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Dictionnaire étymologique, historique et anecdotique des proverbes et des locutions proverbiales de la Langue Française en rapport avec de proverbes et des locutions proverbiales des autres langues

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EAU.Il n’est pire eau que l’eau qui dort.

Ce proverbe nous est venu des anciens, car on lit dans Quinte-Curce (liv. VII) que les Bactriens disaient: Altissima flumina minimo sono labuntur, les fleuves les plus profonds sont ceux qui coulent avec le moins de bruit. Il se trouve avec explication dans les vers suivants extraits du livre IV des Distiques de Caton, qui furent composés dans le VIIe ou le VIIIe siècle par un moine dont on ignore le vrai nom:

Demissos animo et tacitos vitare memento:
Quod flumen tacitum est forsan latet altius unda.

Évite les gens sournois et taciturnes, car il n’y a peut-être pas dans le fleuve d’eau plus profonde que l’eau dormante.

L’eau échauffée prend plus vite la gelée.

C’est une opinion depuis longtemps répandue parmi le peuple, que l’eau qui a bouilli est plus susceptible de passer à l’état de congélation. Ce que Descartes, dans son traité des Météores (discours 1er), explique de la manière suivante: «On peut voir par expérience que l’eau qu’on a tenue longtemps sur le feu se gèle plus tôt que d’autre, dont la raison est que celles de ses parties qui peuvent le moins cesser de se plier (d’être liquides) s’évaporent pendant qu’on la chauffe.»—De là le proverbe employé figurément pour signifier que la trop grande ardeur qu’on met à faire une chose est sujette à se refroidir bien vite, ou que le caractère le plus prompt à se livrer à l’emportement est aussi le plus prompt à en revenir.

Croyez cela et buvez de l’eau.

Dicton qu’on adresse à une personne qui a l’air de croire ou de vouloir faire accroire quelque nouvelle dénuée de vraisemblance. C’est comme si on lui disait: La chose est difficile à avaler, et puisque vous voulez bien l’avaler, buvez de l’eau pour la faire passer.

Mettre de l’eau dans son vin.

C’est revenir de son emportement, rabattre de ses menaces ou de quelque résolution excessive, rentrer dans les bornes de la modération.—On peut regarder, au premier aperçu, comme une singularité frappante les éloges unanimes que les philosophes et les historiens grecs ont consacrés à la découverte du vin trempé, comme si elle eût été de nature à mériter l’admiration de la postérité; mais si l’on déroule la grande liste des crimes que l’ivresse a produits, il est impossible de ne pas approuver leur opinion, et de ne pas applaudir à la sagesse des peuples antiques qui érigèrent des statues à celui qui leur apprit à mêler de l’eau dans le vin pour modérer, comme dit Platon, une divinité furieuse par la présence d’une divinité sobre[38], ou pour calmer, comme dit Plutarque, les ardeurs de Bacchus par le commerce des nymphes. Ces peuples pensaient qu’un service si important ne pouvait leur avoir été rendu par un homme sans l’inspiration de quelque dieu. Ils en attribuaient l’idée à Bacchus lui-même, et l’exécution à divers personnages. Pythagore cite Achéloüs comme le véritable inventeur, dans ses Apothéoses qui commencent en ces termes: «Crotoniates, gardez la mémoire d’Achéloüs, magistrat suprême d’Étolie, qui le premier mit de l’eau dans le vin.» Pline le naturaliste nomme un certain Staphilus. Quelques écrivains parlent d’Amphyction, roi d’Athènes, et quelques autres de Cranaüs, également roi de la même ville. Montaigne, adoptant cette dernière tradition, a dit dans ses Essais (liv. III, ch. 13): «Cranaüs, roy des Athéniens, fut inventeur de cet usage de tremper le vin, utilement ou non, j’en ai vu desbattre.»

Voici une application plaisante de l’expression proverbiale. Deux personnes disputaient un jour chaudement sur ce vers où il est parlé des Romains:

Ils buvaient le falerne et les larmes du monde.

L’une d’elles soutenait qu’il était fort beau, et à chaque explication qu’elle en donnait, l’autre ne répondait que par ces mots: Qu’est-ce que cela prouve? Le poëte Lemière, témoin de la discussion, dit: Cela prouve évidemment que les Romains mettaient de l’eau dans leur vin.

L’eau trouble est le gain du pêcheur.

Les pêcheurs prennent beaucoup plus de poissons dans l’eau trouble que dans l’eau claire; de même, les intendants font leur profit dans l’administration d’un bien où le maître lui-même ne met pas bon ordre. De là ce proverbe, et l’expression proverbiale Pêcher en eau trouble, c’est-à-dire tourner à son avantage les désordres qui se présentent, ou ceux même qu’on a suscités exprès dans les affaires, soit publiques, soit particulières.—Les Grecs disaient dans le même sens: Troubler l’eau du lac pour pêcher des anguilles. Ce qu’Aristophane applique à un mauvais citoyen excitant des troubles dans l’état afin de s’enrichir aux dépens du public.

Ne faire que de l’eau claire.

C’est s’occuper sans succès de quelque affaire, y perdre son temps et sa peine.—Le malin Furetière donnait pour devise à l’Académie française un iris causé par les rayons du soleil qui lui était opposé, avec ce quatrain:

Pendant que le soleil m’éclaire
Je parais de grande valeur;
Mais ma plus brillante couleur
Ne fait que de l’eau toute claire.

Revenir sur l’eau.

C’est rétablir ses affaires, recouvrer du crédit, rentrer en faveur. Cette expression est une métaphore prise de l’écorce du liége qu’on ne peut enfoncer dans l’eau sans qu’elle remonte à la surface, aussitôt qu’elle cesse d’être retenue par la main.

Pindare, dans ses Pythiques (ode 2), s’est comparé à cette écorce qui surnage toujours au milieu de l’agitation des flots; immersabilis undis, comme dit Horace.

Les eaux sont basses.

Cette façon de parler métaphorique s’emploie pour signifier que la bourse d’une personne est à peu près sans argent, parce que les eaux basses sont ordinairement sans poisson.

ÉCHELLE.Après lui il faut tirer l’échelle.

Il s’agit ici de l’échelle patibulaire sur laquelle on fesait monter les condamnés afin de les accrocher à la potence. L’usage où l’on était, lorsqu’il y avait plusieurs complices, de pendre le plus coupable le dernier, et par conséquent de retirer l’échelle après lui puisqu’il ne restait personne à exécuter, donna lieu à cette expression qu’on devrait employer, ce me semble, en mauvaise part, et dont on se sert le plus souvent en bonne part, pour dire que quelqu’un a si bien fait en quelque chose qu’il ne faut pas prétendre à l’égaler.

ÉCHO.Dans la tempête adore l’écho.

Maxime de Pythagore, qui signifie, dans les troubles civils, retire-toi à la campagne.—Pope interprète différemment cette maxime dont le texte grec est traduit plus littéralement de la manière suivante: Quand les vents s’élèvent, rends tes hommages à l’écho. Il pense que Pythagore a voulu dire: Quand tes oreilles sont frappées de toutes sortes de rumeurs, n’ajoute foi qu’au second rapport. Mais une telle explication n’est point reçue, quoiqu’elle soit plus naturelle que l’autre, et plus conforme à la nature de l’écho.

Les Grecs exprimaient encore l’avantage de ne point se mêler aux agitations populaires par ce proverbe: La foudre épargne ceux qui dorment; car ils croyaient que le corps de l’homme, pendant le sommeil, était dans un état propre à neutraliser les effets du feu du ciel. Les lecteurs curieux de connaître les raisons physiques sur lesquelles se fondait cette opinion erronée, les trouveront dans les Symposiaques de Plutarque (liv. IV, quest. 19).—Les Chinois disent: L’hirondelle qui est dans son nid voit d’un œil tranquille les batailles des vautours.

Une pareille doctrine peut être utile sans doute aux intérêts de quelques individus, mais elle est nuisible aux intérêts de l’état. Le devoir du vrai citoyen, dans un temps d’émeutes, est de paraître sur la place publique pour y donner l’exemple du courage civil. Une loi de Solon, tout à fait contraire au précepte de Pythagore, décernait des peines contre ceux qui gardaient la neutralité quand les partis en venaient aux mains. L’objet de cette loi était d’arracher l’homme de bien à une inaction funeste, de le jeter au milieu des factieux, et de sauver la cité par l’ascendant de la vertu.

ÉCOLE.Révéler les secrets de l’école.

C’est apprendre aux étrangers ce dont les confrères seuls doivent être instruits.—Dacier rapporte l’origine de cette expression à la loi fondamentale de l’école de Pythagore qui défendait de communiquer aux profanes les dogmes de sa doctrine. Platon, Aristote, les épicuriens, les stoïciens, et presque tous les philosophes de l’antiquité avaient aussi dans leur enseignement plusieurs choses que leurs disciples étaient obligés de tenir secrètes.

Faire l’école buissonnière.

Cette expression, suivant les uns, fait allusion à la conduite de certains pédagogues qui, pour se soustraire à un droit qu’ils devaient payer aux chantres de l’église de Notre-Dame, allaient établir leurs classes en plein air, hors de la ville. Elle est venue, suivant les autres, de ce que les luthériens et les calvinistes, dont on ne tolérait pas les écoles, en avaient de clandestines qui se tenaient dans les halliers et les bois. Les deux explications se fondent également sur un arrêt du 5 août 1552, par lequel le parlement défendit tout enseignement que le chantre de Paris n’aurait pas autorisé, et particulièrement les écoles buissonnières. Mais l’expression est beaucoup plus ancienne que les faits auxquels on a voulu la rattacher. Elle existait au commencement du XIIIe siècle, et s’appliquait aux conciliabules secrets des Albigeois. Elle se trouve implicitement dans un passage de la Nouvelle de l’Hérétique (las Novas del Heretge), poëme du troubadour Izarn, missionnaire dominicain et inquisiteur employé à convertir ces hérétiques. L’auteur, parlant à un théologien de la secte proscrite, lui dit: Tu n’as garde de prêcher ta doctrine dans les églises, ni sur les places; tu la prêches dans les bois, dans les broussailles et les buissons.

Tu no vols demostrar ta predicatio
En gleyza ne en plassa, ni vols dir ton sermo,
Sinon o fas en barta, en bosc, o en boisso[39].

Si l’on veut assigner une origine historique à la locution, c’est là certainement qu’il faut la chercher. Mais n’est-il pas plus naturel de penser qu’on a dit Faire l’école buissonnière par la même raison qu’on dit Prendre ou Se donner campos, en faisant allusion aux escapades des écoliers villageois qui vont courir les champs et chercher des nids dans les haies et les buissons?

ÉCOSSAIS.Fier comme un Écossais.

Il n’y a pas de pays plus propre que l’Écosse à rappeler ses habitants à l’humilité, et cependant les Écossais sont de tous les êtres les plus enclins à se glorifier. On serait tenté de croire que la nature a voulu développer chez eux ce penchant outre mesure afin de les empêcher de reconnaître les désavantages de ce sol triste et pauvre où elle les a placés. Leur misère a toujours une compensation toute prête dans leur excessive admiration d’eux-mêmes, et surtout dans leurs extrêmes prétentions à une antique noblesse. Garrick racontait plaisamment sur ce sujet que s’étant arrêté un soir dans une auberge, à quelques lieues d’Edimbourg, il n’y avait trouvé que des domestiques gentilshommes qu’il entendait parler entre eux de cette manière:—Monsieur le comte, conduisez le cheval à l’écurie.—Madame la comtesse, mettez le couvert.—Monsieur le marquis, nettoyez les bottes.—Madame la marquise, faites donc du feu.—M. le baron, quand servirez-vous la soupe? etc.... Rien n’est donc plus juste que le proverbe qui leur reproche un orgueil exagéré, proverbe usité en Angleterre depuis un temps immémorial, Proud as a Scotchman, et naturalisé en France dans le XVe siècle, à l’occasion des compagnies d’élite que Charles VII, pendant ses guerres contre les Anglais, avait composées de soldats fournis par des seigneurs d’Écosse dévoués à sa cause. Ces soldats étrangers avaient beaucoup de priviléges honorifiques avec une paie considérable, et leurs fonctions, en les approchant de la personne du roi, leur donnait une excessive importance à leurs propres yeux, comme aux yeux de tous les Français.

ÉCOUTE-S’IL-PLEUT.C’est un écoute-s’il-pleut.

Un écoute-s’il-pleut est proprement un moulin qui ne va que par des écluses et qui, manquant d’eau fort souvent, semble écouter s’il en tombera du ciel. Au figuré, c’est un homme qui a besoin du secours d’autrui pour faire quelque chose, un homme qui s’attend à des choses qui n’arrivent presque jamais, une espérance très incertaine, une promesse illusoire, une mauvaise défaite.

ÉCOUTE.Qui se tient aux écoutes entend souvent son fait.

La raison en est toute simple: c’est qu’ordinairement on ne se tient aux écoutes que pour surprendre les paroles de ceux qu’on soupçonne de malveillance, ou avec lesquels on a quelque chose à démêler.—On appelle proprement écoutes les endroits où l’on se cache pour écouter ce qui se dit.

Plutarque a comparé les oreilles d’un curieux à des ventouses qui attirent tout ce qu’il y a de mauvais.

L’Ecclésiaste dit (ch. VII, v. 22): «Que votre cœur ne se rende point attentif à toutes les paroles qui se disent, de peur que vous n’entendiez votre serviteur parler mal de vous. Cunctis sermonibus qui dicuntur ne accomodes cor tuum, ne forte audias servum tuum maledicentem tibi.»

ÉCRIT.Les paroles s’envolent, et les écrits restent.

Verba volant et scripta manent.—Ce proverbe a deux sens: le premier est qu’en affaires il faut traiter par écrit, et non verbalement; ce qu’on exprime encore par cette phrase burlesque: Les effets sont des mâles, et les paroles sont des femelles; c’est-à-dire les effets ont plus de force que les paroles.

Le second sens est qu’on ne saurait être assez prudent quand on écrit quelque chose, parce qu’un écrit venant à tomber entre les mains des malveillants qui l’interprètent à leur façon, peut attirer à son auteur des désagréments ou des persécutions. On sait que le cardinal de Richelieu soutenait qu’il n’avait besoin que de deux lignes de l’écriture d’un homme pour y trouver de quoi le faire pendre.

Fabio Mirto, archevêque de Nazareth, qui fut trois fois nonce du pape en France dans le XVIIe siècle, voulant montrer combien il faut prendre de précautions pour écrire, disait: «Il ne se trouve point dans tous les évangiles que notre Seigneur Jésus-Christ ait écrit plus d’une fois; encore ne l’a-t-il fait que sur le sable, afin que le vent effaçât l’écriture.»

On lit dans l’Inconséquence du jugement public, par Diderot, ce joli passage: «J’ai cent fois dit aux amants: n’écrivez point; les lettres vous perdront. Tôt ou tard le hasard en détournera une de son adresse. Le hasard combine tous les cas possibles, et il ne lui faut que du temps pour amener la chance fatale.»

Les Italiens ont ce proverbe: Pensa molto, parla poco, scrivi meno; pense beaucoup, parle peu, écris moins.

ÉCUELLE.Manger à la même écuelle.

Au temps de la chevalerie, dit Legrand d’Aussy, la galanterie avait imaginé de placer à table les convives par couple, homme et femme. La politesse et l’habileté des maîtres ou maîtresses de maison consistaient à savoir bien assortir les couples qui n’avaient qu’une assiette commune; ce qui s’appelait manger à la même écuelle, expression qui, détournée du sens propre au figuré, s’employa pour marquer accointance, comme le prouvent ces deux vers d’un fabliau où il est parlé d’un oncle qui vivait scandaleusement avec sa nièce:

Et si sachiez que chascun jour
En une escuelle menjoient.

(Manuscr. de la Bibl. du Roi, n. 7588.)

Les dévots eux-mêmes suivaient l’usage de manger à la même écuelle par esprit d’humilité. Une vie de sainte Élisabeth en vers, célébrant la charité de cette sainte envers les pauvres, dit:

Mengier les fit en s’escuelle.

(Manuscr. de la Bibl. du Roi, n. 7218.)

Au reste, cet usage, bon ou mauvais, ajoute Legrand d’Aussy, s’est conservé longtemps en France, et même il a subsisté en partie à la cour jusque sous Louis XIV. «Le roi, dit la duchesse de Montpensier dans ses Mémoires (t. IV, p. 17), ne mettait pas la main à un plat qu’il ne demandât si on en voulait, et ordonnait de manger avec lui. Pour moi qui ai été nourrie dans un grand respect, cela m’étonnait, et j’ai été longtemps à m’accoutumer à en user ainsi. Quand j’ai vu que les autres le faisaient, et que la reine me dit un jour que le roi n’aimait pas les cérémonies et qu’il voulait qu’on mangeât à son plat, alors je le fis.»

Qui s’attend à l’écuelle d’autrui, dîne sauvent par cœur.

C’est-à-dire qu’on est souvent désappointé lorsqu’on attend quelque chose des autres, comme celui qui croyant trouver à bien dîner chez quelqu’un, y dîne fort mal ou n’y dîne pas.

Il a bien plu dans son écuelle.

C’est-à-dire, il a beaucoup hérité.

ÉGLISE.Près de l’église et loin de Dieu.

Cela se dit d’une personne qui loge près d’une église et qui remplit mal ses devoirs de chrétien. Il se dit aussi quelquefois par extension, en parlant d’un faux dévot.

Se marier en face de l’église.

Les usages de nos pères sont presque toujours la véritable source où nous devons puiser l’explication de certaines façons de parler dont nous sommes embarrassés de nous rendre raison; autrement il n’y a pas moyen de sortir de cet embarras. Si nous voulons savoir, par exemple, pourquoi l’on dit Se marier en face de l’église, il ne faut point se mettre l’esprit à la torture pour découvrir dans le sens figuré, comme on a prétendu le faire, l’origine de cette expression qui peut paraître assez étrange. Il faut se rapporter à l’ancienne coutume de commencer devant la porte de l’église la cérémonie du mariage qui se fait aujourd’hui dans l’intérieur. Notre expression est née de cette coutume, et elle date d’une époque très reculée; car elle se trouve au vingt-sixième chapitre du IIIe livre de Guillaume de Newbridge, savant anglais qui écrivait en latin il y a plus de six cents ans. Voici le passage où cet auteur l’a consignée, en faisant mention du mariage de Henri II Plantagenet avec Éléonore d’Aquitaine, épouse divorcée du roi de France Louis VII dit le jeune: Solutamque a lege prioris viri IN FACIE ECCLESIÆ quâdam illicitâ licentiâ ille mox suo accepit conjugio.

Dans un missel de 1555, à l’usage de l’église de Salisbury, se trouve cette recommandation: Statuantur vir et mulier ante ostium ecclesiæ, sive in faciem ecclesiæ, coram deo et sacerdote et populo; que l’homme et la femme soient placés devant la porte de l’église, ou en face de l’église, en présence de Dieu, du prêtre et du peuple.

On sait que le mariage de Henri de Béarn, depuis Henri IV, avec Marguerite de Valois, sœur de Charles IX, eut lieu le 18 août 1572, par le ministère du cardinal de Bourbon, sur un brillant échafaud dressé à la porte de l’église de Notre-Dame.

Ces faits, et beaucoup d’autres semblables que je pourrais citer, prouvent qu’en France et en Angleterre on se mariait encore devant la façade de l’église vers la fin du seizième siècle. Cependant il faut observer que, dans la mauvaise saison et les jours pluvieux, on fesait la cérémonie sous le porche; d’où l’on ne tarda pas à passer dans la chapelle. Mais quels étaient donc les motifs qui avaient pu faire adopter le mariage en plein air? Quelques auteurs pensent que cet usage était un reste des mœurs païennes. Plusieurs peuples antiques, particulièrement les Étrusques, disent-ils, se mariaient dans la rue, devant la porte de la maison où l’on entrait pour la conclusion de la cérémonie.

A cette raison Selden en ajoute une autre, dans son Uxor hebraica (operar., t. III, p. 680): c’est que la dot ne pouvait être légalement assignée qu’en face de l’église.

ÉLÉPHANT.Faire d’une mouche un éléphant.

C’est exagérer une chose pour lui donner de l’importance; c’est, comme dit Pascal, grossir un néant en montagne. Cette expression proverbiale était en usage chez les Grecs, car elle se trouve littéralement dans Lucien: ἐλἐφαντα ἐϰ μνας ποιειν.

On pourrait appliquer souvent à certains exagérateurs le mot plaisant de Goldsmith à Johnson qui avait l’habitude de traduire les choses les plus simples en style très ampoulé: «Je crois, docteur, que si vous vouliez écrire une fable sur de petits poissons, vous feriez parler ces petits poissons comme des baleines.»

ELLÉBORE.Avoir besoin de deux grains d’ellébore.

Cette expression, dont on se sert en parlant d’une personne qu’on veut taxer de folie, nous est venue des anciens qui employaient l’ellébore pour purger le cerveau des fous.—Cette plante croissait abondamment dans les trois îles d’Antycire, et c’est pour cela que les Romains disaient dans le même sens: Naviget Antyciram, qu’il aille à Antycire.—O tribus Antyciris caput insanabile! ô têtes que ne pourraient guérir tous les remèdes des trois Antycires!

Archigenès, médecin fameux qui vivait sous Trajan, avait donné lieu à une autre expression proverbiale très analogue; comme il excellait dans le traitement des maladies mentales, on disait d’un homme qui paraissait privé de la raison: Il a besoin d’Archigenès, comme on dirait aujourd’hui: il a besoin d’Esquirol ou de Leuret. Suidas nous apprend que ce médecin, natif d’Apamée en Syrie et établi à Rome, avait beaucoup écrit sur son art et sur la physique.

EMPLOI.L’emploi fait connaître un homme.

Ce proverbe est littéralement traduit d’une sentence grecque attribuée à Solon par Sophocle, et à Bias par Aristote. Il s’applique à peu près dans le même sens que cet autre: A l’œuvre on connaît l’ouvrier.

EMPRUNT.Emprunt n’est pas avance.

Il est plutôt retard; car les intérêts qu’il faut payer retiennent plus longtemps l’emprunteur dans la gêne. L’emprunt finit presque toujours par ronger une fortune ou grossir une misère, comme dit le bonhomme Richard. Le distique suivant, dont la pensée appartient à Socrate, indique une bonne manière d’emprunter, à laquelle il faut recourir quand on ne veut point mettre de l’arriéré dans ses affaires:

Voulez-vous sûrement rétablir vos finances?
Empruntez de vous-même en bornant vos dépenses.

L’emprunt du Gascon.

Le quatrain suivant, de M. Capelle, fait très bien connaître quelle est cette espèce d’emprunt:

Je commence à manquer de vivres,
J’attends des fonds de mon pays:

Prêtez-moi donc neuf francs.—Neuf! je n’en ai que six.
—Eh bien! donnez toujours: vous me devrez trois livres.

ENCENS.Selon les gens l’encens.

Il y a des vers latins dialogués dans lesquels le diable et un moine échangent les paroles suivantes, que les uns regardent comme le principe et les autres comme la conséquence du dicton:

Diabolus. Super latrinam non debes dicere primam.

Monachus. Quod vadit supra do Deo, tibi quod vadit infra.

Voici une imitation de ces vers:

Un jour le diable ayant trouvé
Saint Pacome sur un privé,
Qui disait tout bas ses matines,
S’écria: Dans un sale lieu,
Pacome, peux-tu prier Dieu,
Et faire un autel des latrines!
Lors le bon moine lui repart:
Que cela ne te mette en peine;
Ce qui monte en haut, Dieu le prenne;
Ce qui tombe en bas soit ta part.

Je ne sais si le fait attribué à saint Pacome est rapporté dans quelque légende, mais il y en a un d’analogue que citent plusieurs historiens. L’impératrice Agnès, veuve de Henri III surnommé le Noir, chargea, disent-ils, un évêque de faire cette belle question à Pierre Damiani, savant ecclésiastique regardé comme l’oracle de son siècle: Utrum liceret homini inter ipsum debiti naturalis egerium aliquid ruminare psalmorum? A quoi Pierre Damiani répondit qu’il était permis de réciter les psaumes aux latrines tout en faisant ses besoins naturels, puisque saint Paul avait dit dans sa première épître à Thimothée (ch. II, v. 8): Volo ergo viros orare in omni loco, je veux qu’on prie en tout lieu.

L’encens entête et tout le monde en veut.

Le pape Jean XXII, avait coutume de dire, Tu m’aduli ma mi piace. Tu me flattes, mais tu me plais. Mot charmant dont on trouve une traduction originale dans cet autre mot plus charmant encore qui était familier à Henri IV: Tu me flattes, mais va toujours. Je ne sais si ce n’est pas le même pape qui, étant comparé à Dieu lui-même par un moine italien, s’écria: C’est un peu fort, mais ça fait toujours plaisir.

Les louanges les plus outrées sont toujours bien accueillies; si ce n’est comme l’expression exacte de la vérité, c’est du moins comme le témoignage indulgent de la bienveillance qu’on se flatte d’inspirer; tout en reconnaissant qu’elles ne sont pas justes, on les croit sincères, et il n’y a personne qui ne soit charmé de voir les autres se tromper ainsi à son avantage. Cependant il en est d’ordinaire de ces louanges comme des calomnies, dont il reste toujours quelque fâcheux effet.

L’encens noircit l’idole en fumant pour sa gloire. (Mercier.)

ENCLUME.Il faut être enclume ou marteau.

Proverbe qu’on emploie pour signifier qu’on est réduit par des circonstances inévitables à la fâcheuse alternative de souffrir du mal ou d’en faire: «Il faut être enclume ou marteau dans ce monde, disait Chamfort; il faut que le cœur se brise ou se bronze.»

Il vaut mieux être marteau qu’enclume.

C’est-à-dire, il vaut mieux battre que d’être battu.

Être entre le marteau et l’enclume.

C’est être entre deux inconvénients, entre deux maux. M. Laromiguière fit un jour une application très plaisante et très philosophique de cette expression proverbiale. On lui lisait un article du Mercure de France (mai 1809), dans lequel Andrieux attaquant une proposition de Condillac avait dit entre autres choses: «Pour bien faire une langue ou pour la refaire et la corriger, il faut raisonner; mais on ne peut raisonner qu’avec une langue bien faite: il sera donc toujours impossible de raisonner faute d’une langue bien faite, et de bien faire une langue faute de raisonner.» En entendant cette phrase, notre philosophe interrompit son lecteur et s’écria: Qu’est-ce que cela signifie? Pour bien faire une lime, il faut une lime, pour bien faire un marteau, il faut un marteau, pour bien faire une enclume, il faut une enclume; ou, pour le dire d’une manière tout à fait analogue à celle du critique, pour faire une enclume il faut un marteau, et pour faire un marteau, il faut une enclume. Donc il est impossible qu’il existe des marteaux et des enclumes. Voilà Andrieux, ajouta-t-il, entre le marteau et l’enclume, et c’est bien sans la moindre malice que je l’y ai placé.

Les Latins disaient comme nous: Inter malleum et incudem, entre le marteau et l’enclume. Ils disaient aussi: Inter sacrum et saxum, entre l’autel et la pierre. Métaphore empruntée des sacrifices qui se fesaient à l’occasion d’une alliance jurée entre deux nations. Le sacrificateur tuait un cochon sur l’autel, en le frappant avec une pierre, et il disait: Que Jupiter frappe le peuple qui violera le traité comme je frappe la victime.

A dure enclume, marteau de plume.

C’est-à-dire que les coups du malheur deviennent légers pour l’homme armé de patience et de résignation, comme le seraient ceux d’un marteau de plume sur une enclume solide.

ENFANT.Traiter quelqu’un en enfant de bonne maison.

Autrefois les enfants de bonne maison étaient envoyés en apprentissage d’honneur, bravoure et courtoisie, dans les châteaux des seigneurs suzerains dont ils devenaient les valetons et les pages. Ils n’étaient jamais refusés en cette école de noblesse et de loyauté, dit Froissard, car c’eût été injure et discourtoisie; aussi tel châtelain en avait-il quelquefois plus de cinquante à son service. Ces jeunes gens remplissaient l’office de domestiques auprès de leurs maîtres et de leurs maîtresses. Ils les servaient à table, fesaient leurs messages et les suivaient en voyage. La discipline à laquelle ils étaient soumis était sévère, et ils ne pouvaient guère l’enfreindre sans recevoir la correction. De là cette façon de parler: Traiter quelqu’un en enfant de bonne maison, c’est-à-dire le châtier, ou, pour employer une expression qui a la même origine, le fouetter comme un page.

Les hommes sont de grands enfants.

«Encore que la nature, en nous faisant croître par certains progrès, nous fasse espérer enfin la perfection, et qu’elle ne semble ajouter tant de traits nouveaux à l’ouvrage qu’elle a commencé que pour y mettre la dernière main, néanmoins nous ne sommes jamais tout à fait formés. Il y a toujours quelque chose en nous que l’âge ne mûrit point, et c’est pourquoi les faiblesses et les sentiments de l’enfance s’étendent toujours bien avant, si l’on n’y prend garde, dans toute la suite de la vie.» (Bossuet.)

L’enfance passe, mais l’enfantillage reste.

Les enfants sont ce qu’on les fait.

Proverbe qui se trouve dans les Adelphes de Térence (act. III, sc. 5): Ut quemque suum volt esse, ita est. Chaque enfant est ce que son père veut qu’il soit.—C’est une erreur de croire que les enfants apportent en naissant des inclinations bonnes ou mauvaises qui déterminent leur conduite. Ces inclinations leur surviennent, et la destinée morale de chacun d’eux est attachée à l’éducation qu’il reçoit, comme la plante à sa racine.

Il n’y a plus d’enfants.

On commence à avoir de la malice de bonne heure.—Les Latins disaient: Pueri nasum rhinocerotis habent, les enfants ont un nez de rhinocéros, parce que, à Rome, on regardait un long nez comme un signe de malice, et qu’il n’y a pas de nez plus long que celui du rhinocéros, à cause de la corne pointue qui s’y trouve. C’est même de là que cet animal a tiré son nom, qui signifie nez cornu.

Une jeune fille de sept ou huit ans répondit un jour à sa mère qui voulait lui faire accroire que les enfants naissaient sous des choux: Je sais bien qu’ils viennent d’ailleurs.—Et d’où viennent-ils donc, mademoiselle?—Du ventre des femmes.—Qui vous appris cette sottise?—Maman, c’est l’Ave Maria.

Voici un joli quatrain du vieux poëte Ogier de Gombauld:

Nos enfants, messieurs et mesdames,
A quinze ans passent nos souhaits:
Tous nos fils sont des hommes faits,
Toutes nos filles sont des femmes.

ENFOURNER.A mal enfourner on fait les pains cornus.

Le mauvais succès d’une affaire, d’une entreprise, vient ordinairement de ce qu’on s’y est mal pris d’abord.

ENGRENER.Le premier venu engrène.

Ce proverbe, usité pour dire que la diligence dans les affaires en facilite et en assure le succès, est une formule qu’on trouve dans toutes les anciennes coutumes, qui voulaient que la personne arrivée la première au moulin fût aussi la première à moudre. La coutume de Marsal admettait pourtant une exception en faveur de la ménagère qui allaitait.

ENNEMI.Il faut se défier d’un ennemi réconcilié.

L’Ecclésiastique dit: «Ne vous fiez jamais à votre ennemi, car sa malice est comme la rouille qui revient toujours au cuivre. Quoiqu’il s’humilie et qu’il aille tout courbé, soyez vigilant et donnez-vous de garde de lui. Non credas inimico tuo in æternum, sicut enim æramentum ærugina nequit in illius. Etsi humiliatus vadat curvus, adjice animum tuum et custodi te ab illo.» (Cap. XII, v. 10 et 11.)

Il faut faire un pont d’or à l’ennemi qui fuit.

«Jamais ne faut mettre son ennemi en lieu de désespoir, parce que telle nécessité lui multiplie sa force et accroist le courage qui ja estoit deject et failly; et n’y a meilleur remède de salut à gens estonnés et recrus que de n’espérer aulcun. Quantes victoires ont été tollues des mains des vainqueurs par les vaincus, quand ils ne se sont contemptez de raison! Ouvrez à vos ennemis toutes les portes et chemins, et plus tôt leur faictes un pont d’argent afin de les renvoyer.» (Rabelais, liv. IV, ch. 43.)

Ce proverbe a été employé par Napoléon dans un des bulletins de la grande armée.—Il nous est venu des Romains, qui disaient: Hosti fugienti pontem substerne aureum.—On en a attribué l’invention à Scipion l’Africain; mais ce grand capitaine ne fit que formuler une pensée bien connue avant lui des guerriers et des politiques. On sait que Lycurgue, dans une de ses lois, avait recommandé aux Spartiates de ne poursuivre l’ennemi qu’autant qu’il le fallait pour assurer la victoire, et de ne pas le pousser à un héroïque désespoir.

Les présents des ennemis sont funestes.

Ce proverbe est tiré de l’Ajax furieux de Sophocle (v. 665). Ajax mourut percé du glaive qu’Hector lui avait donné, et Hector fut attaché au char d’Achille avec le baudrier qu’il avait reçu d’Ajax. Cette tradition est rappelée par Virgile dans le IVe livre de l’Énéide, lorsqu’il suppose que Didon se sert de l’épée du fils d’Anchise pour se donner la mort.

Il n’y a point de petit ennemi.

Il ne faut s’exposer à l’inimitié de personne, car celui-là même qui paraît le moins en état de nuire peut faire beaucoup de mal, en se vengeant.—Les Grecs avaient un proverbe correspondant passé dans la langue latine en ces termes: Inest et formicæ bilis, la fourmi même a sa bile.—Les Turcs disent: Tiens pour un éléphant ton ennemi, ne fût-il pas plus gros qu’une fourmi.

ENSEIGNE.A bon vin point d’enseigne.

Ce qui est bon n’a pas besoin d’être vanté, prôné.—On dit aussi: A bon vin il ne faut point de bouchon. Le mot bouchon désigne ici un petit paquet de paille ou d’herbe entortillée qu’on met à la porte d’un cabaret.—Les Latins employaient le lierre au même usage, parce que cette plante était consacrée à Bacchus, et ils disaient: Vino vendibili suspensâ hederâ nihil opus.—Les Espagnols disent: El bon vino la venta trahe consigo, le bon vin porte sa vente à soi.

A bonnes enseignes.

Dans les tournois, les dames donnaient à leurs chevaliers ce qu’elles appelaient faveurs, joyaux, noblesses, noblois, connaissances ou enseignes. Ces dons étaient une écharpe, un voile, un bracelet, un nœud, une boucle, etc., qui servaient à parer la cotte d’armes comme d’un signe de reconnaissance. C’est de cet usage qu’est venue l’expression A bonnes enseignes, qui s’emploie pour signifier: à bon titre, à juste titre, avec des garanties, avec des sûretés. Exemples: Il ne faut donner des éloges qu’à bonnes enseignes.—Il ne faut prêter son argent qu’à bonnes enseignes.

On dit aussi: A fausses enseignes dans un sens contraire. «Giles, évêque de Reims...., jouissait à fausses enseignes de quelques terres appartenant au roi.» (Pasquier, Recherch., p. 129.)—A telles enseignes que..., est une expression qui équivaut à celle-ci: La preuve en est que...

ENTENDRE.Il ne faut pas condamner sans entendre.

Ce proverbe est une formule de droit. Pour en constater l’ancienneté en France, je remarquerai qu’un article de la constitution perpétuelle dressée sous Clotaire II, en 614, par l’aristocratie laïque et l’aristocratie ecclésiastique réunies, défendit aux juges de condamner un homme libre ou même un esclave sans l’avoir entendu.

Il faut entendre les deux parties.

«Il faut comparer les objections aux preuves; il faut savoir ce que chacun oppose aux autres, et ce qu’il leur répond.—Plutarque (Contredits des philosophes stoïques) rapporte que les stoïciens, entre autres bizarres paradoxes, soutenaient que dans un jugement contradictoire, il était inutile d’entendre les deux parties: Car, disaient-ils, ou le premier a prouvé son dire, ou il ne l’a pas prouvé. S’il l’a prouvé, tout est dit, et la partie adverse doit être condamnée; s’il ne l’a pas prouvé, il a tort, et il doit être débouté.—Sitôt que chacun prétend avoir seul raison, pour choisir entre tant de partis, il faut les écouter tous; ou l’on est injuste.» (J.-J. Rousseau, Émile, liv. IV, note.)

Sénèque dit dans sa Médée (act. II, sc. 2): Celui qui a prononcé sur une affaire après n’avoir entendu que l’une des parties intéressées, s’est montré injuste, quoiqu’il ait prononcé avec justice.

Qui statuit aliquid, parte mauditâ alterâ,
Æquum licet statuerit, haud æquus fuit.

ENVIE.Il vaut mieux faire envie que pitié.

Ce proverbe est très ancien, car il est rapporté par Hérodote. Il existe dans presque toutes les langues.

L’envie nuit plus à son sujet qu’à son objet.

En d’autres termes: L’envie est plus préjudiciable à celui qui l’éprouve qu’à celui qui la cause. C’est une maxime de l’école: Invidia plus officit subjecto quam objecto.—Horace a très bien dit: L’envieux maigrit de l’embonpoint d’autrui.

Invidus alterius macrescit rebus opimis.

Les envieux mourront, mais non jamais l’envie.

Philippe Garnier, dans son recueil imprimé à Francfort en 1612, a cité ce proverbe avec ce vers latin où on le retrouve trait pour trait:

Invidus acer obit sed livor morte carebit.

C’est donc à tort qu’on en a attribué l’invention à Molière qui l’a mis dans la bouche de madame Pernelle.

Envie passe avarice.

Ce proverbe a été mis en action dans un vieux fabliau dont voici les principaux traits: Un avare et un envieux faisant route ensemble rencontrèrent saint Martin dans une plaine, et marchèrent quelque temps avec lui, sans se douter qu’ils eussent un tel compagnon de voyage. Le saint ne se fit connaître qu’au moment de les quitter, et il leur dit pour les éprouver: «Il ne tient qu’à vous de mettre à profit l’avantage d’avoir fait ma rencontre. Que l’un des deux me demande ce qu’il voudra, je promets de le lui accorder sur-le-champ. Quant à l’autre, je me réserve de faire moi-même sa part, en lui donnant le double de ce que le premier aura demandé.»

Voilà nos hommes bien joyeux, mais en même temps bien embarrassés, et quoiqu’ils n’eussent qu’à ouvrir la bouche pour obtenir une grande fortune, l’un et l’autre s’obstinaient à la tenir fermée afin de recevoir deux fois davantage. L’avare ne pouvait consentir à se priver de ce qu’il n’aurait pas eu l’esprit de souhaiter, ni l’envieux à jouir de tous les biens qui lui seraient échus en partage, à la condition de voir son camarade plus riche que lui: ils s’exhortaient mutuellement à former le vœu le plus magnifique, mais chacun d’eux conseillé par sa passion se gardait de céder à une pareille instance. Enfin l’avare transporté de fureur se précipita sur l’envieux en menaçant de l’assommer s’il continuait à se taire. Eh bien! je vais parler, répondit celui-ci, et tu n’y gagneras rien. En même temps, par un trait unique de vengeance ou plutôt de caractère, il s’écria: Grand saint Martin, faites-moi la grâce de me priver d’un œil. Il n’eut pas plus tôt dit que la chose fut faite. L’un se trouva borgne et l’autre aveugle, et ce fut le seul bénéfice qu’ils retirèrent de leur position. Ainsi le vice fut puni par le vice même, mais il ne fut pas corrigé. Le pouvoir du saint n’allait pas jusque-là. Il ne put même obtenir que l’envieux servît de conducteur à l’avare qui ne pouvait regagner seul son logis.

ÉPAULE.Jeter ses dettes derrière l’épaule.

Il est à Paris plus d’un drôle
Empruntant dans tous les quartiers
Et jetant assez volontiers
Les dettes derrière l’épaule. (H. Morel.)

D’après une ancienne coutume consacrée par la loi salique, au titre de Chrenecruda ou de la cession, l’homme qui était dans l’impossibilité de payer intégralement la composition exigée de lui, devait produire douze témoins chargés d’attester par serment son insolvabilité. Reconduit ensuite à son logis, il y ramassait, aux quatre coins, un peu de poussière qu’il mettait dans le creux de sa main gauche; après quoi, se plaçant sur le seuil et tenant le poteau de la porte avec la main droite, il jetait cette poussière derrière son épaule à son plus proche parent, pour signifier sans doute qu’il se déchargeait sur lui de sa dette et qu’il le rendait responsable du déshonneur qu’il y avait pour la famille à ne pas l’acquitter. C’est de cet usage que sont venues, dit-on, les expressions Jeter ses dettes derrière l’épaule ou par dessus l’épaule, et Payer par dessus l’épaule, pour signifier ne point payer.

Remarquons qu’il y avait chez les Hébreux une façon de parler analogue, Rejeter quelque chose derrière soi, dont le sens était: n’en pas tenir compte, l’oublier. Tu as rejeté derrière toi toutes mes fautes, dit Ézéchias à Dieu, dans son cantique.

Pasquier, dans ses Recherches (liv. VIII, ch. 47), a donné une autre explication. «Nous disons un homme estre riche ou vertueux par dessus l’épaule, nous mocquans de luy et voulans signifier n’y avoir pas grands traicts de vertu ou de richesse en luy. Duquel dire appris-je l’origine et dérivaison par quelques joueurs de flux... Il advint qu’un quidam, en se riant, dist qu’il avoit deux as en son jeu, et les exhibant sur la table, fut trouvé que c’estoient deux varlets, chacun desquels, comme l’on sçait, porte une unité sur l’espaule: à quoi ayant appresté par son mensonge à rire à la compagnie, il répondit véritablement qu’il en avait deux, mais que c’estoit par dessus l’espaule, qui est prendre ce propos (dont nous faisons un proverbe) en sa vraye signification; car chaque teste, soit cœurs, careaux, trèfle et picque, a un as dessus l’espaule pour faire cognoistre de quel jeu ils sont roys, roynes ou varlets; et toutefois, ceste unité ne représente pas un as: parquoy, si nous voulons rapporter ce commun proverbe à ce jeu, nous le trouverons estre dit avec quelque fondement de raison, combien qu’autrement il semble avoir esté inventé à crédit et par une témérité populaire.»

Porter quelqu’un sur les épaules.

C’est en être ennuyé, fatigué.—Métaphore empruntée probablement de l’usage symbolique d’après lequel le vainqueur te mettait sur les épaules du vaincu et le chevauchait même, pour marquer qu’il le tenait sous sa dépendance absolue. Cet usage, dont les temps féodaux offrent plus d’un exemple, était né dans les âges antiques, et les Grecs y fesaient sans doute allusion lorsque, voulant exprimer l’extrême insolence d’un homme, ils disaient proverbialement qu’il montait à cheval sur les épaules de quelqu’un. Leur expression avec laquelle la nôtre est en rapport, comme un effet avec une cause, a été conservée par Eschile, qui s’en est servi plusieurs fois dans ses Euménides (vers 145, 718 et 781). Des auteurs latins l’ont aussi employée. Plaute, dans l’Asinaire (act. III, sc. 3), fait dire à Liban parlant à Argyrippe:

Vehes, Pol, hodie me, si quidem hoc argentum ferre speras.

Par Pollux, il faut qu’aujourd’hui je monte à cheval sur toi, si tu veux avoir cet argent.

Horace met le vers suivant dans la réponse de la magicienne Canidie (ode 17 du liv. V):

Vectabor humeris tunc ego inimicis eques.

Alors je serai portée comme un cavalier sur tes épaules ennemies.

Notez que, dans un conte des Mille et une Nuits, le supplice dont Canidie menace le poëte est infligé par un magicien à un malheureux qu’il a ensorcelé.

Les évêques adoptèrent dès le dixième siècle, pour la cérémonie de leur intronisation, l’usage de se faire porter sur les épaules des principaux seigneurs du royaume, auxquels ils inféodèrent des terres sous cette expresse condition; et c’est de là qu’ils prirent, dit-on, le nom de prélat formé de prælatus, porté devant. Un évêque de Paris somma un frère de saint Louis de lui rendre personnellement ce devoir, dont Philippe-Auguste s’était acquitté par procureur, comme seigneur de Corbeil et de Montlhéry, et dont Charles V et ses successeurs, jusqu’à Charles IX inclusivement, s’acquittèrent de la même manière envers les évêques d’Auxerre, depuis la réunion de ce comté à la couronne. Les Montmorency, soumis à une telle servitude envers l’évêque de Paris, s’en tenaient d’autant plus honorés qu’ils avaient le premier rang parmi les barons qui la partageaient. De là, suivant Millin, leurs titres de premiers barons de la chrétienté, ce nom de chrétienté étant alors spécialement consacré pour désigner la cour, la juridiction, les droits et toutes les prérogatives épiscopales. De là aussi le cri de cette illustre maison: Dieu aide au premier baron chrétien.

Il ne faut pas croire pourtant que les seigneurs portassent eux-mêmes les évêques. Ceux-ci auraient couru risque d’être culbutés. Les barons mettaient seulement la main sur le brancard, et en laissaient le fardeau à de vigoureux mercenaires. C’est ce qu’atteste ce passage d’un procès-verbal: Tandem in jam dictâ cathedrâ, ab ecclesiâ sancti Martini ad turrem carnotensem, à quatuor hominibus ex parte baronum deputatis magnifice portatus est.

ÉPÉE.A vaillant homme courte épée.

La valeur supplée aux armes.—Les Lacédémoniens, si renommés par leur courage, avaient des épées très courtes. Un d’eux, à qui l’on en demandait la raison, répondit: C’est pour frapper l’ennemi de plus près. L’épée romaine, qui a conquis le monde, n’était pas plus longue que celle des Lacédémoniens.

Se faire blanc de son épée.

«Cette expression signifie au propre et dans la langue de l’escrime, se couvrir pour ainsi dire de son épée par la rapidité de ses mouvements; au figuré, se vanter, se prévaloir de son courage, de son crédit, de ses moyens de toute espèce. On a prétendu qu’elle était tirée des anciens jugements de Dieu par les armes, le vainqueur demeurant absous, blanc ou blanchi du crime imputé; mais elle est manifestement plus nouvelle. Je suis sûr de l’avoir entendu employer au propre pour signifier l’action de celui qui fait avec son épée le moulinet, qui s’en couvre pour ainsi dire tout entier et qui éblouit son adversaire.» (L’abbé Morellet.)

ÉPELER.Épeler en rasades.

C’est boire autant de coups qu’il y a de lettres dans le nom de la personne dont on porte la santé. Cet usage, qui n’est guère plus de mode, a inspiré à Ronsard les vers suivants:

Ores, amis, qu’on n’oublie

De l’amie

Le nom qui nos cœurs lia!
Qu’on vide autant cette coupe,

Chère troupe,

Que de lettres il y a.

Neuf fois, au nom de Cassandre,

Je vais prendre

Neuf fois du vin du flacon,
Afin de neuf fois le boire,

En mémoire

Des neuf lettres de son nom.

Voyez l’article Boire à la santé.

ÉPERON.Gagner ses éperons.

C’est bien mériter, justifier d’une manière brillante les avantages et les récompenses qu’on obtient.—Allusion aux éperons dorés qui étaient donnés aux chevaliers dans la cérémonie de leur réception.

Vilain ne sait ce que valent éperons.

Cet ancien proverbe, qu’on applique à des gens qui semblent incapables de sentir le mérite ou le prix des bonnes et belles choses, est venu de ce qu’autrefois les nobles seuls servaient à cheval, tandis que les roturiers ou vilains servaient à pied.

ÉPERVIER.On ne saurait faire d’une buse un épervier.

C’est-à-dire d’un sot un habile homme.—Les fauconniers dressaient très bien l’épervier à la chasse; mais ils ne pouvaient en faire autant de la buse, qui passe pour le plus stupide des oiseaux de proie.—Les Anglais disent: You cannot make a silken purse of a sow’s ear. On ne peut faire une bourse de soie avec l’oreille d’un cochon.

Mariage d’épervier: la femelle vaut mieux que le mâle.

Expression prise de la fauconnerie, pour dire qu’une femme est plus habile que son mari. La femelle de l’épervier est plus grosse et plus forte que le mâle.

ÉPINE.L’épine en naissant va la pointe devant.

Pour signifier que le naturel du méchant se manifeste dès la plus tendre enfance. Venena statim à radicibus pestifera sunt, les plantes vénéneuses le sont dès leur racine même.—Les Anglais disent dans le même sens: It early pricks that will be a thorn, de bonne heure pique ce qui deviendra une épine.

Qui sème épines n’aille déchaux.

Celui qui cherche à faire du mal aux autres s’expose à le voir retomber sur lui-même. Le mot déchaux, qui signifie déchaussé, n’est plus usité qu’en parlant de quelques religieux qui portaient des sandales sans bas, comme les carmes nommés carmes déchaux.

ÉPINGLE.Être tiré à quatre épingles.

Cette expression, qu’on applique à une personne fort soigneuse de sa parure, fait allusion à l’usage ou à la mode d’employer quatre épingles pour arrêter un fichu sur le dos, l’assujettir sur les deux épaules et le tenir croisé sur le sein. L’importance des quatre épingles dans la toilette est attestée par le passage suivant d’un règlement de la paroisse de Saint-Jacques-de-l’Hôpital de Paris, rédigé il y a plus de trois cents ans: «Le crieur est tenu avant la fête de monseigneur saint Jacques, d’aller par la ville avec sa clochette et vestu de son corset, crier la confrérie. Item, doit à chasque pèlerin et pèlerine quatre épingles pour attacher les quatre cornets des mantelets des hommes et les chapeaux de fleurs des femmes, etc.»

ÉPITAPHE.L’épitaphe est la dernière des vanités.

Toutes les fois que je vois de magnifiques épitaphes, disait l’académicien Charpentier, il me prend envie d’écrire au-dessous: Puisque l’homme n’est qu’infirmité et qu’orgueil, passant, tu le vois ici tout entier: l’infirmité dans le tombeau, et l’orgueil sur l’épitaphe.

ERGO-GLU.

On disait autrefois ergo-gluc.—C’est un terme des écoles pour signifier de grands raisonnements qui ne concluent rien. Quelques-uns prétendent qu’il est venu, par altération, de la phrase ergo Guoguelu dixit, or Guoguelu l’a dit, phrase usitée dans l’ancienne université, par allusion à un maître sot de ce nom, qui ne cessait d’argumenter à tort et à travers. Suivant quelques autres, ergo-glu serait l’abrégé de ergo glu capiuntur aves, donc les oiseaux se prennent avec de la glu. Ce qui revient à ce que Molière fait dire au Médecin malgré lui: «Il arrive que ces vapeurs ossabundus, nequeis, nequer, potarinum, quipsa, milus..., voilà justement pourquoi votre fille est muette.»—Glu ou gluc est, à ce qu’ils prétendent, un mot tronqué pour gluce, ablatif de glux, glucis, qui, dans quelques auteurs, se trouve employé comme synonyme de glus, glutinis, colle, glu.

ESCLAVE.Être esclave de sa parole.

Chez les Germains et chez les Francs, les guerriers qui se piquaient d’une valeur à toute épreuve, avaient l’habitude de s’attacher une chaîne de fer autour d’un bras ou autour des flancs, et juraient solennellement de ne la déposer qu’après avoir accompli quelque fait d’armes extraordinaire, voulant prouver ainsi qu’ils étaient capables de pousser l’héroïsme au point d’aliéner le plus précieux de leurs biens, la liberté, afin de la racheter par un triomphe digne d’elle[40]. A leur imitation, les chevaliers et les pèlerins du moyen âge adoptèrent cet emblème de la servitude, comme le signe spécial des emprises, c’est-à-dire des entreprises qu’une promesse irrévocable les obligeait d’exécuter. En voici un exemple remarquable: Jean de Bourbon, duc de Bourbonnais, jaloux de fuir l’oisiveté, d’acquérir de la gloire et de mériter la bonne grâce de sa dame, rassembla dans son palais, en 1414, seize chevaliers et écuyers de nom et d’armes qui, animés des mêmes sentiments, firent vœu avec lui, devant les autels, de porter tous les dimanches, à la jambe gauche, un anneau de prisonnier en or pour les chevaliers, et en argent pour les écuyers, jusqu’à ce qu’ils eussent trouvé à combattre contre un nombre égal de chevaliers et d’écuyers anglais. L’expression Être esclave de sa parole est probablement un reste de cet usage qu’on retrouve chez presque tous les peuples, même chez les sauvages, qui entourent leur nez de petites plaques de métal, pour se souvenir des engagements qu’ils ont pris. Il se peut aussi qu’elle soit venue d’un usage semblable observé à l’égard des débiteurs, qui devenaient esclaves lorsqu’ils n’acquittaient pas leurs dettes selon la parole qu’ils avaient donnée, comme l’atteste le passage suivant des Assises de Jérusalem (ch. 119): «Si aucun autre que chevalier doit dète...., il doit estre livré à celui à qui il doit ladite dète; et il le peut tenir comme son esclaf, tant que il ou aultre pour lui ait paié ou faict son gré de ladite dète, et il le doit tenir sans fer, mais que un anneau de fer au bras pour reconnoissance que il est à pooir d’autrui pour dète.»

Quelques auteurs ont fait dériver l’expression Être esclave de sa parole de ce que, chez les Gaulois, le débiteur insolvable allait trouver son créancier, lui présentait une paire de ciseaux, et devenait son esclave en se laissant couper les cheveux.

Le mot esclave a aussi une origine historique. Il est formé de sclavus, sclave, esclavon ou slave, nom d’un peuple originaire de la Scythie, parce que beaucoup de Slaves faits prisonniers, soit à l’époque de leur établissement sur les côtes de l’Adriatique, soit à l’époque de leur irruption sur les frontières françaises, sous le règne de Dagobert, furent vendus comme serfs dans les principaux marchés de l’Italie et de la France[41]. Ce mot doit être ajouté à la liste de ceux qui ont dégénéré; car dans la langue d’où il a été tiré il signifie illustre, glorieux.

ESPAGNE.Faire des châteaux en Espagne.

C’est prendre son imagination pour architecte et bâtir dans le vide, c’est-à-dire former des projets en l’air, se repaître d’agréables chimères. On a fait plusieurs conjectures sur cette façon de parler proverbiale, sans en donner une explication satisfaisante. Certain étymologiste a voulu voir en elle une allusion aux mines d’or et d’argent qui se trouvaient jadis en Espagne, où une tradition mythologique avait placé la demeure souterraine de Plutus, et même aux pommes d’or du jardin des Hespérides, quoique ce jardin fût sur la côte d’Afrique. Fleury de Bellingen l’a rapportée à la conduite de Q. Métellus le Macédonique, qui, désespérant de réduire par la force la ville hispanienne de Contébrie, en leva le siége, dans l’intention de la surprendre par la ruse, et parcourut la province, où il élevait de côté et d’autre des redoutes, des forts et des châteaux, ouvrages qui étant abandonnés, lorsqu’il changeait de quartier, semblaient n’annoncer que des projets vains et extravagants. Estienne Pasquier dit qu’elle est venue de ce que, autrefois, les Espagnols ne construisaient point de châteaux de peur que les Maures, aux incursions desquels ils étaient sans cesse exposés, ne s’en emparassent et n’en fissent des fortifications pour se maintenir dans leur conquête. Suivant l’abbé Morellet, elle est née de l’opinion qui fit regarder l’Espagne, devenue maîtresse des métaux précieux du Mexique et du Pérou, comme le pays le plus riche et la source des richesses les plus abondantes.

Il n’est pas besoin de montrer le vice ou le ridicule des deux premières interprétations. Quant à la dernière, elle s’appuie sur un anachronisme bien prouvé par ce vers du Roman de la Rose, publié longtemps avant la découverte du Nouveau-Monde:

Lors feras chasteaulx en Espagne.

Celle de Pasquier n’est pas dépourvue de vérité; mais elle est présentée d’une manière incomplète; car si elle nous apprend pourquoi l’on appelle châteaux en Espagne des choses qui n’existent que dans l’imagination, elle nous laisse à deviner pourquoi l’on n’appelle ces choses ainsi qu’autant qu’elles forment de douces, d’heureuses illusions. Le proverbe n’a pas été fondé seulement sur ce que l’Espagne n’avait point de châteaux, il l’a été aussi, et peut-être en raison de cela même, sur ce qu’elle paraissait très propre à en avoir de bons et de beaux. C’est vers la fin du XIe siècle qu’il a pris naissance, à une époque de féodalité où l’on construisait beaucoup de châteaux, et où toutes les idées de grandeur et de fortune étaient liées à l’idée de ces édifices. Cette époque est celle où Henri de Bourgogne, suivi d’un grand nombre de chevaliers, alla conquérir gloire et butin sur les Infidèles au delà des Pyrénées, et obtint, en récompense des services qu’il rendit à Alphonse, roi de Castille, la main de Thérèse, fille de ce prince, avec le comté de Lusitanie, qui devint, sous son fils Alphonse Henriquès, le royaume de Portugal. Le succès de ces illustres aventuriers excita l’émulation et les espérances de la noblesse française, et il n’y eut pas de fils de bonne mère qui ne se flattât de fonder, comme eux, quelque riche établissement; qui ne fît dans son esprit des châteaux en Espagne.

La même ambition avait été déjà excitée dans toutes les têtes par la considération des grands biens échus en partage aux principaux guerriers de Guillaume-le-Conquérant, et elle avait donné lieu à l’expression Faire des châteaux en Albanie, dont le sens est absolument semblable à celui de Faire des châteaux en Espagne. Ce nom d’Albanie, synonyme d’Albion, s’appliquait alors à l’Angleterre, où les Normands bâtissaient beaucoup de châteaux. Les Saxons n’y en avaient fait construire que très peu; Munitiones quas galli castella nuncupant anglicis provinciis paucissimæ fuerant (Ord. Vit., XI, 240), et cela fut cause que la perte de la bataille d’Hastings entraîna pour eux la perte de tout le pays.

Je vais, je viens, le trot et puis le pas,
Je dis un mot, puis après je le nye,
Et si tu bastis sans reigle ni compas,
Tout fin seulet, les chasteaulx d’Albanye. (Vergier d’honneur.)

La duchesse de Villars disait que, pour se guérir de la manie de faire des châteaux en Espagne, il suffisait de voyager dans ce pays. Mot encore plus vrai aujourd’hui que de son temps.

On dit qu’une personne fait des cachots en Espagne, par opposition aux châteaux en Espagne, et pour signifier qu’elle se forge des chimères tristes, qu’elle voit tout en noir. Cette expression fut justement appliquée à M. de Ximenès, que son ami, M. d’Autrep, définissait plaisamment en ces termes: «C’est un homme qui aime mieux la pluie que le beau temps, et qui ne peut entendre chanter le rossignol sans s’écrier: Ah! la vilaine bête!»

M. Ch. Nodier a créé une autre expression qui me paraît heureuse, lorsqu’il a dit, dans sa charmante pièce intitulée: Changement de Domicile:

Quand je rêve tout seul, à travers la campagne,
Je me creuse parfois des fosses en Espagne.
Il est bon d’être à l’aise où l’on sera toujours.
Je voudrais y descendre à la fin des beaux jours.
Que chercher aux forêts si ce n’est une tombe?

ESPÉRANCE.L’espérance est le pain des malheureux.

Les malheureux se nourrissent d’espérance, ils suppléent par l’espérance aux biens dont ils sont privés. Eh! que deviendraient-ils, si elle ne les soutenait, si elle ne fesait luire ses rayons consolateurs sur ce fond d’agonie où se traîne leur misérable existence?

L’espérance est le viatique de la vie.

L’espérance est la compagne inséparable de l’homme sur le chemin qu’il parcourt du berceau à la tombe, et c’est elle qui le fait vivre jusqu’à son dernier soupir. La devises des philosophes elpistiques, Dum spiro, spero, tant que je respire, j’espère, appartient à tout le genre humain.

L’espérance est le songe d’un homme éveillé.

Sentence d’Aristote passée en proverbe.—L’espérance, en effet, est de la même nature que les songes. Il n’y a rien en elle de réel. Elle fait luire à nos yeux de belles veilles de jours fortunés auxquelles nous ne trouvons pas de lendemain; elle nous offre de beaux vergers en fleurs dont nous ne cueillons pas les fruits; elle étend devant nous un horizon doré où la gloire, la fortune, les plaisirs qui nous invitent ne sont plus, à notre approche, que des fantômes. Rivarol l’a définie très spirituellement: Un emprunt fait au bonheur. Mais cet emprunt est presque toujours usuraire; car il faut payer d’un temps précieux qu’elle nous enlève les chimériques rêves que nous lui devons. Ainsi elle est bien plutôt un vol fait au présent en faveur d’un avenir qui n’existera peut-être jamais. Le sage compte peu sur elle; il en laisse les illusions aux ames faibles ou malheureuses qui ne savent pas trouver en elles-mêmes ce qu’il leur faut; il la considère comme ce mirage trompeur dont l’éclat ne brille d’ordinaire que sur les sables arides des déserts.

Les Arabes disent: Qui a de longues espérances a de longues douleurs.—Ils disent aussi: Qui voyage sur le char de l’espérance a la pauvreté pour compagne.

Les Italiens ont ce proverbe: Assai guadagna chi vano sperar perde. Gagne beaucoup qui perd une vaine espérance.

Espérance bretonne.

Cette expression, fréquemment employée par les troubadours et les trouvères, pour marquer une espérance toujours déçue et jamais rebutée, s’explique par celle-ci: Attendre comme les Bretons Arthur, qui est également familière à ces poëtes et qui a la même origine et la même signification.—Cet Arthur ou Artus, héros de la romancerie anglo-normande qui lui attribue l’institution de l’ordre de la Table-Ronde, fut le dernier roi des Bretons-Siluriens[42]. Après avoir défendu longtemps son pays avec succès contre les Angles du nord, les Saxons de l’occident et les Danois qu’il vainquit en douze batailles successives, il fut complétement défait à Camblan, vers 542. Blessé mortellement dans cette affaire, il se fit transporter en un lieu inconnu, où il termina sa glorieuse vie. Ses soldats étonnés de ne pas le voir reparaître allèrent à sa recherche, et, comme ils ne trouvèrent nulle part son tombeau, ils se persuadèrent qu’il n’était pas mort. La superstition du temps accueillit cette idée exploitée par la politique nationale comme moyen de résistance contre les vainqueurs; et bientôt ce fut une croyance populaire qu’Arthur reviendrait un jour régner sur l’Angleterre affranchie du joug étranger, et qu’il y ramènerait le siècle d’or. En attendant, il était censé dormir du sommeil d’Endymion au pied du mont Etna, par l’effet d’un philtre magique que les enchanteurs Merlin et Thaliessin lui avaient donné pour prolonger son existence, après l’avoir guéri de sa blessure. Les chants patriotiques des bardes le représentaient tantôt guerroyant en Palestine contre les Infidèles, et tantôt errant dans les forêts des deux Bretagnes. Cette espérance du retour d’Arthur s’accrut à mesure que le peuple fut opprimé. Elle fut assez générale sous la domination despotique des rois normands. Henri II, à qui elle inspirait des inquiétudes, imagina un moyen pour la faire cesser. Il se rendit à Glassenbury, dans le pays de Galles, fit faire des fouilles en un lieu que des vers chantés en sa présence par un pâtre indiquaient comme l’endroit de la sépulture d’un grand homme, et l’on en retira un cercueil de pierre décoré d’une petite croix de plomb, sur laquelle était écrit: Hic jacet inclytus rex Arthurius in insulâ Avaloniâ. Cette prétendue découverte ne produisit pas néanmoins l’effet qu’il en attendait. L’espérance bretonne continua à régner. Elle était si vive au temps d’Alain de l’Isle, que ce savant a écrit dans ses explications des prophéties de Merlin: «On serait lapidé en Bretagne, si l’on osait dire qu’Arthur est mort.» (Explanat. in proph. Merlini, p. 19, lib. I.)

ESPRIT.Avoir l’esprit enfoncé dans la matière.

Cette expression, dont on se sert pour désigner un esprit épais, est empruntée de l’expression latine demersus in corpus homo, homme plongé dans le corps, qu’on trouve dans Pline le naturaliste.

L’obésité a toujours été regardée comme l’indice de la stupidité, et quelques médecins ont cherché à démontrer par des raisonnements physiologiques la vérité de cette opinion qui avait donné lieu au proverbe suivant, que les Romains tenaient des Grecs:

Subtile pectus venter obesus non parit.

On dit aussi: Avoir la forme enfoncée dans la matière, locution que Molière a mise en vogue, lorsqu’il a cherché à la faire tomber en la reléguant dans le jargon des Précieuses ridicules. Ce mot forme signifie sans doute ici l’esprit ou l’ame, que des philosophes anciens nommaient la forme essentielle.

Bienheureux les pauvres d’esprit.

L’évangile selon saint Mathieu (ch. V, v. 3) dit: Beati pauperes spiritu, quoniam ipsorum est regnum cælorum; bienheureux les pauvres d’esprit, car le royaume des cieux leur appartient; ce qui doit s’entendre des hommes qui ont le cœur et l’esprit entièrement détachés des biens de la terre. Mais on a voulu l’entendre de ceux qui sont dépourvus d’esprit, et c’est sur ce fondement que le langage proverbial a proclamé la béatification ou la canonisation de la bêtise.

Les grands esprits se rencontrent.

Les grands esprits, habitués à voir les choses telles qu’elles sont, doivent nécessairement se rencontrer quelquefois, lorsque leur attention se porte sur le même objet. De là ce proverbe qui s’emploie par plaisanterie, lorsque deux personnes ont ou prétendent avoir à la fois la même pensée, et qui sert bien souvent d’excuse aux plagiaires.

S’il y avait un recueil des rencontres des écrivains dans un ordre chronologique, on y découvrirait bien des vols plaisamment déguisés, et si une loi obligeait à la restitution littéraire, on verrait bien des ouvrages volumineux auxquels il resterait à peine quelques feuillets. Ce n’est pas sans raison qu’on a dit: Un auteur est un homme qui prend dans les livres tout ce qui lui passe par la tête.

ESTOMAC.Mauvais cœur et bon estomac.

Maxime par laquelle sont énoncées les deux conditions auxquelles les égoïstes attachent le bonheur. Elle a quelque vérité sous ce rapport qu’en étouffant sa sensibilité et en digérant très bien, on éviterait beaucoup de souffrances morales et de souffrances physiques; mais elle est d’une fausseté révoltante sous tous les autres rapports. Le secret d’être heureux ne peut consister à n’aimer que soi et à se soustraire au devoir essentiel de la société; car il exclurait les jouissances les plus douces, les plus délicates et les plus nobles du cœur humain. Le bonheur dépend du sentiment encore plus que des nombreux avantages qu’on possède, et peut-être le bonheur n’est-il que le sentiment.

On pense que la maxime anti-sociale Mauvais cœur et bon estomac fut inventée, ou du moins accréditée, par Fontenelle, dont la vie longue et tranquille en offrit constamment l’application.

ESTRADE.Battre l’estrade.

Battre le pavé, perdre son temps à courir les rues, être désœuvré.—Le mot estrade, suivant Henri Estienne, ne vient point de l’italien strada, mais du latin strata, que quelques auteurs, notamment Eutrope, ont employé dans le sens de pavé, au lieu de strata via. On trouve dans Virgile, per strata viarum. L’expression Battre l’estrade et le vieux verbe estrader se disaient primitivement, au propre, en parlant de certains soldats à pied et à cheval chargés d’aller à la découverte et de battre le pays. Ces soldats étaient appelés estradiots, nom que plusieurs étymologistes font dériver du grec στρατιὠτης, soldat, parce que les premiers qui eurent cette fonction avaient été tirés de la Grèce.

ÉTAMINE.Passer par l’étamine.

Aussitôt qu’une fois ma verve me domine,
Tout ce qui s’offre à moi passe par l’étamine.

L’étamine est le nom d’une étoffe fort mince et fort claire, dont les vieilles bourgeoises avaient coutume de se vêtir autrefois. Comme ces vieilles étaient sévères, malignes et bavardes, on disait des personnes critiquées ou tancées par elles, qu’elles avaient passé par l’étamine.—Telle est l’origine qu’on attribue à cette expression, qui peut être venue tout aussi bien d’une allusion à l’étamine ou tamis des apothicaires.

ÉTOILE.Son étoile commence à blanchir, ou à pâlir.

Expression dont on peut faire l’application à la décadence de plus d’une qualité brillante, et dont on se sert spécialement pour marquer la chute prochaine d’un homme en faveur. C’est une double allusion à l’état des étoiles, qu’on voit blanchir ou pâlir aussitôt que le jour se lève, et à l’influence qui leur est attribuée sur la destinée humaine.—Cette rêverie astrologique a donné lieu à ces autres expressions proverbiales: Être né sous une heureuse étoile,—Être né sous une malheureuse étoile,—Ne pouvoir résister à son étoile.

ÉTRANGLER.Je veux que ce morceau m’étrangle, si...

Ducange pense que cette formule d’affirmation métaphorique est venue d’une épreuve judiciaire qui fut introduite au commencement du onzième siècle, et qui consistait à faire avaler aux gens accusés de vol, un morceau de pain et un morceau de fromage sur lesquels on avait dit la messe. Le pain était d’orge sans levain, et le fromage de lait de brebis du mois de mai. La difficulté d’avaler ces morceaux qui pesaient chacun neuf deniers constatait la culpabilité.

Lorsque les Siamois veulent connaître de quel côté est le bon droit dans certaines affaires civiles ou criminelles, ils obligent les deux parties à prendre des pilules purgatives; et la personne qui les garde plus longtemps dans son estomac obtient gain de cause.

ÊTRE.Connaître les êtres d’une maison.

C’est en connaître les coins et recoins, ou les endroits les plus cachés.—Cette expression est très ancienne, car elle se trouve dans le manuscrit du Roman du Renard:

Lors s’en vint droict à la fenestre
Com cil qui bien savoat l’estre.

Elle se trouve aussi dans beaucoup d’autres ouvrages de notre littérature primitive; mais il est à remarquer que le mot êtres y figure écrit de cinq manières différentes, à savoir: estres, aistres, aitres, astres, et âtres, sans que son acception varie avec son orthographe. Les étymologistes s’accordent à dire que ce mot est dérivé du latin atrium. Cependant Huon de Villeneuve, remarquant qu’il signifie quelquefois route, chemin, le fait venir de strada.

ÉTREINDRE.Qui trop embrasse mal étreint.

Il faut mesurer ses entreprises à ses forces ou à ses moyens: celui qui entreprend trop ne réussit point.

Mais d’embrasser tant de matières
En ung coup, tout n’est pas empraint.
Qui trop embrasse, mal estraint. (G. Coquillart.)

Plus les bras sont étendus, plus leur action est bornée: ils ne saisissent bien que les objets autour desquels ils se replient. Il en est des facultés de l’esprit comme des bras. Les exercer sur trop de matières à la fois, c’est les affaiblir. Il faut les concentrer pour qu’elles aient toute leur énergie. Musschembroëck disait: Dum omnia volumus scire, nihil scimus; en voulant tout savoir, nous ne savons rien.

Pluribus intentus minor est ad singula sensus.

On avait érigé à Buffon une statue où on lisait ces mots: Naturam amplectitur omnem, il embrasse toute la nature. Un plaisant y ajouta: Qui trop embrasse mal étreint. Buffon alors fit supprimer l’éloge et la critique.

ÉVÉNEMENT.Les grands événements procèdent des petites causes.

Cette maxime, passée en proverbe, est devenue le sujet et le titre d’un ouvrage où sont rapportées beaucoup de petites particularités qui ont influé sur de grandes affaires. Cependant la disproportion qu’on remarque entre la cause et l’effet n’est pas aussi réelle qu’on se l’imagine. La Harpe regarde cette disproportion apparente comme la suite nécessaire de la différence de rang et de pouvoir. «Les passions, dit-il, c’est-à-dire les affections qui ne sont pas dans l’ordre de la raison, sont petites en elles-mêmes, comme l’avarice, l’amour, la jalousie, etc., ou très susceptibles de petitesses, comme l’orgueil, l’ambition, la haine, la vengeance, etc. Elles occasionnent les mêmes incidents chez ceux qui gouvernent et chez ceux qui sont gouvernés, avec cette différence que, dans les conditions inférieures, ces incidents n’ont qu’une influence obscure et bornée, et qu’ils en ont une très étendue et très sensible dans les personnes qui ont entre leurs mains les destinées publiques, et qui ne sont pas toujours mues par des ressorts proportionnés à l’importance de la chose publique, et dans un rapport exact avec le devoir et avec le bien général.»

Jean-Baptiste Say a dit sur le même sujet: «Les petites causes amènent parfois de grands événements; mais c’est lorsque ses grands événements sont mûrs pour arriver. Elles sont causes occasionnelles et non pas efficientes. Un souffle fait tomber une poire; il est cause de cet événement, si vous voulez; mais ce n’est pas le souffle qui a produit la poire; c’est la terre, le soleil et le temps; le temps! élément si important dans toutes les choses de ce monde!

«Je conviens que de très petits événements ont eu de graves conséquences; mais ils sont plus rares qu’on ne croit, et agissent plutôt négativement que positivement. Certes si, au moment où Alexandre préparait son expédition contre la Perse, il eût avalé de travers une arête, et qu’il en eût été étouffé, il est probable que la conquête de l’Asie n’eût pas eu lieu. Dès lors point de ces royaumes grecs fondés en Syrie, en Égypte; point de Cléopâtre; la bataille d’Actium n’eût pas été perdue par Antoine; Auguste ne serait pas monté sur le trône du monde, etc. Mais il serait arrivé des événements analogues, parce que l’univers était mûr pour eux. Pascal ne me semble pas fondé à dire que si le nez de Cléopâtre eût été plus court, toute la face de la terre était changée. César lui-même se fût-il noyé en passant le Rubicon, Rome n’évitait pas l’esclavage; Rome devait être gouvernée par le sabre, parce que les Romains avaient été trop avides de triomphes militaires; et si ce n’eût été par le sabre de César, ç’aurait été par un autre.»

Voltaire a bien mal raisonné aussi, lorsqu’il a écrit: «Si Léon X avait donné des indulgences à vendre aux moines augustins qui étaient en possession du débit de cette marchandise, il n’y aurait point de protestants.» Le protestantisme était un feu couvé pendant la plus grande partie du moyen âge, et ce volcan devait avoir nécessairement son éruption.

EXCEPTION.Il n’y a point de règle sans exception.

Quelque générale que soit une règle, elle n’est point applicable à tous les cas particuliers.

L’exception confirme la règle.

L’exception, tout en dérogeant à la règle, en constate l’existence; de la nécessité où l’on est de violer la règle en certains cas, se tire précisément la preuve qu’elle existe. Le mot confirme n’est pas ici d’une exactitude rigoureuse; suppose vaudrait peut-être mieux.

EXCUSE.Qui s’excuse s’accuse.

Trop de soins à se justifier produisent souvent un préjugé contraire. Quiconque est innocent n’insiste guère pour qu’on ne le croie point coupable, et il laisse les excuses à ceux qui en ont besoin.—Toute excuse implique quelque idée de faute. Nescio quid peccati portat secum omnis purgatio. (Térence.)

EXIL.Ceux qui passent de l’exil au pouvoir sont avides de sang.

Marius et Tibère n’ont que trop justifié ce proverbe; la vie de l’empereur Andronic en montra la justesse. Le nombre des victimes de ce tyran, dit Gibbon, donnerait une idée moins frappante de sa cruauté que la dénomination de jours de l’alcyon (jours tranquilles) appliquée à l’espace bien rare dans son règne d’une semaine où il se reposa de verser du sang.

EXPÉRIENCE.Expérience passe science.

C’est-à-dire que les leçons de l’expérience valent mieux que celles de tous les maîtres.—Usus frequens omnium magistrorum præcepta superat. (Cicéron.)

EXTRÊME.Les extrêmes se touchent.

Napoléon disait: Du sublime au ridicule il n’y a qu’un pas.


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