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Nouveaux contes de Noël

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LES CHATS

Décidément, la mode est aux chats !

Grâce à d’ingénieux dresseurs, ils connaissent les honneurs du cirque ; et tout cet hiver, nous avons pu les voir, au milieu des applaudissements, sous la joie frissonnante des lumières, opposer leurs souples exercices à ceux des gymnastes en maillot rose et des funèbres clowns peinturlurés.

On dit même qu’à la suite de ces acrobatiques triomphes, le chat, dans le monde de la galanterie, tendrait à remplacer — tel un histrion applaudi — cette boule de soie crespelée et blanche où luisent deux diamants qui sont les yeux, d’où émerge une miniature de truffe qui est le nez, avec, par-dessous, comme on dit en style raffiné, entre deux rangées de menues dents, un lambeau de mignonne langue rose.

Certes, transformé ainsi par la sélection et la culture, l’animal, qui était jadis le chien, devient une manière de joujou, vivant encore d’une vie vague, encore doué d’un soupçon d’intelligence et d’obscure affectuosité, le tout agréablement microscopique et très à sa place parmi les amours à fleur de peau, les drames pour rire, et les fragiles élégances d’un boudoir.

Mais combien fera mieux — voluptueuse harmonie que Manet avait comprise, — combien fera mieux, se roulant aux mystères du même boudoir, près d’une civilisée pâle dont la seule fonction est la caresse, le chat, créature silencieusement attractive et caressante de tout son corps !

J’ignore ce que l’avenir réserve au chat et ce qui résultera pour lui de cette situation nouvelle.

Mais en attendant qu’un poète analyste, félin émule de Paul Bourget, fixe en quelques pages magistrales et définitives la délicate physiologie du chat moderne, j’ai voulu noter, prises sur le vif, deux ou trois observations faites pour caractériser l’ancien chat, le chat demi-rustique tel qu’on le connaît dans les familles, allié à l’homme, non son esclave, n’acceptant de nos mœurs que ce qu’il en veut, et, par l’inquiétante interrogation de son regard, la royale indolence de sa démarche, la fantaisie griffue de ses agressions, se plaisant à rappeler que les bois sauvages furent sa première demeure et qu’il y a toujours du tigre en lui.

Ce qui ne l’empêche pas, à l’occasion, de montrer l’esprit le plus subtil, l’imagination la plus vive, et parfois, n’en déplaise à ceux qui le taxent d’égoïsme, la plus exquise sensibilité.

J’ai autrefois habité une vieille maison de province qui était un vrai paradis pour les chats à cause de ses longs et noirs corridors, de ses galetas encombrés d’antiquailles et de meubles, de ses combles jamais visités et tout à fait propices aux secrètes installations, aux nocturnes sabbats, aux hurlantes batailles, avec mille issues vers la liberté du toit, asile sacré, inviolable observatoire, d’où l’on contemple, ronronnant tout le long du jour, par delà les dernières maisons, la ceinture verte des champs, et, le soir venu, l’infini bleu piqué d’étoiles.

Cette bienheureuse maison possédait trois chats, ou plus exactement, un matou et deux chattes.

Le matou, grand batailleur devant l’Éternel, nez balafré, oreilles déchiquetées en dentelles, avait son poil du plus magnifique ébène et portait fièrement le nom de Moricaud. Il s’était rendu célèbre d’ailleurs par une assez singulière aventure.

Roulé du haut d’un toit au cours de quelque expédition amoureuse, il fut ramassé, assez mal en point, ne pouvant plus agir que des pattes de devant et traînant lamentablement sur le pavé, comme un poids inerte, la partie postérieure de son individu.

Les commères compétentes déclarèrent qu’il avait la colonne vertébrale brisée, et, pour lui épargner d’inutiles souffrances, on décida qu’un voisin, homme connu pour avoir le cœur dur, enfermerait Moricaud dans un panier et le précipiterait du haut du pont.

Un saut de cinquante pieds, s’il vous plaît ! dans un courant d’eau torrentueux et plus que jamais glacial en cette saison où les neiges fondent.

Ses maîtres le croyaient mort et déjà le pleuraient quand, deux heures après l’exécution, il reparut, mouillé, mais fier comme Artaban, gaillard comme un sabre, et valide de ses quatre membres.

En dépit du diagnostic des commères, Moricaud ne s’était rien brisé en tombant. Son cas, — ainsi qu’a daigné me l’expliquer l’illustre professeur Charcot, aussi profond philosophe que savant médecin et, en cette double qualité, grand contemplateur devant la nature et grand ami des animaux, — son cas devait être un de ces curieux cas de paralysie hystérique souvent provoqués par un choc et qu’une émotion violente suffit quelquefois à guérir.

Moricaud sortait donc guéri de son périlleux bain froid comme sort un croyant de la piscine de Lourdes.

Un chat imaginatif à ce point ne pouvait manquer d’avoir de l’esprit.

Ce simple fait le prouvera.

L’originale maison dont il s’agit conservait, au fond de son couloir, une antique sonnette hors d’usage qui, après avoir longtemps annoncé les visiteurs, mais désormais remplacée par une moderne sonnerie, ne servait plus guère qu’à convoquer, pour la distribution du mou, les chats attardés dans les combles ou bien errants le long des gouttières. Mise en branle par un bout de corde, la sonnette s’entendait de loin, et les chats, sans se faire prier, accouraient à sa voix connue.

Un jour Moricaud manqua à l’appel.

Où diantre s’en était-il allé ? Sans doute où vont les chats quand l’amour les taquine.

Mais voilà qu’au milieu de la nuit, la sonnette se met à sonner toute seule. On s’effraie, on s’empresse ; s’il y avait des revenants dans la maison ? Non ! c’est tout simplement Moricaud qui, de retour et pressé par la faim, s’était suspendu à la corde, et sonnait, sonnait comme un sonneur ivre, dans l’espérance de faire venir le mou.

Comment ne pas aimer les chats !

Quoique l’heure presse et que le papier à noircir pour aujourd’hui diminue, je ne déposerai pas la plume sans vous raconter, à propos des mêmes chats, une attendrissante anecdote qui prouve que chez eux, — a-t-on assez mal compris, a-t-on assez calomnié leurs semblables ? — le cœur était à la hauteur de l’esprit.

Comme dans tant d’autres maisons, il se trouvait dans la maison aux chats un grand-père, vieil homme presque octogénaire mais solide encore, et qui, pour rien au monde, n’eût manqué d’aller tous les jours boire son verre, fumer sa pipe et faire sa partie d’avant dîner au café du bout de la ville.

Grand-père aimait beaucoup ses chats, ses chats aussi l’aimaient beaucoup ; et ils le lui prouvaient chaque soir à l’heure de son retour du café, en allant au devant de lui jusqu’au coin de la prochaine rue, tous de front, leurs trois queues en l’air. Là, des ronrons récompensés par des caresses. Puis, les chats se remettaient en marche, et, tous de front, leurs trois queues en l’air, précédaient grand-père jusqu’à la porte.

Par malheur, au commencement de l’hiver, grand-père tomba malade. On lui prescrivit un repos absolu, sa chambre fut consignée, et les chats ne le virent plus.

Ceux-ci ne savaient pas ce qu’était devenu leur ami ; et chaque soir, à l’heure ordinaire, ils allaient jusqu’au coin de la prochaine rue, attendaient un instant, puis s’en retournaient la queue basse et l’air désolé, conduite qui faisait l’étonnement et l’édification de tout le voisinage.

Or, certain jour passa par la ville un vieux chercheur de pain à peu près du même âge que le grand-père, et qui, avec sa canne, sa barbe blanche, ses habits râpés mais fort propres, n’était pas sans lui ressembler.

Il passait justement à l’heure habituelle du grand-père, et les chats, le voyant venir, y furent trompés.

Tous en rang, leurs trois queues en l’air, ils allèrent à la rencontre du pauvre, passèrent, repassèrent entre ses jambes, et le pauvre, en les caressant, murmurait : « Seigneur, mon Dieu, les braves chats ! »

Puis ils se mirent à marcher devant lui, au grand étonnement du pauvre qui, tout de même, les suivit.

Il les suivit jusqu’à la porte de la salle à manger qui, selon la coutume de certaines provinces, se trouvait au rez-de-chaussée, donnant sur la rue.

Et, comme le dîner était servi, pour ne point se montrer moins charitables que les chats, honnêtement on invita le pauvre à prendre place autour de la table, dans le fauteuil même du grand-père.

Et le vieux pauvre disait toujours, tout en montrant grand appétit :

— Seigneur, mon Dieu ! la bonne ville où, pour vous montrer le chemin, on dépêche de si braves chats !

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