Chronique du crime et de l'innocence, tome 7/8: Recueil des événements les plus tragiques;...
Lors de la publication de nos deux premiers volumes, un journal, se fondant sur ce que plusieurs articles ont traité de crimes commis par des princes, des seigneurs ou des prêtres, montra la plus grande répugnance à insérer l'annonce relative à cet ouvrage, et ne le fit qu'avec une insigne mauvaise volonté. Nous respectons les scrupules des rédacteurs de cette feuille; mais qu'il nous soit permis de ne pas les partager. Nous sommes loin d'aimer le scandale. A nos yeux, le scandale n'est, le plus souvent, qu'une œuvre de méchanceté qui se recommande aux applaudissemens des passions ou de la sottise. Tout-à-fait en dehors de la politique des partis, ne caressant aucune opinion aux dépens d'une opinion contraire, n'ayant qu'un poids et qu'une mesure, nous n'avons qu'une seule ambition, celle de faire tourner notre travail au profit de la raison et de la morale.
Nous ne concevons pas qu'il puisse y avoir scandale à parler d'un crime, quand le coupable se trouve placé haut dans la hiérarchie sociale, ou bien quand il fait partie de quelque corps puissant. Le crime ne doit-il pas être réprimé et puni partout où il se trouve? Et si quelque classe pouvait réclamer le privilége de l'indulgence, ne serait-ce pas plutôt celle qui se trouve privée des lumières de l'éducation? Vainement l'esprit de parti, si exclusif dans ses jugemens, vainement l'esprit de corporation, qui ne se montre pas moins injuste dans son égoïsme, jettent les hauts cris quand la justice met sa main de fer sur quelqu'un de leurs affiliés dont le crime est flagrant. Cet homme est un prêtre, un ministre de la religion. Faudra-t-il donc pour cela qu'il puisse être assassin impunément? Ou plutôt le vrai scandale ne viendra-t-il pas de la part de ceux qui, par un esprit de corps mal entendu, chercheront à soustraire le criminel à la vindicte des lois? Comment expliquer cette susceptibilité maladroite, manifestée par le clergé dans plusieurs circonstances déplorables? Les fautes, les crimes même de quelques-uns de ses membres, peuvent-ils altérer en rien la réputation de vertu et de sainteté dont jouit à juste titre l'auguste ministère du sacerdoce? N'est-ce pas au contraire assumer sur soi la honteuse solidarité d'actes répréhensibles ou criminels, que protéger ceux qui s'en sont rendus coupables? Une armée ne se croit pas déshonorée par la désertion de quelques lâches; elle les voue au mépris et les repousse à jamais de son sein. La justice déplore toute espèce de prévarication commise par l'un de ses agens; mais loin de chercher à étouffer son crime, elle lui inflige une punition exemplaire et le bannit à toujours de son sanctuaire.
Il serait bien temps, ce semble, que le bon sens public fît enfin justice de ce préjugé barbare qui fait encore peser sur toute une famille, sur tout un corps, la faute d'un seul individu. Les fautes sont personnelles, et il ne doit rien en rejaillir sur ceux qui en sont innocens. Pour que cette importante vérité pût s'infiltrer dans les masses, il faudrait nécessairement, il serait à désirer qu'elle descendît de plus haut, et surtout qu'elle fût professée publiquement par les prêtres, eux que leurs fonctions rapprochent à toute heure des classes pauvres et ignorantes. Ce serait un moyen d'inspirer de la confiance à tous, de raffermir la foi dans les cœurs chancelans, et de l'entretenir dans les âmes pieuses et candides des vrais croyans.
Quel tort pouvait éprouver la religion de l'attentat commis par Mingrat? Que pouvait-on, à cette occasion, reprocher au clergé, sinon sa trop grande facilité à admettre, presque sans examen, parmi les lévites du Seigneur, une foule de jeunes gens sans vocation, et qui n'embrassent cet état que pour faire leur chemin? Certes, les crimes isolés des Mingrat et des Contrafatto ne peuvent porter atteinte à cette glorieuse religion qui a produit un Las-Casas, un Vincent de Paul, un François de Sales, un Belzunce, un Cheverrus, et tant d'autres hommes de sagesse et de vertu; à cette religion bienfaisante dont tous les pas sont marqués par une rosée inépuisable de dons et de bénédictions; à cette religion prévoyante, qui fait qu'il se trouve «un homme dans chaque paroisse qui n'a point de famille, mais qui est de la famille de tout le monde, qu'on appelle comme témoin, comme conseil ou comme agent, dans tous les actes solennels de la vie civile; sans lequel on ne peut naître ni mourir, qui prend l'homme au sein de sa mère, et ne le quitte qu'à la tombe; qui bénit ou consacre le berceau, la couche conjugale, le lit de mort et le cercueil; un homme que les petits enfans s'accoutument à aimer, à vénérer et à craindre; que les inconnus mêmes appellent mon père; aux pieds duquel les chrétiens vont répandre leurs aveux les plus intimes, leurs larmes les plus secrètes; un homme qui est le consolateur, par état, de toutes les misères de l'âme et du corps, l'intermédiaire obligé de la richesse et de l'indigence, qui voit le pauvre et le riche frapper tour-à-tour à sa porte: le riche, pour y verser l'aumône secrète, le pauvre pour la recevoir sans rougir; qui, n'étant d'aucun rang social, tient également à toutes les classes; aux classes inférieures, par la vie pauvre, et souvent par l'humilité de la naissance; aux classes élevées, par l'éducation, la science et l'élévation de sentimens qu'une religion philanthropique inspire et commande; un homme enfin qui sait tout, qui a le droit de tout dire, et dont la parole tombe de haut sur les intelligences et sur les cœurs, avec l'autorité d'une mission divine et l'empire d'une foi toute faite.»
Cette belle et touchante définition du bon curé, dans laquelle M. de Lamartine n'a fait que peindre d'après nature un grand nombre de pasteurs de nos villes et de nos campagnes, contrastera sans doute horriblement avec les faits que nous allons rapporter. Mais du moins cette citation, ainsi que les réflexions qui la précèdent feront voir que nous ne confondons nullement la religion et ses ministres fidèles avec quelques misérables, qui, sous le masque d'une pieuse hypocrisie, se rendent coupables des plus noirs forfaits.
Antoine Mingrat était né à Grand-Lamps, petit village du Dauphiné, à quelques lieues de Saint-Quentin. Sa mère, dont le caractère était un mélange d'ambition et de fanatisme religieux, lui inspira de bonne heure le goût des choses matérielles du culte. Comme Mingrat aimait à primer sur tous ceux qui l'entouraient, et qu'il avait entendu sa mère parler avec déférence des gens d'église, il résolut de se vouer à l'état ecclésiastique; et son imagination, d'ailleurs active, ne s'occupa plus que du soin de s'en assurer les moyens.
Voici ce qu'on raconte à ce sujet. Un jour que son enthousiasme était porté au comble, il fit part de son projet à de jeunes filles, chez la mère desquelles madame Mingrat prenait des leçons d'accouchement, à Grenoble. Celles-ci s'offrirent de le tonsurer; il courba son front, et bientôt ses cheveux tombèrent sous les ciseaux. L'opération terminée, il vole chez sa mère; elle était absente. Il emploie cet instant à se composer un maintien doctoral, prend un livre et s'étudie à déclamer comme les prédicateurs qu'il entendait chaque jour. Il était dans cette attitude grotesque, lorsque sa mère rentra; il courut au-devant d'elle, et d'un air triomphant, lui montra sa tonsure. Madame Mingrat, étonnée, demanda la cause de ce qu'elle attribuait à un accident. «Ah! ma mère, répondit Antoine avec émotion, on m'a fait prêtre! Telle est la volonté du ciel.» A ces mots, sa mère, enflammée d'un saint courroux, vola chez les joyeuses tonsurières, qui s'étaient fait un jeu du désir du jeune Mingrat, les accabla d'invectives, cria au sacrilége, et sortit en disant que son fils n'était pas digne de recevoir les ordres. Revenue chez elle, vainement voulut-elle faire entendre à son fils que l'on n'avait fait qu'abuser de sa crédulité; Antoine s'obstina et lui jura que sa résolution était prise irrévocablement, que le ciel l'appelait à la prêtrise, et qu'il suivrait sa vocation en dépit de tous.
Néanmoins, Mingrat fut mis en apprentissage chez un peigneur de chanvre, d'où il fut bientôt honteusement chassé pour son indocilité et sa paresse. Une de ses tantes qui l'aimait tendrement, le fit venir auprès d'elle. On intéressa en sa faveur une dame influente et riche. La protectrice voulut voir Antoine; il lui fut présenté. Elle l'interrogea sur ses goûts, son éducation, ses habitudes: on parla de religion. Mingrat venait d'atteindre sa seizième année: il brûlait d'entrer dans l'état ecclésiastique; il répondit à toutes les questions avec assez de justesse; et telle était sa prévoyante adulation, qu'il ne parla devant cette dame que de Dieu, de son divin Rédempteur; et pour mieux encore édifier ses auditeurs, il accompagnait chacune de ses paroles d'un signe de croix.
Dupe de ses pieuses grimaces, cette dame le fit entrer au séminaire de Grenoble, croyant ce jeune homme appelé à donner un nouveau lustre à la carrière qu'il voulait embrasser.
Toutefois, malgré sa prétendue vocation, Mingrat, une fois installé, ne se distingua ni par son application ni par sa conduite; mais il possédait un art qui lui tenait lieu de tout le reste, celui de s'emparer par de basses adulations de la confiance de ses supérieurs. Il était même devenu l'agent secret des délations auxquelles ont recours presque indistinctement tous ceux qui ont à gouverner ou à diriger un grand nombre d'individus. Par ce moyen honteux, il obtenait des priviléges exclusifs, dont il profitait pour se soustraire aux rigueurs de la vie claustrale, et passer dans des lieux de débauche des momens qu'il eût pu donner à d'honnêtes amusemens.
Enfin Mingrat fut ordonné prêtre; c'était le but de son ambition. Oserait-on, disait-il souvent, attaquer la réputation d'un prêtre? Le caractère sacré dont il venait d'être revêtu semblait être à ses yeux une autorisation de tout faire avec impunité. Nommé à la cure de Saint-Aupe, il ne tarda pas à commencer sa vie scandaleuse, et ne contraignit plus ses inclinations ni son caractère. Son presbytère devint un lieu de scandale; et quoiqu'il ne négligeât rien pour cacher sa conduite, on connut bientôt ses intrigues clandestines. La désunion de plusieurs ménages, le déshonneur de plusieurs filles, attestèrent son séjour dans cette paroisse.
Plus d'une fois, abusant de la force extraordinaire dont la nature l'avait doué, il l'employait contre les femmes qu'il ne pouvait gagner par ses discours; plus d'une fois aussi, il dut à sa brutalité ce qui n'était réservé qu'à l'amour. Les habitans de Saint-Aupe lui témoignèrent souvent leur indignation, et le menacèrent d'avoir recours aux autorités pour l'éloigner d'une paroisse dont il était le fléau, au lieu d'en être le père. Mais Mingrat se riait de leurs impuissantes menaces. Cependant, et malgré son inconcevable audace, l'indigne curé commençait à s'apercevoir que ses désordres étaient connus de ses supérieurs. Une nouvelle liaison avec la fille d'un de ses paroissiens ameutant contre lui tous les habitans, ceux-ci allèrent en foule se plaindre aux autorités, et peu après, Mingrat reçut l'ordre d'abandonner son presbytère. Le curé de Mirebel lui écrivit à cette occasion une lettre de reproches dans laquelle il lui disait textuellement: «Mettez une montagne entre vous et les hommes.» Mingrat ne pouvait suivre un semblable conseil. Chassé de Saint-Aupe, il fut envoyé à Saint-Quentin, pour le malheur de cette commune.
A son arrivée dans sa nouvelle paroisse, Mingrat, pour détruire l'impression des bruits qui l'y avaient précédé, et pour faire croire qu'il avait été victime de la calomnie, afficha une grande austérité de principes. Son caractère dominateur se faisait surtout remarquer dans ses sermons. Il exerçait le despotisme le plus révoltant, au nom d'un Dieu de paix et de miséricorde. Dès son apparition à Saint-Quentin, les danses, les jeux, les plus innocens plaisirs furent défendus. Le jour de la fête patronale, la jeunesse s'étant réunie, animée par la gaîté, crut pouvoir se permettre d'enfreindre un moment les ordres du curé; on dansa. Mingrat les épiait. Il monta dans le haut du clocher, et regardant par un trou, il fut le spectateur des plaisirs qu'il avait anathématisés dans ses sermons. Les jeunes gens s'apercevant des menées du pasteur, ne firent qu'en rire. Mingrat se promit bien de prendre sa revanche. Le dimanche suivant, réunissant tous les foudres de son éloquence, il laissa tomber de la chaire sainte ces mots foudroyans: «Vous avez foulé aux pieds les cendres de vos ancêtres, qui sont là-bas au diable!...» La place où l'on avait dansé avait été un cimetière; c'est ce qui expliquait l'étrange mouvement oratoire du pasteur irrité; et l'on peut juger de l'effet que dut produire un sermon de ce genre.
A cette époque, Mingrat avait à peine atteint sa vingt-huitième année. Par ce rigorisme extérieur, par cette autorité despotique, il semblait préluder en silence et dans l'ombre au forfait qui bientôt devait frapper d'épouvante et de douleur les paisibles habitans de Saint-Quentin. Du reste, son hypocrisie ne pouvait en imposer qu'à des âmes crédules et timorées, car son extérieur était un indice assez fidèle de ce qui se passait au-dedans de lui. Des cheveux noirs et plats, un front très-étroit, des sourcils très-épais ombrageant un œil brun, sombre et faux; un regard farouche, des lèvres épaisses, n'exprimant que la colère ou le dédain; une taille élevée, massive, et presque gigantesque: tel était au physique l'homme que l'on avait envoyé à Saint-Quentin comme l'apôtre et le vicaire d'un Dieu de miséricorde, de consolation, de mansuétude et de paix, d'un Dieu qui sur la croix bénissait ses bourreaux, d'un Dieu que l'on représente sous la forme symbolique du plus doux, du plus inoffensif des animaux.
Mais, malgré l'imposture la plus habilement calculée, un cœur corrompu par les passions les plus honteuses et par les goûts les plus dépravés, ne peut, quelque gêne qu'il veuille s'imposer, tenir long-temps cachée la plaie honteuse qui le ronge. Il ne faut qu'une occasion pour lui arracher son masque frauduleux, et mettre à nu toute sa laideur. Cette circonstance se présenta bientôt pour Mingrat.
Maintenant que nous avons tracé le portrait de l'assassin, nous allons essayer de faire connaître sa victime.
A un quart de lieue de Saint-Quentin, au hameau du Gît, paroisse desservie par Mingrat, vivait en paix un couple heureux, Étienne Charnalet et Marie Gérin. Retiré du service en 1817, Étienne avait rapporté dans ses foyers des marques distinctives de sa bravoure et une médiocre aisance. Il avait épousé Marie, en qui la beauté ne semblait qu'être le complément des plus rares qualités.
Les deux époux vivaient dans la plus parfaite union depuis six ans, lorsque la mère de Marie mourut. Religieuse par besoin, pieuse par sentiment, Marie redoubla encore de ferveur, par suite de cet événement. Cette piété la portait, en toute occasion, à concourir avec zèle à tous les soins qu'exigeaient l'entretien et l'arrangement de l'église. Ce louable empressement, qui lui conciliait tous les éloges, la fit surtout remarquer par le nouveau pasteur. Celui-ci conçut pour elle une passion coupable, et ne songea plus qu'aux moyens de la faire partager, ou du moins de la satisfaire, à quelque prix que ce fût. Plusieurs fois il se rendit chez Marie pour l'entretenir de l'amour criminel qu'elle lui avait inspiré; mais celle-ci lui faisait accepter les épargnes qu'elle destinait aux pauvres, et Mingrat, réduit au silence, trouvait dans la vertu de celle qu'il convoitait un obstacle à ses desseins libidineux. Déjà trois mois s'étaient écoulés depuis qu'il desservait la cure de Saint-Quentin, et il n'était point encore parvenu à faire comprendre à Marie le véritable but de ses fréquentes visites, lorsqu'il apprit par elle, le 7 mai 1822, que l'on devait célébrer le 9, à Veurey, village situé à deux lieues de Saint-Quentin, une première communion. Aussitôt son imagination s'enflamme; il entrevoit la possibilité de réaliser ses coupables projets. Le lendemain, il se rend chez un sieur Bourdes, l'un des voisins de Marie, afin de donner le change sur ses intentions; il dit à cet homme, qu'ayant appris que madame Charnalet se rendait le lendemain à Veurey, il vient la charger d'une lettre pour le curé de cette paroisse. Le fils de Bourdes s'offre d'accompagner Mingrat jusque chez Marie; et celui-ci, n'osant pas refuser, ils sortent ensemble. Marie était seule; elle les reçut avec sa franchise accoutumée. Mingrat, que la présence du jeune Bourdes contrariait, attendit, pour parler du véritable objet de sa visite, que l'importun témoin eût pris congé. Bourdes partit en effet quelques instans après, et le curé s'applaudissait déjà du tête-à-tête qu'il avait su se ménager, quand une nouvelle visite vint le troubler; néanmoins il demeura intrépidement jusqu'à ce que ce dernier venu se fût aussi retiré. Resté seul, pour la seconde fois, avec celle dont il méditait le déshonneur ou la perte, il aurait bien voulu hasarder un aveu non équivoque, mais le lieu ne lui parut pas favorable à l'exécution de ses vues criminelles; aussi n'entretient-il Marie que du voyage de Veurey et de la lettre dont il voulait la charger. Mais pour attirer plus sûrement sa faible proie dans le piége que lui avait tendu sa scélératesse, il dit qu'il n'avait pas cette lettre sur lui, et qu'il ne pourrait la lui remettre que dans la soirée, lorsqu'elle viendrait se confesser à Saint-Quentin. La chose étant ainsi arrangée, Mingrat était au comble de ses vœux. Cependant, avant de se retirer, il aurait désiré informer Marie de son amour. Il lui fit lecture d'un livre qui traitait de l'amour du créateur; l'infâme n'y voyait que celui de la créature. Il espérait faire naître dans le cœur de Marie la pensée adultère qui préoccupait vivement son imagination en délire. Mais la candide Marie, édifiée et non séduite, ne voyait dans les expressions du curé qu'une ferveur évangélique qu'elle interprétait dans le sens de ses sentimens religieux. Il en était de même des gestes significatifs dont le curé accompagnait sa lecture.
Après cette lecture, Mingrat recommande à sa pénitente de ne pas manquer de venir le trouver le soir même. Celle-ci n'eut garde d'y manquer; mais avant de se rendre à l'église, elle prévint ses voisines qu'elle allait à confesse. L'infortunée était loin de soupçonner qu'elle allait à la mort.
Marie arriva, à cinq heures, à la porte de l'église; lorsqu'elle y fut entrée, elle n'aperçut qu'une seule personne, une dame de Saint-Michel, ancienne religieuse qui terminait sa prière. Marie, en attendant le prêtre, alla se prosterner aux pieds de la statue de la Vierge. Madame de Saint-Michel allait quitter l'église, lorsqu'elle vit à la porte du clocher voisin de l'autel, un grand fantôme noir, ne présentant ni bras ni jambes, et paraissant surmonté d'un chapeau de forme triangulaire; le fantôme approche ou plutôt il s'élance vers Marie, mais s'arrêtant tout-à-coup, il recula et disparut par la porte du clocher. Madame de Saint-Michel, tremblante, se hâte de quitter son banc, mais en passant devant Marie, elle s'arrête un instant afin de pouvoir l'avertir par un signe de fuir ce lieu redoutable. Marie, occupée de sa prière, ne tint aucun compte de ce salutaire avertissement. Le fantôme n'était autre que Mingrat, qui, caché dans un large manteau, était venu épier Marie, et s'était retiré précipitamment aussitôt qu'il avait aperçu madame de Saint-Michel.
Sûr alors d'être seul, Mingrat dépouille son lugubre accoutrement et s'approche de Marie. Il lui dit qu'il ne la trouve pas mise assez décemment pour être confessée dans l'église; il l'invite à l'accompagner au presbytère, où il l'entendra, dit-il, plus paisiblement, et pourra lui remettre la lettre en question. Marie, soumise et confiante, ne fait aucune difficulté d'accompagner le prêtre. Arrivée avec lui dans un arrière-cabinet dont la porte est aussitôt fermée avec soin, la malheureuse commence à connaître l'homme qu'elle considérait comme un respectable protecteur. Mingrat ne perd pas le temps, il saisit d'un bras vigoureux la tremblante Marie; il la bâillonne pour s'assurer de son silence; il l'entraîne sur un lit qui devait être le lit de mort de sa victime.
Il n'y eut aucun témoin de cette scène horrible; mais, comme tout fut éclairé par les débats, et que des faits racontés par la servante de Mingrat, et des inductions tirées de l'état du cadavre, il résulta des preuves irrésistibles, nous allons essayer de retracer les principales particularités de cette lutte abominable.
Le monstre, fatigué par ses vains efforts, effrayé des cris prolongés et sourds de la victime, ne voit plus que l'impérieuse nécessité d'accélérer son dernier moment. D'un bras vigoureux, il lui serre la gorge, et son genou, appuyé sur sa poitrine, il appelle et attend son dernier soupir qu'il surprend inhumainement sur les lèvres de la mourante Marie, dont la vertu et le courage semblent survivre à ses forces éteintes. La servante du curé, attirée par le bruit extraordinaire qu'elle vient d'entendre, était montée jusqu'à la porte, et avait, par ses cris, contraint Mingrat d'abandonner sa victime. «Ah! monsieur! dit-elle en apercevant son maître l'œil hagard et en désordre, que vous m'avez fait peur! J'ai cru que vous alliez mourir. «Taisez-vous, taisez-vous! répond le curé en délire, vous êtes une imbécille.» Puis il retourne vers le lit où Marie expire, mêler les frissons de son atroce passion au râle effrayant de la mort.... A sept heures et demie le crime était consommé, l'infortunée avait cessé de vivre.
Cependant le besoin de veiller à sa sûreté, rappelle bientôt Mingrat à lui-même; il se résout à éloigner sa domestique indiscrète, et à cet effet, il lui ordonne de porter un journal à un sieur Heuraud, qui demeurait environ à quinze minutes du bourg. Cette fille, n'osant insister, prit le journal, feignit d'obéir, et comme tout ce qu'elle venait de voir lui semblait extraordinaire, elle se borna à rôder autour du presbytère. Suivant les dépositions de cette fille, le curé ne l'eut pas plus tôt éloignée, qu'il courut au fatal cabinet; celle-ci, étonnée de l'y voir paraître, grimpa sur un portail qui le dominait, et fut surprise par son maître; de sorte que son indiscrétion faillit lui être funeste.
Mingrat lui commanda de nouveau, d'un ton menaçant, de faire sa commission; et profitant de la courte absence de la servante, pour préparer les moyens de faire disparaître le cadavre, il se munit d'un couteau, de plusieurs ficelles et dépouilla entièrement Marie de ses vêtemens.
Il cache ensuite soigneusement les hardes de cette infortunée, à l'exception de son mouchoir de cou; il attache les deux pieds ensemble avec la plus longue des cordes; les deux bras sont également attachés, croisant sur la poitrine. Sur ces entrefaites, revient la servante; le curé est encore forcé d'interrompre son affreux travail. Il interroge cette fille sur ce qu'elle a vu. Celle-ci déclare tout ignorer; il lui recommande le silence sur tout ce qu'elle avait pu entendre. Contre son ordinaire, le curé n'avait pas encore soupé. La domestique, n'osant toucher à la table, prend un livre de prières. Des cris redoublés se font entendre à la porte du presbytère; Mingrat se présente, en s'écriant brusquement: Qui est là?..... C'était Charnalet, l'époux de Marie, qui, accompagné de plusieurs parens, venait demander au curé s'il n'avait pas vu sa femme. Mingrat répond que non. Charnalet insiste; on lui avait affirmé que Marie était entrée dans l'église à six heures du soir; le curé embarrassé répond en balbutiant: «En effet, je l'ai vue dans l'église, où elle priait dévotement. Elle m'a demandé à être confessée; ce que j'ai refusé, à cause qu'elle n'était pas mise avec assez de décence, et depuis ce moment je ne l'ai pas revue.» Puis il quitta brusquement Charnalet, dans la crainte qu'une plus longue conversation ne le trahît, ou que le malheureux époux ne fût tenté d'entrer au presbytère. Charnalet retourne chez lui, espérant encore y retrouver sa femme. Vaine espérance! elle n'avait pas encore reparu. Il revient à l'église, en parcourt tous les détours, appelle Marie.... Les échos seuls répondent à ces touchans appels.
Cependant Mingrat, après avoir congédié Charnalet, se débarrassa de sa servante qui ne couchait pas au presbytère, et immédiatement après son départ, il courut auprès du cadavre de Marie et le soulevant avec force, il le descendit par une fenêtre, au moyen de cordes, au pied du mur de la maison. Puis, cachant la lumière, il vint aussitôt dans la basse-cour, s'empara de la corde, et se mit en devoir de traîner le corps inanimé de la malheureuse Marie sur les ronces et sur les cailloux, jusque vers l'Isère, à un quart de lieue de Saint-Quentin. Le temps était orageux; la nuit, sombre, semblait protéger le scélérat de son obscurité. Il arrive sur le lieu que l'on appelait la Roche, où deux marches pratiquées dans le roc présentent un obstacle à surmonter; il s'élance au-delà des escaliers, tirant après lui le corps meurtri, qui, en rebondissant, laisse sur les marches rocailleuses des lambeaux de chair et des cheveux, vestiges délateurs qui devaient bientôt servir à convaincre Mingrat de son crime.
De la Roche aux bords de l'Isère, il y avait un assez long espace à parcourir. Mingrat, épuisé par les efforts qu'il avait déjà été obligé de faire, cherche un moyen d'alléger sa charge; il tire un couteau de sa poche; il porte un premier coup obliquement depuis l'épaule droite jusqu'au-dessous du côté gauche, et partage tout le sein droit; mais les membres du cadavre offrant de la résistance à ses barbares efforts, il attache le corps sanglant par une jambe à l'arbre le plus prochain, se saisit de l'autre jambe, et par de nombreuses et violentes secousses, s'efforce inutilement de séparer les jambes du tronc. Dans sa rage, il imagine un autre moyen; il court au presbytère, y prend un couteau à hacher, à l'usage de la cuisine, qui, d'après la déclaration de la servante, était tout couvert de rouille, et revient à la Roche achever son ouvrage de cannibale. Cette fois, il réussit au gré de ses désirs; les jambes sont séparées du tronc; il les lance dans un ruisseau voisin qui se jetait dans l'Isère. Il revient de nouveau sur le théâtre de son affreux charnier, se charge du tronc et le précipite bientôt dans le fleuve, en laissant, par un calcul horrible, sur la rive, le mouchoir de cou de Marie, afin de faire naître le soupçon que cette malheureuse s'était noyée.
Après cette effroyable boucherie, Mingrat, retourné dans son repaire, songe à faire disparaître tous les indices qui pourraient déposer contre lui; il dépouille sa soutane, et la joignant aux vêtemens de Marie, il y met le feu et en jette les cendres dans une fosse d'aisances qu'il recouvre de terre fraîche; puis, il nettoie soigneusement le couteau à hacher, se rhabille proprement et attend le jour, en s'efforçant de rendre à son visage le calme de l'innocence.
Mais, malgré toutes ses minutieuses précautions, son crime allait bientôt être découvert. Quelques instans avant le jour, Joseph Michon, laboureur à Saint-Quentin, passant sous la Roche, à l'endroit même où Mingrat avait dépecé le cadavre, aperçut une place à terre de la largeur de deux pieds, couverte de sang fraîchement répandu, et près de là, une corde ensanglantée. Effrayé, il approche, regarde autour de lui, et trouve, à quelques pas plus loin, au pied d'un noyer, une place semblable à la première; il regarde avec plus d'attention, et rencontre bientôt un couteau à manche, souillé de sang, enfoncé dans la terre. Un mouvement d'horreur lui fait d'abord jeter ce couteau dans un buisson; mais réfléchissant que cet indice pouvait mettre sur la trace des auteurs d'un crime, il le ramasse, le lave avec soin, et retourne chez lui pour le renfermer.
Le féroce Mingrat, vivement préoccupé de toutes les précautions à prendre pour cacher ses horreurs, se rappelle qu'il s'est d'abord servi d'un couteau; il le cherche avec anxiété, et s'aperçoit qu'il l'a oublié sur le théâtre de son forfait. Saisi d'effroi, il court en toute hâte à la Roche où il l'avait laissé. Mais, inutiles recherches! l'instrument accusateur avait disparu. Deux bouchers du pays, qui passaient en ce moment près de la Roche, furent étonnés de rencontrer le curé, à cette heure, en un semblable endroit; ils remarquèrent son air inquiet et son agitation; et leur étonnement fut à son comble quand, après son départ, ils virent des flots de sang répandu dans les lieux qu'il venait de quitter.
De retour chez lui, Mingrat appelle sa servante et d'une voix menaçante, il l'interpelle ainsi: «Qu'avez-vous vu?.... répondez!» La malheureuse ne sait que répondre. «Je n'ai rien vu, dit-elle en tremblant; j'ai entendu des gémissemens; j'ai cru que vous alliez mourir.» Quelques instans après, en faisant le ménage, elle trouve le chapelet de la malheureuse Charnalet à moitié brûlé, et un pressentiment sinistre, dont elle ne peut se rendre compte, la pousse à le déposer dans un trou du mur sous le hangar. Chaque pas qu'elle fait dans le presbytère lui fait faire une nouvelle découverte. Là, ce sont des cendres et quelques morceaux de linges à demi brûlés; ailleurs, de la paille encore ensanglantée; plus loin, un lambeau de chair; enfin le couteau à hacher qu'elle savait être rouillé, est brillant; elle ne peut douter qu'il n'ait été tout récemment nettoyé. Malgré la faiblesse de son esprit, elle conçoit d'horribles soupçons. Elle prend la résolution de quitter le service d'un maître dont la conduite lui semble si étrangement mystérieuse.
Pendant ce temps, le malheureux Charnalet, en proie aux plus vives alarmes, avait cherché sa pauvre Marie partout où il avait eu quelque espoir de la trouver. Il revint à la ferme du Gît, le désespoir dans le cœur. Déjà le bruit de la mort de sa femme s'était répandu; son mouchoir, trouvé sur les bords de l'Isère, avait fait croire au stratagème de Mingrat. Cet événement donnait lieu à mille conjectures. Une cousine de Marie, accompagnée de quelques voisines, alla trouver Mingrat qui se promenait gravement, son bréviaire à la main. «Ah! monsieur le curé, lui dit la crédule cousine, si vous l'aviez confessée comme elle le désirait, peut-être l'eussiez-vous détournée de son fatal projet!—Je la vis en effet dans l'église, répondit l'hypocrite; elle priait dévotement. Elle vint à moi, me témoignant le désir d'être confessée; mais la voyant mise peu décemment, lui trouvant d'ailleurs l'œil hagard, je la renvoyai à un autre jour. Je suis bien aise, au contraire, d'avoir refusé de l'entendre; car si je l'eusse confessée, et qu'elle eût péri tout de même, l'on m'aurait donné tort et l'on m'aurait dit que j'étais cause de sa mort, ayant exalté son imagination..... Pourtant voyons! descendons vers la Roche.» Ils se rendirent en effet dans cet endroit; une foule de personnes en exploraient les alentours. Mingrat ne craignit pas de paraître au milieu de cette multitude rassemblée. Son front calme, quoique sévère, ne laissait rien paraître des sentimens qui devaient l'agiter.
Après cette démarche audacieuse, Mingrat revint au presbytère, où sa servante l'attendait pour lui demander à quitter son service... «Montez! Votre ouvrage n'est point ici, s'écria le curé en l'apercevant.—Oh! monsieur, répliqua-t-elle avec effroi; je n'y saurais tenir: laissez-moi m'en aller!» Ces mots firent comprendre à Mingrat que cette fille avait deviné ou découvert son crime. Il la saisit d'un bras vigoureux, l'entraîne au pied du sanctuaire, et d'une main, retirant du tabernacle le Saint-Sacrement, et de l'autre lui tenant avec force le bras tendu vers l'autel, il la contraignit de jurer qu'elle garderait le plus profond silence sur tout ce qu'elle avait vu. La tremblante domestique obéit et répéta le serment que Mingrat dicta lui-même. Ce serment, prononcé dans de telles circonstances, fit une si forte impression sur l'esprit faible de cette pauvre fille, qu'elle ne consentit à révéler à la justice les affreux mystères de la nuit du 9 mai, qu'après y avoir été autorisée par son confesseur, qui lui dit qu'elle était obligée de raconter tout ce qu'elle savait.
Cependant un événement aussi extraordinaire ne devait pas rester long-temps sans appeler l'attention de l'autorité locale. Elle prit les informations les plus minutieuses sur tout ce qui pouvait avoir rapport à la disparition subite de l'épouse de Charnalet. M. Bossan, l'adjoint du maire de Saint-Quentin, déploya surtout beaucoup de zèle dans la poursuite de cette déplorable affaire. Ce fut par ses soins que l'on acquit la conviction que le couteau trouvé par le cultivateur Michon, appartenait à Mingrat.
Quelques jours s'étaient passés sans que l'on eût acquis de nouveaux éclaircissemens sur la catastrophe du 9 mai; on remarquait seulement que Mingrat évitait autant que possible de se montrer en public; lorsque, le 16 mai, jour de l'Ascension, à sept heures du matin, de jeunes bergers, s'amusant à pêcher dans un fossé qui communique à l'Isère, amenèrent au bout de leur ligne une cuisse humaine. Saisis d'épouvante, ils rejettent dans le ruisseau cet affreux objet, et s'enfuient vers le bourg, en répétant partout la cause de leur effroi. L'adjoint, prévenu de cette circonstance, se transporte sur les lieux indiqués par les jeunes pâtres; on retrouve la cuisse sanglante. Il résulte de l'examen des médecins, que le membre mutilé est une cuisse de femme, et tout semble s'éclaircir. Déjà l'on murmurait tout bas le nom de Mingrat.
On alla déposer dans le cimetière la cuisse retrouvée; mais à peine les autorités, qui avaient accompagné ce douloureux convoi, se furent retirées, que le fourbe et audacieux curé, sans doute pour faire taire les rumeurs sourdes dont il était l'objet, courut au cimetière et ordonna que cette cuisse fût jetée dans un coin, loin des âmes justes qui reposaient dans ces lieux. «Marie, disait-il, ne méritait aucune sépulture puisqu'elle s'était noyée et avait perdu son salut. Je l'ai vue, ajoutait-il, possédée par le diable, oui, par Satan qui la tenait dans ses bras pour l'entraîner dans l'abîme!» Quand il sut que les soupçons à son égard prenaient de plus en plus de la consistance, il fit dire à M. Bossan: «Qu'il était prêt à donner ses réponses, si on voulait l'interroger.» Mais cette proposition, qui n'avait pour objet que d'en imposer à des gens peu éclairés, ne fut qu'un indice de plus de sa culpabilité.
Jusque-là l'autorité avait été forcée à de grands ménagemens à cause du caractère sacré dont Mingrat était revêtu; mais les élémens sur lesquels se fondait la présomption ne permettaient plus de rester inactif. On se décida à prendre contre le coupable des mesures de sûreté. L'indigne curé, prévenu, par un confrère officieux, du projet qu'on avait de l'arrêter, jugea à propos de se soustraire à la justice. Les gendarmes, envoyés à sa poursuite, ne purent le joindre; il les avait devancés de quelques heures, et arrivés aux frontières, ils furent contraints de remettre à l'autorité sarde les ordres qu'ils avaient reçus. Mingrat s'était réfugié dans la grotte dite des Échelles. Les carabiniers piémontais le découvrirent et l'arrêtèrent, quoiqu'il protestât de son innocence et qu'il s'écriât qu'on ne pouvait saisir un homme de sa robe.
Malgré ses récriminations, il fut entraîné et conduit dans les prisons de Chambéry. Il dut à son habit d'y jouir d'une liberté peu commune, et il en profita pour commettre à demi un nouveau crime. La nièce du concierge de la prison, qu'il avait déjà remarquée, se trouvant un soir dans un passage obscur où le scélérat l'attendait, il tenta de lui faire violence. La jeune fille poussant des cris affreux, Mingrat, dans la crainte d'être découvert, l'avait déjà saisie à la gorge comme pour l'étrangler, quand plusieurs personnes étant accourues, l'arrachèrent de ses mains forcenées; et sur les plaintes des parens de la jeune fille, on obtint la translation de Mingrat à Fénestrelle, forteresse de la Savoie, à dix lieues de Besançon.
Il paraît que pendant son séjour à Chambéry, ce maître tartufe avait eu tellement l'art de se couvrir du masque de la vertu, que toutes les dévotes, qui le visitaient par humanité, ne doutaient pas qu'il n'eût été victime de fausses accusations, et le regardaient comme un martyr de la méchanceté humaine.
Cependant les forfaits de ce monstre étaient patens. Trois jours après sa fuite, on avait retrouvé dans les parages de Fory, à cinq lieues de Saint-Quentin, le tronc mutilé de Marie. L'examen judiciaire de ce cadavre eut lieu, en présence des médecins; on reconnut facilement les traces sanglantes du couteau et les meurtrissures que les mains du curé avaient faites sur la victime. Après de longues hésitations, la servante de Mingrat se décida à raconter tout ce qui était à sa connaissance; elle reconnut aussi le couteau de son maître; et ses révélations achevèrent de compléter les preuves du crime commis au presbytère de Saint-Quentin dans la nuit du 9 mai.
Enfin la procédure fut portée devant la Cour d'assises de l'Isère, qui, par arrêt du 9 décembre 1822, condamna par contumace le curé Mingrat à la peine de mort, comme coupable du crime de viol et d'assassinat.
Vainement Charnalet et Gérin, époux et frère de la victime, firent les démarches les plus actives pour obtenir l'extradition de l'assassin: une protection mystérieuse lui servit constamment d'égide contre le glaive de la loi. Pour prix de sa tendresse fraternelle, le sieur Gérin fut présenté par d'ignobles calomniateurs comme le fauteur de l'assassinat, bien que depuis long-temps il habitât une contrée fort éloignée du séjour de sa sœur; et l'on ne saurait nombrer les brutales persécutions auxquelles il fut en butte, lorsque, pour faire connaître dans toute sa hideuse vérité le curé Mingrat, il alla distribuer dans nos provinces l'histoire des malheurs de sa famille.
Depuis son arrestation, l'assassin de Marie jouit, dans la forteresse de Fénestrelle, de l'impunité qu'on lui a ménagée. Puissent au moins ses protecteurs le faire garder étroitement, et ne jamais lâcher sur la société cette bête féroce, dont la présence serait un fléau partout où le monstre porterait ses pas!