La faune des plateaux
Le régisseur et les doubles
Le régisseur est d’ordinaire un acteur, remarquable surtout par ses qualités d’ordre et de sérieux et qui manque peut-être de la séduction frivole que les brillantes vedettes exercent sur le public.
Parmi ses fonctions, la plus honorifique est de mettre en scène aux premières répétitions, quand le metteur en scène attitré n’est pas encore arrivé à son poste. On appelle cela débrouiller. C’est un travail très utile sans doute, mais dont rien ne subsistera aussitôt que le seigneur de ces lieux aura pris l’affaire à son compte. Tel personnage qui, selon les premières indications, entrait lentement au premier plan à gauche, fait maintenant irruption par la porte du fond. Le régisseur assiste avec une inconscience apparente à cette faillite de ses conceptions. Son emploi a changé maintenant : il consistera à remplacer, le manuscrit en mains, tous les artistes qui manquent à la répétition, à soupirer les plaintes de l’ingénue encore en déplacement sur la Côte d’Azur ou à hurler les grossièretés du hobereau, pour qui on n’a pas encore trouvé l’interprète idéal ou simplement convenable.
Il a encore d’autres fonctions délicates. Le matin, à 8 heures, il se met en campagne pour s’occuper de tous les meubles que le magasin du théâtre n’est pas en état de fournir. C’est lui également qui découvre les phénomènes : l’homme qui doit, en coulisse, imiter le rossignol, le montreur d’ours et son ours pour la fête villageoise du « un ». Il s’occupe en général du recrutement des artistes de second plan.
Ce pouvoir souverain que, dans les premières répétitions, il avait à l’avant-scène, il le retrouvera quelques jours après le succès, quand il dirigera, cette fois en maître absolu, les répétitions des doubles.
Souvent, pas toujours, ces répétitions se font un peu à la flan, comme le maniement d’armes dans la cour du quartier, quand c’est un gradé modeste qui surveille l’exercice et que l’officier de semaine n’est pas en vue.
Les doubles, c’est un certain nombre de personnages secondaires qu’une angine subite des protagonistes appellera un soir à un rôle capital. Honneur éphémère et surtout obscur, car les notes de presse, pendant tout le temps que durera le remplacement, resteront singulièrement muettes sur cette substitution. C’est seulement quand le titulaire aura repris son rôle que l’on rendra un tardif hommage à « M. Troupanel qui, pendant la maladie de son camarade, etc. ». L’important est que les spectateurs soient désormais assurés de trouver la vedette à son poste et ne soient plus exposés à y rencontrer M. Troupanel.
M. Troupanel sait tout cela et témoigne de peu d’ardeur à apprendre le rôle de son glorieux camarade. Parfois, pour doubler la prima donna, on est obligé d’engager une artiste en dehors du théâtre. Celle-là, si elle est jolie et si elle a une bonne réputation de talent, ne s’y met pas non plus avec beaucoup de fougue. Elle sait très bien que si le bruit se répand qu’elle fera de l’effet dans le grand rôle, la vedette la plus fragile de santé est capable de retrouver une robustesse à toute épreuve et ne manquera pas une représentation.