L'amour fessé
PRÉFACE
Voici, Lecteur, un récit assez baroque pour être vrai ou possible (ce qui est tout un). D'ailleurs, je te le donne comme copié sur les mémoires d'un mien parent, et quelles raisons aurais-tu de suspecter sa bonne foi ou la mienne? Le titre seul est de mon invention.
Ce n'est pas que j'en sois très fier, surtout après ce que je vais t'apprendre. Ayant lu les papiers laissés par M. Calixte-Léonce Vidal (de la Gontrie), j'eus peine, durant de longs jours, à écarter de ma pensée les événements qu'il y relatait, et, lorsque j'en conversais avec moi-même, je les contenais sous l'appellation de l'Amour fessé, n'en trouvant point qui me parût plus convenable. Je dis convenable au sens tout nu du mot, car on m'a, depuis lors, averti que ce titre était l'inconvenance même.
Bien résolu à ne le point modifier, pour quantité de raisons dont la plupart, d'ailleurs, m'échappent, j'ai songé quelque temps à le remplacer sur la couverture du livre par un avertissement comme : Le titre ne peut être exposé aux yeux de tous ; voir à l'intérieur. — Mais j'ai renoncé à ce projet, pour m'épargner le désagrément de ressentir une sourde colère toutes les fois qu'on m'aurait accusé à tort de vouloir me singulariser.
Comme il eût été préférable que M. Calixte Vidal m'épargnât ces ennuis! Il faut dire à son excuse qu'il ne se doutait guère qu'on publierait jamais ses mémoires ; le pauvre homme n'eut même pas la consolation de penser que des infortunes qui le touchaient de près et les siennes propres seraient tout au moins profitables à quelques personnes, en les distrayant. Moi, Lecteur, ayant découvert par hasard ces récits sous un linceul de poussière, je les rends au jour pour l'amour de toi. Je ne doute point que tu ne bénisses bientôt le hasard qui les fit retrouver et, par la même occasion, celui qui en fut l'instrument.
Ce livre t'apprendra surtout
Des personnes d'esprit morose et de médiocre jugement estimeront sans doute qu'il était inutile de mettre encore une fois en lumière une vérité d'autant plus indiscutable que les chansons des carrefours en font leur thème favori. Je répondrai simplement ceci : la vérité, qui passe pour être seule aimable, passe aussi pour être éternelle. Et toi, Lecteur, qui es assez subtil pour comprendre que les vérités éternelles ont existé de tout temps, tu m'excuseras de n'avoir pas songé à en chercher de plus nouvelles pour te les offrir.
Enfin, sois bien persuadé qu'à la différence de tant d'autres auteurs ou éditeurs je n'ai pas écrit cette préface pour excuser tant bien que mal la médiocrité du cadeau que je te fais. On t'a offert tant de livres riches, hélas! des seuls trésors du prince Eole, que tu ne perds plus ton temps à en peser aucun. Ce n'est pas moi qui aurai le cœur de te le reprocher ; mais cela m'engage à te dire que celui-ci est admirable, que je te souhaite de le croire et que, pour ma part, il y a beau temps que j'en suis sûr.
D.