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Chronique du crime et de l'innocence, tome 7/8: Recueil des événements les plus tragiques;...

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COMPTE,
MEURTRIER DE SA FEMME ET DE SON
ENFANT.

Depuis plusieurs années, on a vu se multiplier d'une manière effrayante des crimes dont la justice ne s'explique que très-difficilement la cause. Les fureurs sanguinaires de Papavoine et de la fille Cornier n'ont eu que trop d'imitateurs. Les médecins, appelés au secours des magistrats, pour trouver l'explication de ces phénomènes criminels, ont invoqué une sorte de démence d'un genre particulier, à laquelle on a donné le nom de monomanie; et malgré cette assertion de la science, pour un grand nombre d'esprits prévenus ou incrédules, beaucoup de crimes sont demeurés presque inexplicables. De ce nombre est celui dont nous allons rapporter les principales circonstances.

Le nommé Compte, charron, s'était constamment fait remarquer par la douceur de son caractère et par son attachement pour sa femme et ses enfans. Cet homme, tout-à-coup, devint triste et rêveur; il recherchait les lieux solitaires; tantôt il prodiguait des marques de tendresse à son épouse, tantôt il repoussait ses caresses.

Le 15 mars 1827, Compte se trouvait seul à son atelier, lorsque sa femme vint l'y voir dans l'intention de lui tenir compagnie et de chercher à dissiper les idées sombres qui le tourmentaient. Soudain Compte l'interrompit en lui disant: Je voudrais bien mourir, et tu devrais mourir avec moi! Anne Constant, sa femme, pour calmer l'agitation de son mari, s'approcha de lui et l'embrassa; mais cette prévenance, loin de tranquilliser Compte, le met hors de lui-même; il agite un couteau qu'il tenait dans sa main, et bientôt il en porte un coup à la gorge de sa femme. Celle-ci s'échappe en jetant de grands cris; Compte la poursuit avec acharnement, il l'atteint dans la cour et lui porte à la gorge un second coup de couteau.

Les pères et mères des époux accourent; ils prennent dans leurs bras Anne Constant et l'arrachent à la fureur de son mari. Compte alors veut rentrer dans son atelier; mais, trouvant sur son passage son enfant âgé de deux ans, il s'en saisit, l'emporte sous un hangar, et là, lui enfonce dans la poitrine le couteau qui dégouttait encore du sang de sa malheureuse femme. L'enfant expire sous ses yeux, et ce malheureux, pour terminer cette horrible tragédie, retourne contre lui le fatal couteau; il s'en frappe à la tête et se blesse grièvement.

Les poursuites judiciaires étaient faciles à exécuter: c'était un mari qui avait voulu égorger sa femme; c'était un père qui avait donné la mort à son enfant. Compte fut arrêté, et traduit devant la Cour d'assises de la Charente, le 8 mai 1827.

Cette cour avait paru hésiter à mettre Compte en accusation. On lit en effet, dans l'arrêt de renvoi, le considérant suivant:

«Considérant qu'on serait tenté de croire à la démence du prévenu; que l'esprit est ramené souvent à cette idée par les détails que renferme la procédure, mais qu'on se trouve arrêté par certains aveux de Jean Compte, desquels il résulte que sa femme lui paraissait depuis quelque temps légère, coquette, et peu disposée à payer sa tendresse de retour;

«Qu'il est donc possible d'attribuer à un violent accès de jalousie le double attentat dont le prévenu s'est rendu coupable, et qu'il convient de laisser aux débats de l'audience le soin de faire connaître la véritable situation mentale du prévenu, lorsqu'il enfonça le couteau dans la gorge de sa femme et dans le sein de son fils.»

Après les débats, qui furent de peu de durée, le président de la Cour posa deux questions aux jurés sur la culpabilité du prévenu. Sur la première question, les jurés répondirent: Non, Compte n'est pas coupable d'avoir volontairement donné la mort à son fils; sur la seconde: Oui, à la majorité de sept voix contre cinq, l'accusé est coupable d'une tentative d'homicide, manifestée par des actes extérieurs, suivie d'un commencement d'exécution, et qui n'aurait manqué son effet que par des circonstances indépendantes de sa volonté.

La Cour s'étant réunie à la majorité du jury, Compte fut en conséquence condamné aux travaux forcés à perpétuité.

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