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Dictionnaire étymologique, historique et anecdotique des proverbes et des locutions proverbiales de la Langue Française en rapport avec de proverbes et des locutions proverbiales des autres langues

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I

I.Mettre les points sur les i.

L’addition du point sur l’i minuscule est une invention moderne. Son origine date de l’époque où l’on adopta les caractères gothiques. Deux i se confondant quelquefois avec un u, on les distingua par des accents tirés de gauche à droite, et cet usage s’étendit à l’i simple, quoique, selon l’auteur du Dictionnaire diplomatique, l’i simple pût s’en passer. Les accents devinrent des points au commencement du XVIe siècle. Ce dernier changement, adopté d’abord par quelques copistes, parut vétilleux à quelques autres, et de là vint la locution mettre les points sur les i, dont on fait l’application à une personne qui pousse l’exactitude jusqu’à la minutie.

ILOTE.Traiter quelqu’un comme un ilote.

C’est-à-dire avec une excessive rigueur.—Les ilotes étaient originairement les habitants de la ville d’Hélos, située près de l’embouchure de l’Eurotas, en Laconie. Devenus tributaires de Sparte sous le règne d’Agis, ils entreprirent de reconquérir leur indépendance sous celui de Sous; mais ayant été vaincus, ils furent réduits en esclavage avec toute leur postérité, et distribués dans les terres des vainqueurs pour être employés aux travaux de l’agriculture. Depuis lors, traités toujours avec barbarie, quelquefois égorgés par milliers, sous prétexte que leur trop grand nombre pouvait les porter à la révolte, ces malheureux se perpétuèrent dans cet état d’oppression jusqu’au temps de la domination romaine. L’empereur Auguste leur rendit la liberté et leur permit de prendre le nom d’Eleuthéro-Laconiens, en mémoire de leur affranchissement. Ce qui n’empêcha pas celui d’ilotas de rester comme synonyme d’esclaves.—Ils auraient dû être appelés hélotes, dit l’abbé Gedoyn, mais parce qu’ils étaient λιλῶτες (prisonniers de guerre), ils furent appelés hilotes ou ilotes, tant à cause du nom d’Hélos qu’à cause de leur état.

IMAGINATION.L’imagination est la folle du logis.

L’imagination est de toutes les facultés intellectuelles la plus sujette à s’égarer quand la raison ne lui sert pas de guide; elle est la cause de beaucoup d’écarts, de beaucoup de folies. Théophraste compare l’imagination sans jugement à un cheval sans frein.—Cette dénomination proverbiale de folle du logis a été employée pour la première fois par sainte Thérèse. Montaigne, Malbranche, Voltaire, etc., ont pris plaisir à la répéter.

IMPOSSIBLE.A l’impossible nul n’est tenu.

Dieu lui-même ne peut pas l’impossible, et s’il fesait, par exemple, d’une buse un épervier, ce qui serait un grand miracle, il ne pourrait faire également que cet épervier n’eût pas été une buse.—Bien des gens allèguent ce proverbe pour se dispenser d’accomplir des devoirs; mais leur mauvaise volonté est la cause de ce qu’ils attribuent à une impossibilité prétendue. Nolle in causâ est, non posse prætenditur. (Senec. Épist. 116.)

Les Basques disent: Ésina ascar-ago da es sina. L’impossible a plus de force que le serment.

INCENDIE.Il ne faut qu’une étincelle pour allumer un grand incendie.

Ce proverbe est vrai au figuré comme au propre, et il n’importe pas moins de prendre garde à l’étincelle qui peut mettre le feu à la cervelle d’un homme, qu’à l’étincelle qui peut mettre le feu à sa maison.

INGRAT.Obliger un ingrat, c’est perdre le bienfait.

Cela est vrai des bienfaits qui partent d’un espoir intéressé, mais non de ceux qui partent d’un sentiment généreux. Dans ce dernier cas, un bienfait ne peut être perdu, puisque la bienfaisance porte sa récompense avec elle; et en supposant même qu’il puisse l’être, ne vaut-il pas mieux que ce soit dans les mains de l’ingrat que dans celles du bienfaiteur?

Obliger un ingrat, c’est acheter la haine.

On ne peut guère être indifférent envers un bienfaiteur, et si l’on n’est point reconnaissant on est ingrat. La reconnaissance produit l’amour, et l’ingratitude la haine; par conséquent les bienfaits sont comme des arrhes de l’une ou de l’autre de ces affections. Pourquoi la première est-elle si rare et la seconde si commune? Serait-ce parce que la bienfaisance est presque toujours exercée sans délicatesse et que l’obligé se trouve placé à l’égard du bienfaiteur comme un débiteur à l’égard d’un créancier? Ou bien faut-il en chercher la raison dans cet orgueil secret qui révolte le cœur de l’homme contre toute supériorité?—Quelqu’un a dit spirituellement à ce sujet: Dieu a commandé le pardon des injures, et non pas celui des bienfaits.

Qui oblige fait des ingrats.

Quand j’accorde une grâce, disait Louis XIV, je fais un ingrat et vingt mécontents.

Un des plus grands obstacles à la bienfaisance, ou du moins un prétexte spécieux pour ne pas l’exercer, c’est la crainte de l’ingratitude. Cette crainte qui, poussée à l’excès, devient l’inhumanité même, a dicté le proverbe florentin: Non fai bene e non avrai male! Ne fais point de bien, et tu n’auras point de mal. Maxime détestable, à laquelle trop de faits donnent une apparence de fondement.

Opposons à cette maxime un adage oriental qui présente le plus beau précepte de la charité évangélique: Donne du pain à un chien, dût-il te mordre.

INJURE.Qui supporte une injure s’en attire une nouvelle.

Veterem ferendo injuriam, invitas novam. (Térence.)—La conclusion à tirer de ce proverbe n’est pas qu’il faut se venger d’une injure, car la vengeance n’est pas permise, et loin de remédier au mal elle peut souvent l’accroître, mais qu’il faut repousser une injure de telle sorte qu’elle n’ose plus se renouveler; ce qui se fait toujours plus sûrement par une noble fierté de caractère que par d’odieuses représailles.

Le meilleur remède des injures, c’est de les mépriser.

Convicia, si irascare, agnita videntur: spreta exolescunt. (Tacite, Annal., liv. IV, c. 34.) S’irriter des injures, c’est presque reconnaître qu’elles sont méritées; les mépriser, c’est en détruire tout l’effet.—Un grand cœur doit dédaigner les offenses. Quand on me fait une offense, disait Descartes, je tâche d’élever mon ame si haut que l’offense ne parvienne pas jusqu’à elle.

INNOCENT.C’est un innocent fourré de malice.

La Monnoye pense qu’au lieu d’innocent fourré de malice, on a dit primitivement innocente fourrée de malice, par équivoque d’une sorte de robe nommée innocente avec une fille ou femme qui fait l’innocente, la simple, et qui dans l’ame ne l’est point.

Donner les innocents.

La fête des innocents se célébrait autrefois d’une façon singulière. On tâchait de surprendre le matin, au lit, les jeunes personnes et de leur donner le fouet par forme de jeu. Cette indécente parodie du martyre qu’Hérode fit subir aux enfants de Bethléem et des environs, était désignée par l’expression donner les innocents, ou par le verbe innocenter dont Marot s’est servi dans l’épigramme suivante, qui indique jusqu’où pouvait aller l’abus de la chose:

Très chère sœur, si je savois où couche
Votre personne, au jour des innocents,
De bon matin j’irois à votre couche
Veoir ce gent corps que j’aime entre cinq cents.
A donc ma main (veu l’ardeur que je sens)
Ne se pourroit bonnement contenter
De vous toucher, tenir, taster, tenter:
Et si quelqu’un survenoit d’aventure,
Semblant ferois de vous innocenter.
Seroit-ce pas honneste couverture?

Aux innocents les mains pleines.

On dirait qu’il y a une providence qui protège les innocents et les imbéciles, les fait réussir dans leurs entreprises et ne les laisse manquer de rien. (Voyez le proverbe, Les sots sont heureux.)

INNOVER.Il est dangereux d’innover.

Cette maxime est bonne ou mauvaise suivant les circonstances. Mais remarquons qu’en général les peuples l’adoptent lorsqu’il faut la rejeter, et qu’ils la rejettent lorsqu’il faut l’adopter. C’est parce qu’ils paraissent souvent ne changer que par inquiétude, éprouvent des révolutions qu’ils n’ont ni méditées, ni prévues, et se conduisent comme au hasard.

Ce mauvais résultat de l’innovation a donné lieu à cette autre maxime: Non innovetur etiam in melius. Qu’on n’innove pas même en mieux.—Richard Hooker, théologien anglais, surnommé le Judicieux, qui a écrit sur les lois de la discipline ecclésiastique, dit que le changement du pis au mieux n’est jamais sans inconvénient, car il y a dans la constance et la stabilité un avantage général et durable qui doit contrebalancer toujours les avantages lents et tardifs d’une correction graduelle.

INTENTION.C’est l’intention qui fait l’action.

C’est l’intention, ou la fin qu’on se propose en agissant, qui apprécie et détermine le degré de bonté ou de méchanceté de l’action.—On dit aussi: L’intention vaut le fait, en présumant que celui qui a voulu l’action en a voulu toutes les suites.

La bonne intention doit être réputée pour le fait.

C’est-à-dire qu’après s’être montré bien intentionné à l’égard de quelqu’un, on mérite sa reconnaissance pour le bien qu’on a voulu lui faire, comme si on le lui avait fait.—Ce proverbe ne doit s’employer que dans un sens restreint et déterminé par une juste appréciation des faits. Il serait absurde de l’appliquer à de bonnes intentions exécutées avec une imprudence impardonnable et suivies d’un effet nuisible. Il ne faut pas qu’un sot puisse le prendre pour excuse, et prétendre qu’on doive lui être obligé, lorsqu’il aura compromis ou desservi quelqu’un par ses sottises avec les meilleures intentions du monde, lorsqu’il se sera conduit comme l’ours émoucheur qui casse la tête à son maître avec un pavé, pour le délivrer de l’importunité d’une mouche.

Les bonnes intentions sont trop souvent alléguées pour justifier des fautes, et elles ont trop souvent de mauvais effets peu différents du mal fait à dessein, pour mériter d’être prises en considération. Aussi, est-ce avec raison qu’un proverbe, usité en Portugal, en Espagne et en France, dit que l’enfer est pavé de bonnes intentions. Ce que Bossuet s’est rappelé peut-être lorsque, tonnant contre les vices déguisés en vertus, il s’est écrié avec une admirable énergie: Toutes ces vertus dont l’enfer est rempli.

IOTA.Cela ne vaut pas un iota.

L’iota est la plus petite lettre de l’alphabet grec, la naine des lettres, suivant l’expression de Cœlius, pumilio litterarum, quod omnium et figurâ et sono tenuissima sit et minima. C’est pourquoi il a été employé comme synonyme de la plus petite chose dans ce passage de l’Évangile selon saint Mathieu: Iota unum aut unus apex non præteribit à lege donec omnia fiant. Il serait donc naturel de penser que la locution a été introduite par cela seul. Cependant on lui attribue une autre origine que je vais rapporter avec quelque détail, parce qu’elle se rattache à un fait important de l’histoire ecclésiastique, celui du triomphe momentané de l’arianisme. Les fauteurs de cette hérésie et les Eusébiens, qui avaient été toujours d’accord pour attaquer le dogme de la consubstantialité, s’étant divisés à cause de la fausse proposition de foi faite à Ancyre, l’empereur Constance, intéressé à réunir les deux partis, crut y réussir en convoquant un concile d’Orient et un concile d’Occident. Le premier fut tenu à Séleucic, ville d’Isaurie. Saint Hilaire, qui y assista et qui nous en a laissé une relation, dit qu’il n’y eut pas plus de quinze évêques défenseurs de la bonne doctrine attaquée par cinq cents autres. Il s’y manifesta une telle divergence d’opinions parmi les sectaires, qu’ils se séparèrent sans avoir rien conclu. Le second, où les orthodoxes se trouvaient en majorité, eut lieu à Rimini dans la Romagne. Il fut également troublé par une dispute des plus opiniâtres, à propos d’un iota que les novateurs voulaient introduire dans le mot grec omoousion, consubstantiel, qui serait alors devenu omoIousion, de semblable substance, ce qui n’aurait exprimé qu’imparfaitement l’essence divine du Fils égal au Père. Ce changement favorable aux progrès de l’erreur d’Arius fut repoussé. Mais l’empereur, qui voulait qu’on l’adoptât, parvint à gagner par la ruse et par la violence dix évêques que le concile avait députés vers lui pour l’instruire de ses actes, et il leur fit souscrire une formule contraire à la décision rendue. Puis il se hâta de les renvoyer à leur assemblée dont il avait eu soin de retarder la clôture. Elle refusa d’abord de communiquer avec eux; ensuite la plupart des membres se relâchèrent de cette rigueur et signèrent à leur tour. A la vérité, ils croyaient ne faire qu’un acte de conciliation, puisque la formule était catholique dans le fond, mais dès qu’ils s’aperçurent que les ennemis de la foi triomphaient à la faveur de la forme, ils se rétractèrent malgré les persécutions de Constance. L’iota fut alors proscrit et méprisé, et l’on affecta de dire, pour désigner une chose de nulle valeur, qu’elle ne valait pas un iota.

ISRAÉLITE.C’est un bon israélite.

Dans l’Évangile selon saint Jean (ch. i, v. 47), Jésus-Christ dit de Nathanaël, qui était un homme bon, franc, sincère, craignant Dieu et aimant la justice: Ecce verè israelita in quo dolus non est. Voilà un véritable israélite en qui il n’y a nul artifice. C’est de là qu’est venu l’usage d’appeler bon israélite un homme plein de candeur et même un peu simple.

Racine s’est souvenu sans doute de l’expression de l’Évangile, lorsqu’il a dit dans la première scène d’Athalie:

Je vois que l’injustice en secret vous irrite,
Que vous avez encor le cœur israélite.


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