L'Empire Japonais et sa vie économique
CHAPITRE VII
I. Tokio capitale. — II. Localités à visiter. — III. Environs de Tokio. — IV. Le Fuji yama. — V. Sendai et les villes du Nord. — VI. Nagoya, Kioto, Nara. — VII. Osaka et les villes du Sud.
I. — La capitale du Japon, Tokio, est située au Nord de la baie d’Yedo ; elle occupe une circonférence de quarante-trois kilomètres, et elle est arrosée par le Sumida ou Ogawa qui coule à travers la ville, la divisant en deux parties : la ville proprement dite, et les faubourgs de Honjo et de Fukagawa. C’est plutôt une agglomération de villages autour du château qu’une véritable ville, quoique, à l’époque moderne, elle se soit de plus en plus centralisée. Le château occupe une situation élevée du côté Ouest du centre de la ville ; il est enclos de doubles murailles et entouré d’un large fossé. C’était là qu’habitait le Shôgun ou lieutenant général. Le feu, le 3 avril 1872, a tout détruit, et ce n’est qu’en janvier 1889 qu’un nouveau palais y fut élevé pour le Mikado qui y réside depuis lors. Les jardins impériaux, appelés Fukiage, sont situés dans l’enceinte du château. On est admis à les visiter en demandant l’autorisation au ministère de la maison impériale. A l’extérieur, on peut admirer les tours à plusieurs étages, quadrangulaires et à toits de forme chinoise, qui ont été laissées, à juste titre, au-dessus des portes d’entrée du château.
Entre le château et les murs d’enceinte de la ville propre, un immense espace était occupé par les nombreux palais des Daïmios ; mais presque toutes ces constructions féodales ont cédé la place à de hideux bâtiments de briques construits par des architectes européens et qui servent de ministères, de casernes, d’écoles très diverses, etc… de sorte qu’on a peine à avoir une idée de ce qu’était le vieux Yedo au temps du Shôgunat. Il reste pourtant quelques-uns des anciens bâtiments qui ont été convertis en bureaux du gouvernement ; ce sont des constructions de bois, très longues, à un seul étage, avec une couverture en tuiles grises très lourdes, et peintes en noir, ce qui leur donne un aspect lugubre.
En dehors des murs de la ville, est éparpillée la cité populaire, très dense, et où se fait tout le commerce ; la rue principale est de construction européenne, en briques, nommée Ginza, elle est continuée par la rue qui mène au pont du Japon ou Nihon bashi, d’où sont mesurées les distances de l’Empire. Ces rues sont très animées, d’autant plus que Ginza se trouve précisément en face de la station du chemin de fer de Shimbashi.
Ces deux rues conduisent jusqu’au parc d’Uyéno où est installé le musée impérial, et où se tiennent les expositions nationales et de peinture.
II. — Parmi les endroits intéressants pour les étrangers, on peut citer le grand temple de Kowannon à Asakusa, non loin d’Uyeno, et les temples de Shiba dont j’ai déjà parlé plus haut. Il y a, en tout, près de deux mille temples à Tokio, mais peu méritent la peine d’être visités. L’un des plus fréquentés est le temple de Sengakuji, à Shinagawa, où se trouvent les tombeaux des fameux quarante-sept rônins.
Les districts de Honjo et Fukagawa sont les côtés calmes et tranquilles de la capitale ; ils sont reliés à la ville propre par cinq ponts : Adzuma Bashi, Umaya Bashi, Riogoku Bashi, O Hashi, et Eitai Bashi (Hashi, par euphonie Bashi : Pont).
Tokio est en pleine transformation, et l’on peut voir, à côté de maisons européennes, élevées par des nobles ou de riches bourgeois, les maisons en bois du peuple. L’éclairage à l’électricité a été installé dans les plus beaux quartiers ; les autres étant éclairés soit au gaz, soit à l’huile de pétrole. Des tramways électriques, des omnibus circulent partout ; mais le caractère général de la ville est bien triste et sombre, malgré les bouquets de verdure qui sortent par-dessus les petits toits.
III. — Ce qu’il y a de joli ce n’est pas Tokio, ce sont les environs : Meguro, Ikegami, Kawasaki, Kanazawa, sur le bord de la mer, l’un des plus ravissants endroits du Japon, d’où l’on a huit points de vue charmants connus sous le nom de Kanazawa hakkei, les huit vues de Kanazawa.
Kamakura, également sur le bord de la mer, aujourd’hui simple bourgade, autrefois capitale du Shôgun Yoritomo (1185), possède encore quelques vestiges de sa splendeur ancienne, notamment le temple de Hachiman, et le grand Bouddha en bronze dans la tête duquel peut tenir un homme de la taille de deux mètres.
Enoshima, île sacrée, ressemble assez au Mont Saint-Michel en France, avec ses temples, ses grottes, ses caves ; lieu de pèlerinage d’été, où les Européens vont souvent passer quelques jours de repos et respirer l’air marin et l’odeur des sapins.
Yokosuka, charmante petite ville, d’un côté sur la mer, de l’autre adossée à des collines verdoyantes ; c’est là que les Japonais ont créé, avec l’aide d’ingénieurs français, leur premier arsenal maritime. Aujourd’hui c’est un des principaux arsenaux, et l’activité y est prodigieuse ; on y répare et on y construit même des bateaux de guerre, et on aurait peine à croire, en voyant les environs si riants et la mer si calme, qu’il se cache là, au fond du golfe, une fabrique de destruction.
Hakone. — Cet endroit, situé au milieu des montagnes, assis sur un lac aux eaux très fraîches, est l’une des stations d’été fréquentées par beaucoup d’Européens de Tokio et de Yokohama. On va d’abord par le chemin de fer jusqu’à Kôdzu, et de là un tramway antique, traîné par un cheval vous laisse au pied de la colline de Miyanoshita.
Cette dernière bourgade est également fréquentée, et il y existe un bel hôtel européen pourvu de tout le confort désirable ; de là on se dirige sur Yumoto où se trouvent des sources sulfureuses, et de ce dernier endroit on parvient à Hakone. Cette petite ville était autrefois la clef du Kwantô (possessions directes du Shôgun), et les passes occidentales de Hakone, donnant sur le chemin de Kioto, étaient gardées sévèrement. Nul ne les franchissait sans passeport. Hakone est l’un des plus charmants endroits qu’un voyageur, qui n’a pas le temps d’aller loin dans l’intérieur, puisse visiter. La nature y est admirable ; de grands cryptomérias ombragent les bords du lac, où l’Empereur possède un palais d’été, et la flore de ces régions est délicieuse.
Atami (la mer chaude), que l’on atteint en franchissant les montagnes de Hakone vers la mer, est un séjour où les Japonais vont jouir du calme et du repos. Des sources d’eaux chaudes intermittentes s’y trouvent et sont assaillies de nombreux baigneurs.
IV. — L’une des plus belles excursions peu éloignées de Tokio est celle du Fuji yama, auquel on arrive en franchissant, au-dessus de Hakone, le col de l’Otomitoge. L’ascension de la montagne n’a rien de bien pénible et il est assez original de la faire au mois d’août, au milieu de tous les pèlerins japonais. On a, du sommet de l’ancien volcan, une vue superbe, mais généralement, par suite des nuages, on ne voit rien du tout. A cette époque de l’année, l’humidité de l’atmosphère au Japon est telle, qu’il est très rare d’avoir un ciel parfaitement clair.
Nikko. — A proprement parler, Nikko n’est pas une ville ; c’est un ensemble de temples et de tombeaux dans un cadre de montagnes et de torrents absolument admirable ; autour de ces temples s’était formé un petit village qui, à la suite de la venue des Européens, s’agrandit et vit s’élever des maisons et des hôtels. C’est là, en effet, que les résidents étrangers prirent peu à peu l’habitude d’aller passer l’été, et aujourd’hui de confortables hôtels à la mode d’Europe se sont installés. Toutes les maisons et les rues sont éclairées à l’électricité, et, il faut bien l’avouer, cet envahissement de l’Occident a fait perdre à Nikko la plus grande partie de son charme.
Quoi qu’il en soit, l’étranger ne manquera pas de s’y rendre et d’y visiter les tombeaux et temples de Iyeyasu et de Iyemitsu, les cascades de Kirifuri et d’Urami, les belles montagnes et le lac de Chusen ji. Cela constitue un ensemble remarquable, et c’est si vrai que les Japonais en ont fait un proverbe : Nikko mi na kereba kekko to yu na ; si vous n’avez pas vu Nikko ne dites pas le mot « merveilleux ». En dehors de Nikko, et dans le même massif de montagnes, on peut excursionner, à Ikao, Ashio, à l’Asama yama, volcan encore en activité, et qui vomit constamment de la fumée, mais dont on peut faire facilement l’ascension.
V. — Sendai. — Cette ville n’a rien de particulièrement intéressant, et si on la cite, c’est qu’il faut s’y rendre pour visiter la baie de Matsushima, qui est considérée comme une des merveilles du Japon. C’est une nuée d’îles vertes et couvertes de sapins, semées dans une baie bien ouverte ; des ponts en bois fort élégants relient parfois deux îles entre elles ; des maisons de thé sont édifiées dans les sites les plus appréciés des Japonais, et l’œil est dans le ravissement devant ces merveilles de la nature embellies encore par la finesse du goût japonais.
Niigata. — Ville morte ; quoique l’un des premiers ports ouverts aux Européens. Ces derniers n’y sont jamais allés, d’ailleurs, le port étant très mauvais et les bateaux étant obligés de mouiller très loin au large. La côte est d’ailleurs fort inhospitalière, surtout pendant la mousson de nord-est.
Hakodate. — Encore un des ports ouverts autrefois aux étrangers, c’est la première ville élevée par les Japonais dans l’île de Yezo. Elle a aujourd’hui environ 60.000 habitants mais n’offre rien de remarquable.
VI. — Nagoya. — Elle vient, pour les Japonais, immédiatement après les trois shi (Tokio, Kioto, Osaka). Elle n’est pas sur le bord de la mer, mais on y arrive soit en débarquant au port d’Atsuta no miya, véritable faubourg de la ville, à laquelle on parvient sans quitter l’alignement des maisons, soit en prenant le chemin de fer de Tokio qui y conduit en douze heures. C’est l’une des villes commerçantes et industrielles du Japon ; elle conserve aussi, dans son enceinte, le plus beau des châteaux féodaux de l’ancien temps, construit en 1615 par le célèbre Kato Kiomasa, et où se trouve logé aujourd’hui l’état-major de la troisième division d’infanterie. En dehors du château, il y a quelques temples remarquables : Asahi jimmei sha ; Sakura Temmangui ; Da Shu Kwan on ; Chô fukuji.
Kioto. — Bien que n’atteignant pas le chiffre d’habitants que possèdent Tokio et Osaka, Kioto est la ville la plus célèbre du Japon au point de vue historique. Son nom veut dire « la capitale » car elle a été, pendant plus de mille ans, la résidence des Empereurs. Kioto est élevée de 162 pieds au-dessus du niveau de la mer, et elle est située près du centre de la province de Yamashiro à l’extrémité Nord d’une plaine fertile qui rejoint, du côté Sud, la grande plaine de la baie d’Osaka. De trois côtés elle est entourée de collines couvertes d’arbres. La plus haute, du côté Ouest, est l’Atago ; au Nord, le Kuruma, et, au Nord-Est, le Hieizan ; vers l’Est, de plus petites collines la séparent du lac Biwa, et c’est, sur ces collines, que l’on trouve les sites et les temples les plus remarquables. Des collines du Nord coulent trois ruisseaux qui, en se réunissant, forment le Kamogawa, petite rivière qui arrose la partie orientale de la ville. Le plus souvent, d’ailleurs, le Kamogawa n’arrose rien, son lit étant à sec, et n’offrant à la vue qu’une plaine de sable et de cailloux, avec, çà et là, quelques trous pleins d’eau. Mais, pendant les pluies d’été, le Kamogawa roule des flots souvent trop forts et qui sèment la destruction en débordant dans la ville et la campagne. Un ancien Empereur avait l’habitude de dire : « Il y a trois choses dont je n’ai pas encore trouvé moyen de me rendre maître : jeter les dés, contenir les moines turbulents de Hieizan et régulariser le Kamogawa. » Deux canaux, communiquant avec le Kamogawa, arrosent les autres parties de la ville. Elle est divisée en deux circonscriptions administratives : Kami Kiô Ku ou ville haute (partie Nord), et Shimô Kiô Ku ou ville basse (partie Sud).
La population a bien diminué, et elle est loin d’être ce qu’elle était aux temps féodaux, et surtout à l’époque du moyen âge, alors que la Cour y habitait. La fondation de Yedo au XVIe siècle, et l’autorité ascendante des Shôgun, avait déjà porté un coup à Kioto, et, en 1868, lorsque l’Empereur fixa à Yedo (Tokio) sa résidence, il entraîna avec lui une grande partie de la population. Actuellement Kioto peut avoir 300.000 habitants.
Le climat y est sain, généralement doux, mais, cependant, un peu chaud l’été. La température moyenne est d’environ 14° centigrades ; la maxima étant 36° et la minima 11°. Le mois le plus chaud est août, et le mois le plus froid janvier. L’air y est assez humide, 77 pour 100 ; la pluie y tombe en abondance en juillet et août.
Ce n’est qu’en 794 que Kioto devint capitale permanente et résidence des Empereurs, ceux-ci, avant cette époque, n’habitant jamais la même ville que leurs prédécesseurs.
En 1868, quand Tokio (Yedo) devint la capitale de l’Empire restauré, Kioto fut administrée par un préfet (fu). Puis, en 1888, conformément à la nouvelle loi d’administration municipale, Kioto fut, comme Tokio et Osaka, administrée par une municipalité avec un maire, un adjoint et neuf conseillers, ou sous-adjoints. Le conseil municipal comprend quarante-deux membres.
Aujourd’hui Kioto a perdu de sa grandeur ; mais elle reste toujours la ville sacrée, l’antique résidence des Empereurs, fils du Soleil Levant, et elle est intéressante au point de vue artistique.
Les habitants de Kioto ne diffèrent pas essentiellement de ceux des autres parties du Japon ; cependant les modes y sont plus élégantes, la coiffure des femmes plus originale et plus gracieuse, les manières et les mœurs plus douces et la langue moins rude. Pour un amateur de civilisation japonaise et d’études artistiques, Kioto est le séjour préféré et l’on est tenté, quand on s’y trouve depuis quelque temps, de ne la quitter jamais.
En dehors des temples, dont j’ai déjà donné plus haut l’énumération, il faut visiter le palais impérial (Nishi maru).
Dans les environs, deux endroits sont très célèbres : Nara, ses parcs et son grand Bouddha ; et les rapides d’Arashiyama.
VII. — Osaka est la première ville du Japon moderne au point de vue industriel et commercial ; mais elle est totalement japonaise, les Européens résidant généralement à Kobé. La ville est bien construite, les rues en sont droites, propres et très animées. C’est une ville de progrès ardent, de go ahead américain, et elle est d’un intérêt considérable pour le visiteur étranger. Elle est située dans la province de Setsu, et élevée sur les rives de l’Ajikawa à 10 kilomètres environ de la mer. La rivière n’est navigable que pour de petits bâtiments. Le monument le plus intéressant, relique des anciens âges, est le château construit par Toyotomi Hideyoshi. En voyant le cube des pierres entassées les unes sur les autres, on se demande comment, au XVIe siècle, dans ce pays qui ne connaissait que la force humaine, on a pu élever pareille forteresse. La Monnaie impériale est installée à Osaka et c’est là que toutes les pièces d’or, d’argent et de cuivre sont frappées. Le papier-monnaie est fabriqué à Tokio. Osaka est surtout intéressant au point de vue commercial, et je reviendrai sur cette ville dans le chapitre concernant le commerce et l’industrie du Japon.
Kobé, Yokohama, Nagasaki. — Ces trois villes n’ont pas un type japonais qui retienne l’attention. J’ai, d’ailleurs, eu occasion d’en parler à propos de la navigation.
Hiroshima est, dans la mer intérieure, sur la rivière et à l’embouchure de l’Otagawa. Sa situation même, au fond d’une baie, en face d’innombrables îles, dont l’une, Itsukushima, est très célèbre, en fait une ville intéressante et agréable à visiter. Elle est célèbre par la présence, pendant les deux guerres que le Japon a soutenues en Mandchourie, du grand état-major japonais, qui les deux fois, y fixa sa résidence, l’Empereur s’y étant transporté lui-même et y exerçant (pro forma) le commandement suprême.
Kumamoto, dans la province de Higo, île de Kiushiu, possède un ancien château fort, célèbre par la victoire du général Tani sur les troupes révoltées de Saigo en 1877.
Kagoshima, située dans l’île de Kiushiu, à l’extrémité méridionale de la province de Satsuma ; peu d’étrangers vont la visiter, car elle se trouve fort loin du centre vivant du Nippon, constitué par Tokio, Kioto, Osaka. Cependant elle est intéressante et le volcan de Sakurajima, qui s’élève en face dans l’île du même nom, mérite une ascension.
En somme, dans toutes ces villes japonaises, il ne faut s’attendre à voir aucun monument, à part les temples ; on ne va pas visiter une ville japonaise comme on va visiter une ville d’Europe ou d’Amérique ; quand on connaît Kioto on a tout vu en fait d’architecture et d’art japonais. Ce qu’il faut admirer ailleurs, c’est la diversité des sites et des beautés naturelles.