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La faune des plateaux

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Le prix de Diane en matinée

Le marquis de Hottebrède, ses cheveux noirs cachés sous d’épais cheveux blancs, le visage soigneusement ridé, est sur le point d’entrer en scène, pour sa grande scène du troisième acte. A ce moment le traître Fourval, qui vient de poser ses conditions à la marquise, sort de scène, laissant Claire de Hottebrède effondrée sur un beau canapé ancien, prêté au théâtre par un grand tapissier.

Le Marquis, au traître. — Ça doit être couru à cette heure-ci. Il est quatre heures dix… Puisque tu n’es pas de la fin du trois, tu devrais faire un saut jusque chez le bistro, où les résultats sont affichés…

Le Traître, timidement. — Oh ! mon vieux, maquillé comme ça…

Le Marquis. — Ça n’a aucune importance. Il n’y a personne dans les rues… Tout Paris est à Chantilly ou à la campagne. Non, mon vieux, vas-y. J’ai six louis d’engagés dans la course, tu donneras le résultat à Fauvel. Il me l’apportera avant mon agonie.

Le Traître. — Oh ! tu fais de moi ce que tu veux ! (Il sort, pendant que le marquis, après s’être fortement voûté, entre avec trente années de plus pour la grande scène qui a fait le succès de la pièce (déjà 234 représentations), et s’avance jusqu’au canapé.)

La Marquise, levant la tête, et suffoquée de surprise pour la deux cent trente-cinquième fois. — Renaud !

Le Marquis. — Je vois que vous ne m’attendiez pas. (Elle se lève. Il s’approche du canapé et s’y assied. Elle est en face de lui. Ils se regardent en silence.)

La Marquise, bas. — T’as l’résultat ?

Le Marquis, entre ses dents. — On va l’apporter. (Haut.) Je ne suis pas seul, madame… Notre fils me suit à quelques pas. L’heure des explications a sonné.

La Marquise. — Gérald, Gérald va m’être rendu !… Ah ! quoi que vous fassiez de moi, je serai trop heureuse !… Il me semble entendre son pas… Ah ! quelle émotion !

Le Marquis, bas. — Je comprends. (Entre Gérald (Fauvel). Il se jette dans les bras de sa mère, qui l’embrasse avec frénésie.)

Gérald, bas, dans le cou de sa mère. — Pellsie première.

La Marquise, bas. — Et Frisky ?

Gérald, de même. — Nulle part.

La Marquise, de même. — Crotte !

Le Marquis a suivi anxieusement cette scène. Il est un peu loin d’eux. Il se lève et, changeant pour ce jour-là la mise en scène, s’avance jusqu’au couple. (Noblement.) — Quels que soient vos torts et vos fautes, je n’ai pas voulu mourir sans vous avoir réunis. (Il perd la respiration. Dans un souffle)… Eh bien ?

La Marquise, bas. — Pellsie.

Le Marquis, de même. — Pellsie ! (Haut, mais faiblement.) Il y a des châtiments trop inhumains pour qu’une créature humaine les prononce… (Bas.) Et je l’avais l’autre jour à Saint-Cloud. (Haut.) Je suis soulagé parce que mes forces m’ont porté jusqu’ici. Mais… mais… (Il s’abat lourdement et adroitement sur le sol. Gérald et la marquise se précipitent sur son corps.)

Gérald. — Mon père !

La Marquise. — Pardonne-moi, Renaud !

Gérald. — Son cœur a cessé de battre.

Le Marquis, bas. — Où est Esmée ?

Gérald. — Troisième.

Le Marquis. — Chouette. Je l’avais en couverture… Ça va faire du six contre un au moins… (Il meurt heureux.)

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