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L'Empire Japonais et sa vie économique

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CHAPITRE VI

I. Voies terrestres et maritimes pour se rendre au Japon. — Le chemin de fer sibérien ; les compagnies de navigation qui font le service. — II. Prix des passages. Les côtes japonaises. — III. La mer intérieure jusqu’à Kobé ; de Kobé à Yokohama. — IV. Route d’Amérique et compagnies faisant le service du Pacifique. — V. Aspect triste des villes japonaises pour celui qui débarque.

I. — Pour se rendre au Japon, à l’heure actuelle, le voyageur n’a que l’embarras du choix. Très éloigné d’Europe à des époques qui ne sont pas encore bien lointaines, et où il fallait quarante-cinq jours bien comptés de Marseille à Yokohama, le pays du Soleil Levant, grâce à la voie de terre à travers les steppes de Sibérie, n’est plus qu’à vingt jours de Paris. Voici quelles sont, avec le transsibérien, voie terrestre, les routes maritimes pour se rendre dans les ports japonais :

Voie de Sibérie. — Tous les deux jours un train part de Moscou, par Perm, Ekaterinburg et Tioumen. Cette dernière ville était le dernier point d’arrêt des chemins de fer russes vers l’Asie lorsque le gouvernement russe entreprit l’immense travail de pousser le rail jusqu’à Wladiwostok. De Tioumen, la voie file sur Omsk, Krasnoyarsk et Irkoutsk d’où elle repart, en contournant le Baïkal, sur Tchita, Nertchinsk pour pénétrer en Mandchourie et se diriger sur Kharbine. De ce dernier point, partent deux voies : l’une sur Port-Arthur[9] ; l’autre sur Wladiwostok, point extrême de la voie russe. De ce port un service de bateaux gagne le Japon. Mais le trajet est un peu plus long ; le plus rapide est de quitter le train russe à Kharbine et de se diriger sur Dalny (Talienwan, Tairen), d’où le bateau transporte le voyageur jusqu’à Nagasaki. Les wagons russes sont excessivement confortables, et il est évident qu’ils ne laissent rien à désirer au point de vue du bien-être ; seule la vitesse pourrait être augmentée, mais il faut se dire qu’il n’existe qu’une voie, d’abord, ce qui retarde nécessairement la marche des trains, et, qu’ensuite, la voie est encore toute nouvelle, qu’elle a été construite rapidement et d’une façon hâtive sur certains points par suite des nécessités de la dernière guerre et que, par conséquent, elle n’est pas encore stable partout. Le temps remédiera à ces petits défauts, et, lorsque la deuxième voie sera exécutée, on pourra aller par train rapide en dix jours de Paris à Péking.

[9] Le Sud de cette ligne est aujourd’hui aux mains des Japonais.

Le prix du voyage, actuellement, se rapproche du prix du passage par mer ; il faut compter 2.000 francs pour voyager en première classe de Paris à Nagasaki.

Route de Marseille par l’Océan Indien :

De Marseille partent plusieurs lignes : d’abord les Messageries Maritimes, dont les bateaux quittent le port les dimanches pour Port-Saïd, Suez, Aden (une fois sur deux), Djibouti (une fois sur deux), Colombo, Singapour, Saïgon, Hong-Kong, Shanghaï, Yokohama. Cette Compagnie possédait autrefois une flotte fort belle et des bateaux très confortables et très proprement tenus.

Les étrangers, notamment les Anglais, y venaient en foule et les préféraient de beaucoup aux bateaux anglais ; malheureusement un fait se produisit qui enleva aux Messageries la clientèle étrangère et aussi beaucoup de leur clientèle française : c’est que le Gouvernement français ayant supprimé, pour le transport de ses troupes en Indo-Chine, les grands bâtiments qui avaient été construits et destinés à cet usage exclusif, tels que le Mytho, le Bien hoa, le Shamrock, etc., et ayant conclu avec les Messageries un contrat pour le transport des officiers et des soldats, cette Compagnie se voit obligée par chaque courrier de remplir ses paquebots de troupes. Et c’est pour cela que les étrangers l’ont quittée ; que de nombreux passagers français, payant de leur poche, ont fait de même, et qu’à l’heure actuelle, les bateaux des Messageries ne transportent que des militaires et des fonctionnaires. Le service est, d’ailleurs, bien au-dessous de ce qu’il était autrefois.

La Peninsular and Oriental, Compagnie anglaise, fait également le service de Marseille au Japon par l’Océan Indien et Shanghaï ; mais peu de monde la prend ; elle est presque exclusivement chargée de fonctionnaires et de négociants anglais de l’Inde ; le service y est fort correct ; tout y est très propre ; le confort y est anglais, c’est tout dire ; mais pour la nourriture elle est fort inférieure, et les estomacs non encore habitués à la fâcheuse cuisine anglaise arriveront à Yokohama en bien mauvais état.

Norddeutscher Lloyd. — Tout ce qu’ont perdu les Messageries a été gagné par la Compagnie allemande. Les bateaux ne touchent pas Marseille, il est vrai ; mais comme ce n’est pas sur la clientèle française qu’elle compte, elle n’a que faire de s’arrêter dans un port français ; aussi a-t-elle deux points de relâche au Nord : Anvers et Southampton, et deux au Sud : Gênes et Naples. Le Norddeutscher Lloyd est la Compagnie qui, à l’heure présente, effectue le plus de transports de passagers pour l’Extrême-Orient. Les bateaux sont très confortables, fort bien tenus ; la cuisine y est bonne ; et le personnel très bien dressé ; une seule chose y est atroce : c’est la musique de foire dont on vous fatigue les oreilles pendant les repas, et même après. Trop de musique !

Nippon Yusen Kwaisha. — Cette Compagnie touche à Marseille ; les bateaux sont très beaux et les quelques cabines qu’ils contiennent sont très confortables ; mais ils ne prennent que peu de passagers ; d’ailleurs leur voyage depuis Marseille jusqu’au Japon est fort long par suite de la durée de leur station aux escales, par conséquent ils ne sont guère encombrés ; il leur arrive en effet de rester quatre et cinq jours dans un port, et il n’y a que les personnes peu pressées qui les prennent, par suite du prix bien moindre qu’elles paient pour le voyage.

En dehors des lignes de paquebots que je viens de citer et qui font un service régulier tous les quinze jours, il existe également une ligne autrichienne et une ligne italienne, mais dont les départs et les arrivées ne sont pas très réguliers.

II. — Les prix du passage, sauf en ce qui concerne les Compagnies japonaise, autrichienne et italienne, sont à peu de chose près les mêmes : dix-huit cents francs en première classe et onze cents en seconde ; sur les paquebots français et allemands il y a une troisième classe, mais peu fréquentée ; car il n’y a pas d’émigrants pour les pays d’Orient ; il n’y a que des négociants, lesquels vont en première, et des employés qui vont en seconde. Les bateaux anglais de la Peninsular and Oriental ont aussi premières et secondes, mais pas de troisièmes. Toutes les Compagnies délivrent des billets d’aller et retour, mais les plus longs délais sont donnés par le Norddeutscher Lloyd.

Le premier port japonais touché par les paquebots est le port de Nagasaki. L’entrée en est merveilleuse. Des îlots de verdure y forment plusieurs passes ; devant soi, en contournant tous ces îlots (dont l’un, le Pappenberg, rappelle le martyre de nombreux chrétiens que les Japonais précipitaient du haut des falaises à pic sur les roches battues par les vagues), on aperçoit la colline toute couverte de frondaisons, et de champs descendant jusqu’à la mer. Çà et là, des rochers sombres émergent au-dessus des flots, par endroits la côte est à pic ; de grands cèdres dressent leur tête et au milieu, sous leur ombrage protecteur, on aperçoit de petits temples perchés de côté et d’autre sur les points qui semblent à première vue les plus inaccessibles. De nombreuses barques de pêcheurs sillonnent la rade, et, à mesure qu’on s’avance au fond de la baie, la ville, jusque-là cachée, se découvre. Juste en avant, tout au fond, Deshima, cette petite langue de terre où autrefois les Hollandais étaient parqués, et qu’aujourd’hui rien ne distingue plus du reste de la ville. Derrière Deshima, et de chaque côté, la ville s’étend, aux petites maisons basses, aux rues étroites, et, brusquement, elle s’élève et perche ses constructions sur la colline, autour du grand temple rouge, d’où la vue domine toute la rade.

Un peu en avant de Deshima, sur la droite de la ville Japonaise, s’élèvent les habitations européennes, toutes en terrasses ; les divers consulats ; l’hôtel Bellevue ; les établissements et l’église de la mission catholique, des sœurs, de l’école des frères maristes ; dans le bas de la colline, la rue marchande, avec le nouvel hôtel, juste sur le quai ; les magasins, les banques, les agences d’affaires, les boutiques et tous les general store keepers et ship-chandlers ou magasins généraux d’approvisionnements.

Nagasaki est, pour le japon, un port très important en raison de la sûreté et de la profondeur de sa rade, et de sa situation à l’extrémité Sud de l’Empire, tourné vers les côtes de Chine et de Corée.

En face de Nagasaki, de l’autre côté de la baie, sont installés des fonderies et des ateliers de réparations et de constructions. Nagasaki actuellement renferme une population de près de 180.000 habitants.

III. — En quittant le port de Nagasaki, les navires regagnent le Nord par la côte occidentale de l’île de Kiu shu et pénètrent, par le chenal de Shimonoseki, dans le Setouchi ou mer intérieure. Cette mer, célèbre dans le monde entier par la beauté de ses paysages de verdure, de ses innombrables petites îles couvertes de temples haut perchés où l’on arrive par des escaliers de cent marches et plus, est subdivisée précisément par ces îlots en une série de six parties appelées nada (courant violent, gouffre) qui prennent leur nom des provinces dont elles mouillent le rivage. Ce sont : Idzumi nada ; Harima nada ; Bingo nada ; Mishima nada ; Iyonada ; Suwonada.

La mer intérieure communique au Sud avec le grand Océan par deux passages, l’un entre le Honshu et Shikoku ; l’autre entre Shikoku et Kiushu. A l’Est, elle s’unit à la mer du Japon par le détroit qui sépare Kiushu du Honshu, et où se trouvent au Sud, dans Kiushu, le port de Môji ; au Nord, dans la province de Nagato, Ken de Yamaguchi, le port de Bakan ou Shimonoseki. On peut naviguer sur la mer intérieure en toutes saisons, de nuit aussi bien que de jour, grâce au système de phares très complet et très sûr installé sur tous les points par le gouvernement japonais. Les marées et les courants sont aujourd’hui bien connus et sont très réguliers aux sorties Est et Ouest sur l’océan et la mer du Japon ; dans quelques parties resserrées par les îlots, à l’intérieur même du Setouchi, ils sont d’une grande violence.

Le voyageur devra toujours s’arranger de façon à faire de jour la navigation de la mer intérieure du Japon ; le plus pratique serait de quitter le grand paquebot à Shimonoseki et de prendre, pour la traversée jusqu’à Kobé, un des nombreux petits bateaux côtiers qui font le cabotage. Le paysage, en effet, vaut, entre tous ceux du Japon, la peine d’être étudié ; non point que l’on se trouve en présence d’une nature grandiose ; non, tout au contraire : la nature y est jolie, attrayante, charmante par sa verdure, ses villages, ses temples, ses fleurs, le tout fin et gracieux ; quand le soleil brille sur cet ensemble et détache au loin sur l’azur les collines de Kiushu et Shikoku, on ne se lasserait pas de ce paysage exquis, doux et un peu languissant, on ne se détacherait pas de la vision de cette terre à l’air si accueillant et si inoffensif et qui pourtant nourrit un peuple de guerriers à l’âme dure.

De Nagasaki à Kobé, par la mer intérieure, il faut compter douze heures environ.

Si le port de Nagasaki est excellent et de toute sécurité, il n’en est pas de même du port de Kobé ou Hiogo. (Kobé est la ville où résident les Européens ; Hiogo la ville japonaise ; elles ne sont du reste séparées que par un pont sur une rivière à sec.)

Les navires étaient primitivement obligés de mouiller en grande rade, le port n’étant aucunement protégé des vents du large ; aujourd’hui les autorités ont établi un appontement s’étendant assez loin dans la mer, mais où seuls les paquebots-poste accostent, par suite des droits assez élevés ; de sorte que tous les cargo-boats, encore aujourd’hui, sont obligés de jeter l’ancre assez loin, ce qui est un gros désavantage pour effectuer le débarquement et l’embarquement des marchandises. La ville européenne de Kobé est assez coquette, tout à plat le long de la mer ; c’est là que se trouvent les hôtels, les magasins, les banques, les Consulats étrangers ; quelques maisons d’habitation fort élégantes y dressent également leurs murs de briques rouges : plus loin, au-delà de la ligne de chemin de fer, de l’autre côté de la station de Sannomiya, sur une colline pas très élevée, mais agréable, des Européens ont construit leurs demeures privées qu’ils regagnent le soir après la fermeture de leurs bureaux. On y est en meilleur air et dans un calme plus reposant.

Kobé-Hiogo avait une population de 285.000 habitants d’après le dernier résumé statistique de l’Empire (1908).

De Kobé à Yokohama on compte généralement trente heures de navigation. C’est la partie du Japon où la navigation est la plus mauvaise en tout temps ; l’hiver à cause de la mousson de Nord-Est qui souffle avec violence ; l’été par suite de la mousson de suroît qui amène souvent des typhons redoutables. La navigation est surtout pénible par le travers du chenal d’Owari ; jusqu’à l’entrée de la baie de Tokiô on n’aperçoit rien des côtes, tout au plus au loin l’île d’Oshima dont le volcan lance constamment de la fumée ; l’entrée de la baie est formée par les deux pointes d’Awa et de Sagami, et se trouve très resserrée à la hauteur d’Uraga ; le golfe s’élargit ensuite et laisse apercevoir à l’Ouest Yokosuka, puis Yokohama et Tokio. Depuis le phare de Jô ga shima, en face de Misaki, sur la pointe de Sagami, jusqu’à Yokohama d’un côté et jusqu’à Kamakura et Enoshima de l’autre côté, la côte japonaise est délicieuse, et enchanteresse. Il serait difficile de trouver de plus charmants endroits que les baies de Yokosuka et d’Uraga, et de plus agréables plages que celles de Kamakura et d’Enoshima ; les Européens résidant au Japon ont mis à la mode ces stations d’été et aujourd’hui les Japonais y accourent de Tokio.

Yokohama, situé sur un ancien marais désigné autrefois aux Européens, par dérision, comme emplacement a des environs de toute beauté.

La ville elle-même s’étend le long de la mer, adossée au fond à une colline assez élevée nommée par tous les Européens le « Bluff ». Sur le quai, et dans les deux rues parallèles en arrière du quai, Water street et Main street, se trouvent les bureaux, magasins, hôtels, banques, boutiques de General store keeper, magasins généraux où l’on vend de tout. Les consulats y sont installés également ; sur la colline, les maisons d’habitation que l’on regagne le soir, une fois les bureaux fermés. Yokohama a toujours été, depuis l’ouverture du Japon, la grosse place commerciale, et c’est là que se trouve encore aujourd’hui la colonie la plus importante d’Européens et d’Américains. Le « United club » les réunit dans une même fraternité, et dans ces réunions il n’est jamais question de nationalités : on est « blanc ».

De magnifiques hôtels se dressent sur le quai : le Grand-Hôtel, fondé jadis par un Français, actuellement passé dans les mains d’une Société américaine et où fréquentent principalement les Américains de passage au Japon, qui sont toujours très nombreux. — L’Oriental Hôtel, créé et tenu encore par un Français, somptueusement meublé et décoré et où l’on mange une cuisine qui n’a pas sa pareille dans tout le Japon. — Enfin le Club-Hôtel, plus modeste, mais où l’on trouve cependant tout le confortable désirable.

La colline ou « bluff » est une ravissante petite ville européenne que rien absolument ne distingue d’une localité quelconque des environs de Paris, telles Ablon ou Savigny-sur-Orge. Petites villas coquettes, entourées d’un jardin ; rues très propres et très soignées, mais aucun cachet particulier. Passé la petite ville, se trouve le champ de courses, non loin de la Mississipi bay, charmante petite baie, ainsi nommée par les Américains, lorsqu’en 1852 ils arrivèrent pour la première fois au Japon. Le champ de courses est la grande promenade pour les habitants et deux fois par an, au printemps et à l’automne, les courses y réunissent toute la ville. Ce sont alors les grands jours de Yokohama.

Les environs de Yokohama sont tous fort agréables, et les jours fériés voient de nombreux excursionnistes qui, sans s’éloigner beaucoup, peuvent charmer leurs loisirs au milieu de la verdure des petites collines qui dressent leurs sommets autour de la baie.

Aujourd’hui, avec le chemin de fer, les environs immédiats de la ville sont un peu abandonnés, mais on va souvent plus loin pour trouver des endroits moins agréables.

IV. — Yokohama est donc le point extrême pour les paquebots qui viennent d’Europe ; il l’est aussi pour ceux qui viennent d’Amérique ; de ce côté également, plusieurs Compagnies font le service : trois entre les États-Unis et le Japon ; une entre le Canada et le Japon.

Les trois Compagnies qui, de Yokohama, rejoignent les États-Unis sont :

L’Occidental et Oriental qui va à San-Francisco ;

L’American pacific mail qui va également à San-Francisco ;

La Nippon Yu sen Kwaisha qui va à Seattle.

Celle qui fait le service du Canada est la Canadian Pacific qui aboutit à Vancouver.

Ces bateaux mettent douze jours de Yokohama à Vancouver et quatorze de Yokohama à San-Francisco ; les bateaux américains, une fois sur deux, font relâche à Honolulu ; le départ a lieu tous les quinze jours.

De Paris à Yokohama par cette route, il faut compter une trentaine de jours ; en effet :

1o de Paris à Londres
1
jour
  de Londres à Liverpool
1
  —
de Liverpool à Montréal
8
  —
de Montréal à Vancouver
5
  —
de Vancouver à Yokohama
12
  —
  —   
Total
27
jours.

Comme on ne peut pas voyager comme une lettre, il faut compter trois ou quatre jours de plus.

2o de Paris au Havre
1
jour
  du Havre à New-York
7
  —
de New-York à San-Francisco
5
  —
de San-Francisco à Yokohama
14
  —
  —   
Total
27
jours.

Mais en revanche, le voyage de ce côté coûte plus cher et il faut compter sur 3.000 francs en première classe ; le moindre séjour en Angleterre et en Amérique est onéreux et les dépenses effectuées dans les wagons-restaurants et en bateau sont également très élevées. Aussi, en dehors des Américains, peu de voyageurs choisissent cette route qui double presque le tarif du voyage par l’Océan Indien ou la Sibérie.

V. — En arrivant au Japon, l’étranger ne doit pas s’attendre à trouver des monuments, de belles constructions architecturales, des villes de granit et de marbre comme en Europe et en Amérique. Lorsqu’il a débarqué à Yokohama, à Kobé ou à Nagasaki, et qu’il a suffisamment parcouru les rues quasi-européennes bordées de bengalows ou de villas sans style, quelconques, maisons carrées en briques et bois, construites non pour l’art mais pour le confort et pour la résistance aux tremblements de terre, il a hâte de connaître quelque ville indigène, comptant sur une surprise agréable, avec l’espoir de découvrir quelque chose de riant et de gai. Le Japon, pour le voyageur qui vient d’Europe, n’est-ce pas le bariolage des kakémonos ?

Eh bien, il faut le détromper. L’aspect de toute ville japonaise est immensément triste. Tout est gris. Des maisons basses, en bois devenu gris avec le temps, recouvertes de tuiles noires, se succèdent sans interruption ; des habitants, hommes et femmes, vêtus de couleurs grises (il n’y a que les enfants et les jeunes filles habillés de couleurs voyantes aux jours de fête) : tout cela donne une impression complètement dépourvue de gaîté. Dans de grands centres comme Tokio, Kioto, Osaka, quelques vastes temples rouges, à la toiture énorme, apportent à certaines parties de la ville un cachet qui ne manque pas d’une réelle grandeur, mais les villes elles-mêmes sont misérables et tristes.

Ce qu’il faut voir au Japon c’est la nature, toujours plaisante et gracieuse, en hiver comme en été, au printemps comme en automne ; rien de grand, rien d’imposant comme à Java, comme dans l’Inde, comme dans certaines parties de la Chine occidentale ; mais tout est souriant, aimable et doux. La nature japonaise n’est pas empoignante, elle est reposante et accueillante ; même ses volcans terribles, le Fuji yama, l’Asama, le Onsengatake n’offrent rien d’effrayant. Les cascades gigantesques comme celles de Kégon à Chusenji ou de Kirifuri à Nikkô semblent des joujoux de cascades. Et toujours la même pensée vient à l’esprit du voyageur quand il a visité un peu ce pays : comment cette nature, en somme si calme et si gentille, a-t-elle pu conserver aux habitants ce caractère batailleur des anciens « hommes à deux sabres », caractère encore sensible aujourd’hui sous une couche d’occidentalisme, à vrai dire très mince ?

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