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Pas perdus

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C’EST LA FAUTE A CLAUDEL

«  — … Et cette mouche était un ange. Et cet archange… »
Ah j’y renonce enfin et préfère Bouglé :
On repêche dans l’Oise un enfant étranglé,
L’enfant avait reçu deux balles dans la poche,
Refilées par Hugo, paillard, avare et moche.

… J’étais donc Olivier Twist, ou David Copperfield : j’étais Charles Dickens, enfin, interné chez le méchant maître d’école — marchand de cercueils, celui qui se surnommait lui-même « le caraïbe ». Et aussi triste que toujours. Pour me consoler, je contemplais, à travers la vitre du fond, la basse-cour enfouie sous les arbres du verger. Une poule noire apparut, voletant vers cette vitre, que je m’aperçus alors être un verre grossissant : car la poule devint, à mesure qu’approchante, un dindon superbe, puis, presque instantanément, un grand vautour au long cou dénudé, puis une autruche gigantesque. Et je voyais se vérifier ainsi l’hypothèse, la théorie zoologique que je me formulais du même coup : à savoir que ces trois derniers oiseaux appartiennent, en dépit des savants, à la même race, puisqu’ils portent tous trois une tête à peu près chauve au bout d’un long cou dépenaillé.

Et je me vis incontinent transporté dans la basse-cour devenue un jardin d’Extrême-Orient, appartenant à Paul Claudel, alors consul à Tien-Tsin. L’autruche (en réalité c’était un volatile énorme participant de tous ceux que je viens de nommer) emplissait à présent tout le ciel. Heureusement, car la peur commençait à me galoper, se ramena-t-il aux dimensions d’un casoar aussi grand d’ailleurs que l’épiornis quaternaire, mais férocement agressif. Mme Mithouard (oui, Mithouard, Adrien Mithouard, l’auteur du Traité de l’Occident) survint, et me prit par la main pour me faire traverser le parc : — « L’oiseau que voici, me dit-elle, ne veut connaître que moi : au surplus, rien à craindre, quand il est en compagnie de son ami le grand loup ; et puis, il sait que voici l’heure où nous lui offrons un voleur à dévorer. » Et j’aperçus, à l’étage de la grange — le parc décidément était simplement une très vaste basse-cour, grossie par la vitre, qu’à présent je portais en monocle — j’aperçus un Hindou lié sur le plancher. Dans sa bouche, maintenue ouverte par je ne pus découvrir quel procédé, était inséré un oignon, nourriture dont, comme on sait, l’oiseau est particulièrement friand. L’oiseau s’installa, demandant au patient, qui le regardait avec une tranquillité passive : — « Qu’as-tu fait de mon papier ? » Ce papier : rien moins que le manuscrit du Partage de Midi, qu’était sur le point de publier l’Occident. Mais l’homme ne pouvait répondre, et le cruel oiseau le savait bien. Je remarquai alors l’étrangeté du bec : un bec fait de deux becs accolés, double bec crochu de perroquet, d’où quatre mandibules, exactement comme chez le tétrodonte, ce poisson bizarre des mers chaudes. (Exotisme, que me voulais-tu ?) Le perroquet-épiornis dégusta lentement l’oignon, puis l’intérieur de la bouche, absolument comme il eût fait d’une noix. Le supplicié demeurait immobile et placide, ce qui m’apparut tout à fait normal et digne d’un Oriental bien élevé. Survenant alors, Tristan Tzara, le secrétaire de l’Occident, me confia : — « Si vous saviez, mon cher Fagus, quel mal m’a procuré ce dessin, étant donné le sale caractère de Claudel ! — (C’était la scène même à quoi j’assistais ; un passage du livre soudain transporté dans la réalité[8].) — Il est en effet d’une difficulté inouïe de représenter fidèlement cela avec rien que des caractères d’imprimerie… — Sales caractères, interrompis-je, tout ravi de mon calembour ! » Et je pensais en moi : Pourvu, mon Dieu, que cela « vienne bien au tirage » : Claudel passe pour si pointilleux ! Et l’inquiétude me tourmenta si fort que je finis par m’éveiller.

[8] Est-il nécessaire de dire que le Partage de Midi ne contient aucun passage se rapprochant de tout cela ?

Tout cela pour avoir trop absorbé de thé chez Mithouard !

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