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Nouveaux contes de Noël

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LE NOËL DU DÉPUTÉ

— Député ? Toi ! Tu désires être député ?

— C’est d’hier, pas plus loin, que l’ambition politique m’est venue ; c’est d’hier que cette idée m’est entrée dans la tête, se cognant aux parois et bourdonnant avec la ténacité d’un hanneton qui veut percer une vitre : « Eh ! mais, après tout, être député me semble agréable ; pourquoi, comme tant d’autres, ne me laisserais-je pas nommer député ? »

Non que le métier en soi me plaise outre mesure !

Aller au Palais-Bourbon à la même heure, tous les jours, entre une double haie de badauds qui admirent ; traverser la salle des Pas-Perdus en se donnant des airs profonds sous l’œil des journalistes narquois ; et, loin de la commission qui vous réclame, de la séance qui va s’ouvrir, et des solliciteurs départementaux dont la meute gronde à la porte, faire l’école buissonnière à la buvette, séjour treillissé de bambous, où l’on fume de ces excellents cigares à deux sous que confectionne la Régie, exprès pour les législateurs et qui moins chers, sont aussi savoureux que des londrès aux champs, parcourant sa circonscription en berlingot de louage, voir le paysan qui travaille, se redresser sur le ciel clair pour saluer de loin ou bien montrer le poing, selon qu’il est ou bien n’est pas votre partisan ; et à Paris, dans les salons où de délicieuses caillettes se décollètent pour parler politique, au sein d’un tas de seins moins hypothétiques et plus friands que le fameux « sein de cette Assemblée », être fêté, entouré, pressé, et accaparer effrontément les hommages réservés jusqu’à présent aux seuls pianistes et poètes ; voir cité dans les journaux, jusqu’à ce que son obscurité en reluise, votre petit nom provincial à côté des noms les plus illustres : tout ceci, certes, constitue de fort enviables privilèges.

Tout ceci pourtant ne m’eût point tenté, étant de la race des oiseaux chanteurs qui préfèrent au tumulte des villes et au fracas des grandes routes l’abri d’un buisson où resteront, sa branche une fois dépouillée, quelques baies d’un bel écarlate qui, amollies par la gelée, aideront à passer l’hiver.

Mais hier matin le député m’est apparu sous un aspect nouveau ; et au prix de tous les ennuis je me condamnerais, Dieu me damne ! à légiférer onze mois et demi durant pour le droit d’exercer une semaine ou deux des fonctions à ce point aimables et patriarcales.

J’habite, comme tu sais, de l’autre côté de la Seine, un quartier paisible, affectionné des savants et des merles, où, entre de grands hôtels portant sur marbre noir des noms héraldiques dans un cartouche, se dresse de loin en loin, par-dessus des murs de jardins, un vieil arbre contemporain de Louis XIV et de Versailles. Les rares boutiques qu’on y voit gardent l’air honnête des boutiques de jadis. Peu de voitures s’y égarent et s’il en passe une parfois, le cocher intimidé par la majesté de ces arbres et le silence de ces maisons closes ralentit le pas et donne à sa guimbarde des allures de carrosse de cour.

Le Corps législatif n’est pas bien loin ; et quelques députés — il y en a ! — qui n’ont pas voulu se laisser prendre par le Maëlstrom, dont le formidable entonnoir se creuse et tourbillonne autour de la Bourse, non plus qu’être initiés à cinquante ans aux splendeurs de la haute vie, quelques députés se sont cantonnés là, modestes dans un petit cercle d’habitudes, logeant en maison meublée, dînant à table d’hôte, et le soir, comme des étudiants vieillis qui auraient neuf cents francs de pension par mois, se livrant à des orgies de lecture et de dominos dans des cafés où les garçons familiers et respectueux offrent au consommateur la Revue.

Donc hier, près de chez moi, je rencontre un de ces députés, non plus grave et le front obscurci de tous les soucis du pouvoir, n’ayant plus sous le bras l’indévissable portefeuille bourré de rapports et de plans : maisons d’école ou ponts à construire, chemins vicinaux à rectifier, églises romaines qu’il faudrait recouvrir de tuiles ; mais fringant, joyeux, guilleret, avec une douzaine de minuscules cartons noués de faveurs bleues et roses.

Il m’aperçoit, je le salue.

— « Le temps de déposer ceci à l’hôtel, me dit-il, et, si vous n’avez rien de mieux à faire, je vous emporte dans un fiacre.

— Pour aller ?…

— Eh parbleu, pour aller acheter d’autres cartons ! J’ai peu l’habitude des magasins ; vous, Parisien, m’aiderez à choisir. »

Une fois dans le fiacre, mon député me confia que, les crédits étant votés, il avait résolu, comme tous les ans, d’avancer son départ de quelques jours sans attendre les vacances réglementaires.

— « La Chambre s’arrangera ! Dès ce soir je quitte Paris… Voici la Noël qui arrive, et je ne peux pas faire autrement que d’être là-bas pour la Noël. Voyez plutôt… »

Il avait tiré une lettre, il me la lisait :

Monsieur le député,

Nous vous écrivons la présente à seule fin de vous occasionner un tout petit dérangement. En venant passer les vacances à Canteperdrix, il faut que vous ayez l’obligeance de nous apporter une petite lanterne magique, dans les prix doux et dont vous trouverez ci-inclus le montant en timbres-poste. On ne fabrique bien les lanternes magiques qu’à Paris, et nous avons promis la surprise, pour son Noël, à notre petit Marius qui se souvient toujours de vous et qui compte sur votre protection, monsieur le député, pour dans quinze ans d’ici, quand il se présentera à Saint-Cyr…

— « Comment refuser ce service à de braves gens qui s’imaginent que je les représenterai encore dans quinze ans ?… Et cette lettre n’est pas la seule ; voici par ordre alphabétique la série des commissions dont on me charge ! » continua mon député en déroulant une liste plus longue que celle des maîtresses de Don Juan.

Entre temps, arrêtant le fiacre à la porte d’un bazar ou d’une confiserie, nous entassions sur nos genoux et sur la banquette les cornets de bonbons à bon marché, frises en papier d’argent ou d’or et décorés de naïves chromolithographies, les pastillages à la mode d’autrefois où le sucre fondu, filé, pétri et coloré par des mains habiles, devient un beau paysage en relief au milieu duquel se promènent des personnages revêtus d’habits gommés ; sans compter les polichinelles et les poupons, les chiens qui aboient, les agneaux qui bêlent, les ânes qui braient, les vaches qui beuglent, les trompettes et les tambours, les sabres de bois, les pistolets de paille, les soldats de plomb poissant aux doigts et coloriés de couleurs barbares, les lions en poil de lapin, et les lapins batteurs de caisse à qui deux clous, en guise d’yeux, donnent un aspect diabolique.

Tout en maugréant, tout en soupirant, mon député nageait dans la joie :

— « Fichu métier ! s’écria-t-il, mais voilà de quoi me faire pardonner bien des bureaux de tabac que je n’ai pas obtenus malgré mes stations dans les ministères. »

Et moi, s’il faut que je l’avoue, le cœur mordu par une basse envie, j’étais jaloux de la joie de mon député.

Je me disais : d’ici à quatre jours, au fond de nos petits villages montagnards que décembre aura saupoudrés de neige, dans la rue blanche qu’égayera, reflet rouge à travers les vitres, la flamme des cheminées et des fourneaux, les enfants attendront le député promis, et dépassant la dernière maison, ils iront sur le chemin, jusque dans les champs, pour voir s’il arrive. Et la nuit du grand repas, au dessert, quand, arrosée d’un vin de cent ans, flambera sur les landiers de fer la bûche calendale, quand la clairette éclatera, bouchons en l’air, inondant la nappe de mousse, et qu’on apportera les cadeaux entre les trois lumières allumées et les trois assiettes de terre brune où le blé commence à verdir, alors les enfants le béniront, ce député, et ils se le figureront dans un rayon de gloire, avec une barbe blanche, des sabots, une limousine reluisant de givre, les mains pleines, souriant et emmitouflé comme le bonhomme Noël des contes…

Mais au fait, conclut mon ami, voilà qui ferait un crâne costume, bien autrement significatif et pittoresque que le triste habit noir d’aujourd’hui ou que les manteaux de croque-morts dessinés jadis par David pour les Directeurs, les Représentants du peuple et les Cinq-Cents ! C’est une idée. Je compte en parler à la tribune si on me nomme, et proposer que nos députés se montrent ainsi vêtus dans leurs provinces au moins une fois l’an, quand oubliant la politique, ils deviennent — comme l’excellent homme dont je viens de te raconter l’histoire — députés des enfants, à l’époque des fêtes d’hiver.

FIN

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