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La faune des plateaux

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Le spectateur de la “Générale”

Faut-il donner des répétitions générales ? Ne vaut-il pas mieux entrer tout de suite en contact avec le grand public, sans passer au préalable devant un aréopage un peu dur ?

Les jeunes auteurs sont et ont raison d’être partisans de ces représentations préliminaires. C’est le public des générales qui fait les gloires.

Mais c’est aussi lui qui les défait. Alors il vaut mieux pour les vieux maîtres ne pas courir cette épreuve redoutable.

Moi qui écris ceci, je n’aurai d’avis sur ce sujet qu’après ma prochaine générale. Comme j’aurai eu une grande confiance dans mon nouvel ouvrage (dont je ne connais encore ni le thème ni le titre), je n’aurai pas hésité à affronter des juges, tant il m’aura semblé impossible qu’ils ne me donnent pas raison.

Si la générale est mauvaise, je dirai qu’ils sont odieux, et je prendrai la résolution de ne plus donner de générales. Cette résolution durera jusqu’au moment où j’aurai entrepris la pièce d’après, certaine celle-là d’enlever tous les suffrages.

Si vous voulez bien, passons dans la salle et tâchons de retrouver les sentiments qui nous ont agités, quand nous avons assisté comme spectateurs à la générale d’autrui.

Le rideau se lève. A moins d’être pris tout de suite par une sensationnelle entrée en action, le spectateur, aux premières scènes, éprouve un sentiment d’ennui à se trouver en présence de gens qu’il ne connaît pas. Ils racontent leurs histoires de famille et il se fait l’effet d’être un intrus.

Puis, dès la première réplique qui l’accroche, il se dépêche de prendre un parti, comme s’il avait le feu au derrière, et de se déclarer à lui-même que c’est très bien. Si, par contre, la scène lui déplaît, il désire que la pièce soit très mauvaise. Car il est là pour s’amuser, c’est-à-dire pour rendre des jugements bien catégoriques dans un sens ou dans un autre. Et s’il a décidé que la pièce ne vaut rien, il verra venir avec irritation d’autres passages qui ont l’air d’être bons et vont peut-être l’obliger à déranger et à bousculer son opinion.

L’acte est terminé. On a applaudi, trop ou trop peu à son gré. Il s’en va dans les couloirs.

S’il est jeune, il affirmera son opinion et supportera mal les contradicteurs. S’il est vieux, il se montrera plus réservé, non par manque de courage, mais parce qu’il n’est plus très sûr de son avis, comme au temps de sa triomphante jeunesse. Et il ne se figure plus désormais qu’il est investi d’une mission.

Mais voici deux juges qui discutent. L’un crie au chef-d’œuvre ; l’autre déclare que c’est du chiqué médiocre. Ils ne rompent pas d’une semelle, mais s’influencent réciproquement sans s’en douter. Celui qui aimait la pièce aborde le second acte avec méfiance. Le détracteur, au contraire, se sent envahi par une bienveillance involontaire. Au deuxième entr’acte, ils se retrouvent en contradiction. Mais ils ont changé de camp. Ce n’est pas grave : au bar, ils finissent par transiger sur le dos de l’auteur.

A la fin de la pièce, ils se rencontrent encore, s’aident mutuellement à mettre leur pardessus. L’un résume son impression en un : oui, oui… indulgent qui ne veut pas dire grand’chose ; l’autre en un : oui, oui… méprisant qui n’a pas une bien nette signification. Leur verdict, en fin de compte, est neutre, et le pauvre auteur n’aura même pas de juges à maudire.

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