← Retour

L'amour fessé

16px
100%

De trois jours on ne revit pas mon oncle Barnabé ; ma grand'mère triomphante chantait des chansons gaillardes de sa jeunesse et allait répétant dans la maison :

— Ils se sont entredévorés, je vous dis, et la sauvagesse a mangé les restes. Ainsi soit-il, et que les flammes de l'Enfer les tiennent au chaud.

Elle avait un tel air d'assurance que je me sentais tout triste, malgré l'invraisemblance de ce qu'elle avançait. Pourtant il m'était déjà facile alors d'imaginer ce que j'imagine si bien à présent. Non, Barnabé de la Gontrie, ma chère tante Léocadie ne vous sauta pas au visage… Comme je vois bien votre retour dans la maison de l'amour et de la tristesse! Anne, qui fut votre nourrice, est allée avertir tout doucement ma tante après avoir baisé de ses vieilles lèvres votre joue ridée, hélas! presque autant que la sienne. Et ma tante est arrivée, les yeux troubles, ne pouvant croire… Tant de fois elle avait rêvé ce retour!… Elle a ouvert les bras, et peut-être a-t-elle eu la force de sourire alors que vous n'aviez pas même celle de pleurer. Et vous êtes resté trois jours accablé par une silencieuse douleur. Vous compreniez alors ce que nous sommes, et comme il est facile de manquer sa vie ; vous saviez, trop tard comme tout le monde, qu'il aurait été bien simple de rester auprès du bonheur, quand vous l'aviez à portée de la main, au lieu d'obéir à la force malfaisante qui vous l'avait fait chercher follement par toute la terre. Trop tard, trop tard!… Les injures de votre sœur vous avaient attristé sans vous abattre ; cette divine rosée de la bonté et de l'amour allait vous achever : ainsi la rosée du ciel donne plus d'éclat et de santé aux fleurs nouvelles, et fait tomber en pourriture celles qui déjà sont à moitié fanées.

Je revis mon oncle le dimanche. De tout temps il avait été pieux, mais l'âge l'avait incliné vers une exacte dévotion. Quelques instants avant le premier appel des cloches à la grand'messe, les grelots fêlés carillonnèrent sur la route au cou des rosses qui traînaient l'antique berline de la Gontrie. J'attendais ma mère à la grille du jardin, raide en mes beaux habits. Mon oncle me fit bonjour de la main, et Miariza, m'ayant aperçu, poussa des cris de joie. Ils imitaient ceux des oiseaux qu'affolait la lumière de cette matinée de printemps.

A la sortie de l'église, mon oncle, accompagné de Miariza, s'avança vers ma mère. Ils s'embrassèrent. Ma grand'mère, élevée dans les doctrines des philosophes de l'autre siècle, se moquait de Dieu comme du Diable et depuis longtemps n'allait plus à la messe, sous prétexte que sa goutte la tourmentait. Nous étions donc à l'aise pour nous parler. Mais mon oncle voulait avant tout exposer à ma mère son plus cher souci : il désirait que Miariza fût baptisée et communiât ; elle allait, supposait-il, avoir bientôt quinze ans, et il était grand temps que la vraie foi éclairât cette âme. Autour de nous, ahuris par Miariza et la présence de mon oncle dont le nom se murmurait de groupe en groupe, les habitants de Sérimonnes faisaient cercle. Ma mère dit :

— Voulez-vous que nous allions trouver M. le curé?

Il était dans la sacristie et quittait le surplis et la chape. C'était un bon gros homme de mine réjouie. Il chassait les loups des forêts et buvait le vin des vignes avec le même plaisir bruyant que traduisaient de grands éclats de rire. Au presbytère il était servi par une fort belle fille avec qui la rumeur publique le rendait coupable de fornication ; c'était bien possible ; en tout cas, je puis affirmer qu'il le faisait sans penser à mal. Mais, simple et d'une intelligence égale à celle des pasteurs de la montagne, il observait en ce qui touchait son ministère et les canons de l'église la plus scrupuleuse rigueur.

Quand il sut que mon oncle et ma mère venaient le prier de baptiser Miariza, il tourna les yeux vers le ciel et le trouble de son âme se peignit clairement sur son visage. Cette créature bizarre et jolie à la façon d'un démon femelle, qui lui souriait sans respect et jouait déjà avec le tissu doré de son étole, méritait-elle plus le baptême que les loups qu'il chassait ou que le chien qui gardait sa maison? N'était-ce point un sacrilège d'octroyer à une créature semblable le plus saint des sacrements? Et d'autre part ne risquait-il pas, en s'y refusant, de compromettre le salut d'une âme qui, à n'en juger que par les apparences, pouvait, après tout, être humaine. Ma mère, à moitié souriante, à moitié sérieuse, cita au bon curé l'exemple de saint Théodore le Nubien lequel, malgré sa peau noire comme la nuit et plus différente encore de la nôtre que celle de Miariza, n'en avait pas moins une grande gloire dans le Paradis, à la droite de Dieu. Mon oncle Barnabé et M. le curé hochaient la tête, l'un en signe d'approbation, l'autre sous l'effet d'une réflexion angoissante. Un enfant de chœur tapi dans un coin nous regardait bouche bée ; une guêpe bourdonnait ; le soleil qui traversait les vitraux de la sacristie était jaune, bleu et rouge sur le plâtre du mur.

Il y eut un silence ; après quoi M. le curé, très ému, nous demanda la permission d'aller méditer un instant au pied du maître-autel. Nous attendîmes. La décision de Dieu lui fut marquée comme onze heures sonnaient et il se hâta de venir nous en faire part. Il croyait pouvoir affirmer que Dieu accueillerait avec plaisir le baptême de Miariza. Celle-ci, qui avait déjà trouvé le temps long, s'était affublée des ornements sacerdotaux, malgré les supplications de mon oncle, et se promenait de long en large dans la sacristie en babillant de plaisir. Nous partîmes. Mon oncle avait promis au curé qu'il s'emploierait à la première éducation religieuse de la néophyte ; je le regardai : je ne me rappelle pas avoir vu quelque autre fois sur son visage l'expression d'une tendresse plus heureuse pour Miariza.

Mes visites à la Gontrie recommencèrent. Mon oncle se promenait lentement le long des allées, appuyé d'un côté au bras de son épouse et, de l'autre, sur sa canne. Il ne racontait plus d'histoires ; il parlait peu et, quand il lui arrivait de parler, ce qu'il disait était obscur le plus souvent ou manquait de suite ; il semblait alors que sa pensée s'échappait par un brusque détour à la poursuite de visions dont les reflets éclairaient un instant ses yeux ternis.

Mais, sur la fin de l'après-midi, il ne manquait jamais d'appeler Miariza et, assis sur un banc du parc, il lui exposait les principes de la foi chrétienne. Lilette et moi nous assistions curieusement à ces entretiens. Mon oncle usait du langage malais, en sorte que nous ne comprenions que des mots comme Dieu, communion, baptême, qui revenaient fréquemment dans son discours. Miariza faisait de son mieux pour les répéter et s'y essayait en penchant gentiment la tête à droite ou à gauche, comme font certains petits enfants quand ils s'appliquent à exprimer des images ou des idées nouvelles pour eux. Mais tout la distrayait, la vue d'une fleur, le chant d'un oiseau, ou les sifflements brusques des cétoines volant de rosiers en rosiers. Avec une patience et une fermeté que je juge aujourd'hui héroïques pour une âme brisée, mon oncle attendait que Miariza voulût bien de nouveau lui accorder son attention et reprenait alors son enseignement où il l'avait laissé.

Bientôt Miariza put gazouiller quelques mots de français. En tout cas Lilette, elle, et moi nous nous comprenions fort bien. Son grand plaisir, quand les jeux nous avaient lassés, était de revenir en notre compagnie sur ce que lui avait appris mon oncle. Elle l'écoutait avec intérêt, mais aussi avec méfiance. Il y avait depuis longtemps dans sa petite tête une idée du monde très arrêtée et qu'elle jugeait indiscutable. Et Miariza disait à peu près (car il me serait également difficile de reproduire par écrit le langage de Miariza et le parfum d'une fleur) :

— Voilà : il m'a dit des choses ; il sait beaucoup, mais il ne sait pas tout ; celui qui a fait la terre, l'eau, les arbres, et les hommes qui vivent sur le sol, et les autres bêtes de l'air et de l'eau, c'est le vieillard Aboua, qui habite un pays au bout de la mer. Quand il y a beaucoup de miel dans les ruches et de fruits aux branches, c'est qu'il est content ; quand les montagnes crachent du feu pour démolir la terre, c'est qu'il est irrité. Sa barbe lui descend jusqu'aux pieds, mais il vivra encore bien longtemps, et au moins jusqu'à ce que sa barbe soit deux fois plus longue. Lorsqu'on est mort, c'est qu'il nous a sorti le souffle du cœur ; alors les bons s'en vont aux bords de la rivière Oguilé, et ils ne font plus que rire, jouer aux dés, et se baigner toute la journée ; mais les mauvais hommes sont cousus dans des sacs avec des serpents et l'on enferme les mauvaises femmes avec les singes…

Je ne sais trop comment mon oncle s'y prit pour faire triompher le seul désir qui parût encore exister pour lui ; toujours est-il que M. le curé finit par juger la catéchumène digne des sacrements. Mais il eut grand'peine à lui faire subir une confession qui parut mériter ce nom et s'y reprit à trois fois avant de consentir d'une conscience à peu près tranquille à laisser aller les événements.

Le grand jour vint. Dès l'aube j'avais couru à la Gontrie. Sur le toit j'aperçus Miariza qui chassait les lézards. Cet exercice la charmait, car elle y pouvait employer son agilité et son audace. Les narines dilatées, les yeux luisants, elle restait en embuscade derrière une cheminée ; ses reins souples frémissaient comme ceux d'une chatte à l'affût, une de ses mains était levée. Les lézards que la nuit avait engourdis sentaient au fond de leur cachette la chaleur du jour et, bientôt, entre deux briques, apparaissait une fine tête écailleuse. Mon amie, haletante, la visait, et soudain laissait sa main s'abattre, puis, folle de joie, dansait le long des gouttières, tandis qu'entre ses doigts, au soleil, la bestiole éperdue frétillait.

On eut toutes les peines du monde à la faire descendre de là-haut ; mutine, elle faisait la nique à mon oncle, à ma tante, à moi-même ; mais la vue de la belle robe blanche, que mon oncle était allé chercher, la décida. Ma tante s'occupa de l'habiller. Miariza reparut ensuite, pleine d'orgueil. On ne put en aucune façon lui enlever un affreux collier de perles bleuâtres, parure d'une poupée de Lilette, qu'elle avait mis à son poignet fin en manière de bracelet.

Miariza reçut les noms de Marie-Agathe. Ma mère était marraine, mon oncle parrain. Ma grand'mère, naturellement, n'était pas venue avec nous, mais l'on sut qu'elle s'était dissimulée dans un coin de l'église, espérant sans doute que la sauvagesse ferait quelque esclandre. Ce qui l'aurait bien réjouie. Mais son attente devait être déçue ; l'appareil et la pompe du culte intimidaient Miariza, et dans cette humble église, qui dépassait en magnificences tout ce qu'elle avait pu imaginer, une sorte de terreur sacrée l'envahissait ; en outre, les sons de l'harmonium la plongeaient dans le ravissement : tous sentiments qui se traduisaient sur son visage par des signes qu'il était facile de prendre pour ceux du recueillement et de la piété. L'attitude de Miariza, durant les diverses cérémonies, fut donc véritablement édifiante. M. le Curé sentit s'évanouir les inquiétudes dont il n'avait point cessé d'être tourmenté. A ce propos, durant les vêpres, il improvisa sur la fin de son sermon un paragraphe ; la bonté de Dieu et l'excellence de la décision qu'il avait prise y furent louées également.

Il y eut un grand dîner à la Gontrie. Mon oncle avait invité ses amis d'autrefois. Ils vinrent. La vieillesse incline au pardon et le temps conduit l'oubli par la main. Les dames voulurent bien ne point se rappeler que jadis ma tante avait été danseuse. D'ailleurs, les aventures de Barnabé de la Gontrie et la personne de Miariza excitaient une vive curiosité. A partir de six heures, les hôtes arrivèrent des châteaux voisins. Les chevaux firent sonner leurs grelots à l'entrée du parc et les attelages s'alignèrent sur la route.

La douairière d'Houeilhacq parut la première. Mon oncle l'alla chercher jusqu'au bas du perron et lui offrit son bras, qu'elle prit avec une révérence solennelle. Elle avait une robe de satin puce à ramages et une mantille blanche sur ses cheveux poudrés. En face de ma tante elle s'assit tout doucement ; elle semblait craindre que le moindre mouvement ne la brisât ; elle parlait aussi peu que possible, approuvait le plus souvent par de lentes et menues inclinaisons de tête et, s'il lui arrivait d'ouvrir la bouche, elle fermait les yeux et joignait les mains. Puis, ce furent M. le Curé, le médecin et le tabellion qui, de compagnie, étaient venus à pied de Sérimonnes ; la poussière adoucissait l'implacable noirceur de leurs effets. Le vidame d'Oos et sa femme se donnaient le bras, lui haut en couleur et en taille, superbe encore, elle toujours jolie sous ses cheveux déjà grisonnants ; après vingt ans de mariage, ils semblaient aussi amoureux qu'au premier jour. Il n'est rien qui échappe si peu aux enfants que la tristesse des personnes qui leur sont chères ; durant le repas, je remarquai que ma tante, quand elle regardait les d'Oos, avait presque les larmes aux yeux.

A présent les domestiques annonçaient presque à chaque instant de nouveaux venus. Les beaux et rudes noms pyrénéens, en sonnant sur leurs lèvres, déchiraient le silence comme d'un coup de dague. C'étaient le marquis de Hount-Cabirac, le chevalier d'Aguesherrades, les Pechcorconat, les Castelcourrilh. La nuit arrivait à pas de velours. J'étais assis avec Lilette aux genoux de maman dont la douce main caressait tour à tour mes cheveux et ceux de ma petite amie. Je revois en mon esprit tous les invités ; les hommes plaisantent entre eux, les femmes causent presque à voix basse. La lune se lève et joue, timide encore, sur les tentures du vieux salon… Comme tous ces gens me paraissaient dès lors lointains et presque imaginaires dans la pénombre, comme ils ressemblaient à ceux que je faisais passer dans mes rêves perpétuels! — Où sont-ils à présent, tous ceux qui furent à la Gontrie ce soir-là? Hélas! petit Calixte Vidal, vous aviez déjà deviné que les personnages de vos rêves étaient en fin de compte aussi réels que tous les acteurs qui ont un rôle dans la comédie nuageuse et falote de la vie.

On savait que ma grand'mère, bien qu'invitée, ne viendrait pas. On n'attendait donc plus que M. Laubamont et M. de Parpelonne. L'alchimiste et l'ancien marin étaient fort liés. Ils ne pouvaient supporter l'un et l'autre que leur compagnie réciproque. Les discours des autres hommes ne les intéressaient pas. Il est vrai que ceux de M. Laubamont n'intéressaient pas M. de Parpelonne et que ceux de M. de Parpelonne n'intéressaient pas M. Laubamont. Mais il y avait entre eux une sorte de pacte. Ils racontaient en même temps, quand ils se trouvaient seuls, l'un ses expériences, l'autre ses voyages et, comme ils avaient fini par s'y accoutumer, ils s'aimaient très tendrement. Ils entrèrent ensemble. Un valet qui portait une torche les précédait.

Le dîner fut fort bon et les convives s'animèrent. M. Laubamont, à qui les vieux vins déliaient la langue, nous confia dès les entrées qu'il avait trouvé la pierre philosophale, mais que, terrifié par son pouvoir, il n'avait pas balancé à la jeter dans le Gave après avoir détruit tous les papiers où la marche de ses recherches était consignée. Pour l'instant il voulait produire des êtres vivants par le seul moyen de ses alambics et de ses cornues ; il ne désespérait pas, si le ciel le laissait en vie quelques années encore, de voir le jour où l'on créerait les hommes de cette façon : « Ce que je souhaite ardemment, ajouta-t-il, car ainsi l'amour, qui est le pire des maux, n'aura plus de raison d'être. »

Les dames poussèrent des cris d'indignation ; sans prendre la peine de leur répondre, M. Laubamont partit dans son histoire :

— J'étais récemment penché sur mes appareils depuis une nuit et un jour. La nuit revenait. Dans le fourneau, sous la grande bassine de cuivre, le feu grondait bruyamment. Quand je jugeai le moment venu, j'ouvris la bassine et je lançai de l'eau sur les éléments de vie sublimés qui s'y trouvaient enclos et qui sont le fer, le sel et la chaux vive ; j'y avais joint de la poussière, car il est dit dans les Écritures : « Tu n'es que poussière. » La vapeur sifflante rejaillit jusqu'au plafond, et la lampe renversée s'éteignit. Mais à la clarté diffuse de la lune, je vis s'élancer au-dessus du fourneau un être fantastique, assez semblable à un homme minuscule et ailé. Il voleta quelques secondes et tomba sur le sol. Je me précipitai vers lui, et il rendit le dernier soupir entre mes mains ; une émotion intense faisait battre mon cœur ; sous l'effet de cette émotion sans doute et de ma fatigue, qui était grande, je dus perdre connaissance et m'endormir subitement. A mon réveil, il faisait grand jour ; le feu s'éteignait dans le fourneau et, à mes côtés, sur le sol, je remarquai un petit tas de fer, de sel, de chaux vive et de poussière : les éléments un instant fondus s'étaient désunis tout de suite, à cause d'une maladresse encore inconnue que j'ai dû commettre pendant l'opération. Mais dès à présent je suis assuré du succès de mes expériences.

La plupart des convives secouèrent la tête, pour bien montrer leur incrédulité. Mais la douairière d'Houeilhacq fit un grand signe de croix, et le curé indigné dit que si, avec l'aide du Diable, on pouvait arriver à ce résultat, le seul fait d'être animé par un semblable dessein était une offense à Dieu, lequel avait une fois pour toutes créé les êtres au jardin de l'Éden et n'entendait point que les hommes eussent l'orgueil de l'imiter en cette œuvre. M. Laubamont répliqua vertement et la discussion allait s'échauffer. Mais les récits que M. de Parpelonne faisait de ses voyages vinrent heureusement détourner l'attention. De nouveau mon imagination se joua délicieusement parmi les paysages étrangers, au bord des mers qui reflétaient des cieux éclatants. Mon oncle avait jusque-là gardé le silence, mais les discours de l'ancien marin trouvèrent un écho dans son âme et, à son tour, il parla sur ce sujet avec abondance et passion. Ses yeux, à présent, étincelaient ; et, tout en discourant, il regardait Miariza qui, charmante en sa robe blanche, essayait parfois de comprendre ce que l'on disait et se consolait de n'y point toujours parvenir en donnant satisfaction à sa gourmandise.

Le dîner fini, les convives se dispersèrent dans les jardins. Barnabé de la Gontrie demeura, ainsi que Miariza, qui ne pouvait se résoudre à se séparer des meringues. Je dois dire que Lilette et moi nous nous en régalions aussi fort voluptueusement. Bientôt mon oncle fit signe à la petite sauvagesse de s'approcher et il lui parla en langage malais. Je m'en souviendrai toujours ; notre amie l'écoutait en croquant de ses dents pointues les pâtes légères et sucrées des meringues ; elle paraissait toute joyeuse ; elle frappait ses mains l'une contre l'autre, trépignait et finalement sauta au cou de mon oncle et lui fit mille caresses.

Puis M. Laubamont et M. de Parpelonne vinrent saluer celui-ci, qui les embrassa fervemment, et comme s'il eût dû ne plus les revoir jamais. Ils partirent et Lilette suivit son père. Nos hôtes, que mon oncle était allé retrouver, conversaient sur le perron. Alors, Miariza me prit par la main et m'entraîna dans une allée obscure du parc ; au pied d'un arbre, elle s'agenouilla, gratta le sol ; bientôt une petite boîte apparut. Miariza me fit comprendre que des merveilles y étaient enfermées. Je ne bougeais pas et ne soufflais mot : cela ressemblait à un conte de fées ; mais ma stupéfaction devait être toute négative : il n'y avait dans la boîte que les objets les plus futiles et les plus vulgaires : des clous, des débris de glaces, des morceaux de fer blanc, une cuiller à café et quelques sous neufs. Miariza semblait pourtant attribuer à tous ces riens une grande valeur. Un à un, elle les fit disparaître dans sa poche et gazouilla :

— Miariza emporte jolies choses… Miariza part bien loin, sur l'eau, avec Barnabé.

Je compris. Je sentis ma tête très lourde sur mes épaules et volontiers j'aurais cru que tout mon cœur se déchirait. Miariza vit luire des larmes dans mes yeux. Elle m'entoura de ses bras et me couvrit de baisers. Elle me fit entendre qu'il fallait me taire. Elle n'aurait pas eu besoin de me le dire ; même alors, je comprenais qu'il ne pouvait pas en être autrement… Il le fallait, il le fallait… Et je répétais sans fin ces mots en moi-même, tandis que les baisers de Miariza glissaient sur mon visage et que je respirais pour la dernière fois son léger parfum de vanille et de thé.

Quand le moment fut venu de rentrer à Sérimonnes, j'embrassai mon oncle tout simplement, mais sans l'oser regarder en face, de peur d'éclater en sanglots. La voiture fila au grand trot dans la nuit. Il me semblait qu'un rêve finissait, que deux ombres, l'une accablée et triste, l'autre souple et joyeuse, s'évanouissaient au milieu d'immenses brouillards… Bientôt, brisé par l'émotion, je m'endormis dans la voiture si profondément que maman m'emporta, me déshabilla et me mit au lit sans me réveiller.

Le lendemain, à la Gontrie, ce fut en vain qu'on chercha mon oncle et Miariza. Leurs lits n'étaient pas défaits, et tout le monde savait à quoi s'en tenir avant même d'oser renoncer aux recherches. Barnabé de la Gontrie, ayant trouvé qu'il était trop tard pour jouir du bonheur réel qu'il avait refusé jadis, préférait terminer sa vie à la poursuite désenchantée d'un bonheur imaginaire.

Chargement de la publicité...