Chronique du crime et de l'innocence, tome 7/8: Recueil des événements les plus tragiques;...
François Turrel, propriétaire et cultivateur à Merlieux, arrondissement de Belley, offrit, en 1824, à la Cour d'assises de l'Ain devant laquelle il fut traduit, un criminel capable de disputer le prix de la scélératesse au trop fameux Lelièvre, condamné et exécuté à Lyon quelques années auparavant.
Ce monstre était accusé non seulement d'avoir assassiné Anthelmette Genet sa femme, mais encore d'avoir causé la mort de trois autres femmes, auxquelles il s'était uni par le mariage, sans que toutefois la réalité de ces derniers crimes fût démontrée. Nous allons rapporter les faits de cette cause tels qu'ils furent présentés dans le système de l'accusation.
Turrel, âgé de soixante ans, à l'époque de son jugement, avait épousé en premières noces, trente années auparavant, une femme originaire de Savoie. Pendant quelque temps, il vécut avec elle en assez bonne intelligence; mais bientôt entraîné par la passion du libertinage, il se livra à un commerce illégitime avec la fille Gouge, sa servante, et conçut dès-lors le projet d'attenter à la vie de sa femme, pour épouser sa concubine. Un jour, embusqué derrière un rocher, il assaillit sa femme à coups de pierres et la blessa à l'épaule. Une autre fois, l'ayant dirigée sur une ouverture pratiquée dans son fenil, il la précipita du haut en bas sur des chariots et des pièces de bois qu'il avait placées au-dessous; et la malheureuse femme, brisée par cette chute, mourut au bout de quelques jours.
Turrel épousa alors la fille Gouge; mais cette seconde femme ne fut pas plus heureuse que celle qu'elle avait si cruellement supplantée. Abreuvée de chagrins de toute espèce, elle finit par y succomber, et le bruit courut qu'elle était morte des suites d'un coup de pied que son mari lui avait donné dans le bas-ventre.
Pendant la durée de son second mariage, Turrel avait pris à son service sa propre nièce qui périt peu de temps après, si l'on s'en tient au cri public, du fait de Turrel.
Resté veuf, Turrel convola à de troisièmes noces; il épousa la fille Goddet, mais alors même, il avait une inclination très-vive pour Anthelmette Genet, sa servante. La fille Goddet avait quelques propriétés; ce qui donna lieu de croire que le mariage de Turrel avec elle n'avait été qu'une spéculation d'intérêt. En effet, pressé du désir de vivre en toute liberté avec sa concubine, il conçut bientôt le dessein de se défaire de sa nouvelle femme, et Anthelmette Genet consentit à devenir sa complice. Ainsi, au bout d'une année de mariage, un nouveau crime fut commis; Turrel fit empoisonner sa femme par les mains de celle qui était depuis long-temps sa servante et sa concubine, et la malheureuse épouse périt en proie à des convulsions qui ne permirent pas de douter de la cause de sa mort.
Ce fut alors qu'il prit pour femme Anthelmette Genet, et les premières années de cette union furent assez paisibles; mais, à la longue, Turrel conçut pour la Genet du dégoût et de l'aversion, et dans ses désirs effrénés, il rechercha d'autres femmes pour satisfaire ses passions. La femme Turrel, égarée par la jalousie, se livra aux plus violens emportemens. Des scènes terribles eurent lieu entre les deux époux, et, après dix-huit ans de mariage, Turrel médita de nouveaux projets d'homicide; il résolut d'être encore le meurtrier de sa quatrième femme.
Ses premières tentatives échouèrent; mais elles furent toutes marquées d'un caractère de noirceur et d'atrocité. Un jour qu'il poursuivait sa femme, celle-ci voulut traverser une rivière pour se soustraire à sa fureur; il lui plongea la tête dans l'eau pour la noyer; et ne la laissa s'échapper que lorsqu'on accourut pour la secourir. Une autre fois, cette malheureuse s'aperçut qu'il avait caché de gros cailloux dans la paillasse de son lit: elle s'en étonne; il lui dit que ce sont ses défenseurs, mais elle ne doute point qu'il ne veuille s'en servir pour attenter à ses jours. Dès-lors, elle se renferme, la nuit, dans une chambre séparée de celle de son mari, pour reposer du moins sans avoir la crainte d'une mort prochaine. Turrel trouve un moyen de l'en faire sortir: il feint d'être malade, il l'appelle, la fait monter au grenier; il veut qu'elle y cherche du bois pour allumer du feu; puis quand elle redescend, il retire l'échelle, et la malheureuse femme, exposée au danger d'une chute cruelle, reste suspendue jusqu'au moment où l'on vient la secourir.
Enfin arrive le 12 décembre 1823; c'était le jour où Turrel devait mettre le comble à ses forfaits. Entre onze heures et midi, des cris sont entendus: Pardon! au secours! ces cris partaient de sa maison. Une fille du voisinage regarde au travers d'une ouverture pratiquée dans la muraille; elle voit Turrel sur la porte de son écurie, ayant l'air inquiet et cherchant à s'assurer s'il n'est vu de personne. Il rentre, il sort, et après quelques instans, il revient avec un de ses neveux qu'il a rencontré. Le neveu, en entrant dans l'écurie, aperçoit un cadavre étendu par terre, et couvert de contusions et de blessures, O mon Dieu! s'écrie-t-il, ma pauvre tante est morte! Turrel dit que c'est son cheval qui l'a tuée; qu'il l'a trouvée sous ses pieds dans l'état le plus déplorable: et il frappe ce pauvre animal, comme pour se venger, comme pour le punir!
Bientôt des voisins arrivent. Le corps de la femme Turrel est emporté. Un chirurgien est appelé; il fait l'examen du cadavre, et reconnaît que les blessures qui ont causé la mort n'ont pu être faites qu'avec un instrument contondant. Alors Turrel devient l'objet des soupçons les plus véhémens, et après qu'on a trouvé dans l'écurie un trident et un racle en fer, tout ensanglantés, quand on découvre un pantalon de Turrel taché de sang, et auquel étaient collés des cheveux de la victime, on ne doute plus qu'il ne soit l'assassin; la justice est avertie, et sur-le-champ fait arrêter Turrel.
La Cour d'assises de l'Ain, séant à Bourg, fut saisie de cette horrible cause. Turrel comparut devant elle, en mai 1824. L'instruction, les dépositions des témoins et les débats confirmèrent la vérité des faits épouvantables que l'on vient de lire, et le scélérat Turrel fut condamné à la peine de mort.