← Retour

Pas perdus

16px
100%

ET LA VILLE !

Les cloches de la cathédrale
Titubent sous le ciel bleu.

Six heures, exquis éveil des cités de province : Paris, amas de villes superposées, ignore ce charme.

Dans les jardins la digitale
Tremble sous le vent clandestin.

Les mieux matutineuses fenêtres bâillent, des anges en camisole secouent les tapis obscurément multicolores aux battements pesants : l’on entrevoit les armoires cathédrales, des lits en estrade et leurs dais aux rideaux ramagés, ailes d’anges gardiens ; sur les cheminées et les guéridons, des bergeries en faïence, des joujoux en verre filé, la verrerie à liqueurs, la pendule de bronze doré entre les flambeaux verts ; plus haut, la pipe en porcelaine et le fusil du bon Lorrain.

Les sous-officiers de cavalerie galopent par les rues qui tournent, derrière les plantons cavalent, et en bandoulière sursaute la sacoche aux correspondances. Disparus !

Marguerite et Véronique jacassent à la fontaine : penchées sur les seaux de bois profonds que l’eau qui grêle tambourine, d’un revers de main elles ramènent avec une moue adorable, les cheveux fous et les nattes qui coulent sur le cou flexible et sur la figure rose à faire crier.

Les cloches tintent messe basse, et voici les dévotes plates et noires. — Taratata ! le réveil vibre à travers, par-dessus les casernes, et le frais soleil partout luit.

Bah ! emboîter le pas aux chemins fourbus ? pas si bête ! mais faire, par quelque trait de génie, se lever d’inusités itinéraires et des décors inattendus, tu-tu, tu-tu, qui, à mesure qu’on approche, se fondent dans le décor su par cœur : or, de s’approcher on se garde bien, et hume à distance la vision savoureuse d’être insolite et fugitive.

Cela aboutit toujours à la cathédrale : et aux dévotes qui sortent en trottant muettement ; le marché verdoie, grouille, bourdonne sur la grand’place, elles l’envahissent, des plaques de mouches, noires, ratatinées, bruissantes maintenant. Ah oui, mais, la foison des jolies filles — toujours Gretchen et Véronique — met le feu à toutes ces noirceurs : toutes les Lorraines sont jolies à Lunéville.

— Eh mais, déjà chauffe le soleil ! l’instant de rattraper l’ombre fraîche au cabaret du père Tritschler et s’attendrir sur la beauté moribonde de sa fille aux poitrinaires vingt ans. Mais la succulente eau-de-vie de prunelles éblouit le haut verre pansu : oh, oh ! Fagus, tu seras gris ce soir !

Tétant la pipe en porcelaine
En ce cabaret délaissé,
J’exhume longuement l’haleine
Qui s’essore d’un clair passé.
Le soleil filtre par les vitres
Et fait des ronds blancs sur le mur,
Il vagabonde entre les litres
Et les verres à l’éclat dur ;
Les mouches filent, caracolent,
Et font des zigzags tournoyants,
Tourbillonnent et se bousculent,
Les cloches brament sourdement ;
Fillettes gentement niaises
Trottent leur missel en main
Par grappes blondes vers l’église,
Offrir à Dieu l’éveil fervent
De ce petit cœur en dentelle
Qui cherche, cherche son chemin ;
L’Amour exhale de la terre
Tout son parfum lent et brûlant
Qui me met en fièvre et altère
Vertigineusement !

Altère !… et l’eau-de-vie de prunelles aussi, sacripant ! (tu coucheras à la boîte ce soir, et ce sera justice !) elle bourdonne au fond de ton cœur, la mouche d’or emprisonnée.

Dans la cage, or et cristal,
Où Prince Obéron l’enferma…

Oh, mais, remue-ménage encor :

Les cloches de la cathédrale
Plombent dans l’air cuisant déjà.

Cela signifie neuf heures, et encore une messe. Fort bien : Puis l’instant précis d’ensevelir les moelleux petits pains beurrés gorgés du café au lait sirupeux. Et puis, promener notre paresse active aux allées des « Bosquets » (bosquets selon Versailles : Vive la reine Marie Leckzinska !) Et bientôt me rappellent les cloches, toujours :

La grand’messe !… Hou, malheureux, hou, mauvais chrétien, tu allais oublier que c’est Pâques !

Pâques ! Pâques ! c’est les cierges
O brasiers, ô cathédrales,
L’encens qui fuse en spirales !
C’est les enfants et les vierges…

O Pâques ! ô printemps, Christus resurrexit !

Chargement de la publicité...