des affirmations pseudo-médicales aux termes desquelles on avait pu me tenir pour folle, pendant sept ans, et me traiter en mineure incapable et interdite. Mes droits civils me furent rendus. En même temps que ma liberté, j'avais miraculeusement recouvré ma raison.
Je devais, hélas! pendant l'affreuse guerre, retrouver sur ma route l'implacable haine dont j'ai tant souffert.
Pour le coup, elle me crut en son pouvoir, et fut odieuse d'âpreté. Ce n'était plus par avidité des millions de l'héritage du Roi mon père. C'était par appétit d'une autre fortune: celle de l'Impératrice Charlotte, ma tante infortunée, dont le château de Boucottes abrite la végétative vieillesse. Cette possibilité de biens éveillait les mêmes convoitises; elle engendra les mêmes procédés. Mais, ici encore, je fus providentiellement sauvée.