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Pas perdus

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UN PLAGIAT ÉHONTÉ

Je ne saurais approuver, en dépit du divertissement qu’y prend tout honnête écrivain, approuver sans réserves le procédé de Pierre Benoit. Ses « pièges à loups » à l’usage des critiques et — je dis, moi : attrape-nigauds — n’atteindront jamais, d’abord, la mystification supérieure que le bon Willy, pareillement accusé, servit à Ernest-Charles, naguère. J’eusse plaidé coupable, carrément : — Parfaitement, je suis « un type dans le genre de » Molière, Shakespeare, et autres, et qui prend son bien où il le trouve. Ce seul qui importe est de savoir s’en servir, à l’exemple du Père Éternel lui-même, selon Père Hugo son confrère :

Car Dieu de l’araignée avait fait le soleil.

Par l’unique virgule qu’il ajoute, — qu’il ne peut s’empêcher d’ajouter — par la place seule où il l’insère, le créateur recrée ce qu’il a pris : il le doue d’un sens.

Certain chroniqueur bien parisien (René Wachthauser) accusa Han Ryner d’avoir chipé dans la Physique de l’Amour de Remy de Gourmont l’épisode relatif aux fiançailles de la taupe. En effet. Seulement Gourmont l’avait lui-même extrait d’un traité de zoologie, à l’appui de la thèse psychologique qu’il soutenait. Et Han Ryner en voulait déduire un thème moral d’un ordre, et sur un plan complètement différents. Han Ryner eut la candeur de se défendre ; de quoi Gourmont s’amusa beaucoup, j’espère. Car, combien Gourmont a, joyeusement, plagié Fabre !

Cela est tout à l’opposé du démarquage, lequel constitue le seul vrai plagiat, et dont Gourmont signalait cet exemple illustre : Jules Michelet découpant et insérant tout cru dans L’Oiseau une page de Buffon, qui passait alors pour oublié.

Sur quoi, je m’ose mettre en scène, sans modestie ni fatuité, persuadé que telles confessions, dont je ne sais quel ridicule respect humain nous éloigne, seraient très utiles, de toutes façons. Et qu’un tel procédé soit suivi, surtout par de moins infimes, est ce que je souhaite de tout cœur.

D’un mien ouvrage poétique, il a été dit du mal et du bien. Mais le seul reproche à lui épargné, est le manque d’originalité (c’est La Danse macabre). Or, je n’ai cessé, pour sa confection, de piller, consciemment, consciencieusement, effrontément. Le thème sort évidemment de Dante, et du charnier des Innocents. Aux textes religieux, j’ai pris, traduisant, paraphrasant, tout ou partie : dans la Genèse, le Pater, le Magnificat, les Litanies de la Vierge, l’hymne des SS. Innocents, le Dies Irae, l’Ave maris Stella, le Cantique de Fénelon, etc., etc… Aux chansons populaires ou rondes enfantines : Entrez dans la danse, J’ai des pommes à vendre, Voici le mois de mai, Magali, le Furet, Nicolas, je vais me pendre, Saute la jolie blonde… etc., etc., etc., plus ou moins remaniées.

Sur un pied danse… vient des Djinns de Hugo (et d’un passage de Rimbaud). Toute armée… toute nue, de Hugo (L’Homme qui rit). C’est l’amour qui mène le monde, d’un antique vaudeville ; Mon cœur soupire, des Noces de Figaro ; Psit, psit, beau masque, du don Juan de Lorenzo da Ponte. Tel vers invoquant Dante, du Tu duca, tu signore, e tu maestro, par quoi Dante invoque Virgile. La vie est un rêve est de Caldéron ; L’Homme est le rêve d’une ombre, de Pindare ; Amour, tyran des dieux et des hommes, d’Euripide. Elle a vécu, Myrto…, d’André Chénier ; Même quand nos cœurs sont broyés, de Burger (ballade de Lénore). Le sonnet Servants du Dieu d’amour, pastiche un sonnet de la Vita Nuova de Dante. Le Je ne veux pas de mon Don Juan fut pris à Baudelaire, comme le Quinze ans, ô Roméo, à Musset. Ici, j’insère six vers de Vigny ; là, quatre de Molière, que j’attribue fraternellement à La Fontaine. Plus loin, un couplet d’une vieille chanson de café-concert, une ronde fameuse de corps de garde, et une autre illustre à l’École de Médecine. Autre part, don Quichotte (D’amour feraient mourir, Madame, vos beaux yeux…) fait à M. Jourdain faire de la poésie sans le savoir…

Et voici Les neiges d’antan de mon maître Villon, et le Je ne veux plus aimer… de mon maître Verlaine, et, plus loin, deux poètes peu connus du XVIIe siècle, que, nouveau Pierre Benoît, je vous laisse le plaisir de retrouver[11].

[11] Pour aider : « Ah, que j’eus de plaisir à la voir toute nue. » Quant à l’autre… cherchez dans les Marges (dame, si je vous dis tout).

Ce ventre qui digère m’est fourni par E. de Goncourt, décrivant l’Hercule Farnèse.

Et je te vis, et je fus perdu, etc… Que me criblent les boucs, viennent de celui-là que Mossieu de Pavlovski qualifie de vide et d’artificiel.

Masques, voici les masques… : voici aussi Molière (et peut-être Verlaine).

Passe un grand squelette… qui bat du tambour. Voir le Faust de Marlowe.

Les toxiques bus… jamais plus… inutile d’insister.

Ah ! et le… Apprends-moi des mots sales, de ma jeune mariée ? Une légende d’Hermann Paul. Comme le : C’est si laid, un homme, de ma jeune tribade : une légende de Forain. — J’en ai verdi déjà des hommes, est un mot de Thérésa. J’ai du di, j’ai du bon, etc., je l’ai cueilli dans les Égarements de Mine, par Willy.

Le Linus vient de La Bible de l’Humanité, de Michelet, comme la bacchanale

— Par la ville à la fois que la trompe en folie

traduit un poème érotique latin de Catulle… oui, Catulle Mendès (Lætius dum sonat in urbe cornu…).

A présent, confrontez ces textes :

Pleurs de la Francesca, et ton rire, Ophélie

à

Bois de la Frazona (Vigny)… et ton rire, ô Kléber (Hugo).

Ma vie s’écoule à flots brûlants : ici Charlot s’amuse — sur les paroles de la Marche funèbre de Chopin (Symbole, que me veux-tu ?)… A bas, catin. C’est dans Othello. — Le corbillard de cristal est dans Rimbaud[12] ; Lucifer-Passe-partout, c’est celui du Tour du monde en 80 jours, tel que je le vis jouer au Châtelet, voici 35 ans.

[12] Et souvenir du conte Blanche-Neige, ravivé par le cinéma.

Et l’apostrophe au Sphinx a été dictée par Flaubert.

Et que c’est loin d’être tout ! Mais je crains d’abuser.

Pourtant, comment me retenir de monter en broche un de mes cambriolages les mieux réussis (dans Frère Tranquille). Humez ce fragment :

Sous ce front qui gronde
J’écoute marcher
Un géant qui jongle
Avec des rochers.

Ne décrit-il pas au suprême un début d’aliénation mentale, ou tout au moins, de céphalalgie ? Eh bien, Messieurs, les deux superbes vers soulignés sont transcrits mot à mot de la description — en prose — d’une éruption de l’Etna, par mon bon maître Alexandre Dumas père.

Inutile de dire, n’est-ce pas ? que tant et de si consciencieuses manœuvres restèrent insoupçonnées de mes plus astucieux aristarques. Je commençais à désespérer, quand on m’exhiba un article de Clarté, où M. Noël Garnier me taxait de plagiat. Enfin, sauvé ! Hélas, mon Dieu, il se bornait, l’ingénu, à m’accuser de chiper au Latin mystique de Gourmont certaine « hymne » de Prudence que, meilleur chrétien ( — Hou ! hou ! la calotte !), il aurait lue dans son paroissien. N’importe, l’intention y était : je le remerciai, comme de juste, l’assurant que dès qu’il produirait un bon vers, je lui ferais l’amitié de me l’annexer. Concluons. Si, selon qu’a promulgué Monselet,

On n’a jamais été grand’chose
Tant qu’on n’a pas été bœuf gras,

on n’est rien en littérature tant qu’on n’a pas été : diffamateur comme Louis Dumur, ou plagiaire comme Pierre Benoit : ou moi-même, ou pornographe… mais ceci, je me l’attribue exclusivement, tant que Baudelaire sera mort.

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