Pas perdus
ÉPHÉMÉRIDES
Vois, déjà le Printemps s’avance,Semant l’or et le saphir ;C’est le dieu soleil qui s’élanceSur les ailes du zéphir !
1er mai. — A travers les sautes d’humeur d’un avril tout ruisselant encore des bourrasques d’un mars attardé, des jets de soleil annoncent le délectable mois de mai. Mai s’inaugurait naguère avec une somptuosité tapageuse. D’étincelantes alignées de fusils en faisceaux (derrière quoi des rangs de troupiers fumant béatement la bouffarde philosophique rappelaient les coquelicots et les bluets des champs) endiguaient les défilés de terrassiers gigantesques enfouis dans du velours côtelé, l’églantine rouge sur le cœur, suivis de près par les gardes municipaux magnifiques et les cuirassiers formidables. C’était comme une tradition nouvelle s’en venant renouer la tradition d’autrefois : une tradition ne meurt jamais. On ne refera pas le tableau tant de fois refait des amoureux de jadis accrochant de grand matin le bouquet de mai qui porte bonheur, à la fenêtre de la bien-aimée[19] ; ni de la pharamineuse, solennelle et fantasque cérémonie où Messieurs de la Basoche plantaient l’arbre de mai dans cette cour du Palais de justice qui en a gardé le nom et le nom seul, hélas ; ni des « carolles » dansées et chantées, « chapelet » de fleurs au front, jusqu’en les jardins du Roi, et où Roi et Reine eux-mêmes prenaient part. Mais il nous apparaît certain que c’est tant d’obscurs souvenirs qui poussent les ouvriers à former un pareil jour des cortèges qui s’achèvent aussi bien sur les pelouses suburbaines que dans les métingues. Tout à la fois que par troupes blanc fleuries du muguet qui porte bonheur, les petites ouvrières dévalent par les voies faubouriennes… et que les neuves communiantes processionnent devant l’autel de la Vierge en chantant Ave Maris Stella. Une tradition ne meurt jamais.
[19] Comment pourtant ne pas mentionner l’impertinent et charmant vaudeville de La Fontaine « Je vous prends sans verd », représenté avec grand succès le 1er mai 1693, et dont toute l’intrigue tourne sous le rameau de mai :
Ainsi ce mois de mai, porte du printemps, vestibule de l’été, représente au fond l’instant d’une réconciliation générale, d’une communion universelle encore qu’insoupçonnée. Et si nous étions musicien, nous tenterions d’exprimer cela par quelqu’une de ces symphonies vocales où excellaient nos maîtres français du XVIe siècle, Jannequin, Goudimel, Josquin des Prés. On entendrait chanter les fillettes :
et puis encore :
Le chœur folâtre serait interrompu par des voix traînantes et rudes entonnant avec une conviction touchante le cantique rouge, — car c’est bien un cantique :
Le groupe des vengeurs de Liabeuf et Bonnot se manifesterait même par l’air de quadrille (car c’est un air de quadrille, un peu bien suranné, mais sait-on ?) :
Mais aussitôt interviendraient des voix jeunes, avec la Vendéenne :
et la France bouge :
Ou les strophes farouchement goguenardes de Monsieur de Charette :
Cependant un orchestre esquisserait la marche funèbre de la Symphonie héroïque, car, retour logique des choses d’ici-bas : L’Héroïque fut écrite à l’intention de Bonaparte, où Beethoven voyait (c’était avant 1804) un héros à la Louis David. Napoléon expira ponctuellement en mai, mais… mais la marche funèbre fut exécutée pour la première fois… aux funérailles de Wellington. — (J’ai l’arrangement pour cuivres sous les yeux.)
Puis des fugues canoniques insinueraient les proverbes de circonstance :
mêlés aux poésies de Clément Marot, Charles d’Orléans, Ronsard, et autres rimeurs illustres. A quoi succéderait le cantique :
Et puis encore, mais dans son triomphant final, L’Héroïque : puisque le mois de Marie est à la fois le mois de Jeanne d’Arc.
Et pour, à la façon du moyen âge, assembler un bouquet symbolique : au muguet des bois porte-bonheur, à la rose pompon qui est la rose de mai, nous joindrions les violettes moribondes, des églantines plus rouges que nature, et des roses de France unies aux lys splendides.