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Nouveaux contes de Noël

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VILLÉGIATURE

Les a-t-on assez plaisantés, ces malheureux Français du Midi, sur leur façon de comprendre la campagne ? A-t-on assez reproché au Marseillais l’innocent plaisir qu’il éprouve à passer ses heures de loisir dans un cabanon sans ombre et sans eau autour duquel, de l’aube à la nuit, sonnent les cigales exaspérées ?

Le Marseillais sourit et passe, estimant, lui, fils de Phocée, que trop de verdure nuit parfois aux lignes grecques d’un paysage, et vraiment heureux lorsque, entre deux pinèdes dont les pics tordus laissent s’égoutter la résine, deux coteaux plantés de maigres oliviers dont les feuilles s’argentent au vent qui passe, ou même entre deux roches blanches et vêtues de rien du tout, c’est-à-dire vêtues d’un splendide manteau de lumière, il peut, par la brèche d’une calanque, apercevoir au loin, sous le ciel d’un bleu fixe et dur, l’azur mobile de la mer.

Et le platonisme de nos chasses ? Et la vantardise de nos pêches ? S’en est-on, là-dessus, donné à cœur joie ? Comme s’il était nécessaire d’aller à Marseille pour rencontrer des chasseurs qui ne tuent rien et des pêcheurs imaginatifs qui, chaque fois qu’une ablette casse leur crin, croient avoir manqué la baleine.

L’homme se ressemble partout. Pour lui, à Paris comme à Marseille, en fait de chasse ou d’amour, de pêche à la ligne ou de gloire, la réalité compte peu, et ce qui importe, c’est l’illusion.

Mais arrivons à notre sujet, et laissons Marseille, puisqu’il s’agit de Parisiens.

Depuis longtemps, La Dieuville, un vieux camarade, me disait : « Viens donc me voir un jour à mon castel des Cressonnières ; c’est assez difficile à trouver, passé Garches, au milieu des bois. Mais les cantonniers me connaissent, ils t’indiqueront le chemin ».

Les Cressonnières ! Ce nom à lui tout seul semble une description ; et je me promettais par avance, près d’une maisonnette au perron disjoint, une source en pleurs parmi la mousse, puis devenue petit ruisseau, puis subitement élargie et se donnant des airs d’étang sous une nappe de végétations vertes où parfois creuse un trou, lent à se refermer, le saut fugitif d’une grenouille.

Eh bien, non : ce n’était pas ça !

Figurez-vous, en plein bois il est vrai, mais dans un endroit pelé par exception et totalement dépourvu d’arbres, figurez-vous une bâtisse basse, à un seul étage, tant bien que mal débarbouillée, au lait de chaux. Tout près, s’ouvrait une carrière à sable, obstruée de chardons et de ronces. Des poiriers mal peignés, des groseilliers sans fruits. Des plates-bandes, criant la soif par les mille trous de leur argile desséchée, où quelques tournesols demeurés vivaces au milieu des autres fleurs expirantes donnaient à l’ensemble l’air particulièrement terne et désolé d’un jardin de garde-barrière.

— « Comment trouves-tu ça ! fit La Dieuville. — Pittoresque, mais un peu nu. — N’importe ! je ne m’y ennuie point ; la sauvagerie du lieu plaît à mon âme. — Et c’est ce qu’on appelle les Cressonnières ? — Oui, sans doute, par antiphrase, car à quatre kilomètres à la ronde, je te défie de trouver ni un trou mouillé, ni une fontaine où puisse verdir le cresson. »

Sur quoi, m’ayant offert un cigare, La Dieuville daigna me faire admirer en détail ce domaine exigu et ses horizons misanthropiques.

Cependant, hanté par les idées de fraîcheur qu’avait évoquées en mon esprit ce maudit nom des Cressonnières, j’éprouvais le besoin de voir un peu d’eau.

— « Quelque chose brille là-bas, au pied des coteaux, à travers les arbres. — Ce ruban d’argent ? c’est la Seine ; on peut y descendre par la Jonchère, en côtoyant les étangs de saint-Cucufa. — Alors, allons aux étangs, allons à la Seine… — Nous irons puisque tu le veux, soupira La Dieuville, on est pourtant si bien ici ! mais avant de partir, il faut que j’arrose. »

Avec quoi diantre arrosera-t-il ? me disais-je fort intrigué, je n’aperçois pas même de citerne.

La Dieuville souriant, remontait déjà de la cave, un siphon dans chaque main, un sous chaque bras.

— « Que penses-tu de l’invention ? Tu ne saurais croire combien c’est commode. »

Or, devinez ce que faisait La Dieuville ?

Par petits jets secs, parcimonieusement, mais en conscience, La Dieuville, agronome ingénu, arrosait ses fleurs d’eau de seltz.

Près de l’étang de Cucufa, bordé de grands roseaux que la brise emmêle, et pareil, sous sa floraison de nénuphars, à un ciel de cristal incrusté d’étoiles d’argent, La Dieuville me dit tout à coup :

— « En faisant un petit crochet nous pourrions rencontrer peut-être Prosper Marius et Pontalais. — Ils habitent donc par ici ? — Oui ! ils ont loué quelque chose à mi-côte, entre La Celle et Bougival. Pêcheur et chasseur, chacun d’eux peut ainsi suivre son plaisir sans gêner l’autre. »

Le hasard nous servit.

A ce moment un solide gaillard à barbe rousse débouchait d’un sentier sous bois. Le vrai type ataviquement conservé de ces hommes aux yeux clairs, aux cheveux dorés, qui joyeusement, dans les antiques forêts de Gaule, attaquaient l’auroch avec l’épieu. Il avait des souliers ferrés, de fortes guêtres, et marchait suivi d’un grand chien.

— « C’est Pontalais ! regardons-le faire. — Je ne lui vois pas d’armes, comment chasse-t-il ? — Il a un fusil à vent dans sa canne. »

Chasse étrange ! le chien venait de tomber en arrêt devant la grille d’une villa. Pontalais, avec des précautions de Peau-Rouge, s’approcha de la grille, visa au travers des barreaux, tira… Nous entendîmes un bruit clair comme celui d’un verre fêlé.

— « Et de quinze ! » s’écriait Pontalais qui, nous ayant aperçus enfin, venait de notre côté, les mains tendues.

— « Quinze quoi ?… » lui demandai-je avec quelque curiosité.

— « Quinze de ces boules étamées dont la bourgeoisie parisienne a coutume de déshonorer les pelouses de ses jardins. Je suis chasseur, comme tu sais. Mais pas moyen de chasser ici, toutes les forêts étant louées par de gros banquiers allemands. Alors, l’idée m’est venue de me rattraper sur les boules. J’en ai déjà détruit pas mal : les gens de goût me sauront gré de la chose… Ce genre de chasse est à la fois hygiénique et humanitaire… On s’y intéresse, on s’y passionne… Mais chut ! voilà Phanor qui reprend la piste. Nous nous rencontrerons tout à l’heure au bord de l’eau.

Il me restait à voir Marius.

Nous le trouvâmes à droite du pont, les pieds pendants, assis sous un saule. Un attirail complet de pêcheur était étalé près de lui, dans l’herbe. Grave, attentif, silencieux, sans se laisser distraire par les bouffées de musique que lui envoyait le bal voisin, ni par les railleries dont le saluaient en passant les canotiers aux bras nus, aux tricots voyants et multicolores, il jetait à l’eau, l’une après l’autre, des fèves bouillies que, de seconde en seconde, il tirait d’un petit sac mystérieux.

— « Salut, Marius ! ça mord-il ? — Vous voyez bien que je ne pêche pas. — Alors tu appâtes ? — Appâter ? moi ! Il n’y a que les ignorants en pêche qui appâtent. Le poisson appâté n’a plus faim, et n’ayant plus faim, il ne mord pas. — En effet, le raisonnement me semble clair. »

Marius, flatté, me mit son sac de fèves sous le nez. Ces fèves répandaient une odeur amère et fétide.

— « Qu’est-ce que c’est que ça ? — Ça, mon vieux, c’est tout simplement des fèves bouillies dans une décoction d’aloès… Avec ça, au lieu de gaver le poisson, je le purge !… Et tu devines avec quelle fringale les brochets, les barbillons et les carpes vont se réveiller demain au petit jour… C’est naturel, n’est-ce pas ? Eh bien, personne n’y avait jamais songé… Depuis que cette idée m’est venue, je fais des pêches étonnantes. Aussitôt jeté, aussitôt tiré ; les poissons dévorent mes lignes. Tu ris ? demande plutôt à Pontalais, demande plutôt à La Dieuville. »

Mais La Dieuville, inquiet, songeait à retrouver ses siphons d’eau de seltz et ses fleurs ; Pontalais, impatient de se remettre en chasse, ne voulait pas laisser passer l’heure propice, celle où les boules étamées s’allument aux rayons rouges du couchant.

Je demeurai donc seul avec Marius, le long du fleuve, à purger les carpes.

Et tout heureux d’avoir découvert près de Paris un pêcheur si génialement inventif, un si fantaisiste chasseur, un si chimérique agronome, j’oubliais la tache originelle, et me consolais presque d’être du Midi !

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