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Chronique du crime et de l'innocence, tome 7/8: Recueil des événements les plus tragiques;...

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ASSASSINAT
DE LA MÈRE JÉROME.

La procédure à laquelle donna lieu le crime dont nous allons parler, se fit surtout remarquer par la bizarrerie des faits et par les étranges révélations, au moyen desquelles la justice, après avoir fait long-temps d'infructueuses recherches, arriva enfin sur la trace des coupables.

Un assassinat avait été commis, le 20 mai 1823, entre sept et huit heures du soir, rue du Faubourg du Roule, n. 45, sur la personne d'une femme de quatre-vingts ans, dite la mère Jérôme. A la suite de cet assassinat, on avait enlevé toute l'argenterie de la victime; mais on avait oublié une somme de douze cents francs environ, qui fut retrouvée dans un de ses tiroirs.

Dans les premiers momens, la connaissance des auteurs de ce forfait échappa aux investigations judiciaires; mais enfin les soupçons atteignirent Louis-Marie Lecouffe, âgé de vingt-quatre ans, tailleur d'habits, et sa mère, la veuve Lecouffe, qui tous deux demeuraient dans la même maison que la mère Jérôme. La mère et le fils furent arrêtés et mis en accusation. Le fils était prévenu d'avoir commis le crime, et la mère d'y avoir excité son fils par menaces et abus d'autorité, le menaçant, s'il refusait de s'emparer du trésor de la mère Jérôme, de s'opposer au mariage qu'il projetait, et qui en effet fut célébré trois jours après l'assassinat.

Lecouffe, du moment qu'il fut détenu, ne cessa de donner des marques de folie vraie ou simulée. A l'en croire, il n'avait fait ses révélations que par ordre exprès de l'ombre de son père, mort depuis quatre ans, et qui s'était présentée à lui dans sa prison, accompagnée de l'ange Gabriel. Tous ses interrogatoires furent remplis de ses prétendues conversations avec le spectre, qui lui avait commandé, comme à un autre Hamlet, de dévoiler et de punir le forfait de sa mère. Lecouffe poussa même la démence ou la fourberie jusqu'à supplier les geôliers de son cachot de boucher le trou par lequel il prétendait voir arriver ces apparitions importunes.

Les accusés furent traduits devant la cour d'assises de la Seine, le 11 décembre 1823. Les dépositions des témoins qui furent entendus établirent la vérité des faits dans le sens de l'accusation; mais l'accusé Lecouffe rejeta constamment tout l'odieux du crime sur sa mère.

Ce spectacle d'un fils et d'une mère qui se renvoyaient mutuellement le poids d'un horrible forfait, et qui, suivant l'expression énergique du ministère public, se poussaient l'un l'autre vers l'échafaud, avait plus d'une fois fait frémir l'auditoire.

Enfin, après trois audiences consécutives, le jury prononça la culpabilité de Lecouffe sur toutes les questions qui lui furent posées; la mère, acquittée sur la question de complicité d'assassinat, fut déclarée coupable de recel d'objets volés, avec connaissance que le vol avait été accompagné d'homicide volontaire, mais sans savoir que l'homicide avait été commis avec préméditation et guet-à-pens. Tous les deux furent condamnés à la peine de mort.

La mère et le fils se pourvurent en cassation contre le jugement qui les condamnait; mais leur pourvoi fut rejeté. Le 24 janvier 1824 fut le jour fixé pour leur exécution. La mère fut amenée, dès le matin, de sa prison de Saint-Lazare à la Conciergerie, et le fils arriva de Bicêtre quelques instans après. Ils furent mis tous deux dans une prison séparée; et après qu'ils eurent entendu lecture de l'arrêt portant rejet de leur pourvoi, deux ecclésiastiques vinrent leur apporter les secours de la religion. Lecouffe, qui s'était préparé à ce fatal dénouement, les reçut avec reconnaissance et contrition; sa mère montra d'abord moins de résignation et de fermeté, mais les exhortations du vertueux ecclésiastique ramenèrent peu à peu l'espoir de la clémence divine dans son âme coupable. Les deux condamnés passèrent en prières tout le temps qui précéda l'exécution. A quatre heures précises, ils montèrent dans la charrette. Arrivée au pied de l'échafaud, la femme Lecouffe descendit la première, monta les degrés d'un pas mal assuré, et se livra aux exécuteurs sans avoir jeté un seul regard en arrière pour voir son fils. Lecouffe embrassa deux fois son confesseur, et se dirigea vers l'échafaud d'une marche assez ferme. Si quelque chose peut diminuer l'horreur qu'inspire tout criminel aux âmes honnêtes, c'est le repentir qu'ils manifestent à leur dernier moment; celui que témoignèrent la mère Lecouffe et son fils fut un éloquent commentaire du spectacle de leur exécution, qui avait attiré une foule immense.

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