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Chronique du crime et de l'innocence, tome 7/8: Recueil des événements les plus tragiques;...

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PIERRE BARRIÉ,
PARRICIDE.

Le 16 novembre 1826, le nommé Pierre Barrié, âgé de trente-trois ans, né à Cocural, canton de Saint-Amans (Aveyron), comparut devant la Cour d'assises de Rhodez, accusé de meurtre sur la personne de sa mère. Cette cause avait attiré une grande affluence de spectateurs. Nous allons en rapporter les principaux faits.

Depuis quelque temps, Marguerite Bouges, veuve Barrié, âgée de soixante ans, était atteinte d'aliénation mentale. Ses enfans, qui faisaient de fréquens voyages à Paris, trouvèrent convenable, pour sa propre sûreté comme pour la sûreté commune, de la faire renfermer dans un hospice, et confièrent ce soin à Pierre, l'aîné de la famille. Ce projet fut conçu au mois de septembre 1824. A cette époque, Pierre Barrié, Jean, son frère, et Marie-Anne, sa sœur, étaient dans le pays; toutefois il a été établi que ces deux derniers ne se trouvaient pas à Cocural, et que Pierre habitait seul avec sa mère dans la maison de feu Barrié, son père.

Dans les derniers jours de ce même mois de septembre, Pierre Barrié prétendit avoir rempli la commission dont il s'était chargé. Selon lui, il s'était adressé à cet effet au nommé Frédéric-Alexandre Cambonne, marchand à Espalion et propriétaire à Montpellier, lequel, moyennant la somme de 440 francs, devait conduire dans cette dernière ville Marguerite Bouges, et la placer dans un établissement de charité. Pierre Barrié ajoutait quelques circonstances sur le départ de sa malheureuse mère. Il disait qu'elle avait opposé une vive résistance... que l'on avait été forcé de recourir à l'assistance des gendarmes en résidence à Espalion.

Dans le courant du mois d'octobre suivant, Pierre, Jean et Marie-Anne Barrié partirent pour Paris. Ce fut dans cette ville, au mois de janvier 1825, que Pierre apprit aux deux autres la mort de leur mère, survenue, disait-il, par suite d'un accident tragique. La voiture qui la conduisait à Montpellier avait versé... Elle s'était fracassé le crâne... On l'avait transportée dans un hospice où elle avait rendu le dernier soupir... Le prétendu conducteur Cambonne était aussi décédé... Pierre Barrié écrivit même à Cocural pour faire prendre le deuil aux autres membres de la famille.

Comme la plupart des hommes de son pays, Pierre exerçait à Paris la profession de porteur d'eau; il était domicilié rue du Bac.

Jean revint de Paris à Cocural dans le courant de mai 1825, portant un reçu de 440 francs, souscrit et signé par le prétendu Cambonne. Ce reçu lui avait été remis par son frère Pierre.

Cependant une sourde et vague rumeur s'était répandue au sujet de la disparition de Marguerite Bouges; on disait que cette femme n'était pas sortie du pays, et, chaque jour, ces conjectures acquéraient plus de consistance. On apprit de quelques individus qui avaient fait le voyage de Montpellier, que toutes recherches avaient été infructueuses pour se procurer des nouvelles de cette femme. On se rappela aussi que, vers la fin de septembre 1824, Pierre Barrié, qui était naturellement gai, avait paru sombre et agité, et qu'il avait supplié un de ses voisins de lui permettre de coucher chez lui, ne pouvant, disait-il, habiter seul dans sa maison, où le bruit des portes battues par le vent le glaçait d'épouvante. Enfin, on sut dans le public que, dans une police de bail à ferme consentie à son oncle, peu de jours avant son départ pour Paris, Pierre Barrié s'était réservé un petit réduit, qu'il avait lui-même fermé soigneusement avec une cloison en planches, après y avoir entassé de vieux meubles et du bois de chauffage, et le docteur Capoulade, d'Albouze, parlant un jour de la disparition de la veuve Barrié, s'écria que c'était dans ce petit réduit que l'on pourrait trouver le cadavre de cette femme.

Cette circonstance paraissait trop extraordinaire pour qu'elle n'éveillât pas l'attention. Aussi ce fut vers le lieu indiqué que la justice dirigea ses premières démarches. On ne tarda pas à découvrir l'horrible mystère. Bientôt, sous un amas de meubles, dans une auge de pierre, hermétiquement fermée avec de la terre glaise, on trouva le cadavre de Marguerite Bouges, recouvert de quelques lambeaux de vêtemens, le tout assez bien conservé pour qu'on pût constater l'identité. Le frère de l'accusé et plusieurs habitans la reconnurent. Marie Crassels déclara l'avoir reconnue à un doigt de la main gauche, dont la première phalange avait été emportée par un panaris.

Aussitôt la police fut instruite, et des ordres furent donnés pour que Pierre Barrié fût arrêté à Paris, et conduit sans retard à Rhodez.

Devant le juge d'instruction, l'accusé se renferma dans une dénégation absolue, parlant toujours du prétendu Cambonne, qui n'était, suivant toutes les probabilités, qu'un personnage de son invention; car on ne trouva aucun vestige de cet individu, ni sur les registres des morts, ni sur ceux des vivans. A cette terrible question: «Comment s'est-il fait que votre mère, décédée à Montpellier, ait été trouvée dans l'auge de Cocural?» Pierre Barrié se borna à répondre: C'est par miracle!

En présence de la Cour d'assises, le président lui fit subir l'interrogatoire suivant:

D. Qu'était devenue votre mère, lors de votre départ pour Paris en 1824?

R. M'étant chargé de la placer dans un hospice, au nom de tous ses enfans, un cocher de fiacre que j'avais connu à Paris, mais dont j'ignore le nom et le domicile, me conseilla de la confier à un monsieur qui, pour 440 francs une fois payés, prit l'engagement de la conduire et de la faire recevoir à Montpellier, dans la maison centrale de cette ville.

D. Connaissiez-vous ce monsieur?

R. Je ne le connaissais pas: il disait s'appeler Alexandre-Frédéric Cambonne.

D. D'où était-il?

R. Je l'ignore: mais il prenait les qualités de propriétaire à Montpellier, et de marchand à Espalion.

D. Vous aviez déjà consulté M. Jalabert fils, avocat à Espalion. Il vous avait promis ses bons offices pour obtenir une place pour votre mère dans l'hospice de cette ville, ou dans celui de Rhodez. Lui parlâtes-vous du traité que vous veniez de faire avec Cambonne?

R. Non, monsieur.

D. Vous n'accompagnâtes pas votre mère jusqu'au moment de son départ?

R. Cela m'aurait fait mal.

D. Plusieurs témoins ont déposé, dans l'instruction, qu'il vous avait fallu des gendarmes pour la contraindre: vous-même leur avez appris cette circonstance.

R. Ils se trompent.

D. Il résulte des informations qu'on a prises qu'il n'existe, ni à Montpellier ni à Espalion, aucun individu portant le nom de Cambonne, et que votre mère n'a jamais été reçue dans la maison centrale de Montpellier?

R. J'ai été trompé.

D. Qui vous apprit la mort de votre mère?

R. Je l'appris par une lettre qui me fut écrite de Montpellier.

D. Par qui?

R. J'ai oublié le nom du signataire de la lettre.

D. Mais enfin, comment se fait-il que votre mère ait été trouvée dans l'auge de Cocural?

R. Je n'en sais rien.

A chaque question, l'accusé essayait, mais en vain, de lever sa tête, qui retombait aussitôt sur sa poitrine.

Les témoins furent entendus au nombre de trente-deux. Plusieurs rappelèrent le propos tenu par M. Capoulade, médecin d'Albouze. Celui-ci avoua le fait, et l'expliqua par diverses circonstances qui avaient appelé ses réflexions sur ce sujet.

Le ministère public soutint l'accusation avec beaucoup de force et de précision, et fit voir que les circonstances diverses et multipliées qui avaient été recueillies à l'occasion du meurtre de la veuve Barrié, devaient suppléer à l'absence de témoins de visu et aux doutes que pouvait laisser la matérialité du fait.

L'accusé fut défendu par Me Grandet, avec le talent et la loyauté dont il avait donné déjà des preuves si brillantes dans l'affaire Fualdès. Plusieurs parties de sa plaidoierie firent une vive impression sur l'auditoire.

Mais la délibération du jury ne pouvait être favorable à l'accusé. Trop de charges, des charges trop accablantes pesaient sur lui. Chacun était en droit de lui adresser ces terribles paroles: Pierre Barrié, qu'as-tu fait de ta mère? Le jury répondit affirmativement aux questions de culpabilité qui lui furent soumises, et le président prononça contre le prévenu la peine du parricide. L'abattement que ce malheureux avait montré pendant les débats, redoubla lorsqu'il entendit l'arrêt qui le condamnait à la mort; il ne put marcher jusqu'à sa prison qu'avec le secours des gendarmes qui le soutenaient. Ce jugement fut rendu le 17 novembre 1826.

La Cour de cassation ayant rejeté le pourvoi de Pierre Barrié, et le roi n'ayant pas admis son recours en grâce, ce malheureux subit sa peine le 19 février 1827 à Rhodez. Ce spectacle, qu'un appareil extraordinaire rendait encore plus hideux, avait attiré une foule immense. Le condamné fut transporté dans une charrette au lieu du supplice; il était pieds-nus, en chemise, et sa tête était couverte d'un voile noir. L'aumônier des prisons était assis auprès de lui; Barrié, triste et abattu, paraissait attentif aux exhortations de ce charitable ecclésiastique.

Depuis sa condamnation, il avait substitué une autre version au système absurde qu'il avait suivi dans ses interrogatoires et dans les débats. Il assurait que sa mère était morte à la suite d'une chute violente qu'elle aurait faite dans un accès de démence; que, l'ayant trouvée ensanglantée et couverte de contusions, il s'était abstenu d'appeler du secours, de peur qu'on ne l'accusât de meurtre, et qu'alors il avait caché le cadavre dans l'auge où il avait été découvert dix-huit mois après.

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