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Autour des trônes que j'ai vu tomber

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XX

DANS L'ESPOIR DU REPOS

Et maintenant que j'ai dit ce que j'ai cru indispensable de dire, puissent ceux qui me liront m'excuser, si j'ai mal exprimé ma pensée.

Qu'ils m'excusent aussi d'être sortie du silence que j'ai toujours gardé le plus possible.

Le bruit qui s'est fait autour de moi, je ne l'ai pas voulu, je ne l'ai pas cherché. Il est né de circonstances plus fortes que ma volonté.

Nous pouvons peu de choses sur les événements. Notre vie semble dépendre plus des autres que de nous-mêmes, et d'une fatalité de condition plus que de notre choix, dans l'ordre de nos jours et de nos actes.

Il suffit d'un instant d'erreur pour que toute une existence soit perdue. La mienne l'a été. Mais ce n'est pas moi qui, à l'origine, me suis trompée, car je n'étais pas d'âge à juger et voir clair.

Pouvais-je vieillir, sans obéir au devoir de défendre la vérité, outragée par mes ennemis? Pouvais-je vivre jusqu'à ma mort, incomprise et diffamée?

Ma vie est une série de fatalités dont je n'ai pas su ou pu éviter l'accablement.

J'ai dit et je répète que je ne me tiens pas pour innocente de torts, de fautes, d'erreurs. Mais il convient de tenir compte de leur cause dans un mariage désastreux.

Mes parents crurent bien faire, et principalement la Reine, en me donnant au Prince de Cobourg, quand je n'étais encore qu'une enfant.

Le Roi voyait dans ce mariage l'avantage d'étendre des possibilités d'influences et de rapprochements utiles à son trône et à la Belgique.

La Reine se réjouissait de m'envoyer en Autriche et en Hongrie, d'où elle venait, et où je la rappellerais, en même temps que je servirais le rayonnement de ma Patrie, selon les ambitions du Roi.

J'ai été sacrifiée au bien de la Belgique, et celle-ci, aujourd'hui, compte des Belges qui me reprochent le don de ma jeunesse et de mon bonheur, essentiellement consenti pour eux.

Ils me traitent d'Allemande, de Hongroise, d'étrangère, et pis encore. Ingratitude humaine!

Suis-je coupable d'avoir, en quoi que ce soit, cessé volontairement d'appartenir à ma Patrie, et oublié de l'aimer?

Tout en moi proteste contre cette accusation perfide.

De quoi m'incrimine-t-on ensuite? D'avoir abandonné mon mari et mes enfants?

Or, j'ai vécu vingt ans à la Cour la plus corrompue de l'Europe. Je m'y suis gardée des tentations et des chutes. J'ai donné le jour à un fils et une fille et ma tendresse maternelle les allaita et mit en eux son espérance. On sait ce qu'il advint de mon fils, et comme il m'échappa. On sait ce que ma fille fut trop longtemps pour moi, sous l'influence de son mari, et du milieu où elle vivait.

En quoi fus-je réellement coupable?

C'est vrai. A bout de courage, et suffoquant dans l'ambiance d'un foyer conjugal odieux, j'allais choir… J'ai été sauvée. Je me suis alors vouée à mon sauveur. On a voulu en faire un faussaire et, à coups d'argent et de forfait, l'anéantir.

Nous avons échappé tous deux aux criminels acharnés à nous martyriser.

Suis-je coupable d'avoir lutté, d'être restée fidèle à la fidélité, et de ne pas tomber?

Peu m'importent les jugements de l'erreur et de la haine. Je suis demeurée telle que j'avais promis d'être à ma sainte mère: attachée à un idéal; et, quoi qu'il semble, j'ai vécu sur les sommets.

Suis-je coupable, selon la vraie morale et la vraie liberté?

Que les femmes me jettent la pierre, qui n'ont pas plus à se reprocher!

Qu'y a-t-il encore?

Oui, je croyais, je pouvais croire, avec les légistes de tous les pays, que j'hériterais de mon père.

L'héritage s'est trouvé considérablement réduit, par des manœuvres dolosives et des jugements que l'opinion universelle condamne.

Suis-je coupable d'avoir été déçue et dépouillée?

Que dit-on enfin? Que ma famille fut désunie? Est-ce ma faute?

J'étais faite pour aimer les miens plus que moi-même. Ai-je manqué à mes devoirs d'affection et de respect vis-à-vis de mes parents? N'ai-je pas été, pour mes sœurs, l'aînée qui les chérissait?

Suis-je coupable de l'erreur du Roi et de la Reine, celle-ci convaincue, par mes persécuteurs, de la gravité de ma «maladie», celui-là irrité, non de mon indépendance, mais du scandale organisé autour d'elle?

Suis-je coupable de l'égoïsme de mes sœurs, l'une cédant à des vues étroites, l'autre à des calculs politiques?

J'en conviens, je me suis révoltée contre la félonie et la contrainte. Mais pour quels motifs? Pour quels buts? Pour quelles fins?

Mon vrai crime est d'avoir échoué dans mon effort de possession de moi-même, dans l'attente d'une fortune que je n'ai pas eue.

Le monde n'admire que les victorieux, quels que soient leurs moyens de vaincre.

Victime dès mes premiers pas de jeune fille, livrée hélas! à la perversité, j'étais condamnée aux défaites.

La bataille s'achève, et je n'ai pas demandé grâce au mensonge, à l'injure, au vol, à la persécution.

J'aurais été seule, j'aurais succombé sous le fardeau des infamies et des violences. Je suis restée debout, parce que je ne luttais pas pour moi.

Dieu m'a visiblement soutenue, en animant mon cœur d'un sentiment profond d'estime et de gratitude pour un être chevaleresque dont je n'ai jamais entendu une plainte, quelle que fût l'atrocité des intrigues et des cruautés qui devaient le perdre.

Dans sa bassesse, le monde a jugé son dévouement et ma constance du point de vue le plus misérable. Qu'il sache qu'il est des créatures qui s'élèvent au-dessus des instincts auxquels il s'abandonne, et qui, dans une aspiration commune vers un idéal supérieur, échappent promptement aux défaillances terrestres.

Les dernières lignes de cette brève esquisse d'une vie que plusieurs volumes ne suffiraient pas à conter, seront une affirmation de ma reconnaissance envers le comte Geza Mattachich.

Je n'ai pas dit de lui davantage parce qu'il jugera que, si peu que ce soit, c'est encore trop. Ce silencieux n'apprécie que le silence.

Seul le silence est grand, tout le reste est faiblesse,

disait Alfred de Vigny. C'est la maxime des forts.

Mais vous savez, Comte, que je ne puis, comme vous, m'astreindre à me taire. Je veux évoquer l'heure première où vous avez dit à ma conscience les mots clairs qui l'ont assainie et ensoleillée. Depuis lors, cette lumière m'a guidée. J'ai péniblement cherché ma route vers la beauté morale. Mais vous me précédiez, et, du fond de ma maison de fous, je me tournais vers votre cachot, et j'échappais à la folie.

Nous avons ensuite subi l'assaut des convoitises et des hypocrisies.

Nous nous sommes débattus dans le bourbier; nous nous sommes égarés dans le maquis. Le monde n'a vu que les éclaboussures et les déchirures de notre combat. Il en a ignoré la cause et sa malveillance ne nous a point pardonné de sortir de la lutte en vaincus.

Tout cela, qui fut très amer, je ne le regrette point. Mes souffrances me sont chères, puisque vous les avez partagées, après avoir voulu ardemment me les éviter.

Il y a une certaine joie à supporter, par esprit de sacrifice, des douleurs imméritées.

Cet esprit, c'est le vôtre. Je ne l'avais point. Vous me l'avez donné. Aucun présent ne fut plus précieux à mon âme, et je vous en saurai gré jusque par delà le tombeau.

Moi, qui sais vraiment qui vous êtes, et quel culte a été votre raison de vivre et de ne pas désespérer, je vous remercie, Comte, au crépuscule de mes jours, de la noblesse que vous y avez mise.

Connaîtrai-je, connaîtrez-vous le repos ailleurs que là où nous l'obtenons tous?

La justice humaine aura-t-elle, pour vous et pour moi, les réparations espérées?

Demeurerons-nous hors la loi et la vérité, accablés par l'abus de pouvoir et la méchanceté humaine?

Qu'il en soit ce que Dieu voudra!

FIN

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