La faune des plateaux
Une variété de commanditaire[1]
[1] Pour répondre à des demandes éventuelles, les personnages décrits ici ne correspondent pas à des individus définis, dont je puisse fournir le nom et l’adresse.
C’est un garçon de trente-huit ans, petit, maigre et bien mis. Dans un moment critique, il a apporté trois cents gros billets, prélevés sur une large fortune gagnée dans l’industrie.
L’affaire s’est conclue au restaurant, à la suite d’un déjeuner à trois. Personnages : le directeur, le futur commanditaire, un ami commun.
Au fond, le commanditaire avait fait son sacrifice avant de se mettre à table, et les vins somptueux qu’il goûta n’arrivèrent pas à affaiblir ses bonnes résolutions.
Il parut de manières aisées ; ses paroles, rares, étaient choisies. Le directeur le prit pour un homme méfiant, alors qu’il était timide et simplement désireux de se rendre utile à une entreprise. Il n’affectait une grande prudence dans les affaires que par une peur bourgeoise d’être mal jugé et de passer pour un garçon irréfléchi.
Le soir d’une générale, qui n’avait pas très bien marché, on regardait le commanditaire avec un peu de gêne, mais il était plus gêné que tout le monde à l’idée qu’on pût le croire mécontent.
… Non, il n’a pas d’amie dans le théâtre. Quelques-unes des artistes pensent peut-être à lui mais n’osent le lui laisser voir. On imagine qu’il a une vie sentimentale mystérieuse et qu’il est l’amant d’une grande dame… Nos renseignements particuliers nous permettent de dire qu’il n’en est rien. On l’a vu dîner de temps en temps avec une petite amie de hasard et qui n’est chaque fois ni tout à fait la même ni tout à fait une autre. Il a peut-être songé, de son côté, à telle ou telle artiste, mais il ne veut pas avoir l’air d’être entré dans ce théâtre pour se procurer des femmes…
Il n’y est entré que pour rendre service. Or, cet ami sérieux, qui voudrait être considéré comme un amant de cœur, n’est compris par personne. Le patron ne se doute pas de cette gentillesse foncière et de ce dévouement désintéressé… Cela vaut mieux, car il en jouerait grossièrement et, avec sa lourde habileté, gâterait cette charmante petite nature.