Chronique du crime et de l'innocence, tome 7/8: Recueil des événements les plus tragiques;...
Qui pourrait compter les victimes de la passion du jeu? Que de familles affligées, ruinées, déshonorées par cette lèpre de notre société! Poètes, moralistes, auteurs dramatiques, une foule d'écrivains en tous genres ont déploré les excès de cette malheureuse passion, et se sont efforcés d'y apporter remède. Le mal a triomphé de leurs généreux efforts. En vain madame Deshoulières a dit:
/* Le désir de gagner qui nuit et jour occupe, Est un dangereux aiguillon. Souvent, quoique l'esprit, quoique le cœur soit bon, On commence par être dupe, On finit par être fripon. */ En vain les tragiques fureurs de Béverley ont fait frissonner au théâtre des milliers de spectateurs; en vain Trente ans de la vie d'un Joueur ont excité, de nos jours, les plus lugubres et les plus déchirantes émotions; on n'en continue pas moins à jouer, à jouer avec fureur, et il n'est pas de jour où le jeu ne fasse quelques nouvelles victimes, tant cette passion est commune! tant elle semble fortement enracinée dans le cœur de l'homme! On s'est beaucoup récrié, et non sans raison, contre les maisons publiques ouvertes aux joueurs. Cette tolérance est un grand malheur sans doute; mais ce qui en est un bien plus grand, c'est qu'il y ait par le monde tant de maisons particulières, qui, sous ce rapport, sont de véritables maisons publiques. Ah! il faut bien le dire, les seules leçons à donner à cet égard, si les leçons sur ce point peuvent être bonnes à quelque chose, ce sont les tristes récits des effrayantes catastrophes qui terminent quelquefois les désordres des joueurs passionnés.
Voici un extrait de l'acte d'accusation d'Asselineau, prévenu d'assassinat sur la personne de Brouet, garçon marchand de vin, qui est de nature à provoquer au moins quelques réflexions salutaires.
Asselineau, arrivé de son village à l'âge de quatorze ans, mérita d'abord la confiance des marchands de vin qui l'employèrent en qualité de garçon. Chacun vantait son intelligence et sa probité. Mais bientôt on s'aperçut qu'il se dérangeait; sa conduite devint suspecte, et le sieur Haro, chez qui il servait alors, crut devoir le congédier. Il est probable qu'à cette époque, vers la fin de 1825, Asselineau avait déjà fréquenté les maisons de jeu, et peut-être faut-il attribuer à cette funeste source une somme de 2,000 francs dont il était possesseur, et qu'il avait déposée chez un sieur Barthélemy.
Une faute en entraîne bientôt une autre. Le sieur Barthélemy, en recevant d'Asselineau cette somme de 2,000 francs, lui en avait souscrit la reconnaissance. Asselineau, qui ne pouvait suffire avec son travail seul à sa dévorante passion, fabriqua de faux billets, et y apposa la signature Barthélemy qu'il avait appris à contrefaire. Les billets faux se succédèrent rapidement; plus de dix furent produits à la justice, et plusieurs étaient des effets de commerce. C'est par ce moyen qu'Asselineau parvint à se soutenir depuis la fin de 1825 jusqu'au commencement de 1827. Sa famille paya quelques-uns de ces effets; les plaintes de ceux qui avaient été trompés furent étouffées, mais le moment était venu où le crime ne pouvait plus échapper à la rigueur des lois.
Asselineau le pressentait bien. Plusieurs de ses faux billets étaient échus; d'autres touchaient à leur échéance; il était le débiteur des derniers maîtres qui l'avaient employé, à raison des déficits assez considérables trouvés dans ses comptes. En un mot, au commencement de février 1827, il restait totalement privé de ressources et chargé de 7 à 8,000 fr. de dettes. Une nouvelle escroquerie lui procura, pour quelques jours encore, les moyens d'exister. Il se présenta dans la soirée du 2 février, chez un sieur Lefèvre, marchand de bijoux, rue du Ponceau, auquel il avait fait précédemment divers achats, et ne trouvant au comptoir que la mère du sieur Lefèvre, il demanda à emporter plusieurs cachets en or, montés en topazes et en améthystes, qu'un de ses amis, disait-il, l'avait chargé d'acheter. Asselineau promit de rapporter très-prochainement ou les cachets ou leur valeur. On eut trop de confiance en ses paroles. Il mit la main sur les cachets et les porta au Mont-de-Piété, où il en reçut quatre-vingt-quinze francs. A quelques pas de là, Asselineau vendit la reconnaissance moyennant quinze francs. Mais cette escroquerie n'était qu'un danger de plus ajouté à tant d'autres. Le sieur Lefèvre porta plainte dans les vingt-quatre heures, et les agens de police se mirent à la recherche d'Asselineau.
Ici commence le dernier acte de ce drame terrible. Une irrésistible fatalité, ou plutôt une passion sans frein entraînait Asselineau de crime en crime, et déjà les plus atroces ne l'effrayaient plus. Il connaissait d'ancienne date un sieur Moreau, arquebusier, rue Joquelet. Au mois d'août précédent, il lui avait acheté des pistolets et des balles. Il vint lui acheter une nouvelle paire de pistolets et désormais ne sortit plus qu'armé. Il prétendit depuis que c'était pour se donner la mort. Mais comment accueillir cette assertion? Le 19 février, Asselineau se livrait encore à une folle gaîté; on le vit danser et sauter sur les tables d'un cabaret.
Asselineau était lié avec un sieur Brouet, garçon marchand de vin comme lui, mais dont la conduite contrastait singulièrement avec celle de son ami. Brouet était doux, honnête et d'une vie irréprochable. Il tenait une cave, rue Saint-Honoré, no 346, pour le compte du sieur Raimbault. Le mercredi, 22 février, à neuf heures du matin, les voisins s'aperçoivent que la boutique de Brouet est encore fermée; ils s'en inquiètent; bientôt le commissaire de police arrive, accompagné de l'un des substituts du procureur du roi. Il fallut briser un carreau et pénétrer dans la boutique par la fenêtre du premier étage. Spectacle horrible! Brouet était étendu baigné dans son sang, la tête vers le comptoir, et les pieds du côté du fourneau. Il était couvert de ses vêtemens; près de lui, on voyait les débris d'une bouteille. Mais ce n'était pas à des coups de bouteille qu'il avait succombé. Un coup de pistolet, tiré dans l'oreille gauche à bout portant, lui avait seul ôté la vie. Brouet n'était pas coupable d'un suicide; car il n'était pas gaucher, et c'était à gauche qu'il avait été frappé. Une balle avait traversé la tête; une autre fut trouvée dans la bouche, où elle avait fracturé plusieurs dents, et ouvert une artère par où le sang s'était épanché. Le coup avait été entendu vers onze heures par des vidangeurs qui travaillaient dans le voisinage, et qui avaient cru que l'on frappait à une porte avec violence. L'assassin avait pris la fuite en fermant la porte sur lui et en emportant la clef.
On avait volé la victime. Une montre d'or avec des breloques de même métal, des boucles d'argent, une somme de cent dix francs, une inscription de rente de cinquante francs, un billet à ordre de neuf cent cinquante fr., signé Forquignon, d'autres billets et des registres renfermés dans une cassette, enfin du linge et des vêtemens, tout avait disparu, mais on ne connaissait pas encore le coupable.
Asselineau avait été vu dans la boutique de Brouet, le 21 février, dès trois heures et demie. Il y avait passé toute la soirée; tantôt écartant sous un faux prétexte un témoin qui l'importunait, tantôt regardant fixement et avec affectation les pratiques de Brouet, ôtant et remettant ses habits, demeurant les bras nus, et quelquefois paraissant occupé à lire. A onze heures, Brouet fermait sa boutique; Asselineau seul y était encore. A onze heures et quelques minutes, Brouet avait cessé d'exister. Asselineau était donc l'assassin.
Le 19 février, Asselineau s'était occupé de l'achat d'une feuillette de vin pour un sieur Daudé, employé aux jeux du Palais-Royal, n. 9, lequel destinait cette feuillette à une dame Rose Massyr, femme de charge. Asselineau s'adressa à un marchand de vin, rue des Boucheries-Saint-Honoré; il paya un à-compte de 80 francs en or, parla d'une inscription de rente de 50 francs qu'il devait aller vendre à la Bourse, et le soir du même jour, revint pour payer la feuillette, muni d'un billet de 500 francs qu'on ne put lui changer. Ses démarches éveillèrent des soupçons; l'autorité fut avertie, et, le 24 février, Asselineau, revenant chez ce marchand de vin pour achever de payer la feuillette, fut arrêté par des agens de police placés en embuscade. Il voulait d'abord faire résistance et portait fréquemment les mains à ses poches. On le fouilla, et on trouva sur lui un pistolet. Les agens de police se firent prêter main-forte, et conduisirent Asselineau en lieu de sûreté.
Chose étrange! le 23 février même, Asselineau, se trouvant dans le cabaret du sieur Niquet, rue de la Sourdière, s'entretenait froidement de l'assassinat de Brouet, l'ami qu'il avait tué. «Eh bien! dit-il à Niquet, vous avez donc un de vos camarades qui a été assassiné?—C'est vrai, répondit Niquet.—Que dit-on là-dessus?—On dit que c'est un de ses amis qui l'a assassiné: c'était un bien brave homme, bien estimé que Baptiste!—Dit-on si on l'a volé?—C'est bien présumable.»
Asselineau, arrêté, ne pouvait nier son forfait: on avait saisi sur lui la montre et les boucles d'oreilles de Brouet. Il était encore vêtu d'un habit noir et d'un pantalon arrachés à sa victime. On retrouva dans son domicile les registres de Brouet. Asselineau, confondu par ces preuves accablantes, se confessa coupable et du vol et de l'assassinat. Il chercha seulement, dans les interrogatoires postérieurs, à écarter la préméditation, en soutenant que la pensée de son crime lui était venue en un instant.
«Dans la maison de jeu du Palais-Royal, n. 9, que fréquentait Asselineau, il y avait, suivant l'acte d'accusation, un étranger soi-disant commissionnaire en marchandises, nommé Georges Sunboef, qui prêtait de l'argent aux joueurs, sur nantissement de billets et d'effets publics; ou bien il escomptait les uns et achetait les autres. C'était cet homme qui avait acheté d'Asselineau l'inscription de rente de 50 francs; c'était lui qui lui avait escompté le billet de 950 francs signé Forquignon, et qui n'avait pas eu honte de lui donner de l'un et de l'autre une somme de 960 francs. Asselineau avait endossé le billet du nom de sa victime à la date du 25 janvier 1827; il avait signé du même nom une cession de la rente.» Ainsi, pour cette somme de 960 francs, il s'était rendu coupable d'un assassinat, d'un vol et de deux faux.
Asselineau fut traduit devant la Cour d'assises de la Seine, le 26 mars. Cinquante-sept témoins avaient été assignés pour déposer dans cette affaire. L'accusé paraissait calme et s'efforçait de se soustraire à la curiosité publique, en se tournant du côté de la Cour. Il était âgé de vingt-un ans, et natif du département de la Nièvre.
Dans l'interrogatoire qui eut lieu devant la Cour, Asselineau convint de l'assassinat et du vol, reconnut les faux billets qui lui furent représentés, avoua que c'était lui qui les avait fabriqués, et borna tout son système de défense à écarter la préméditation. On entendit plusieurs témoins dont les dépositions ne firent que confirmer les faits déjà connus et avoués par l'accusé lui-même. On attendit avec impatience la comparution de Sunboef, le commissionnaire du Palais-Royal que l'acte d'accusation avait gravement inculpé. Mais ce témoin expliqua sa conduite d'une manière qui parut satisfaire la Cour. Il n'avait fait, dit-il, qu'avancer à l'accusé le prix de la rente de 50 francs qui devait être vendue plus tard; et, quant au billet signé Forquignon, Asselineau ne l'avait point passé à son ordre; il le lui avait seulement confié pour l'escompter. Tous ces faits furent confirmés par le prévenu. «J'étais hardi au jeu, dit Asselineau, puisqu'en moins de dix mois, j'ai perdu plus de dix mille francs. On me prenait pour un gros marchand de vins, et j'inspirais de la confiance. C'est un de mes amis qui m'a perdu. Il vint me débaucher chez le sieur Haro, où je ne songeais qu'à travailler, et me conduisit dans les maisons de jeux que j'ai toujours fréquentées depuis.»
Il n'est peut-être pas inutile de faire remarquer qu'Asselineau commença par jouer au billard. Il y gagna même à la poule une queue d'honneur, et son malheureux père ne prévoyait que trop dès-lors les funestes conséquences d'une passion, qui alors pouvait paraître encore innocente. Disons néanmoins que tout sentiment d'honneur n'était pas éteint dans le cœur de l'accusé. Une lettre de lui atteste le désir qu'il avait de payer ses dettes, et de dédommager ceux qu'il avait trompés. «L'heure est sonnée, écrivait-il; c'en est fait! il faut vous avouer mes erreurs et mettre au jour toutes mes bassesses. Si, en mourant, je ne laissais pas de dupes, je serais content.»
Le ministère public soutint l'accusation avec force. «Sans doute, dit-il, il faudrait plaindre un malheureux jeune homme, qui, entraîné par un ami perfide dans ces maisons où l'on perd à la fois et sa fortune et l'honneur, demanderait grâce pour sa faiblesse et son inexpérience. Mais en est-il ainsi d'Asselineau? Non, sans doute; c'est dans un café qu'on l'a d'abord entraîné, et depuis il s'est livré successivement, et pendant deux années, à tous les excès du jeu!»
Me Gechter, défenseur de l'accusé, présenta le tableau hideux des maisons de jeu, de ces maisons où, suivant son expression, la démoralisation, l'usure et le vol sont affermés. Il appela l'indulgence des juges sur l'extrême jeunesse d'Asselineau, et tout en le regardant comme un grand coupable, il les excita vivement à prendre en pitié le sort de ce jeune homme qu'un entraînement funeste et irrésistible avait conduit à sa perte.
Asselineau prit lui-même la parole après son défenseur; il retraça avec précision et clarté l'histoire déplorable de sa vie et de sa passion. Arrivé à la catastrophe du 21 février, il ne put achever et retomba sur son banc.
La réponse du jury ayant été affirmative sur tous les chefs, excepté celui de la préméditation, aux termes de l'article 304 du Code pénal, la Cour condamna Asselineau à la peine de mort.
Le coupable entendit avec calme ce terrible arrêt. Quand il fut prononcé, il voulut parler. «J'ai dit la vérité, toute la vérité, répétait-il à voix basse.—Du courage! lui dit son avocat.—Du courage! s'écria Asselineau, j'en ai plus que vous. Vous trembliez en me défendant!»
Asselineau avait lui-même rédigé dans le plus grand détail un précis de sa vie entière. Cette relation curieuse fut publiée à l'époque de la procédure. En lisant la vie de cet infortuné, on ne peut se défendre des sentimens les plus pénibles, et des réflexions les plus douloureuses. On gémit sur la cause qui put, en quelques mois, d'un jeune homme honnête et laborieux faire un assassin.
Asselineau, dans sa prison, manifesta constamment un repentir sincère, sans faiblesse et sans abattement: il ne témoignait pas la plus légère inquiétude; la veille même de l'exécution, il joua très-gaîment aux barres et il étonnait les autres prisonniers par ses tours de force et d'adresse. C'était toujours avec beaucoup d'émotion qu'il parlait de son crime, et en le racontant, il maudissait le no 9 du Palais-Royal. Il affirmait qu'en entrant dans la chambre de Brouet, il n'avait pas eu l'idée de l'assassiner. «Je me rappelle bien, ajouta-t-il, que trois fois je tirai le pistolet de ma poche et trois fois je le remis.» Après le crime, tel était son trouble, qu'il chercha long-temps, pour ouvrir le tiroir, les clés qu'il tenait dans sa main.
Le calme d'Asselineau ne venait point d'une stupide indifférence, mais d'une résignation réfléchie. Il avait pour compagnon d'infortune à Bicêtre, le nommé Buisson, condamné aussi, et tout nouvellement, à la peine de mort, pour avoir assassiné son ami. Asselineau ne cessait de le consoler, de l'encourager et de l'exhorter à avouer son crime, en faisant valoir auprès de lui des considérations morales et religieuses. «Tes dénégations te rendent plus criminel encore, lui disait-il, imite-moi; avoue-toi coupable; c'est la plus grande preuve de repentir.... Songe que nous devons paraître devant Dieu: cet aveu ne nous servira de rien auprès des hommes; mais Dieu nous en tiendra compte.» Cédant à ses conseils et à ses exhortations, Buisson fit en effet l'aveu de son crime, qu'il avait nié jusque-là avec force.
Enfin, Asselineau était parvenu à intéresser vivement à son sort toutes les personnes qui l'entouraient. Les gardiens faisaient des vœux pour qu'il obtînt sa grâce. Pendant les derniers jours de sa vie, il s'occupait beaucoup à écrire. Il avait composé un petit discours qu'il apprenait par cœur, et qu'il avait l'intention de prononcer sur l'échafaud. Mais de sages conseils le firent sans doute renoncer à ce dessein.
Quand, le 8 mai 1827, l'huissier chargé de l'extraire de Bicêtre, vint lui annoncer le rejet de son pourvoi, cette nouvelle ne lui causa pas la moindre émotion. Il fit, avec tranquillité, ses adieux aux vétérans de garde à la porte et remercia cordialement les gardiens de tous les soins qu'ils lui avaient prodigués.
La voiture était à peine arrivée dans la cour du palais de Justice qu'elle fut entourée par une multitude avidement curieuse. Pour se soustraire à tant de regards, Asselineau, malgré les liens qui le privaient de l'usage de ses deux mains, se précipita de la voiture avec une vigueur et une agilité qui surprirent et effrayèrent les personnes placées autour de lui. Le public put à peine l'apercevoir.
Dès-lors Asselineau passa la plus grande partie de ses instans avec son confesseur. On lui offrit quelque nourriture: «Non, je vous remercie, répondit-il; elle ne passerait pas.» Il s'empressa d'envoyer à l'exécuteur un billet ainsi conçu: «Je prie tous ces messieurs de vouloir bien remettre à M. Morel, tailleur, rue Montorgueil, no 31, mon habit et mon pantalon que je lui ai achetés quelques jours avant mon arrestation, et que je ne lui ai point payés. Je pense qu'il ne peut pas avoir les moyens de les perdre. En le faisant, vous obligerez un malheureux.
B. ASSELINEAU.»
A quatre heures moins un quart, le patient fut amené, suivant l'usage dans l'avant-greffe de la prison où l'on prépare la victime pour le supplice. C'est ce qu'on appelle la toilette des condamnés. Asselineau s'avança d'un pas ferme vers les exécuteurs qui l'attendaient. Sa figure était rayonnante de jeunesse et de santé; on n'apercevait aucune trace d'altération sur ses traits, aucune hésitation dans ses mouvemens. A peine délivré de la camisole de force, il ôta lui-même son habit, et s'assit sans proférer un seul mot sur une sellette de bois placée vis-à-vis le guichet, à travers lequel on entrevoyait la fatale charrette. L'un lui lie les mains derrière le dos; un autre attache une longue ficelle à ses deux jambes; un troisième coupe le col de sa chemise avec des ciseaux et taille ensuite le bas des cheveux pour disposer la place. Asselineau, en sentant l'acier glisser sur son cou, ne put se défendre d'un mouvement de frisson, et il pâlit pour la première fois. L'obscurité de la salle, le morne silence qui régnait autour de la victime, les rumeurs du dehors qui pénétraient sourdement jusqu'à elle, tout ajoutait à l'horreur de cette lugubre scène.
Enfin la porte s'ouvrit, et Asselineau s'avança à pas lents, entouré des exécuteurs, et précédé du vénérable aumônier des prisons.
On voulut l'aider à monter dans la charrette. «Laissez, dit-il, je monterai bien tout seul.» A peine fut-il assis, que le confesseur placé à ses côtés, lui présenta le crucifix, et il le baisa avec une pieuse résignation.
Arrivé à la place de Grève, Asselineau, sur l'invitation de l'aumônier, se mit à genoux et fit un acte de contrition; puis, il monta avec fermeté sur l'échafaud, et quelques secondes après, il n'existait plus.
Arrivé à l'échafaud, il s'était tourné vers le peuple, en disant: Que ceci vous serve d'exemple! Pendant qu'on le plaçait sur la planche fatale, il répéta à plusieurs reprises: Que Dieu aie pitié de moi!
La recommandation d'Asselineau fut fidèlement exécutée. Son habit bleu et son pantalon furent remis à M. Morel, tailleur. Dans la poche de cet habit, on avait trouvé une lettre du père d'Asselineau, écrite d'Antrain (Nièvre) le 7 avril, et adressée au directeur de Bicêtre. Elle était ainsi conçue:
«Mon fils,
«En réponse à ta lettre en date du 31 mars, que j'ai reçue le 6 avril, par laquelle tu nous fais tes adieux, et tu nous demandes des pardons...... Que Dieu te pardonne! A l'égard de nous, nous te pardonnons tous, père et mère, frère et sœur. Nous t'avons toujours élevé en la crainte de Dieu, et dit les dangers qu'il y avait de fréquenter les mauvaises compagnies.
«Tu n'as pas pu t'en défendre...... Que Dieu te pardonne, comme nous te pardonnons! Tu seras heureux, et nous, le restant de nos jours, nous serons malheureux...
«Tu attends sur la clémence du roi...... que Dieu soit béni!
«Nous te faisons tous nos adieux pour toujours: recommande-toi à Dieu.
«Ton père B. ASSELINEAU.»
Nous ne commenterons pas cette lettre: il faudrait revenir aux réflexions qu'on a lues au commencement de cet article. A travers le laconisme de cet homme illettré, à travers ses pieuses répétitions, on y reconnaît trop bien le cœur brisé d'un malheureux père.
FAMILLE DE PARRICIDES.
Nos lecteurs ont pu voir dans le second volume de cette collection l'épouvantable histoire d'un malheureux père assassiné par deux de ses fils, aidés de leur mère. Les fastes criminels de notre temps présentent un forfait du même genre et non moins horrible.
Le 16 mai 1826, à quatre heures du matin, le garde du moulin de Croûtes (Aisne) aperçut quelque chose qui passait sous la volée ou le tournant du moulin; c'était un cadavre qui s'accrocha à des saules. Un instant après, arrivèrent deux pêcheurs; Jaquin, l'un d'eux, courut avertir le maire et le juge-de-paix. Des magistrats se rendirent sur-le-champ au lieu où gisait le cadavre; on le retira de la rivière en leur présence: on reconnut que c'était celui de Dupré. Il avait autour du cou une petite corde un peu plus grosse que la ficelle ordinaire; à cette corde était un nœud coulant que l'on avait ensuite fixé et arrêté par un autre nœud.
Le cadavre était complètement vêtu; il avait des bas, des chaussons et des sabots couverts. On trouva dans une poche de son gilet une clef qui était celle du secrétaire ou de l'armoire qui contenait l'argent de Dupré. Le procès-verbal du médecin, appelé pour examiner le corps, portait qu'il y avait sur le cadavre un signe de pression occasionée par la corde, une ecchymose au pariétal droit, une autre plus légère à la pommette gauche. Il fut établi par l'accusation que les contusions et les ecchymoses n'avaient pu être produites par une submersion volontaire, ni même par le passage du corps sous la roue du moulin: elles étaient nécessairement le résultat des violences exercées sur Dupré avant la submersion. Ce qui en donnait une preuve irrécusable, c'était une plaie qui existait au bas du ventre, ayant quatre à cinq pouces de diamètre. Cette plaie semblait expliquer le propos de la veuve Dupré, qui avait dit: Je sais bien comment il faut le prendre pour le dompter; un coup de pied le rend blanc comme neige.
L'enquête, qui eut lieu, fit naître de véhémens soupçons contre quatre individus qui furent aussitôt arrêtés. C'étaient la veuve du malheureux Dupré, Rose-Victoire Dupré, sa fille légitime, Jean-Étienne Duchesne, dit Bancroche, fils naturel de cette dernière, et le nommé Vaillant, père de Pierre-François Vaillant, gendre de Dupré.
Ces quatre prévenus comparurent devant la Cour d'assises de Laon le 5 mars 1827. Tous les regards étaient fixés sur cette famille qui n'inspirait que l'horreur et le mépris. Vaillant avait dit à un témoin: Prends-garde à toi, si tu parles trop! On avait remarqué sur le bord de la rivière, où le corps de Dupré devait avoir été jeté, l'empreinte de traces faites avec des bas ou des chaussons, et le cadavre repêché le 16 avait des sabots couverts. On trouva dans la rivière une pierre de quatre-vingt-huit livres dans une fosse placée vis-à-vis l'empreinte des traces remarquées. N'était-il pas présumable et même certain que cette pierre avait été employée par les auteurs du crime, au moyen du nœud coulant de la ficelle, pour tenir le corps au fond de l'eau et y ensevelir le secret de la plus noire scélératesse?
Voici quelques circonstances antérieures à l'assassinat. La femme Dupré vivait très-mal avec son mari; chaque jour voyait éclater de nouvelles querelles. La fille se joignait à la mère pour maltraiter son père. Cette fille dénaturée était, au reste, connue pour avoir la conduite la plus déréglée. Elle avait eu deux enfans naturels, fruits honteux de sa débauche: l'un de ces enfans, Duchesne, dit Bancroche, se montrait en tout digne de sa mère. Il se vantait publiquement des mauvais traitemens exercés contre son grand-père Dupré, et n'était pas le dernier à y prendre part.
Au milieu des chagrins dont il était continuellement abreuvé, il était arrivé à Dupré de dire un jour à quelqu'un qu'il voudrait bien qu'on lui tirât un coup de fusil, pour le délivrer de sa pénible existence. Ses meurtriers profitèrent de ce propos pour lui supposer l'intention d'un suicide. De là le projet et l'exécution du crime sur lequel les accusés voulaient faire prendre le change, en prêtant à Dupré la volonté de se détruire et la résolution de se noyer.
Dupré gardait soigneusement la clé du meuble où était son argent. Six semaines avant sa mort, il avait répondu à une personne qui lui faisait une question relativement aux plaintes de ses enfans: «Pourquoi les doter? Ils boivent et mangent tout; ils se coalisent pour me ruiner.»
La mère et les enfans avaient répété souvent ce propos infâme: Si ce gueux, si ce cochon-là était mort, nous jouirions......
Ces faits et ces propos furent attestés par plusieurs témoins. Que fallait-il de plus pour donner de la vraisemblance à la consommation du crime?
Mais deux femmes et un jeune homme infirme ne suffisaient pas à l'entière exécution du projet. Il fallait quelqu'un d'assez fort pour les aider, et ce fut, suivant l'accusation, Vaillant père, que l'on choisit pour cet exécrable ministère. La réputation de cet homme était loin d'être intacte: il passait pour avoir des liaisons intimes avec sa belle-fille; ce fut lui, suivant quelques dépositions, que Rose Dupré alla chercher pendant la nuit, et qui aida à porter le cadavre à la rivière. On remarqua que Vaillant fils lui-même avait dit dans sa déposition: Ce n'est pas mon père qui a tué Dupré; il n'a fait que le porter à la rivière.
Après les plaidoieries, le président fit le résumé des débats avec la plus exacte impartialité, et posa aux jurés les cinq questions résultant de l'acte d'accusation.
Le jury répondit affirmativement sur les deux premières questions relatives à la veuve Dupré et à sa fille, en écartant seulement la préméditation; semblable réponse fut faite relativement à Duchesne dit Bancroche, mais à la majorité de sept voix contre cinq. Les deux questions relatives à Vaillant père furent résolues négativement. La Cour, sur la question qui concernait Bancroche, se réunit à la minorité du jury; en conséquence Duchesne dit Bancroche et Vaillant furent acquittés.
Sur les conclusions du ministère public, la veuve Dupré et Rose-Victoire Dupré, sa fille, furent condamnées à la peine des parricides.