La faune des plateaux
L’accessoiriste
L’accessoiriste, comme son nom l’indique, est chargé du service des accessoires. C’est lui qui s’occupe des verres, des assiettes, des filets de sole en banane, du blanc de poulet en biscuit, du champagne en eau gazeuse, du cognac en eau teintée, des lettres, des télégrammes, des poignards, des revolvers.
Il ne se manifeste pas dès les premières répétitions. Les artistes boivent encore dans des verres absents et savourent avec délices des mets impondérables. Le vicomte, au moment où il doit exhiber le document révélateur, a plongé la main dans une des poches intérieures de sa jaquette, en a sorti rien du tout, qu’il a tendu fièrement à la comtesse. Celle-ci a lu la lettre fatale dans la paume de sa main ouverte, comme une femme pour qui la chiromancie a des secrets imprévus.
Peu à peu des accessoires provisoires ont fait leur apparition. La table du souper, que doit recouvrir un jour une nappe somptueuse, est pour le moment un pauvre meuble en bois blanc. On sable un champagne invisible dans des gobelets cabossés.
L’accessoiriste a dans son tiroir des billets de la Sainte-Farce, auxquels il tient comme à des vrais billets. Quand, à la représentation, Serge tendra au vicomte une liasse des fausses banknotes, celui-ci les mettra à l’abri dans son pardessus boutonné. Mais il ne les possédera pas longtemps. Car, à peine sorti de scène, il verra se dresser devant lui l’accessoiriste, qui lui dira simplement : « Mes billets ». Et le vicomte, sans piper, lui remettra le produit de son chantage.
Le vicomte, depuis les répétitions, a beaucoup changé. Il s’est vieilli, ou plutôt il a cru se vieillir. Il a étendu sur ses cheveux une sorte de confiserie argentée. Ainsi, il paraît à peine l’âge qu’il a vraiment dans la vie.
Pour garantir les personnages de la pièce contre un froid imaginaire, on a allumé une lampe à verre rouge dans la cheminée, derrière un solide feu de bois en tôle. C’est là que la comtesse jettera le paquet de lettres, que l’accessoiriste recueillera pieusement de l’autre côté du décor, pour la représentation suivante.
Il y a des accessoires qui ne peuvent resservir, tels que les enveloppes à cinq cachets rouges, que l’on décachète violemment. Ces enveloppes, c’est l’orgueil de l’accessoiriste, qui les prépare chaque soir avec amour. Et pourtant, il est bien rare qu’on le félicite de son zèle. Mais sa satisfaction intime lui suffit. Il aime son métier et serait très heureux s’il n’avait pas un souci cruel : les armes à feu, dont il a la garde et dont il doit assurer le bon fonctionnement.
Quand le revolver, qui devait abattre le traître, rate sinistrement, à la joie indécente du public, il y a quelqu’un, en coulisse, qui blêmit et qui chancelle, atteint au plus profond de son honneur.