Chronique du crime et de l'innocence, tome 7/8: Recueil des événements les plus tragiques;...
Il est, chez la plupart des êtres qui se lancent dans la carrière du crime, un degré de dépravation qui exclut toute idée de repentir, qui enlève tout espoir de guérison. Ce sont des membres gangrenés qu'il est urgent de retrancher pour le salut et la sécurité du corps social. Tant qu'il existera des scélérats comme celui dont nous allons parler, la nécessité de la peine de mort se fera sentir, sinon comme moyen d'améliorer les mœurs, mais comme mesure de sûreté. Ce n'est pas que nous ne fassions, à l'instar d'une foule de généreux philanthropes, des vœux sincères pour l'abolition de cette peine de sang, qui n'est pas toujours d'un salutaire exemple. Mais nous pensons que, dans l'état actuel des choses, un acte législatif de cette nature serait peut-être funestement prématuré. Ce grand œuvre ne pourra être consommé, aux applaudissemens de toutes les classes de la société, que lorsqu'on aura donné à cette société des garanties sûres et suffisantes; et ces garanties ne peuvent se trouver que dans la propagation des bonnes mœurs et surtout dans leur heureuse implantation dans les rangs inférieurs. Alors, mais seulement alors, les vœux que forment tant d'âmes généreuses, vœux que nous aimons à partager, pourront être réalisés sans danger.
Les détails succincts que nous allons donner sur les derniers instans de Guillaume, forçat libéré, exécuté à Meaux, le 16 février 1826, peuvent servir de corollaire à ces réflexions.
Ce Guillaume, convaincu d'avoir tué six personnes, avait été condamné à mort. Après sa condamnation, il n'avait pas été mis au cachot; il fut gardé à vue, nuit et jour, dans une chambre où il y avait du feu. Ses gardes, autant pour le distraire que pour se distraire eux-mêmes, jouèrent au piquet avec lui. Guillaume, à plusieurs reprises, leur disait: «Allons, 10,000 francs; allons, cette fois, 100,000 francs, à payer dimanche matin.» Il leur raconta, tout en jouant, diverses anecdotes de sa vie, et notamment celle-ci, qu'il citait comme sa plus belle action: «A l'époque de la terreur, disait-il, l'argenterie et les bijoux de M. l'abbé de Flay, mon parrain, furent confisqués. Ayant découvert le lieu où ils étaient déposés, je parvins à les voler; je les vendis à un juif, et en remis fidèlement le prix à mon parrain.»
L'aumônier des prisons, qui avait fait auprès de lui plusieurs tentatives infructueuses pour le ramener à des sentimens religieux, le visita le matin du jour de l'exécution. Il lui demanda comment il allait?—Mal, répondit Guillaume; je sens les angoisses de la mort; je suis à l'agonie.—Mais vous vouliez mourir avec tant de courage! lui dit le respectable ecclésiastique.—Oh! je le retrouverai, répliqua Guillaume. Puis il remercia l'aumônier de l'offre qu'il lui faisait de l'accompagner à l'échafaud.
La veille de l'exécution, il avait écrit au procureur du roi qu'il désirait avoir pour son déjeûner un poulet et trois bouteilles de vin, afin de finir sa vie comme il l'avait passée.
Quelques heures avant l'instant fatal, il but un litre de vin chaud avec du sucre, et au moment de monter sur la charrette, il envoya chercher pour huit sous d'absinthe, qu'il avala tout d'un trait. Pendant le trajet, on lui entendit dire plusieurs fois, en jetant les yeux sur la foule immense des spectateurs: «Les imbécilles de Français, de venir voir un tel spectacle!... Ne courez pas si vite... On ne fera rien sans moi.» Du plus loin qu'il aperçut l'échafaud, il s'écria: Ah! la voilà, cette fois-ci; je ne l'échapperai pas! Au moment de descendre de la voiture, il prononça ces mots d'une voix assurée: Adieu, mes amis, je suis innocent; j'ai toujours le même courage pour mourir.
Il avait enfin consenti à laisser monter avec lui, sur la charrette, le curé de Notre-Dame, ancien aumônier de la maison de justice. Mais, pendant les exhortations de ce vénérable ecclésiastique, il tournait la tête de tous côtés et ne paraissait y faire aucune attention. Jusqu'au dernier moment, il ne quitta pas son ton de plaisanterie. En arrivant sur l'échafaud, il frappa le plancher avec son pied en disant à l'exécuteur: Est-ce solide ici?—Oui, ne craignez rien, répondit le bourreau. Quelques secondes après, Guillaume avait cessé d'exister.