Pas perdus
DE QUELQUES RÊVES
La vie est un songe.
Supérieurement construit, ce Songe d’Athalie : il reproduit avec une fidélité poignante cette incohérence logique, et logique incohérente, qui nous impressionne dans les rêves. Athalie, obsédée par l’appréhension d’un péril vague et prochain, se représente soudain, nécessairement, la fin hideuse de sa mère : et l’apparition par deux fois d’un enfant tout pareil à ceux qu’elle fit massacrer jadis, et qui la vient massacrer deux fois, est pareillement d’une observation que nous autres dirions clinique. Ici, une remarque : cet enfant, qu’elle n’a jamais vu, avant de le reconnaître en rêve, elle va le voir presque aussitôt en pleine réalité, et le reconnaître incontinent. Donc le rêve se fait prophétie. Or, cela est-il possible, et cette péripétie, d’un tel effet dramatique, s’est-elle accomplie jamais ?… La science vraisemblablement répond que la succession est nécessairement inverse, et que la reine a vu d’abord, de ses yeux de chair, le personnage qui viendra hanter son sommeil. Cependant, l’antiquité entière affirme le contraire, elle donne raison à Racine, tellement que le simple ignorant se trouve ébranlé, et n’ose que répéter le « Que sais-je ? » de rigueur.
Toutefois, nous, personnellement, qui rêvons à peu près chaque nuit, et notons complaisamment nos rêves, n’en avons encore reconnu aucun qui prît allure prophétique. Ils se rapportaient toujours, tantôt à des événements qui par leur importance obsédaient la veillée du songeur, tantôt, au contraire, à d’autres (immédiats ou très lointains), insignifiants, mais que, par leur insignifiance même, l’état de veille avait laissés inutilisés. — Naguère, un tailleur autrichien, un nommé Reichelt, périt, s’étant jeté du haut de la tour Eiffel accroché à un parachute absurde qu’il estimait infaillible. Il lui était arrivé en rêve de se sentir voguer dans l’air : et ce lui apparut un avis du destin. Or, cette sensation, si fréquente, a même origine que l’angoisse, si fréquente aussi, de ces cauchemars où nous voulons fuir et nous sentons nos membres devenus de plomb. L’origine réside dans la perception à la fois aiguë et obscure de l’immobilité de notre corps, alors que vagabonde l’esprit à travers le monde des images.