Dictionnaire étymologique, historique et anecdotique des proverbes et des locutions proverbiales de la Langue Française en rapport avec de proverbes et des locutions proverbiales des autres langues
S
SAC.—Donner à quelqu’un son sac.
C’est le congédier brusquement, le mettre dehors, le casser aux gages.
Jean Goropius, auteur brabançon, surnommé Becanus, a remarqué que le mot sac est commun à presque toutes les langues; car on dit sakkos en grec, saccus en latin, sakk en goth, sac en anglo-saxon, sack en anglais, en allemand en danois et en belge, sacco en italien, saco en espagnol, sak en hébreu, en chaldéen et en turc, sac en celtique, sach en teuton, etc. Voulez-vous savoir la raison qu’il donne de cette conformité? Vous allez rire: c’est, dit-il, parce que, à l’époque de la confusion des langues, aucun des ouvriers qui travaillaient à la tour de Babel, n’oublia, en partant, de prendre son sac.
Se couvrir d’un sac mouillé.
C’est faire paraître le tort qu’on a en alléguant de mauvaises excuses, c’est trahir ses défauts en cherchant à les cacher. Cette expression est une métaphore prise des sculpteurs. Elle fait allusion à la draperie humide qui se colle sur les formes d’une statue.
L’affaire est dans le sac.
Tout est préparé pour que l’affaire réussisse, on peut la regarder comme terminée.—Allusion au sac dans lequel on renfermait autrefois les pièces d’une procédure. De cet usage sont venues aussi les expressions voir le fond du sac, pour dire pénétrer ce qu’une affaire a de plus secret, de plus caché, et juger sur l’étiquette du sac, c’est-à-dire prononcer sur une question difficile, sans se donner le peine de s’en instruire.
Le mot étiquette a une origine curieuse: dans le temps où la langue latine était la seule en usage au barreau, les avocats et les procureurs écrivaient sur le sac de leurs parties: est hic quæstio, etc. (c’est ici l’état de la cause de tel ou de tel), et par abréviation: est hic quæst.., devenu ensuite estiquette, et maintenant étiquette.
SAFRAN.—Être réduit au safran.
Cette expression, très usitée autrefois pour marquer l’insolvabilité d’un débiteur, est fondée sur l’usage où l’on était de peindre en jaune le devant de la maison d’un banqueroutier, et même d’une personne convaincue de félonie. Sauval rapporte, dans ses Antiquités de Paris, que les portes et les fenêtres de l’hôtel du connétable de Bourbon, qui avait pris les armes contre son roi, furent barbouillées de jaune par la main du bourreau.
SAIGNÉE.—Selon le bras la saignée.
C’est-à-dire il faut proportionner la dépense au revenu; il ne faut pas taxer un homme au delà de ses facultés.—Ce proverbe, très ancien, dut peut-être son introduction à l’abus qu’on fit de la saignée en France, depuis les premiers temps de la monarchie jusqu’au XVIe siècle. On la regardait comme un excellent préservatif ou un excellent remède contre la plupart des maladies, ainsi qu’on le voit dans l’Almanach astral des saignées, et dans un petit livre intitulé: Petit traité pour faire des saignées sur tout le corps humain, etc. «On saignait à toutes les veines, dit M. A. A. Monteil, d’après cet ouvrage, aux veines des cuisses pour le mal d’oreilles, à la cheville pour le mal de dents, entre le pouce et l’index pour alléger le mal de tête et pour la rogne, au doigt auriculaire pour la fièvre quarte, au bout du nez pour nettoyer la peau de celui qui craignait la lèpre. On saignait pour dégager le cerveau et donner de la mémoire, pour purifier le cerveau et donner de l’esprit.» C’était surtout dans les couvents, soit d’hommes, soit de femmes, qu’on jugeait la saignée salutaire. On l’y employait avec si peu de modération, que le concile d’Aix-la-Chapelle, tenu en 817, crut devoir prescrire de n’en user qu’au seul cas où la santé l’exigerait. Cependant cette décision n’arrêta pas longtemps le mal. La saignée fut remise en vigueur comme moyen nécessaire pour réprimer l’aiguillon de la chair. On établit en règle qu’elle serait pratiquée un jour de chaque mois, qu’on désigna, dans les calendriers des bréviaires monastiques, sous la dénomination de dies æger, jour malade; et cette saignée générale fut appelée minutio monachi, amoindrissement du moine; minutio monachæ, amoindrissement de la moinesse. Dans la suite, l’autorité civile intervint pour qu’une telle opération n’eût pas lieu aussi souvent; et il y a un réglement de saint Louis, d’après lequel les religieuses de Pontoise devaient se faire saigner six fois par an seulement, aux époques de Noël, du mercredi des Cendres, de Pâques, de la Saint-Pierre, de la mi-août et de la Toussaint.
SAINT.—Ne savoir à quel saint se vouer.
C’est n’avoir plus de ressource, ne savoir plus à qui recourir.
Il n’est pas besoin sans doute de dire que cette locution est fondée sur l’usage de se vouer à quelque saint, comme les païens se vouaient à quelqu’un de leurs dieux, pour échapper à une maladie ou à une situation périlleuse; mais il est assez curieux de remarquer une superstition singulière introduite par cet usage. C’est celle qui attribue aux saints une vertu analogue au nom qu’ils portent: par exemple, saint Clair est réputé guérir le mal des yeux; saint Mamès, des mamelles; saint Main, des mains; saint Genou, des genoux; saint Claude redresse les pieds des gens qui clochent ou boitent; saint Célérin donne de la célérité à ceux qui ne sont pas ingambes; saint Lié assouplit et délie les nerfs des enfants noués; saint Cri, les empêche de crier; saint Fort et saint Guinefort donnent des forces aux faibles; saint Tanche étanche le sang des blessés; saint Langueur préserve de la langueur et de la phthisie; saint Boniface produit cet embonpoint qui rend la face ronde et rebondie; saint Acaire fait passer l’humeur acariâtre des femmes; saint Rabonni rabonnit les maris quinteux ou les fait mourir au bout de l’année, car suivant la remarque d’une commère qui croyait lui devoir la mort du sien, c’est un bon saint qui accorde quelquefois plus qu’on ne lui demande. Plusieurs de ces saints guérisseurs, dont la liste est beaucoup plus longue que celle qu’on vient de lire, ont une origine populaire que n’a point reconnue la légende authentique.
SAINT-MALO.—Il a été à Saint-Malo.
Vers le XIe siècle, la plupart des habitants de l’ancienne cité d’Aleth, aujourd’hui Saint-Servant, exposée sans cesse aux attaques des pirates, se retirèrent sur le rocher d’Aaron, petite île qui fut jointe depuis à la Terre-Ferme par une chaussée, et ils y jetèrent les fondements d’une ville à laquelle ils donnèrent le nom de Saint-Malo, leur évêque. Cette position, hérissée de récifs et défendue par quelques ouvrages de fortification, leur offrit un sûr abri. Pour éviter toute surprise, ils imaginèrent d’en confier la garde à une troupe de dogues qu’ils lâchaient toutes les nuits; ces animaux étaient dressés à faire la ronde autour des remparts, et ils déchiraient tous ceux qu’ils rencontraient. C’est de cet usage, longtemps conservé chez les Maloins, qu’est né le dicton, dont on fait l’application à une personne dépourvue de mollets, en supposant que les chiens de Saint-Malo les lui ont mangés.
SALADE.—Donner une salade à quelqu’un.
C’est le tancer, lui faire une correction.—La salade, dont il s’agit ici, est une espèce de casque léger, autrefois à l’usage d’un corps de cavalerie qui fut appelé corps des salades, comme on le voit dans les Commentaires de Blaise de Montluc: lorsqu’un soldat avait commis quelque faute, on lui mettait une salade sur la tête, et on le traitait de la même manière que les soldats auxquels on donnait le morion (voyez ce mot), de là l’expression.
Voltaire a prétendu que de l’italien celata, qui signifie elmo, heaume, casque, armet, les soldats français, en Italie, formèrent le mot salade, de sorte que quand on disait il a pris sa salade, on ne savait si celui dont on parlait avait pris son casque ou des laitues.
Cette étymologie n’est pas tout à fait vraie. Le mot salade est beaucoup plus ancien que ne l’a cru Voltaire. Bertrand de Born l’a employé dans sa pièce de vers, qui a pour titre I eu m’escondisc.
Escut al colh, cavalg’ieu ab tempier,
Et port sellat capairon traversier.
L’écu au cou, je chevauche avec la tempête, et porte en salade un chaperon traversier.
On trouve celata et salada dans les Glossaires de Ducange et de Carpentier: celata vient du verbe latin celare (céler, cacher, couvrir), et salada est une altération de celata. On dit dans le patois du département de l’Aveyron sala (couvrir) et désala (découvrir). Celata et salada désignent donc proprement une couverture de tête.
SANCTUAIRE.—Peser une chose au poids du sanctuaire.
C’est l’examiner avec toute l’exactitude possible, l’apprécier selon les règles de la plus sévère conscience.—Cette expression nous est venue des Hébreux. L’unité et la régularité des poids et mesures leur étaient expressément recommandées, dit M. Salvador, et chaque année le sénat déléguait des hommes intègres pour en faire la vérification, en les rapprochant d’un étalon conservé dans le temple.
SANCTUS.—Je l’attends au sanctus.
On jugeait autrefois du talent d’un chantre par sa manière de chanter le sanctus, dont la musique exigeait beaucoup de force et de souplesse dans la voix, et c’est ce qui donna lieu au dicton, je l’attends au sanctus, c’est-à-dire au véritable point de la difficulté.
SANG.—Bon sang ne peut mentir.
Proverbe très usité pour exprimer les sympathies de la parenté ou pour signifier que les personnes nées d’honnêtes parents ne dégénèrent point.—Les Écossais disent: Blood is not water, le sang n’est pas de l’eau.
SARDONIQUE.—Ris sardonique ou sardonien.
«On assigne différentes origines à cette expression qui était usitée chez les Grecs et chez les Latins; les uns la font venir d’une herbe de Sardaigne qui causait la mort à ceux qui en goûtaient, mais qui les fesait mourir en riant; d’autres la tirent d’un usage du même pays, où l’on immolait à Saturne les vieillards qui passaient soixante-dix ans, et cette cérémonie se fesait en riant; d’autres enfin disent que les vieillards mêmes, dans le temps qu’on les immolait et que, pour orner le sacrifice, on leur donnait de grands coups de fouet sur le bord de leur fosse, se fesaient un honneur de rire. Ainsi le ris sardonien signifie un ris mêlé de douleur.» (M. Jos.-Vict.-Leclerc.)
SAUCISSON.—Il a mangé du saucisson de Martigues.
Cette locution, dont on se sert en Provence, en parlant de quelqu’un qu’on veut taxer de bêtise, est fondée sur un conte imaginé pour ridiculiser les habitants de Martigues, petite ville maritime du département des Bouches-du-Rhône.
Ces bonnes gens, dit le conte, se persuadèrent un beau jour que les saucissons d’Arles étaient une espèce de fruit qui venait en plein champ comme les aubergines. En conséquence, ils se cotisèrent pour en acheter deux ou trois douzaines, recueillirent les grains de poivre qui s’y trouvaient, et les semèrent en commun. Ensuite ils eurent soin de bien arroser le terrain où ils avaient déposé cette précieuse graine, et d’épier soir et matin si elle commençait à pousser. Quelques-uns d’entre eux, l’oreille collée contre terre, prétendirent qu’ils entendaient les germes lever. Tous furent alors dans la jubilation, et, formant une joyeuse farandole, ils se rendirent à l’Hôtel de ville afin de donner cette bonne nouvelle aux consuls. Mais dans un si grand empressement, ils ne songèrent point à laisser des gardiens à l’endroit dépositaire de leurs espérances. Le malheur voulut qu’un âne échappé vint y brouter; et comme la récolte attendue manqua totalement, ce maudit animal fut accusé d’avoir mangé les saucissons en herbe.
SAVONNETTE.—Savonnette à vilain.
Avant la révolution de 1789, on appelait de ce nom certaines charges qui anoblissaient et lavaient pour ainsi dire de la tache de la roture ceux à qui elles étaient conférées à prix d’argent. Il y avait en France un nombre considérable de ces vilains décrassés.
SCRUPULE.—C’est un scrupule de saint Macaire.
Un scrupule absurde produit par quelque bagatelle, un acte de bigoterie ridicule.—La légende dorée rapporte que saint Macaire fit pénitence au pain et à l’eau, pendant cinq ans, pour avoir tué avec trop de colère une puce qui le piquait. De là ce dicton que j’ai entendu citer dans le Midi de la France, et que je n’ai pas cru indigne d’être recueilli, puisque le trait sur lequel il est fondé a fourni à Molière ces vers plaisants du portrait de Tartuffe (acte 1, sc. 6):
Il s’impute à péché la moindre bagatelle,
Un rien presque suffit pour le scandaliser;
Jusque-là qu’il se vint, l’autre jour, accuser
D’avoir pris une puce, en faisant sa prière,
Et de l’avoir tuée avec trop de colère.
SEMAINE.—La longue semaine.
On a appelé ainsi la semaine pendant laquelle les apôtres attendaient la venue du Saint-Esprit, c’est-à-dire la semaine qui précède la Pentecôte, parce qu’on a supposé qu’une semaine passée dans l’attente est toujours longue.
SEPTHEURIER.—Discourir comme un septheurier.
Septheurier est un mot dont on se servait autrefois au palais pour désigner un avocat qui plaidait à l’audience de sept heures. Le peuple s’imagina que cet avocat parlait pendant sept heures, et de là vint l’expression proverbiale dont on fait l’application à un discoureur qui ne se pique pas de brièveté.
SERVITEUR.—Je suis votre serviteur.
Formule de civilité dont on se sert en saluant quelqu’un ou en terminant une lettre. Comme cette formule ne tire point à conséquence depuis que les mœurs féodales qui la firent naître n’existent plus, on a pris l’habitude de l’employer ironiquement dans la conversation pour dire: Je suis d’un avis opposé; ne comptez pas sur moi.—Mercier l’a placée très heureusement dans ce distique improvisé, le jour même où Napoléon se fit couronner empereur.
Du grand Napoléon j’étais l’admirateur,
Il me dit son sujet.—Je suis son serviteur.
SEUL.—Quand on est seul on devient nécessaire.
Pour dire qu’un homme à qui on n’oppose aucune espèce de concurrence est sûr de voir tout le monde recourir à lui, et se soumettre à ses conditions.
SIÉGE.—Son siége est fait.
L’abbé de Vertot, chargé de composer l’histoire de l’ordre de Malte, écrivit à un chevalier de cet ordre pour lui demander des renseignements précis sur le fameux siége de Rhodes. Ces renseignements s’étant fait longtemps attendre, il n’en continua pas moins son travail, qui était fini, lorsqu’ils arrivèrent. La conscience de l’auteur ne se trouva pas du tout gênée par les points de désaccord qui existaient entre son récit et la vérité. Il se contenta de répondre à son correspondant: Mon siége est fait; mot qui passa en proverbe, pour exprimer qu’on veut persister dans son idée, se tenir au parti qu’on a pris, quoique l’on en sente l’erreur.
SIEN.—A chacun le sien ce n’est pas trop.
Il faut que chacun puisse jouir de ce qui lui appartient, sans qu’on vienne le lui disputer.
On n’est jamais trahi que par les siens.
La raison en est toute simple: c’est qu’on ne prend pas d’ordinaire les étrangers pour confidents de ses projets.
Ah! la main la plus chère est souvent imprudente,
Et le dard de Céphale a blessé son amante. (Lebrun.)
SINGE.—Payer en gambades ou en monnaie de singe.
Cette locution est venue de ce que, dans un tarif fait par saint Louis pour régler les droits de péage qui étaient dus à l’entrée de Paris sous le petit Châtelet, les joculateurs étaient exempts de payer en fesant jouer et danser leurs singes devant le péager. Voici les propres termes de ce tarif: «Li singes au marchant doibt quatre deniers, se il por vendre le porte; se li singes est à homme qui l’aist acheté por son déduit, si est quites, et se il singes est au joueur, jouer en doibt devant le péagier, et por son jeu doibt estre quites de toute la chose qu’il achète à son usage et aussitôt le jongleur sont quite por un ver de chanson.» (Establissements des métiers de Paris, par Estienne Boileau, chapitre del péage de Petit Pont.)
Les mots qui terminent ce passage curieux donnent aussi l’origine de cette autre expression proverbiale, payer de chansons ou en chansons.
Jean le Chapelain, dans son Dit du segretain (sacristain) de Cluny, atteste que de son temps régnait la coutume de défrayer son hôte par une chanson ou par un conte.
Usages est en Normandie
Que qui hebergiez est qu’il die
Fable ou chanson die à son oste.
Cette coutume pas n’en oste
Sire Jehan li Chapelain.
Caresses de singe.
On croit que le singe réserve toute son affection pour un seul de ses petits, qui ne s’en trouve pas plus heureux, car tandis que les autres échappent à la haine du père, en fuyant loin de lui, cet objet de ses préférences, sans cesse léché et sans cesse caressé, devient la victime de cette tendresse insensée, et finit par être étouffé dans les embrassements. De cette observation, mise en apologue par Ésope, est venue l’expression proverbiale caresses de singe, dont le sens est suffisamment déterminé par ce qui précède.
Plus le singe s’élève, plus il montre son cul pelé.
Proverbe qu’on applique à un parvenu dont la basse origine ou les défauts sont mis en plus grande évidence par le contraste de la position brillante où la fortune l’a élevé.
Les singes de Chauny.
Ce sobriquet donné aux habitants de Chauny, en Picardie, vient, suivant les uns, de ce que les arquebusiers de cette ville avaient un singe fort laid représenté sur leur bannière; suivant les autres, il tient à cette vieille anecdote rapportée dans les Mémoires de l’Académie Celtique (n. xvi, p. 95). La municipalité de Chauny arrêta un jour dans son conseil, qu’il serait mis dans les eaux qui environnent la ville, et pour en faire l’ornement, une certaine quantité de cygnes. En conséquence, elle écrivit à Paris pour qu’on lui en procurât; mais comme les officiers municipaux n’étaient pas probablement d’habiles grammairiens, ou peut être aussi par un lapsus calami, ils mirent cynges dans leur missive, au lieu de cygnes; et il n’y eut en cela que le déplacement d’une seule lettre, car le mot singe dans ce temps s’écrivait par un c et un y. Les Parisiens auxquels ils s’étaient adressés, quoique étonnés qu’on leur demandât une aussi grande quantité de singes, ne laissèrent pourtant pas de les envoyer. On peut juger quelle fut la figure du maire et des échevins de Chauny, et quels furent les rires de la populace à l’arrivée d’une charretée de sapajous. Cette aventure fut bientôt connue dans tous les lieux voisins, et donna naissance au dicton.
Rabelais a dit (liv. i, ch. 24): «Ceux de Chaunys en Picardie, sont grands jureurs et beaulx bailleurs de ballivernes en matière de singes verts:» c’est-à-dire en matière de fables et d’inventions, parce que dans le temps de Rabelais, on ne croyait pas qu’il y eût des singes verts, et on les regardait comme des êtres imaginaires, ainsi que les merles blancs et les cygnes noirs.
La pomme est pour le vieux singe.
L’avantage est pour celui qui a le plus d’expérience.—Ce proverbe est le résultat d’un apologue, dont un sculpteur, inconnu, de la fin du douzième siècle, développa l’action en relief, pour l’instruction des Parisiens, sur un grand poteau qui formait autrefois les coins des rues Saint-Honoré et des Vieilles Étuves. Cette pièce grotesque et curieuse, qu’on a pu voir au musée des monuments français, représente un gros pommier, environné de singes qui en convoitent le fruit. Les sapajous grimpent à qui mieux mieux sur l’arbre, tandis que le plus vieux de la bande se tient tapi au-dessous. Il a déjà recueilli une pomme que les grimpeurs ont fait tomber par leurs secousses, et il la leur montre d’un air goguenard, qui semble dire: à vous la peine, à moi le profit.
Il y a une fable de Lamotte, sur le pouvoir électif, qui a été probablement prise de là: voici les vers qui la terminent:
On dit que le vieux singe affaibli par son âge
Au pied de l’arbre se campa;
Qu’il prévit en animal sage
Que le fruit ébranlé tomberait du branchage,
Et dans sa chute il l’attrapa.
Le peuple à son bon sens décerna la puissance:
L’on n’est roi que par la prudence.
SIRE.—C’est un pauvre sire.
Le mot sire, que depuis le XVIe siècle on applique, en France, au roi seul, comme un titre de souveraineté, s’appliquait, avant cette époque, aux gentilshommes et aux simples particuliers. Mais il faut observer que s’il se trouvait accompagné de la particule de et placé devant un nom propre, ainsi que dans ces exemples, sire de Coucy, sire de Beaujeu, il devenait le signe d’une très haute noblesse, tandis que s’il n’était accolé qu’à un nom de baptême, ainsi que dans ces autres exemples, sire Jean, sire Guillaume, il prenait une acception péjorative; et c’est précisément sur cette différence qu’a été fondée l’expression c’est un pauvre sire, pour dire un homme sans considération, sans capacité.
Les étymologistes ne sont pas d’accord sur l’origine du mot sire, ceux-ci le font venir du latin herus, abrégé en her par les Allemands; ceux-là du latin senior par l’ablatif seniore contracté en siore; les uns le dérivent de l’hébreu sar, personnage distingué, les autres du vieux terme gaulois seir, le soleil. Ducange le tire de ser, employé dans la basse latinité comme synonyme de dominus, maître, et reproduit dans le composé italien messer, dont l’homologue français est messire. Cependant l’opinion la plus accréditée en fait un dérivé du grec ϰύριος, seigneur, qui fut affecté aux souverains du Bas-Empire. Notez qu’on écrivit primitivement cyre, et que ce fut pour éviter l’équivoque du mot ainsi orthographié avec cyre, Cyrus, qu’on changea le c en s. Estienne Pasquier et d’autres attestent ce fait signalé par M. Ch. Nodier comme un monument curieux des mutations que le caprice de l’orthographe peut faire subir à un mot.
SOLDAT.—Soldat de la vierge Marie.
Cette dénomination correspond exactement pour le sens à celle de soldat du pape, qui est beaucoup plus usitée aujourd’hui. Elle fut imaginée par les soldats de l’armée permanente, sous Charles VII, pour ridiculiser les archers de la garde urbaine, habitués à figurer dans les processions qui avaient lieu pendant les fêtes de la Vierge. Ces archers prenaient souvent des noms formés des premiers mots des cantiques ou des litanies de la Vierge, et ils inscrivaient ces noms sur le collet de leurs habits. Tel s’appelait magnificat, et tel autre flos virginum.
SOLEIL.—Le soleil luit pour tout le monde.
Pour dire qu’il y a des avantages dont tout le monde a le droit de jouir.—Proverbe qui pourrait s’expliquer aussi par ces paroles de la Charte constitutionnelle: Les Français sont égaux devant la loi...—Les Français sont également admissibles aux emplois... C’est le principe de l’égalité naturelle dont on a fait le principe de l’égalité civile.
Ce proverbe se trouve dans l’Évangile selon saint Mathieu (ch. V, v 45), où il est parlé de la bonté du Père céleste, qui fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants. Solem suum oriri facit super bonos et super malos.
Il se trouve encore dans cette maxime de Pythagore: Si humble que soit la chaumière, elle est aperçue du soleil, qui y fait tomber un de ses rayons.
Les Orientaux disent: Le soleil est pour le brin d’herbe comme pour le cèdre.
Minulius Félix a dit sur le soleil un beau mot qui rentre dans le sens du proverbe: Cælo affixus, sed terris omnibus sparsus est (in Octav.). Le soleil est attaché au ciel, mais il est répandu sur toute la terre. Ce que Bartoli avait pris pour devise de saint Ignace, fondateur de l’ordre des jésuites.
SOLLICITEUSE.—Une belle solliciteuse vaut bien une bonne raison.
Une belle solliciteuse obtient tout ce qu’elle veut... Et comment résister à une femme aimable qui vous implore, qui a des regards ravissants, des sourires gracieux, des paroles pleines de charmes, des mains blanches qui vous pressent, et des baisers qui vous enivrent! Il n’y a pas moyen de s’en tirer autrement que par la réponse que M. de Calonne, ministre, fit à une princesse charmante qui lui recommandait une affaire: Madame, si la chose est possible, elle est déjà faite, et si elle est impossible, elle se fera.
SORCIÈRE.—Vieille sorcière.
Vieille et méchante femme.—Cette qualification injurieuse est venue, suivant Gerson, de ce que les vieilles femmes ont toujours plus de penchant que les autres à la superstition (Tract. contra superstitios. dierum observat.). Martin de Arlès a remarqué aussi que le nombre des sorcières a été, dans tous les temps, plus considérable que celui des sorciers. (Traité des superstitions.)
SOT.—C’est un sot en trois lettres.
C’est un homme dont la sottise est très promptement reconnue et non moins promptement exprimée, puisqu’il n’y a que trois lettres dans le mot sot. Il se peut que ces trois lettres soient rappelées ici, non seulement pour rendre l’épithète plus saillante par cette espèce de redondance, mais encore pour faire allusion à l’expression proverbiale trium litterarum homo, homme de trois lettres, dont les Romains fesaient ironiquement l’application à un glorieux qui se prétendait issu de noble race; car les grands personnages de Rome avaient ordinairement trois noms; savoir, le prénom, le nom et le surnom, comme Marcus Tullius Cicero, et quand on parlait d’eux dans un écrit, on ne les désignait que par les lettres initiales de ces trois noms: M. T. C.—Sot en trois lettres équivaudrait alors à sot fieffé.
Le Pays, auteur médiocre, ayant dit à Linière, qui ne l’était guère moins: Vous êtes un sot en trois lettres; celui-ci lui repartit: Et vous, vous en êtes un en mille que vous avez écrites.
Le mot sot est fort ancien dans notre langue. Il existait du temps des Francs. La preuve en est dans les deux traits que voici. Théodulfe évêque d’Orléans, au neuvième siècle, disait de Jean Scot, que la lettre c était une faute d’orthographe dans son nom, et qu’il fallait l’en retrancher.—L’empereur Charles-le-Chauve étant à table avec le même Jean Scot, lui adressa cette question: Quid distat inter scotum et Sotum? quelle distance y a-t-il de Scot à sot? A quoi Jean Scot répliqua: Mensa tantum, celle de la table.
Sot comme un panier.
Allusion au sobriquet de panier percé qu’on applique non seulement à un prodigue, mais à un homme sans mémoire, incapable de rien retenir de ce qu’on lui apprend. Les Grecs disaient ἀνὴρ ἠλεὸς ἄγγυει τρουμένῳ ὁμός, le sot est semblable à un panier percé.
Sot comme un prunier.
Nous disons proverbialement sot comme un prunier, à cause des rejetons impertinents de cet arbre, propter stolones. D’où sont venus aussi stolidus et stoliditas. (Lamothe Levayer.)
Pour être heureux il faut être roi ou sot.
Proverbe qui se trouve dans l’Apocoloquintose de Sénèque.
Un astrologue, je crois que c’est Cardan, a dit que les rois et les sots naissaient sous la même constellation. Il faut avouer pourtant qu’aujourd’hui l’influence heureuse de cette constellation est prodigieusement diminuée pour les rois; mais elle existe toujours pleine et entière pour les sots.
Les sots sont heureux.
La fortune se déclare toujours pour les sots, fortuna favet fatuis.—Le peintre Essequi a représenté la fortune portée sur une autruche, pour rappeler qu’elle accorde presque toujours ses faveurs aux sots.
«Comment arrive-t-il que des sots réussissent toujours et que des gens de sens échouent en tout; en sorte qu’on dirait que les uns semblent de toute éternité avoir été prédestinés au bonheur, et les autres à l’infortune? je réponds à cette question que la vie est un jeu de hasard, que les sots ne jouent pas assez longtemps pour recueillir le salaire de leur sottise, ni les gens sensés celui de leur circonspection. Ils quittent les dés lorsque la chance allait tourner, en sorte que, selon moi, un sot fortuné et un homme d’esprit malheureux, sont deux êtres qui ne sont pas assez vieux.» (Diderot.)
«La raison pour laquelle les sots réussissent toujours dans leurs entreprises, c’est que ne sachant pas et ne voyant pas quand ils sont impétueux, ils ne s’arrêtent jamais.» (Montesquieu.)
Le maréchal de Grammont disait qu’il ne pouvait se mettre dans l’esprit que Dieu aimât les sots.
Les sots de Ham.
Ce sobriquet est venu de ce qu’il y avait autrefois à Ham une confrérie très renommée de sots ou de fous, mots synonymes et pris en bonne part. Ces fous avaient un chef auquel ils donnaient le titre de prince. Ils se réunissaient sous sa conduite en certains jours de l’année, et parcouraient la ville en fesant mille folies; chacun d’eux était alors affublé d’un costume grotesque et monté sur un âne, dont il tenait la queue à la main en guise de bride. Cette farce était probablement une petite imitation de la fête des fous, qui, au XIIIe siècle, avait lieu dans l’église de Paris, le jour de la Circoncision, dans d’autres cathédrales, le jour de l’Epiphanie, et ailleurs le jour des Innocents[80].
Dieu seul devine les sots.
On peut prédire jusqu’à un certain point ce que pensera ou fera un bon esprit dans une circonstance donnée, car sa conduite est conforme à la raison, qui est une et simple, et procède toujours d’une manière suivie; mais, il n’en est pas de même d’un sot, dont la marche n’est jamais régulière ni conséquente. La sottise est mère, elle enfante à chaque instant de nouvelles sottises, qu’on ne peut pas plus prévoir qu’on ne prévoit les monstres avant l’accouchement; et voilà pourquoi on dit qu’il n’y a que Dieu qui devine les sots.
SOULIER.—Chacun sait où son soulier le blesse.
Un patricien romain avait une femme jeune, belle, riche et honnête, et néanmoins il la répudia. Comme ce divorce ne paraissait fondé sur aucun motif raisonnable, ses amis le lui reprochèrent. Mais il leur répondit en avançant le pied: Regardez mon soulier: en avez vous vu un de mieux fait et de plus élégant? Cependant il n’y a que moi qui sache où il me blesse. De là vint le proverbe pour signifier qu’il y a des peines secrètes qui ne sont connues que de ceux qui les éprouvent.
C’est à tort qu’on a attribué ce trait à Paul Émile qui répudia pour une cause inconnue sa femme Papyria, fille de Papyrius Masso; car Plutarque (Vie de Paul Émile, ch. VII) cite ce trait par forme d’apologie du divorce de son héros.
SOUFFLET.—Donner un soufflet à Ronsard.
C’est faire une faute contre la langue.—Ronsard composa une rhétorique pleine de beaux préceptes pour parler élégamment la langue française, et cet auteur fit autorité dans son temps. Il fut surnommé le prince des poëtes français, titre qu’on trouve au frontispice de ses œuvres, magnifiquement imprimées aux frais du trésor royal. L’admiration qu’il inspirait était si grande, que l’historien De Thou voyait une compensation du désastre de Pavie dans la naissance de Ronsard, arrivée suivant lui, le jour de ce désastre: ce qui n’est pas vrai. Montaigne déclarait Ronsard égal aux plus grands poëtes de l’antiquité, et la poésie française élevée par lui à la perfection. Dans toute l’Europe civilisée, le nom de Ronsard était connu et révéré. Les souverains lui envoyaient des présents; Le Tasse venu à Paris, s’estimait heureux de lui être présenté et d’obtenir son approbation pour deux chants de la Jérusalem dont il lui fit lecture. Un poëme italien fut composé à la louange de Ronsard par Spéroni. Sa mort fut presque regardée comme une calamité publique. Le cardinal Du Perron prononça pompeusement son oraison funèbre, et sa mémoire, revêtue de toutes les consécrations, semblait entrer dans la postérité comme dans un temple.
On disait dans le moyen-âge, casser la tête de Priscien, pour signifier parler ou écrire contre la grammaire.—Priscien de Césarée fut un célèbre grammairien du quatrième siècle, dont la grammaire servit de base à l’enseignement du latin, jusqu’à la renaissance des lettres. Il avait l’habitude de dire qu’il souffrait autant d’entendre parler incorrectement, que si on lui cassait la tête.
Nous avons encore l’expression proverbiale, mettre Vaugelas en pièces, dont Molière s’est servi dans les Femmes savantes:
Elle met Vaugelas en pièces tous les jours.
SOUMISSION.—La soumission désarme la colère.
La plus commune façon d’amollir les cœurs de ceux qu’on a offensés, lorsque ayant la vengeance en main ils nous tiennent à leur merci, c’est de les émouvoir par soumission à commisération et à pitié (Montaigne, Ess., liv. 1, ch. 1).
Responsio mollis frangit iram (Salomon, Prov., ch. XV, v. 1) la réponse douce apaise la colère.
L’eau tempérée dissipe les inflammations, et des paroles douces calment la colère (Plutarque).
La douceur et la complaisance ferment la porte au combat. Voulez-vous apaiser votre ennemi? Soyez facile envers lui à proportion de ce qu’il se montre opiniâtre. Le glaive le plus tranchant ne peut entamer la soie molle qui cède à ses coups. Si vous avez une voix douce et une main caressante, vous conduirez l’éléphant avec un fil (Saady).
Il y a un mot sublime de saint Augustin, qui se rapproche beaucoup de notre proverbe par le sens, quoiqu’il en soit très éloigné par l’expression: Vis fugere à Deo? fuge ad Deum.
SOUPE.—Soupe à la grecque.
Le poëte Racan se trouvait un jour chez mademoiselle de Gournay, qui lui lut quelques épigrammes qu’elle avait faites, et lui demanda ce qu’il en pensait. Racan lui répondit franchement qu’elles ne lui semblaient pas très bonnes, attendu qu’elles n’avaient pas de pointe. Mademoiselle de Gournay lui dit qu’il ne fallait pas prendre garde à cela, que c’étaient des épigrammes à la grecque. Ils allèrent ensuite dîner ensemble chez M. Delorme, médecin des eaux de Bourbonne. On leur servit une soupe très fade. Mlle de Gournay se tourna du côté de Racan, et dit: Voilà une méchante.....—Mademoiselle, repartit Racan, c’est une soupe à la grecque. Cela se répandit tellement qu’on ne parla plus que de soupe à la grecque, et de feseur de soupe à la grecque, pour signifier une mauvaise soupe et un mauvais cuisinier. (Voyez Costar, Suite de la défense de Voiture, p. 274.—Perrault, Parallèle des anciens et des modernes, tom. 1, p. 35.—Ménagiana, tom. 2, p. 344.)
SOURIS.—Éveillé comme une potée de souris.
Cette expression, dont on se sert en parlant d’un enfant vif et gai, se trouve dans la dernière édition du dictionnaire de l’académie, mais elle n’en est pas meilleure pour cela. Qui a jamais vu des souris dans un pot, une potée de souris! C’est portée qu’il faudrait dire de Madame de Sévigné comme dans cette phrase: «Je lui disais, le voyant éveillé comme une portée de souris.» De cette façon la phrase est raisonnable.
SUFFISANCE.—Qui n’a suffisance n’a rien.
Quand on ne sait pas se contenter de ce qu’on a, on est aussi pauvre que si l’on n’avait rien. Au contraire, quand on n’étend pas ses désirs au delà de ce qu’on possède, on est réellement riche. Ce qui suffit ne fut jamais peu, dit un autre proverbe. La suffisance est le premier des trésors. Sufficentia res est omnium ditissima.
SUISSE.—Point d’argent, point de suisse.
Les Anglais disent: No silver, no servant: point d’argent, point de serviteur.—Les Suisses, qui servaient autrefois comme mercenaires dans les armées françaises, voulaient être exactement payés, et ils réclamaient hautement leur solde pour peu qu’elle se fît attendre. Leur réclamation était exprimée presque toujours d’une manière aussi brève que significative; elle se réduisait à ces mots: argent ou congé. C’est ainsi qu’Albert de la Pierre parla à Lautrec, au nom des Suisses, qui fesaient partie des troupes, sous les ordres de ce général, dans l’expédition du Milanais, en 1522. L’esprit intéressé des Suisses, en cette circonstance, donna lieu au proverbe point d’argent, point de suisse, qui fut formulé par les soldats français.
SUJET.—C’est un mauvais sujet.
Le mot sujet, d’après son étymologie, signifie ce qui est dessous, et par extension ce à quoi ou sur quoi l’on travaille, c’est-à-dire l’objet de nos travaux, de nos veilles, de nos méditations.
La signification de ce mot est assez étendue tant au moral qu’au physique. Je ne veux pas détailler ici toutes les acceptions qu’on lui donne, je ne veux le considérer que dans l’application qu’on en fait à l’homme et dans le sens particulier de l’expression rapportée en tête de cet article. Qu’un prince dise mes sujets, qu’un chirurgien appelle sujets les cadavres qu’il dissèque, cela se conçoit et s’explique aisément; il n’y a rien dans ces façons de parler qui ne soit selon l’étymologie. Mais, pourquoi dit-on de quelqu’un c’est un bon sujet ou c’est un mauvais sujet, sans aucune espèce de rapport de soumission ni d’obéissance, sans aucune idée apparente de sujétion à qui ou à quoi que ce soit? Comment ce mot s’est-il introduit dans la langue, comment l’usage en est-il devenu si fréquent? Quel rapport a-t-il ici avec son étymologie? Telles sont les questions que me fesait un jour un Allemand qui reprochait à la langue française d’employer des mots pris au hasard, et de n’avoir dans le sens qu’elle leur donnait aucun égard à leur étymologie, quand ils en avaient une.
Cette expression que vous blâmez, lui dis-je, est peut-être la plus profonde et la plus philosophique qu’il y ait dans aucune langue; elle nous rappelle sans cesse ce que nous sommes, et certes, ce n’est pas la vanité qui l’a consacrée. Considérez l’homme depuis la naissance jusqu’à la mort; que voyez-vous en lui dans ses premières années? Une créature faible, souffrante, longtemps incapable de pourvoir à ses besoins, etc.; trouvez-moi rien dans la nature qui, dans la première période de l’existence, soit aussi dépendant, et par conséquent aussi sujet que l’homme. A mesure qu’il avance dans la carrière de la vie, façonné par les lois, le gouvernement, les mœurs, les usages, les opinions et les préjugés, dirigé souvent par les sociétés qu’il fréquente, entraîné par les exemples qu’il voit, par la force des circonstances où il se trouve et qui l’obligent à se plier en tous sens, à biaiser de toutes les manières, est-il un seul instant ce qu’il devrait toujours et ce qu’il voudrait quelquefois être? Et si vous le considérez dans les occasions même où il déploie toute l’énergie de son caractère, vous trouverez encore qu’il obéit à une impulsion presque fatale. Ces grands héros que l’histoire a tant vantés, Caton déchirant ses entrailles, Brutus se précipitant sur son épée en blasphémant contre la vertu, ont-ils fait autre chose que céder aux circonstances? Ajoutez à cela l’influence des climats, des aliments, etc., et dites s’il fut jamais rien de plus sujet que l’homme? Ceci n’est point un paradoxe: les différences frappantes qui distinguent les peuples du nord des peuples du midi, et les uns et les autres des habitants des zones tempérées, en sont des preuves incontestables. Enfin, sous quelque point de vue que vous envisagiez l’homme, il n’est pas possible de voir en lui autre chose qu’un être assujetti de toutes les manières, un esclave de tout ce qui l’environne, et par conséquent un sujet, dans toute l’extension dont ce mot est susceptible.
SURPLUS.—Le surplus rompt le couvercle.
Ce qu’on a de trop est quelquefois plus nuisible qu’utile. Ce proverbe fait entendre qu’il est bon de borner ses vœux à cette heureuse médiocrité qu’Horace a si bien nommée auream mediocritatem, et dont les Grecs indiquaient les avantages par un tour de paradoxe proverbial, traduit ainsi en latin: dimidium plus toto, la moitié est plus que le tout, c’est-à-dire vaut mieux que le tout.
«Les hommes ignorent le prix de la sobriété; ils ne savent pas que la moitié vaut mieux que le tout.» (Hésiode.)
Le véritable point de la richesse, c’est de n’être ni trop près ni trop loin de la pauvreté.
SYCOPHANTE.—C’est un sycophante.
Ce terme est pris du grec συϰοφάντης composé de συϰον figue, et φαίνω je dénonce. Il signifie proprement dénonciateur de figues, et voici pourquoi: les Athéniens, dont le territoire sec et aride ne produisait guère que des olives et des figues, avaient défendu par une loi de transporter des figuiers hors du territoire d’Athènes, et ils appelaient sycophante quiconque dénonçait ce genre de fraude. Or, comme on accusait souvent des gens qui n’étaient pas coupables, sycophante devint insensiblement synonyme de calomniateur, d’imposteur, de fourbe et même d’hypocrite, parce que l’hypocrisie n’est qu’un mode de fourberie.
SYNAGOGUE.—C’est une synagogue.
Les Juifs n’avaient qu’un seul temple qui était à Jérusalem, et dans l’intérieur duquel devaient s’accomplir toutes les cérémonies de leur culte. L’extérieur de ce temple se composait de portiques et de galeries. Les unes servaient de salles de séance au conseil général de la nation; les autres étaient le forum, la place publique, le lieu de réunion des habitants de Jérusalem, dans les temps ordinaires, et du peuple de toutes les tribus ou provinces, dans les fêtes et assemblées solennelles. Il est indispensable, dit M. Salvador, à qui j’emprunte cet article, d’avoir présente à l’esprit cette disposition religieuse, politique et matérielle des assemblées juives, et du temple juif, pour comprendre la plupart des formes des prophètes, et pour ne pas s’étonner de l’expression proverbiale c’est une synagogue, qui s’applique à toute réunion, à toute assemblée, et les exemples n’en sont pas rares de nos jours, où il y a des murmures, du bruit, de la confusion.
Observons que le nom de synagogue, qui désigne l’assemblée des Juifs, n’est pas d’origine juive. Il est venu, comme son synonyme le nom d’église, de la langue grecque, où l’un et l’autre signifient congrégation, assemblée.
Enterrer la synagogue avec honneur.
Se soutenir jusqu’au bout, malgré les dégoûts et les obstacles, terminer une affaire, une entreprise par quelque chose de remarquable.—On trouve dans la satire Ménippée, assurer la synagogue, pour dire assurer le succès d’une faction.