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Chronique du crime et de l'innocence, tome 7/8: Recueil des événements les plus tragiques;...

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CASTANIER,
OU LES RÉSULTATS CRIMINELS DE
L'EXALTATION RELIGIEUSE.

L'exaltation religieuse, comme l'exaltation politique, peut tourner au crime les individus les plus inoffensifs de leur nature et leur faire regarder comme des actes vraiment méritoires les forfaits les plus atroces. Sans doute, si leurs attentats procèdent d'une faiblesse, d'une affection ou d'une lésion des organes du cerveau; s'il est prouvé qu'ils soient les résultats de cette sombre monomanie qui se plaît à verser le sang, et parfois celui des êtres les plus innocens et les plus chéris de celui même qui les égorge, il faut plaindre le sort de ces criminels d'une classe particulière; on doit des égards à la position de malheureux qui, dans des accès de folie, sont capables d'immoler ceux qu'ils aiment le plus au monde. Mais si la loi doit épargner des coupables involontaires, chez qui l'intention n'a pas été complice du bras, l'intérêt de la société exige impérieusement qu'on la mette à l'abri des atteintes meurtrières de ces furieux; il veut aussi qu'on n'accorde pas une créance trop aveugle à un système de défense dont il serait facile d'abuser et derrière lequel les plus grands scélérats, assurés de l'impunité, finiraient par venir se retrancher comme dans un asile inviolable.

Le nommé Castanier dont le procès nous a suggéré les réflexions que l'on vient de lire, avait subitement passé d'une vie désordonnée à une vie bigotte. Pendant sa jeunesse à Camaret Vaucluse, il était libertin, joueur, débauché; il passait presque tout son temps au cabaret. Étant venu demeurer à Orange, il fut entouré de personnes pieuses qui entreprirent sa conversion; dès-lors, son train de vie fut tout-à-fait changé: il restait des journées entières à l'église; bientôt il eût passé pour un saint homme. Depuis, cet homme s'était fixé à Carpentras.

Le 16 janvier 1827, la petite fille de Castanier, charmante enfant, aimée de tout le voisinage, chérie de son père et de sa mère, disparut tout-à-coup. On crut d'abord qu'elle s'était égarée dans la ville. La veuve Bouche avait vu, à midi, Castanier et sa fille qui allait après lui en pleurant. Elle avait dit au père: «Attendez donc votre enfant!» sur quoi il avait pris sa petite par la main. Dans la soirée, la veuve Bouche retourna chez Castanier pour demander si l'enfant était retrouvée. Le mari était d'un côté du poêle; sa femme, désolée, de l'autre côté; le témoin s'assit entr'eux deux. La femme dit à son mari: «A midi, tu as rencontré ton enfant sur le Pont-Neuf?—Oui.—Tu l'as pris par la main?—Oui.—Tu l'as amenée à la maison?—Oui.—Tu lui as donné du pain?—Oui.—Et puis, qu'est-elle devenue?» A cette question, Castanier resta sans voix! «Va la chercher: lui dit la femme.—Et où veux-tu que j'aille? répondit-il.»

Cependant on trouva le cadavre de la jeune Castanier dans le puits du Cirque, avec une pierre au cou, et percé de deux coups de couteau.

Aussitôt la justice instruisit. Le commissaire de police se transporta chez Castanier avec le juge d'instruction. Castanier était couché tout habillé sur son lit, et en se levant, il s'écria: Je n'ai plus d'enfant! Et pourtant, il ignorait encore que l'on eût retrouvé le cadavre dans le puits. Un couteau avait été enfoncé jusqu'au manche dans les côtes de la victime; la femme Castanier reconnut ce couteau pour être celui de son mari; elle reconnut aussi la pierre trouvée au cou de l'enfant pour avoir été enlevée du bas de l'escalier de sa chambre. Cette pierre fut présentée à la place qu'elle devait occuper; elle s'y adaptait parfaitement: on ne pouvait s'y tromper, cette place vide ayant gardé l'empreinte des rugosités de la pierre.

Ces indices, joints aux témoignages de plusieurs personnes, déterminèrent l'arrestation de Castanier; et il fut traduit le 8 mai devant la Cour d'assises de Vaucluse. Quand il comparut devant le tribunal, tous les regards cherchèrent sur la figure de Castanier les signes de cette démence à laquelle, en l'absence de tout autre motif, on attribuait généralement son attentat. On vit un homme maigre et d'un teint cuivré. Ses cheveux étaient noirs et plats, ses lèvres enflées et blafardes; ses yeux, d'une forme ronde, étaient caves et brillans; il semblait étranger à tout ce qui se passait autour de lui. Au mouvement de ses lèvres, on aurait pu croire qu'il récitait des prières.

Nous allons donner un extrait de son interrogatoire, qui pourra faire connaître aux lecteurs la situation mentale de l'accusé. Assez long-temps avant le meurtre de sa fille, Castanier était toujours entouré chez lui de livres de dévotion; il ne travaillait plus, et quand sa femme lui représentait le besoin qu'ils avaient du travail, il lui répondait par des exclamations religieuses. Il avait fréquemment des rêves d'enfer et de démon, et se levait la nuit pour prier Dieu. On va voir quelles étranges réponses il fit à la plupart des questions qui lui furent adressées.

Le Président: Comment vous appelez-vous?

L'accusé, regarde sans répondre, comme s'il n'avait pas entendu. Un gendarme le pousse; et interrogé une seconde fois, il déclare se nommer Castanier.

D. Où demeurez-vous?

R. Ici.

D. Comment ici! vous ne demeurez pas à Orange?

R. Oui, à Orange.

D. Quel âge avez-vous?

R. Je ne m'en souviens pas.

Alors Me Bourdon, nommé d'office pour assister Castanier, exposa à la Cour que la seule chose explicite qu'il eût pu obtenir du prévenu, c'était qu'il ne voulait pas de défenseur; que Dieu saurait bien le défendre.

Non! s'écria Castanier avec force, je ne veux point de défenseur; je n'en ai pas besoin.

D. Castanier, voulez-vous être jugé?

R. A la volonté de Dieu.

D. On dit que vous êtes fou?

R. Je n'en sais rien.

D. Avez-vous tué votre enfant?

R. Je n'ai jamais fait de mal à mon sang.

Pendant les dépositions des témoins, l'accusé s'était endormi; tout-à-coup il se réveilla en riant à la manière d'un hébété.

D. Que fîtes-vous le 16 janvier, de dix heures à deux heures?

R. Je fus à l'église; je ne puis pas vous le dire.

D. Aimiez-vous votre fille?

R. Pauvre petite!

D. Est-ce vous qui l'avez tuée?

R. Castanier sanglote en détournant la tête, et finit par dire: C'est un grand malheur!

Un juré. Avez-vous tué votre fille?

R. Tu n'as point de sens.

D. Ne craignez pas de l'avouer: peut-être n'avez-vous pas cru mal faire. L'avez-vous tuée?

R. Si vous me le dites encore, je m'en vais.

Le procureur du roi. N'avez-vous pas de regret d'avoir tué votre enfant?

R. Je ne veux pas vous écouter: (après quelques momens de silence, et en mettant sa tête dans ses mains), c'est depuis la mort de mon enfant que la tête me fait mal; avant aussi, elle me faisait mal.

François Bouche, assigné comme témoin, commençait sa déposition; Castanier l'interrompit, et lui dit, comme en se réveillant: «Ah! bonjour, Bouche!»

Un témoin ayant dit que le prévenu restait habituellement des heures entières prosterné à l'église sans remuer, Castanier s'écria: «J'y suis resté une fois neuf heures; j'ai bien du plaisir à y être; je voudrais bien y aller.»

D. N'avez-vous pas cru, en tuant votre enfant, l'envoyer au ciel?

R. Je ne vous écoute pas.

Le procureur du roi, après avoir démontré la culpabilité de l'accusé, déclara qu'il ne pensait point que l'accusé eût agi avec discernement, et que son état moral lui semblait devoir faire écarter les circonstances de la préméditation.

De son côté, le défenseur s'attacha à faire ressortir la preuve de la démence, des circonstances de la cause et de la conduite de l'accusé dans tout le cours des débats.

Après une courte délibération, le jury déclara l'accusé coupable, mais sans préméditation; et par suite de cette déclaration, Castanier fut condamné aux travaux forcés à perpétuité.

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