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L'Empire Japonais et sa vie économique

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CHAPITRE XVIII

I. Le Japon politique et son avenir. — II. Le Japon commercial et industriel et son avenir.

I. — Le Japon, à force de travail et d’efforts, s’est assimilé, à haute dose, la civilisation occidentale. Il a surtout compris et adopté, en première ligne, le mécanisme militaire parce que son tempérament, son atavisme, son éducation l’y portaient, et il est devenu le facteur principal de la paix ou de la guerre dans l’Extrême-Orient.

Il a pris pied sur le continent. Y restera-t-il ? Il cherche, évidemment, la domination de l’Asie orientale, et c’est dans ce but qu’il augmente sa force militaire. Ne vient-il pas de mettre encore quelques cuirassés en chantier ? Et son service de renseignements n’est-il pas étendu sur toute l’Asie, d’une façon merveilleuse, depuis l’Inde jusqu’à la Mongolie ? J’ai vu des Japonais au Tonkin, sur les frontières du Kouang-si, au Yunnan, en Birmanie ; j’en ai rencontré à Bhamo, qui allaient rejoindre des compatriotes venus à Yong Tchang fou par le Siam et les pays Thai. Toutes les routes de l’Asie leur sont connues aussi bien que leur propre pays[15].

[15] « Le Japon poursuit inlassablement le but qu’il s’est fixé : devenir une grande puissance continentale, la plus grande de l’Asie. Il a pris pied sur le continent et goût à l’aventure.

« Écoutez ce que disait, à la tribune du parlement, le ministre de la Guerre général Teraoutchi, au mois de mars 1908 : « Je suis profondément convaincu qu’un conflit entre de grandes puissances aura lieu, non en Europe, mais à l’Est de l’Inde et à l’Ouest et au Nord du Japon. Conviendra-t-il au peuple japonais de rester spectateur impuissant en présence de pareille éventualité ? »

« … Le Ministre ajoutait : « En ce qui concerne les troupes d’occupation de Mandchourie, j’affirme que nous renfermer dans nos limites actuelles, serait l’équivalent pour nous d’une évacuation ? »

« De là à transporter et à entretenir sur le continent une bonne partie de son armée, il n’y a pas loin.

« Certes, en ce moment, Russes, Français, Anglais sont les amis du Japon ; qui ne l’est, du reste ?

« Mais que valent promesses et traités ? Que l’on se rappelle le début de la dernière guerre ; que l’on n’oublie pas surtout avec quelle désinvolture l’Autriche a violé le traité de Berlin… La force apparaît plus que jamais comme l’exacte définition du droit ; et cela ne va pas sans quelque ironie dans ce temps de conférences, d’arbitrage et de fraternité internationale. Apôtres de la paix et propagandistes du désarmement, vous êtes des moutons et vous serez mangés. Jamais le vieil axiome ne fut plus vrai : Si vis pacem, para bellum.

« Le Japon, lui, veut la guerre, et il la prépare. » (France militaire, 25 avril 1909.)

Mais, peut-être, la situation insulaire du Japon l’empêchera-t-elle de mener à bien ses plans grandioses. L’histoire est là pour nous montrer qu’il est impossible, à un peuple insulaire, de se maintenir sur le continent contre un ennemi résolu à l’en empêcher, et les Anglais, qui ont foulé si longtemps le sol de la France, ont fini par en être chassés. La Chine, quand elle sera réveillée (et elle commence à ouvrir les yeux), finira, elle aussi, par rejeter les Japonais à la mer.

Le Gouvernement japonais aura-t-il toujours les mains libres, et ne sera-t-il pas arrêté, d’abord, par des agitations intérieures, telles que la grève et le socialisme, ensuite, par les puissances européennes et américaines qui ont des intérêts et entendent avoir voix au chapitre dans les questions d’Asie !

Le socialisme, il est vrai, n’est pas encore très développé dans l’Empire japonais ; cependant il existe, le fait est indéniable, à tel point que les commandants de corps d’armée sont obligés de prendre des mesures pour empêcher la distribution de brochures socialistes et antimilitaristes dans les casernes. Les ouvriers deviennent de plus en plus nombreux et leur sort n’est pas toujours enviable ; tout n’est pas pour le mieux dans le monde ouvrier japonais ; vienne un meneur sérieux, un chef qui saura utiliser les mécontentements et, du coup, le parti socialiste, encore dans le chaos, sera constitué fortement.

L’année 1907, d’ailleurs, a été traversée par de nombreuses grèves ; quelques-unes ont été à ce point sérieuses qu’elles ont nécessité la présence de la troupe pour rétablir l’ordre.

Dans ces conflits entre le capital et le travail, le capital est sorti victorieux dans presque tous les cas ; et les ouvriers, sans organisation et sans argent, ont été obligés de se soumettre ; mais ceci n’est qu’un début, et prouve, en tout cas, que le Japon n’est pas, plus qu’un autre pays, à l’abri des idées novatrices.

En dehors des difficultés intérieures, le Japon en rencontrera sans doute d’autres dans le choc de ses intérêts contre ceux des puissances colonisatrices, et la Grande-Bretagne, la première, malgré le traité d’alliance qui la lie au Japon, sera, peut-être, mise dans le cas de s’opposer à la trop grande ambition de son vigoureux et énergique allié.

Des complications se sont déjà élevées et peuvent encore s’élever, plus graves cette fois, entre le Japon et les États-Unis et l’Angleterre par suite de l’immigration ininterrompue des Japonais au Canada[16], en Australie et en Californie, où ils constituent des communautés fortes et remuantes.

[16] Consulter à ce sujet : Dr A. Loir, Canada et Canadiens (ch. XVI. L’invasion jaune). Librairie Orientale et américaine. E. Guilmoto, éditeur.

II. — Si, laissant de côté les possibilités politiques, nous examinons l’avenir commercial, y trouvons-nous des chances d’augmenter les échanges et de voir monter le chiffre d’affaires ? Je ne le pense pas. Le Japon n’a, à vendre à l’étranger, que la soie prise tout entière par la France, les États-Unis et l’Italie ; le thé, absorbé uniquement par les États-Unis ; du cuivre, un peu de riz et des bibelots ; il n’achète que le coton brut, quelques lainages et surtout des métaux et fournitures diverses pour son armée et sa marine.

Les objets imités de la fabrication européenne, qu’il livre à la Chine, à l’Indo-Chine et aux Indes, ne peuvent convenir à l’Europe et à l’Amérique. Il ne peut donc être un client sérieux et il est un concurrent en Asie.

Pour nous, Français, nous ne pouvons guère espérer un développement de nos relations commerciales avec le Japon. Nos mousselines de laine, achetées autrefois en grande quantité, sont aujourd’hui imitées en Allemagne et en Suisse, et vendues meilleur marché par ces deux pays ; de plus, elles commencent à être imitées au Japon même ; le vin, un de nos principaux articles, n’est pas apprécié par les indigènes, et ce que nous en vendons (de 300 à 350.000 francs), est insignifiant. Quant à la métallurgie, il nous est impossible de la fournir ; car nous fabriquons et nous vendons plus cher que l’Angleterre, l’Allemagne, la Belgique et les États-Unis qui sont les fournisseurs actuels du Japon.

Le Japon développera naturellement de plus en plus son industrie, et il deviendra, de plus en plus, le fournisseur des marchés d’Asie, notamment du marché de Chine où il faut de la marchandise pas chère ; il sera, par contre, de moins en moins un bon client pour l’Europe et l’Amérique. « Les affaires y deviennent de plus en plus mauvaises et difficiles », m’écrivait encore, il y a quelque temps, un de nos compatriotes qui connaît bien le pays où il est établi depuis quarante ans.

Certes, le Japon ne manque pas de qualités : le courage, la patience, la persévérance ; ce qu’il a accompli dans un laps de temps très court, est certainement remarquable, pas toutefois si remarquable qu’on le croit généralement, si l’on veut bien considérer qu’il avait tout à sa disposition, qu’il n’avait qu’à prendre, et que l’Europe et l’Amérique l’ont aidé de toutes leurs forces et de toutes les manières. Il n’a pas eu à chercher ; tout était trouvé par les autres, et il n’a eu qu’à imiter et à adapter[17] ; mais ce dont il doit être loué, c’est d’avoir mis à sa transformation une volonté robuste, un savoir-faire et une application extraordinaires. En considérant sa grande facilité d’imitation et d’adaptation, sa mémoire précieuse, le soin méticuleux qu’il met dans tout ce qu’il entreprend, on ne peut que louer le Japon des efforts qu’il déploie pour se hausser à un degré d’humanité supérieure ; ce qu’il a fait mérite, certes, d’être remarqué comme il convient ; mais, évidemment, il lui manque encore beaucoup pour arriver au niveau de l’Europe. Seule, une élite a réussi à se transformer, plus ou moins complètement, et à s’occidentaliser ; mais la masse de sa population n’a pas bougé, et quand le voyageur quitte les quelques ports ou cités où l’étranger réside, pour se rendre dans l’intérieur, il trouve encore le Japonais tel qu’il était il y a cinquante ans.

[17] Or, si l’on veut bien y réfléchir, il est évident qu’il n’y a rien de bien difficile à imiter la civilisation matérielle de l’Occident. C’est une affaire de patience et de méthode.

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