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L'héritage : $b roman

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V

Du quai de la petite gare où il attendait le train, il voyait les deux rails se rapprocher l’un de l’autre, finir par se toucher. Mais tout à l’heure les roues de la locomotive allaient les forcer à s’écarter à la distance réglementaire. Septembre s’ajoutait à l’automne perpétuel des bourgs où les feuilles jaunes dorment tranquilles dans les ruelles vertes de mousse humide, sauf quand arrive une rafale qui les fait tournoyer, comme de vieilles femmes qui bien à contre-cœur danseraient. Il partait la poche légère, l’âme lourde d’incertitude et d’impatience. Autour de lui des hommes d’équipe poussaient des brouettes sur lesquelles des malles, des caisses entassées faisaient effort pour conserver leur équilibre.

Le train aspira les voyageurs. On put ensuite compter à loisir les petites stations où vainement il s’arrêta. Mais aussi c’étaient des gares de villages solidement plantés au milieu des champs et des vignes. Le blé, le raisin poussaient en abondance. Les jours se succédaient pacifiques sous les solives enfumées des plafonds, près des âtres où le feu clair ne mourait jamais. On n’y éprouvait ni le désir ni le besoin d’aller à Paris. Clamecy apparut, dominé par des collines noires dont la désolation faisait penser aux paysages de l’Écriture plantés de cyprès et semés de cailloux. Une grande rivière, qui peu à peu et sans le savoir devenait un fleuve, traversait des prairies et baignait des bosquets ; sur des rives, de distance en distance, étaient entassées des piles de bois de moule. Sous des huttes recouvertes de fagots et pour jusqu’au lendemain matin désertées, des hommes gagnaient leur vie à fabriquer des margotins.

Puis des villes se présentèrent avec des églises, des cathédrales même. D’autres voyageurs se précipitaient pour avoir une place, un coin peut-être s’il en restait.

Vaneau contemplait des horizons toujours pareils. Le ciel s’appuyait sur la ligne onduleuse des collines d’où les vignes descendaient vers la plaine à la rencontre des champs moissonnés. Des bourgs se suivaient de distance en distance, avec des églises à clochers trapus, carrés, d’où les angélus devaient tomber secs et lourds.

La nuit ne se fit que sur la terre. Les étoiles étaient claires. Il sommeilla.

Des voyageurs dès Villeneuve-Saint-Georges se levèrent. Ils tiraient des filets cartons à chapeaux, paquets de toutes formes, valises. Une grosse femme secoua deux gamins dont les lèvres étaient restées jaunes de confitures de prunes. Une vieille à bonnet noir sortit de dessous la banquette un panier dans lequel était enfermée une oie qui se mit à cacarder. Ce fut comme une dernière évocation des villages qu’ils venaient de quitter. Tandis que se succédaient des villes de banlieue propres, blanches, avec des maisons à concierges le long de quais soigneusement entretenus, tous pensaient à des chaumières qui vacillent au bord de chemins creux ou perdues dans les champs sous des châtaigniers.

A la fin, quelqu’un s’écria :

— Tout de même, voilà les fortifs !

Ils étaient fatigués de ce voyage. Puisqu’ils avaient tant fait que de partir, ils étaient pressés maintenant de retrouver des habitudes laissées dans leurs logements de Paris. Plus on approchait et plus Vaneau frissonnait à l’idée de tout l’inconnu où il allait donner de la tête.

Pour économiser deux francs il ne voulut faire signe à aucun des cochers de fiacres qui d’un œil somnolaient sur leurs sièges. Sorti de la gare il hésita : devait-il aller à gauche, à droite, en avant, faire volte-face ? Il avait cependant trouvé tout simple le long itinéraire, à s’en pénétrer d’après un plan minuscule : la rue de Lyon, la place de la Bastille, les boulevards jusqu’à l’Opéra. Mais les plans doivent être trompeurs ; il était désorienté. Sa petite ville lui revint à la mémoire avec sa grand’rue et quatre ou cinq sentiers, qu’il eût suivis les yeux fermés, qui finissent entre des jardins. Ce n’était pas davantage la ville du collège ni de la caserne, avec beaucoup de rues sans doute, mais que l’on a vite fait de connaître chacune par son nom, des rues qui prennent de grands airs tant qu’elles sont dans la ville, mais n’ont pas honte de finir chemins, sentiers, routes, dès que les maisons ne veulent plus les suivre. Paris s’étendait à l’infini avec ses toits qui semblaient se chevaucher, aveugles, dans le brouillard d’un des premiers matins de l’automne. Il voyait les maisons se suivre soudées les unes aux autres. Il y a peut-être au milieu d’elles des églises avec leurs clochers, mais elles montent si haut vers le ciel qu’elles les cachent. Elles ont jailli du sol comme une végétation de pierre. Il a fallu en abattre pour pouvoir respirer ; sinon elles auraient envahi Paris. De-ci de-là des clairières qui sont des places publiques.

Au hasard il marcha lentement. Parce qu’il n’osait point lever les yeux pour regarder les plaques indicatrices, il eut un brusque mouvement d’épaules, rejetant la tête en arrière comme pour se délivrer d’une pensée obsédante.

— Ah ! tout de même ! se dit-il.

Il se trouvait à l’entrée de la rue de Lyon.

Son ventre sonnait creux.

— J’aurais mieux fait, songea-t-il, de manger dans le train.

Il n’avait pu s’y décider : tirer d’un papier blanc graisseux une cuisse de poulet, attendre pour boire qu’une gare veuille bien se trouver sur le parcours, étendre une serviette sur ses genoux, prendre soin de jeter sous la banquette les pelures de fruits, lui avait semblé indigne de lui. Il portait son costume gris fer. Sa cravate bleue semée de lunules blanches faisait penser à de l’étoffe coupée dans un pan de ciel nocturne. Le col et les poignets de sa chemise, empesés, remplaçaient faux-col et manchettes.

Pourtant on le lui avait recommandé :

— En arrivant, tu prendras quelque chose de chaud.

Mais quelques cafés seulement étaient ouverts à l’entrée de la rue de Lyon ; d’autres, plus humbles, où volontiers il se fût assis, étaient bouleversés. Il craignait de déranger de leur nettoyage les garçons et se demandait si on a l’habitude de prendre à Paris dès le matin « quelque chose de chaud ».

Il traversa la place de la Bastille, le regard horizontal, et ne vit de la célèbre colonne que la grille et le soubassement. Il dédaigna le petit bonhomme d’or à la pensée que derrière lui quelqu’un pût se dire :

— Tiens ! encore un provincial qui ne connaissait pas le Génie de la Bastille !

Sa valise bourrée de linge commençait à lui peser. Il suait déjà malgré la fraîcheur du matin.

Pour s’éponger le front il s’arrêta près d’un banc, posant son bagage devant lui de peur qu’un filou — on lui avait tant répété d’y prendre garde ! — ne le lui dérobât. Des histoires circulaient chez lui de naïfs débarquant à la gare de Lyon, accostés par des « individus » qui se prétendant chargés de les conduire les laissaient n’importe où, délestés de leur porte-monnaie. Il avait mis le sien dans la poche intérieure de son paletot, plus sûre que celle du pantalon, et concevait une certaine fierté de ce que personne à la sortie de la gare ne l’eût abordé. A la hâte il s’assura sur son plan que c’était bien par le boulevard Beaumarchais qu’il devait passer pour aboutir au quartier de l’Opéra.

De se savoir dans le bon chemin Vaneau fut heureux. Mais la faim un instant oubliée se fit de nouveau sentir. Il revit tous les cafés ouverts dans les environs de la gare, les deux premiers surtout, postés aux angles de la rue de Lyon, et songea :

« Suis-je bête, tout de même ! J’aurais dû aller là. On doit y être habitué à voir du monde à toute heure du jour et de la nuit ! »

Ici toutes les devantures étaient encore fermées. Il se dit :

« Le premier que je vois ouvert, je ne le rate pas ! »

Il regardait à droite, à gauche. Il traversa posément, — parce qu’il n’y avait encore ni voiture, ni omnibus, — pour montrer à l’univers entier qu’il avait l’habitude de Paris.

Un café Biard. Deux ouvriers boivent le vin blanc et parlent d’un accident survenu hier soir rue Amelot.

— Un café ! demande Vaneau. S’il s’écoutait il dirait :

— Madame, voulez-vous me servir un café ?

Mais bien qu’il lui en coûte, il n’ose pas être timide cette fois suivant son naturel. Il commande un café, sèchement, en s’efforçant d’affermir sa voix. A Paris il ne faudrait jamais trembler.

Dans une corbeille des croissants sont entassés mais il ignore si l’on peut en prendre… Un des ouvriers étend le bras et se sert… Vaneau affecte de n’avoir pas vu le geste, regardant les petits carreaux verts des mosaïques où des femmes aux cheveux flottants, en robes blanches et bleues, tiennent sur des soucoupes roses des tasses fumantes. Il attend une minute puis, l’air dégagé de tout souci vulgaire, étend à son tour le bras pour prendre un croissant… On commente l’accident… Il écoute, heureux d’être enfin à Paris, au centre du monde. Désormais lorsqu’il lira dans un journal : le crime de la place du Tertre ou le vol de la rue des Pyrénées, il pourra se dire :

« Tiens ? Avant-hier j’ai passé là ! »

Ou bien :

« Je connais quelqu’un qui habite cette maison. »

Est-ce qu’en province il arrive jamais quelque chose ? Les vols s’y réduisent à quelques poignées de haricots verts que l’on s’approprie la nuit dans les jardins. De temps en temps une poule, un lapin disparaissent. Tout s’y résume en disputes entre voisines, en algarades sans importance ; les crimes n’y sont que des crimes de village.

Les ouvriers sont partis. De manière à ce que l’on ne s’aperçoive de rien Vaneau tire de son paletot le porte-monnaie et, le glissant dans la poche droite de son pantalon, le dégonfle des gros sous qu’il fait tomber sans bruit sur le mouchoir. Maintenant il peut payer avec une pièce sans que l’on fasse tout bas cette réflexion :

— Pourquoi donne-t-il une pièce, quand il à des gros sous à n’en savoir que faire ? C’est donc qu’il a peur de ne pas en donner assez ? Encore un provincial !

Certes il y a sur la vitre en lettres blanches : « Café, 10 c. » Mais le croissant lui semble quelque chose de supérieur, hors de prix. La croûte dorée craque sous les dents ; la mie, aussi douce que la moelle de sureau, est beaucoup moins fade… On lui rendit dix-sept sous, ce qui le stupéfia. Vraiment il fait bon vivre à Paris ! Il eut envie d’allumer une cigarette avant de sortir, mais l’appareil où dormait une petite flamme lui sembla d’un maniement difficile et qu’il ignorait ; ou bien, s’il se servait d’allumettes, son incompétence sauterait aux yeux. Il préféra s’abstenir, attendre, prit sa valise et continua son chemin.

Uniformes se succédaient les kiosques où se pliaient et s’installaient les journaux. Des voitures déjà commençaient à rouler. Toutes les trois minutes, sa valise lui coupant les doigts, il la changeait de main. Les platanes maigres avec leurs pieds entourés de grilles avaient déjà perdu presque toutes leurs feuilles ; les autres jaunies recroquevillées tombaient sur le ciment des trottoirs comme des cosses de haricots secs.

Si peu de bruit l’étonnait. A la campagne dès le matin tout le monde est debout. Si l’on se couche avec les poules, on se lève en même temps qu’elles.

En passant devant la rue Rougemont il prit le « Comptoir National » pour une église.

Le renflement du boulevard Montmartre lui parut extraordinaire. A Paris, pensait-il, toutes les rues sont au même niveau. Paris est plat du nord au sud, de l’est à l’ouest. Quand on dit « la butte Montmartre », c’est une façon de parler.

Enfin il arriva. Un instant il chercha, des yeux, puis découvrit au-dessus d’une devanture encore fermée :

Lavaud. Restaurant.
Déjeuners et diners.
Cuisine bourgeoise. On porte en ville.

Précisément de l’intérieur la porte s’ouvrait. Lavaud apparut sur le seuil, les yeux encore brouillés de sommeil, le gilet non boutonné.

— Tiens, c’est toi, Louis ? Tu es donc parti aussitôt ma dépêche reçue ? Tu es content ?

— Certainement. Je vous remercie beaucoup. Mais vous ne vous attendiez pas à ce que j’arrive si vite ? Je vous dérange peut-être ?

Il a envie d’ajouter :

— Alors je vais reprendre le train.

— Mais non, tu ne nous déranges pas. Seulement nous nous demandions si tu arriverais ce matin ou ce soir. Et chez toi, tout le monde va bien ?

— Oui. Merci. Ils vous envoient le bonjour.

Lavaud va et vient, enlevant les volets numérotés de la devanture.

— Et ma tante ? Et ma cousine ? demande Vaneau. Car il faut être poli dans la vie avec tout le monde mais surtout avec ceux dont notre sort dépend.

— Elles vont bien aussi. Tu les verras tout à l’heure. Je descends toujours le premier pour aller faire mes achats aux Halles.

Il entre et regarde. C’est un des petits restaurants du quartier Saint-Georges qui, blottis entre une teinturerie et une boutique d’antiquités, regrettent de ne pouvoir écarter davantage les coudes pour faire signe de loin à la clientèle. A midi, grâce à quelques employés de banque, on débite quelques biftecks, des omelettes au jambon, du veau marengo et l’on écoule deux ou trois douzaines de demi-setiers. Quelques ouvrières s’y hasardent aussi qu’allèche cette promesse de « cuisine bourgeoise » ; mais, les plats étant un peu chers, elles se mettent à deux pour manger un bifteck aux frites. Le soir c’est autre chose. A partir du crépuscule le quartier devient morne ; à peine si de minute en minute on entend rouler un fiacre. Les passants se hâtent vers les boulevards ou vers Montmartre. Les employés de banque ont regagné leurs domiciles au fond de Batignolles, les ouvrières rentrent chez elles dîner d’une soupe ou de charcuterie. Tout cela Vaneau l’apprendra plus tard. Maintenant il voit la salle rectangulaire garnie sur trois rangs de tables de marbre ; tout le côté gauche est occupé par le comptoir en acajou. Des serviettes de la veille traînent.

— Veux-tu prendre un verre de vin blanc, Louis ?

Sans doute il a soif, d’avoir marché vite, sa lourde valise à la main. Il voudrait accepter mais il hésite. Il vient d’arriver. Il faut que l’on ait bonne opinion de lui, surtout que l’on ne fasse pas de dépenses pour lui.

— Non. Je vous remercie. Je n’ai besoin de rien ! dit-il. J’ai mangé, bu, en route.

Heureusement pendant ce temps Lavaud lui remplit son verre.

— Oh !… Pour trinquer seulement ! dit Vaneau tout confus.

Puis c’est la tante qui descend, peignée, tout habillée, elle, pour jusqu’au soir. Elle embrasse son neveu qui l’embrasse aussi.

— Lui as-tu montré sa chambre ? demande-t-elle à Lavaud.

— Tu es bonne, toi ! Il est là depuis un quart d’heure à peine ! Je vous laisse. Je vais aux Halles.

— Oui. Tu comprends, Louis ? Ton oncle va tous les matins en personne faire ses achats aux Halles, parce que tout y est meilleur. C’est que nous avons une clientèle choisie de vieux employés, et qui préfèrent payer un peu plus cher pour avoir meilleur. Ton oncle choisit lui-même sa viande… Maintenant je vais te montrer ta chambre.

C’est un cabinet noir compris entre la salle, la cuisine, le corridor de la maison et le mur de l’escalier, et meublé d’une armoire, d’un canapé, d’une table. Derrière un rideau sont dissimulés deux hauts coffres en bois blanc.

Enfin voici la cousine Jeanne. Elle aussi est habillée. Elle est fraîche et sent bon. Vaneau l’embrasse sur les deux joues.

— Tu vois, Jeanne. Je lui montre sa chambre. Nous mettrons sa malle au grenier. A propos où est-elle ?

— Elle me suit à petites journées. J’ai dans ma valise tout ce qu’il me faut. Il ne me manque que des draps.

— Jeanne, tu lui en descendras une paire… Si tu veux faire ta toilette, nous avons mis cette petite table dans le coin. Là-haut nous ne nous en servions pas.

Ils occupent, dans la maison même, l’appartement du cinquième.

— Si tu as besoin de quelque chose, tu n’auras qu’à ouvrir la porte de la cuisine. Tandis que Jeanne fait les menus, je prépare le déjeuner.

Vaneau est heureux. Il n’a jamais eu de « coin » à lui, ayant passé brusquement des salles d’étude et des dortoirs aux chambrées qu’encombrent les lits. Ce cabinet le satisfait pleinement. Beaucoup de jeunes gens entrent à Paris avec leur situation dans la poche. Ils s’en vont au Quartier Latin où la vie est agréable à cause des cafés, des brasseries et des tavernes où l’on peut s’asseoir près de jolies femmes qui ne demandent qu’à rire, et du Luxembourg qui est pour Paris aussi vaste que la campagne ; où la vie est facile grâce aux deux ou trois cents francs que jamais, au commencement du mois, la famille n’oublie d’envoyer, et passionnante lorsque dans la solitude d’une chambre on a toutes ses heures pour lire, rêver, écrire.

D’autres, un beau matin, quittent une chaumière et viennent au hasard y tenter la fortune. Dans les grands magasins ils apprennent à sourire aux belles clientes, même aux vieilles femmes qui ne trouvent jamais rien à leur goût. Ils passent leur vie à courir d’un rayon à l’autre ; ils ne rentrent chez eux que pour se coucher et ne se lèvent que pour aller travailler. Mais ils n’ont pas d’autre but que de dépenser moins d’argent qu’ils n’en gagnent. Ils ont apporté à Paris l’esprit d’économie de leur village.

Et les indépendants ! Et les réfractaires ! Eux-mêmes ne se font pas faute de nous raconter jour par jour leurs années de misère dans des greniers qui vraiment ne font point partie des maisons ; nous connaissons leur pain vieux, leur fromage durci, leurs courses en bottines percées. On ne saurait jamais payer trop cher son indépendance.

C’est comme eux que Vaneau, encore inexpérimenté et pour longtemps naïf, voudrait vivre. Mais on ne lui eût pas donné l’argent du voyage. Il ne faut point de départs pour l’inconnu. On se raconte, dans les petites villes, que des légions de bacheliers, de licenciés, à Paris meurent de faim. C’est comme eux qu’il voudrait vivre, puisque le Quartier Latin avec les trois cents francs par mois de la famille n’est pas pour lui. Peut-être eût-il mieux valu qu’il partît comme ceux à qui la vie d’un grand magasin suffira. N’est-ce pas dommage qu’à l’école des Frères il ait appris tout ce qu’il a voulu ?

Plusieurs fois il se trempe la tête dans la cuvette. Il pousse sous le canapé sa valise fermée à clef. Vers huit heures on se met à table. Il voudrait déjà être dehors, dans les rues de ce Paris qu’il ignore. Ce déjeuner n’en finit pas, au gré de son impatience. On lui demande beaucoup de détails qu’il ne peut se refuser à donner. On lui répète :

— Tu peux être tranquille. Nous connaissons beaucoup de monde.

Il se lève, en allumant une cigarette.

— Qu’est-ce que tu vas faire, maintenant ?

— Un tour… par là…

C’est ainsi qu’il renseignait sa mère lorsque, partant pour le petit bois tout proche, elle lui demandait :

— Où est-ce que tu t’en vas donc encore ?

Du chemin qui conduisait à ce bois il connaissait tous les accidents. Même aveugle pour s’y diriger il n’aurait pas eu besoin de bâton.

— Fais bien attention de ne pas t’égarer !

Cette recommandation superflue le choque. Il vient sans broncher de traverser la moitié de Paris, et on lui dit !… C’est un peu fort qu’après un pareil exploit, dont il reste lui-même étonné, on le prenne encore pour un provincial !… Il a envie de répondre que… Mais il se contente de dire :

— Oh ! je n’irai pas loin ! Je ne m’écarterai pas des boulevards !

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