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Dictionnaire étymologique, historique et anecdotique des proverbes et des locutions proverbiales de la Langue Française en rapport avec de proverbes et des locutions proverbiales des autres langues

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MAÇON.J’aimerais mieux servir les maçons que de...

On lit dans le Blason des faulces amours, par Guillaume Alexis:

Mieux vaudrait servir les maçons
Que d’avoir au cœur tels glaçons.

Cette locution proverbiale a son équivalent dans cette autre: J’aimerais mieux être aux galères. Elle fait allusion à la peine qu’on infligeait autrefois à certains hommes repris de justice, en les condamnant à servir les maçons. Œxmelin parle d’un chef de flibustiers qui, sommé par les Espagnols de se rendre, ne le fit qu’après avoir reçu l’assurance qu’on lui donnerait quartier à lui et aux siens, et qu’on ne leur ferait porter ni pierre ni chaux; car c’est ainsi, ajoute cet auteur, que les Espagnols en usent, lorsqu’ils prennent ces sortes de gens. Ils les tiennent deux ou trois ans dans des forteresses qu’ils bâtissent, et les emploient au service des maçons.

Cette punition, qui a été l’origine des travaux forcés, est de toute antiquité. On sait que les Juifs, en Égypte, furent condamnés à élever les pyramides, et les Pélasges de l’Attique, à construire l’Acropolis.

Vers la fin du XIIe siècle, on disait, en Languedoc, j’aimerais mieux être prêtre, dans le même sens que j’aimerais mieux être maçon. C’est qu’alors le clergé de ce pays était dépossédé de ses biens et abreuvé d’humiliations par la secte albigeoise, qui fut persécutrice avant d’être persécutée. Sicut dicitur mallem esse judæus, sic dicebatur mallem esse capellanus quam hoc vel illud facere. (Guillelm de Podio Laur. In prologo ap. scr. fr. XIX, 194.)

MAGNIFICAT.Il ne faut pas chanter le magnificat à matines.

Saint Césaire, évêque d’Arles, dressant une règle monastique, vers l’an 506, prescrivit aux moines de chanter à l’office du matin le magnificat, qui n’avait pas été encore introduit dans les offices de l’Église latine. Mais, dans la suite, ce cantique fut exclusivement consacré aux vêpres et au salut; et de là vint le proverbe dont le sens moral est, qu’il ne faut pas se glorifier avant le temps.

Corriger le magnificat.

Le magnificat, que Tillemont appelle la gloire des humbles et la confusion des superbes, a toujours été considéré, sous le rapport littéraire, comme une composition d’une grande beauté, et c’est à cause de cela qu’on a dit corriger le magnificat, pour signifier, faire des critiques sans fondement, faire des corrections là où il n’y a pas lieu d’en faire.

On dit aussi corriger le magnificat à matines, afin de faire ressortir doublement l’absurdité des critiques et des corrections.

MAILLE.N’avoir ni sou ni maille.

C’est être extrêmement pauvre.—La maille était une petite pièce de monnaie qui ne valait que la moitié d’un denier.—On disait autrefois dans le même sens, n’avoir de mannoie ni ronde, ni carrée, parce que la maille, au lieu d’être ronde comme les autres monnaies, avait une forme carrée.

Avoir maille à partir avec quelqu’un.

Au propre, c’est avoir une maille à partager (partir, dérivé du latin partiri, signifiait autrefois partager); au figuré, c’est avoir quelque différend, parce qu’il n’appartient qu’à des gens tracassiers et chicaneurs de vouloir partager une aussi petite pièce de monnaie que la maille.

MAIN.Une main lave l’autre.

Ce proverbe qui était usité chez les Grecs et chez les Latins, signifie, dans un sens général, qu’on doit se rendre des services réciproques; mais il s’emploie dans un sens particulier, en parlant de deux compères également suspects qui se blanchissent l’un l’autre des torts qu’on peut leur imputer, ou qui cherchent à faire ressortir les qualités l’un de l’autre. On dit de même, dans les deux sens énoncés: Un barbier rase l’autre. Ce qui s’entend aussi des secours mutuels que se prêtent les gens d’une même profession.

La bonne main.

M. Ch. Nodier, dans sa Linguistique, dit que la main a été l’étalon primitif de tous les calculs de l’homme, et que, déployée à l’intérieur sous ses yeux, elle lui a enseigné le calcul duodécimal dans les douze phalanges des quatre doigts articulés verticalement à la paume. Après cela, le savant philologue ajoute en note cette explication curieuse: «Le pouce représentait l’appoint du quarteron. En transigeant de moitié, le commerce avait fini par faire remise du treizième, et le treizième c’est le pouce. Voilà pourquoi on appelle encore la bonne main cette surérogation de bénéfice qui complète et parfait les marchés, parce que la main y était tout entière. Il nous reste une singulière tradition de cet usage dans la langue populaire, où le pouce signifie toujours un surcroît, une augmentation indéterminée. Elle doit avoir la cinquantaine et le pouce. Il a tiré dix mille francs de ce marché et le pouce. Je conviens que cette autorité est bien triviale, et cette induction bien tardive; mais il n’est jamais trop tard pour dire ce qui n’a jamais été dit.»

Jouer à la main chaude.

Ce jeu, que tout le monde connaît, est une allusion à la terrible épreuve judiciaire dans laquelle la main d’un homme assassiné était apportée au tribunal, afin que chacun vint attester qu’il était innocent du meurtre, en jurant sur cette main chaude encore, à laquelle une croyance superstitieuse attribuait le pouvoir de dénoncer le meurtrier par une espèce de frémissement ou de crispation qu’elle devait éprouver sous son contact.

Jeux de main, jeux de vilain.

Les jeux de main ne conviennent qu’à des gens mal élevés, et, suivant une observation proverbiale, ils engendrent souvent des querelles.

Se laver les mains d’une chose.

Cette expression, dont on se sert pour signifier qu’on ne prend aucune part à une chose, et qu’on ne veut pas être responsable des suites qu’elle peut avoir, est une allusion à l’usage symbolique qui consistait à se laver les mains en présence du peuple, pour témoigner qu’on était innocent d’un crime. Lavavi manus meas inter innocentes, dit le Psalmiste (Ps. LXXII, v. 13). J’ai lavé mes mains parmi les innocents. Pilate pratiqua cette ancienne coutume devant les Juifs, et protesta qu’il n’était pas complice de l’injustice qu’ils allaient consommer en crucifiant Jésus-Christ.

MAITRE.Passer quelqu’un maître.

Ne pas l’attendre pour dîner.—Le compagnon qui, après avoir fait son chef-d’œuvre, était jugé digne de recevoir la maitrise, donnait à ceux qui devaient la lui conférer, un repas qui commençait presque toujours sans lui, soit que le soin du service l’empêchât de prendre place à table en même temps qu’eux, soit que l’étiquette ne le lui permit pas.

C’est un petit-maître.

Expression qu’on applique à un jeune homme qui se fait remarquer par une élégance recherchée dans sa parure, par des manières libres et un ton avantageux auprès des femmes.—Elle fut introduite, dit-on, à l’époque où le duc de Mazarin fut nommé grand-maître de l’artillerie. C’était l’homme le plus galant de son siècle. A peine avait-il quitté ses drapeaux, qu’il venait déposer ses lauriers et son cœur aux pieds des belles. Ses officiers s’efforçaient de copier toutes ses manières, mais ce n’était que des minauderies en comparaison, et par comparaison on les appella petits-maîtres.—Suivant une autre opinion, cette dénomination fut imaginée, sous la régence d’Anne d’Autriche, pour désigner le prince de Condé, le prince de Conti, le duc de Longueville, le duc de Beaufort et quelques autres jeunes seigneurs qui prétendaient enlever l’autorité au cardinal de Mazarin, faire la loi en matière de politique, comme ils la fesaient en matière de modes, en un mot, être les maîtres. On sait que cette prétention fit naître la guerre de la Fronde.

MAL.Le mal retourne à celui qui le fait.

Dieu prend la protection des faibles, il fait réagir contre les méchants les maux qu’ils font aux hommes.—In insidiis suis capientur iniqui. Les méchants seront pris dans leurs propres piéges. (Salomon, Prov., ch. XI, v. 6.)

Ne nous plaignons pas du mal, il vient de Dieu.

Supportons sans nous plaindre les afflictions que Dieu nous envoie.—Proverbe tiré de l’Ecclésiastique, ch. xi, v. 14: Bona et mala... à Deo sunt: les biens et les maux... viennent de Dieu.

Dieu est l’auteur du mal qui punit, mais non de celui qui souille, dit saint Thomas. Ainsi le mal qu’il envoie ne peut être qu’un remède ou une expiation des fautes des hommes. Double raison pour le supporter patiemment.

MALENCONTRE.Qui se soucie, malencontre lui vient.

Le souci ne sert qu’à rendre plus malheureux celui qui s’y livre. Il lui crée de nouveaux maux, dit le Hava-mal des Scandinaves.

L’imagination maîtrisée par le souci devient le plus cruel instrument de nos peines. Toujours ingénieuse à nous tourmenter, elle nous fait parcourir tous les maux, les uns après les autres, pour faire notre supplice de tous. La réalité porte sa mesure avec elle, dit Sénèque, mais un malheur vague ouvre un champ sans limites aux égarements de la peur. Sachons donc raisonner nos craintes. Les maux que nous redoutons comme imminents ne viendront peut-être point; du moins ils ne sont pas encore venus. Ils ont beau être vraisemblables; ils ne sont pas vrais pour cela. Mais en les supposant même inévitables, pourquoi les sentir d’avance? Nous serons à temps de souffrir quand ils arriveront: en attendant espérons mieux.

Il est parfois bon, dans ce monde, de faire comme Figaro qui se pressait de rire dans la crainte de pleurer.

MALHEUR.A quelque chose malheur est bon.

Pour signifier que quelquefois une infortune nous procure des avantages que nous n’aurions pas eus sans elle.

Ce proverbe est susceptible d’une très grande extension, et peut s’appliquer moralement dans tous les cas où le malheur a quelque influence salutaire.

Les Livres saints ont appelé le malheur un trésor de la miséricorde céleste, parce que le malheur ramène l’homme à la religion.—Les Égyptiens avaient sur ce sujet une allégorie sublime, dans laquelle ils représentaient Mercure arrachant les nerfs de Typhon pour en faire les cordes de la lyre divine. Typhon était, au rapport de Plutarque (de Iside et Osiride, 53, 54), l’emblème du mal temporel, et Mercure était la raison même qui fait tourner ce mal au profit de la piété.

Sénèque, dans le quatrième chapitre de son Traité de la Providence, s’est appliqué à prouver que c’est pour l’avantage des hommes vertueux que Dieu les tient dans les afflictions.

La vertu s’affermit sous les coups du malheur.

On lit parmi les adages des Pères de l’Église: Qui non erit Jacob, non erit Israel. Il faut être Jacob pour devenir Israël.—Jacob eut à supporter de longues et rudes épreuves en Mésopotamie, chez Laban son beau-père, et lorsqu’il retourna dans la maison paternelle, il rencontra un ange sous une forme humaine, avec qui il lutta, ne voulant pas le laisser partir sans avoir reçu sa bénédiction. Il sortit boiteux de la lutte; mais il y mérita, par ses efforts victorieux, la faveur qu’il désirait, et il reçut de l’ange le surnom d’Israël, qui signifie fort contre le Seigneur. Tu ne seras plus appelé Jacob, lui dit cet ange, mais Israël, parce que tu as eu la supériorité en luttant avec l’Élohim (avec Dieu ou plutôt avec les vicissitudes venant de Dieu)[62].

Les anciens disaient: Que je te plains, ô toi qui fus toujours heureux! Ils consacraient les lieux où la foudre était tombée, pour faire honorer jusqu’aux moindres vestiges du courroux du ciel et des adversités qu’il envoie. Ils déploraient un bonheur constant. Ils craignaient qu’il n’irritât les furies, et ils cherchaient à l’expier par quelque infortune volontaire. L’heureux Polycrate jetait à la mer son anneau le plus précieux, et Philippe, au comble de la prospérité, proférait cette prière: «O Jupiter, mêle quelque mal à mes biens!»

Le malheur est la meilleure école des souverains: il faut un bûcher à Crésus pour que ce roi de Lydie se reconnaisse et s’écrie: O Solon! Solon!

Le malheur est le père de la compassion. Didon qui avait été malheureuse, accueillait avec empressement les Troyens malheureux, et le vers que Virgile a mis dans sa bouche est devenu la devise des ames sensibles.

Non ignara mali miseris succurrere disco.
Malheureuse, j’appris à plaindre le malheur. (Delille.)

Ce sentiment a été exprimé chez tous les peuples par une foule de comparaisons proverbiales, telles que celle-ci:—C’est du raisin foulé sous le pressoir que jaillit la douce liqueur qui réjouit le cœur de l’homme.—La myrrhe ne distille que par les incisions faites à l’arbre qui la produit, etc.

M. de Chateaubriand a fait dire au père Aubry: Si le ciel t’éprouve aujourd’hui, c’est pour te rendre plus compatissant aux maux des autres. Le cœur, ô Chactas, est comme ces sortes d’arbres qui ne donnent leur baume pour guérir les blessures, qu’après avoir été blessés eux-mêmes.»

Le malheur développe l’intelligence. Vexatio dat intellectum (Isaïe, ch. 28). L’infortune souvent éveille le génie. Ingenium mala sæpe movent (Ovide).

«C’est dans une ame froissée par la douleur que naissent les grandes pensées... De la contradiction naît l’énergie de l’ame. Elle a des forces en réserve pour le malheur. Le génie, sans l’aide des peines, est un roi sans sujets. Le même feu qui le consume le fait briller... L’adversité concentre l’ame au milieu de ses facultés et, à chaque instant, augmente leur ressort. Les génies qui ont fait le plus de bruit dans le monde, ont marché au milieu des contradictions.» (L’abbé de Besplas, Essai sur l’éloquence de la chaire.)

Celui qui n’a pas été malheureux, que sait-il? dit un sage d’Orient.

Le chancelier Bacon a comparé les hommes de bien à ces précieux aromates qui exhalent les parfums les plus délicieux quand ils sont broyés.

On avait dit avant Bacon, que le malheur produit sur l’ame vertueuse le même effet que le feu sur l’encens.

Nos pères avaient ce proverbe: Plus le safran est foulé, mieux il fleurit. Ce qui était fondé sur l’usage de fouler le terrain où l’on avait semé les oignons du safran, conformément à un précepte de Pline-le-Naturaliste auquel les agriculteurs modernes ne se conforment pas.

Le malheur se plaît à la surprise.

Le malheur fond souvent sur l’homme qui ne s’y attend pas, et il s’approche rarement de celui qui est préparé à le recevoir. D’où il faut conclure que le malheur est toujours pour les imprévoyants. Le cardinal de Richelieu prétendait qu’imprévoyant et infortuné étaient synonymes, attendu qu’on ne pouvait guère être l’un sans l’autre.

MANCEAU.Un Manceau vaut un Normand et demi.

Les Manceaux ont la réputation d’être fort enclins à la chicane, et de porter encore plus loin que les Normands les défauts attribués à ces derniers. C’est probablement de là qu’est venu le proverbe. Cependant quelques auteurs prétendent qu’il a dû son origine à un combat dans lequel les Manceaux battirent complétementles Normands plus nombreux qu’eux d’un tiers, et quelques autres assurent qu’il fait allusion à une ancienne monnaie du Maine, dont la valeur surpassait celle de la monnaie de Normandie. Le denier manceau valait un denier et demi normand.

MANCHE.C’est une autre paire de manches.

C’est une autre affaire; c’est bien différent.—On lit dans une note du livre IV, chapitre 58, de Tristan-le-Voyageur, par Marchangy: «C’était la mode, sous le règne de Charles V, de porter une espèce de tunique serrée par la taille, et nommée cottehardie, laquelle montait jusqu’au cou, descendait jusqu’aux pieds et avait la queue traînante; mais pour les personnes de distinction seulement[63], outre les manches étroites de cette robe, on y avait adapté une autre paire de manches à la bombarde, qui étaient fendues pour laisser passer tout l’avant-bras, et qui flottaient à vide jusqu’à terre. Ces secondes manches coûtaient beaucoup plus cher que les véritables, peut-être parce qu’elles ne servaient à rien. On leur doit le proverbe: C’est une autre paire de manches

Cette explication ne me paraît pas tout à fait juste. En voici une autre que je crois meilleure. Les manches étaient autrefois des livrées d’amour que les fiancés et les amants se donnaient réciproquement, et qu’ils promettaient de porter en témoignage de leur tendre engagement, ainsi qu’on le voit dans une nouvelle du troubadour Vidal de Besaudun, où il est question de deux amants qui se jurèrent de porter manches et anneaux l’un de l’autre. Ces livrées adoptées pour être le signe de la fidélité, devinrent en même temps celui de l’infidélité. Quand on changeait d’amour, on changeait aussi de manches; souvent même il arrivait que celles qu’on avait prises la vielle étaient mises au rebut le lendemain, et il y eut tant d’occasions de dire c’est une autre paire de manches, que cette expression fut proverbiale en naissant.

Il y a un vieux dicton populaire qui confirme cette explication; le voici: On se fait l’amour, et quand l’amour est fait, c’est une autre paire de manches.

L’expression tenir quelqu’un dans sa manche, pour dire en être assuré, l’avoir à sa disposition, est peut-être dérivée du même usage: peut-être aussi a-t-elle dû son origine à l’ancienne coutume de porter la bourse dans la manche, sous l’aisselle gauche. En ce cas, elle serait une variante et un équivalent de cette autre expression autrefois usitée, tenir quelqu’un dans sa bourse. Henri II, roi d’Angleterre, après avoir obtenu des lettres pontificales qui lui donnaient gain de cause contre Thomas Becket, archevêque de Cantorbéry, se vantait, en montrant ces lettres publiquement, de tenir le pape et tous les cardinaux dans sa bourse. Quia nunc D. papam et omnes cardinales habet in bursâ suâ. (Apud scrip., fr. XVI, 593.)

L’emploi de manche pour bourse se trouve encore dans la phrase proverbiale, aimer plus la manche que le bras, c’est-à-dire aimer mieux son argent que sa personne, comme font les avares. Rabelais (liv. III, ch. 3) s’est servi de cette phrase, dont ses commentateurs n’ont pas donné la raison.

MANCHOT.Il n’est pas manchot.

Expression qui a été également usitée chez les Latins, car on la trouve dans plusieurs de leurs auteurs, notamment dans Tite-Live (liv. VIII, ch. 31): Non manci fuere milites. Elle fait le sel d’une espèce de prophétie railleuse par laquelle on a caractérisé la dextérité des jésuites. Ignace de Loyala, fondateur de cet ordre, avait été blessé à la jambe par un éclat de mitraille, au siége de Pampelune, et comme sa blessure le condamnait à boiter, il priait un jour sa madone de le délivrer de cette incommodité. La vierge lui apparut à l’instant et lui dit: «Console-toi, mon cher Ignace; il n’est pas en mon pouvoir de faire ce que tu demandes, tu resteras toujours boiteux, mais en revanche, tu auras des enfants qui ne seront pas manchots

MANGER.Mange pour vivre, et ne vis pas pour manger.

Ce proverbe, dont Socrate est, dit-on, l’inventeur, offre un excellent précepte d’hygiène, qu’on devrait écrire en grosses lettres dans toutes les salles à manger. On le trouve quelquefois énoncé dans les livres latins par ces initiales: E. U. V. N. V. U. E. Edas Ut Vivas, Non Vivas Ut Edas.—Rien de meilleur pour la santé que de rester sur son appétit, vesci citra saturitatem, comme dit la traduction latine de Plutarque. Rien de plus mauvais que d’assouvir sa gourmandise; car alors, l’estomac devient le gouffre de la vie, suivant l’expression hardiment figurée de Diogène. Cette observation est sans cesse répétée par les médecins et par les philosophes. Mais il est si doux de creuser sa fosse avec les dents! l’intempérance l’emporte sur toutes les considérations, et elle fait périr plus de monde que l’épée. Gula plures quàm gladius perimit.

Sénèque s’écriait: vous êtes étonné du nombre infini des maladies? Comptez donc les cuisiniers. Innumerabiles morbos esse miraris? Coquos numera (epist. XCV). Montesquieu disait: Le dîner tue la moitié de Paris et le souper tue l’autre.—Encore si l’intempérance bornait ses funestes effets aux maladies ou à la mort des gourmands! mais elle influe d’une manière déplorable sur la morale publique. Que d’actions coupables se commettent dans les fumées de la digestion, qui n’auraient pas lieu à jeun! O sobriété, ce n’est pas sans raison qu’on t’a nommée la nourrice des vertus.

MANTEAU.Il ne s’est pas fait déchirer le manteau.

Il ne s’est pas fait prier. Cette expression nous vient des Latins. Scindere penulam signifiait chez eux, presser un hôte de rester, lui saisir le manteau pour l’empêcher de partir. Cicéron, parlant de deux personnes qui étaient venues le voir, dit: Ils sont restés, quoique je ne les y aie pas engagés que faiblement. Horum ego vix attigi penulam, tamen remanserunt. (L’abbé Tuet.)

Nous disons aussi: Il ne s’est pas fait tirer la manche.

S’il fait beau, prends ton manteau; s’il pleut, prends-le si tu veux.

Il faut prévoir les éventualités fâcheuses et se prémunir contre elles, lors même qu’elles ne paraissent pas probables.

De loin contre l’orage un nautonier s’apprête,
Avec le vent en poupe il songe à la tempête. (Piron.)

Quant à la seconde partie du proverbe, c’est une manière originale de faire sentir l’importance attachée au conseil exprimé dans la première.

MARGUERITE.A la franche marguerite.

Telle est la disposition du cœur de l’homme que, dans toutes les passions qu’il éprouve, il ne saurait jamais s’affranchir d’une sorte du superstition. On dirait que ne trouvant, dans le monde réel, rien qui réponde pleinement aux besoins d’émotion et de sympathie produits par l’exaltation de son être, il cherche à étendre ses rapports dans un monde merveilleux. C’est surtout dans l’amour que se manifeste cette disposition. L’amant est curieux, inquiet. Il veut pénétrer l’avenir pour lui arracher le secret de sa destinée. Il rattache ses craintes ou ses espérances à toutes les pratiques que son imagination lui fait croire capables de changer la volonté du sort ou de la disposer en sa faveur. Il veut trouver dans tous les objets de la nature des assurances contre les craintes dont il est agité. Il les interroge sur les sentiments de celle qu’il adore. Les fleurs qui lui présentent son image lui paraissent surtout propres à révéler l’oracle de l’amour. Lorsqu’il va rêvant dans la prairie, il cueille une marguerite, il en arrache les feuilles l’une après l’autre, en disant tour à tour: Elle m’aime, pas du tout, un peu, beaucoup, passionnément. Si la dernière feuille amène pas du tout, il gémit, il se désespère; si elle amène passionnément, il s’enivre de joie, il se croit destiné à la félicité; car la marguerite est trop franche pour le tromper.

MARIAGE.En mariage trompe qui peut.

Il n’est pas besoin d’expliquer ce proverbe; mais il est bon de recommander à ceux qui se marient de s’en souvenir, et à ceux qui sont mariés de l’oublier.

Un bon mariage est difficile à faire même en peinture.

C’est ce que dit un plaisant en voyant les sept sacrements du Poussin, où le tableau du mariage est plus faible que les autres, et le mot passa en proverbe.

Les mariages sont écrits dans le ciel.

C’est-à-dire que les mariages sont souvent imprévus, et semblent dépendre de la destinée plutôt que des calculs humains.—Je ne sais s’il est vrai que les mariages soient écrits dans le ciel; mais il est sûr qu’il y en a toujours beaucoup sur lesquels le diable a de bonnes hypothèques.—Une donzelle, qui ne trouvait point à se marier, s’écriait un jour avec un certain dépit: Vous verrez que si mon mariage est écrit au ciel, c’est assurément au dernier feuillet.

MARIÉE.Il a vu la mariée.

Cette expression, qu’on applique à quelqu’un qui a été troublé par une fausse alerte, fait allusion à une anecdote militaire que Strada rapporte ainsi: lorsque l’armée espagnole envoyée en Flandre, sous les ordres du duc d’Albe, était établie près de Groningue, à dessein de chasser de la Frise le comte Louis de Nassau, les éclaireurs, ayant entendu de loin des tambours, et distingué quatre drapeaux qui venaient à eux, coururent annoncer au duc que l’ennemi arrivait. Mais, au lieu de l’ennemi, c’était une nouvelle mariée que des paysans conduisaient avec tout l’appareil d’une fête rustique, et les quatre drapeaux étaient des morceaux d’étoffe flottant au-dessus de quelques chariots recouverts de branchages, où se trouvaient les femmes des gens invités à la pompe nuptiale. L’historien assure que le duc d’Albe, trompé par ses coureurs, fit prendre lui-même les armes à son armée, qui ne les déposa qu’après avoir fait une décharge générale pour saluer la noce qu’elle vit défiler. Cet événement, ajoute-t-il, passa aussitôt en proverbe parmi les troupes Wallonnes, et depuis lors les soldats ne manquent jamais de demander à ceux qui arrivent à la hâte de la découverte en témoignant de la frayeur, s’ils ont vu la mariée.

MARIER.Qui se marie à la hâte se repent à loisir.

Un mariage contracté trop vite devient souvent une source intarissable de regrets, parce qu’il est rarement fondé sur le rapport des caractères, sans lequel la bonne intelligence ne saurait guère exister entre les époux.

Nul ne se marie qui ne s’en repente.

Les peines sont inséparables de l’état de mariage.—Un proverbe espagnol dit: Madre, que cosa es casar?—Hija, hilar, parir y llorar. Ma mère, qu’est-ce que se marier?—Ma fille, c’est filer, enfanter et pleurer.

Les femmes provençales qui maigrissent dans les soucis du mariage, ont ce singulier proverbe: Se uno marlusso venie veouso, serie grasso. Si une merluche devenait veuve, elle engraisserait.

Les maris provençaux ne sont pas non plus enchantés de leur sort conjugal, si l’on en juge par cet autre proverbe qui leur est familier: Dons bouns jours à l’home sur terro, quand pren mouilho e quand l’enterro. Deux bons jours à l’homme sur terre, quand il prend femme et quand il l’enterre. Ce qui a paru digne d’être reproduit dans ce vers fameux:

Il n’est que deux beaux jours, l’entrée et la sortie.

Le jour où l’on se marie est le lendemain du bon temps.

Avec ce jour doivent commencer les préoccupations de l’avenir. Les jeux et les divertissements cessent d’être de saison. Il faut pourvoir aux besoins du ménage, et travailler sans relâche pour l’entretien de la femme qu’on a prise et des enfants qui viendront. Bacon a dit, dans un style noblement figuré: Quiconque a une femme et des enfants, a donné des otages à la fortune.

MARMOT.Croquer le marmot.

Attendre longtemps.—L’origine de cette expression est fort controversée. Les uns la font venir d’une fable d’Ésope imitée par La Fontaine, dans laquelle une fermière, pour faire cesser les pleurs de son petit garçon, le menace de le donner au loup, qui ayant entendu cela, en passant, vient se planter sur la porte de la maison, dans l’espoir de croquer le marmot, et, après une vaine attente, finit par être assommé. Les autres la rapportent à l’habitude qu’ont les compagnons peintres de croquer un marmot (de tracer le croquis d’un marmot) sur un mur, pour se désennuyer, lorsqu’ils sont obligés d’attendre.—Je crois qu’elle fait allusion à l’usage féodal d’après lequel le vassal qui allait rendre hommage à son seigneur devait, en l’absence de celui-ci, réciter à sa porte, comme il l’eût fait en sa présence, les formules de l’hommage, et baiser à plusieurs reprises le verrou, la serrure ou le heurtoir appelé marmot, à cause de la figure grotesque qui y était ordinairement représentée. En marmottant ces formules, il semblait murmurer de dépit entre ses dents, et en baisant ce marmot, il avait l’air de vouloir le croquer, le dévorer. Ainsi, il fut très naturel de dire figurément croquer le marmot, pour exprimer la contrariété ou l’impatience qu’une longue attente doit faire éprouver. Cette explication est confirmée d’ailleurs par l’expression italienne mangiare i catenacci, manger les cadenas ou les verrous, qui s’emploie dans le même sens que la nôtre.

Égayons cet article par une anecdote que racontait le duc de Biron, un jour qu’il voulait prouver la difficulté qu’ont les étrangers à comprendre les locutions figurées de la langue française:—Milady B***, disait-il, avait eu la bonté de me donner un rendez-vous au bois de Boulogne et l’inhumanité d’y manquer. Au bout de deux heures, je m’ennuyai de l’attendre, et, de retour chez moi, je lui écrivis pour me plaindre de son inexactitude. Par malheur il y avait dans mon billet qu’il était bien mal à elle de m’avoir ainsi fait croquer le marmot. Milady savait assez mal le français. Elle prend son dictionnaire, et, trouvant que croquer signifie manger et que marmot veut dire enfant, la voilà qui conclut que, dans ma fureur, j’avais mangé ou voulu manger un enfant. Aussi dit-elle à une de ses amies qui entrait en ce moment chez elle: C’est un monstre que ce duc de Biron; je ne veux le voir de ma vie. Lisez ce qu’il m’écrit.

MAROUFLE.C’est un maroufle.

En terme de peinture, maroufler un tableau, c’est coller un tableau peint avec de la colle forte ou des couleurs grasses en l’appliquant sur une toile, ou sur un panneau de bois, ou sur un enduit de plâtre, ou sur une muraille. Il y a lieu de croire que c’est de cette espèce de maroufle, ou portrait collé, qu’est venu le terme injurieux de maroufle, qui s’applique à un rustre ou à un coquin.

MARTEL.Avoir martel en tête.

Quelques étymologistes ont pensé que cette façon de parler était une allusion à Charles-Martel, dont les taxes multipliées, disent-ils, et les impôts de tout genre, fesaient que les contribuables l’avaient toujours en tête.—Il y a une autre explication beaucoup meilleure: martel est un vieux mot qui signifie marteau. Ainsi avoir martel en tête, c’est, au figuré, avoir la tête rompue par le souci, par l’inquiétude, comme par un marteau. On emploie fréquemment le verbe marteler pour inquiéter, tourmenter. Exemple: Voilà une affaire qui lui martellera le cerveau; ou simplement qui le martellera.

MARTIN.Prêtre Martin qui chante et qui répond.

On appelle ainsi un homme qui fait, comme on dit, la demande et la réponse, qui veut se mêler de tout.

Et sera le prestre Martin,
Il chantera et respondra. (Alain Chartier.)

«Les femmes font le prestre Martin, car comme elles agrandissent le regret du mari perdu..., elles publient aussi tout d’un train ses imperfections.» (Montaigne, Essais, liv. III, ch. 4.)

Martial d’Auvergne a dit le prestre et Martin, au lieu du prestre Martin, dans la quatre-vingt-unième stance de l’Amant rendu cordelier à l’observance d’amour. Voici le passage qui contient cette variante:

J’estoye le prestre et Martin,
Car je respondoye en chantant,
Et parloye françois et latin.

Plus d’un âne à la foire a nom Martin.

C’était autrefois l’usage de donner des noms de saints aux animaux, et l’âne reçut celui de Martin. De là ce proverbe qui s’employait autrefois pour signifier qu’il ne faut pas affirmer une chose d’après un simple indice.

Une tradition proverbiale dit qu’un nommé Martin, huché sur un de ses ânes, n’en retrouvait pas le nombre, parce qu’il oubliait de se compter, c’est-à-dire l’âne sur lequel il était monté.

MARTYR.Être du commun des martyrs.

Cette expression est prise de l’office ecclésiastique de communi Martyrum, qui est l’office général des martyrs. Elle s’applique à un homme qu’aucun talent, aucune qualité particulière ne distingue de la foule des gens médiocres.

MATE.Enfants ou compagnons de la mate.

On appelait ainsi autrefois les escrocs et les filous, parce qu’ils avaient coutume de s’assembler, dit Le Duchat, sur une place nommée la Mate. De mate est venu matois qui signifie rusé.

Il y a un fait très curieux à signaler dans l’histoire des enfants ou compagnons de la mate: c’est que Charles IX en fit appeler plusieurs fois quelques-uns auprès de lui pour prendre des leçons de filouterie. Ce fait est rapporté par Brantôme.

MATINES.Le retour est pire que matines.

Pour exprimer que la suite d’une affaire est plus mauvaise que le commencement. On dit aussi: Dangereux comme le retour de matines. Les deux expressions sont fondées, suivant Pasquier, sur ce que les ecclésiastiques, en revenant des matines, qu’on disait autrefois dans la nuit, étaient souvent exposés aux attaques de leurs ennemis, qui les attendaient dans l’obscurité au détour de quelque rue. Le Duchat pense qu’il s’agit du danger que ces ecclésiastiques avaient à courir auprès des femmes de mauvaise vie qui guettaient leur sortie de l’église pour leur proposer d’entrer chez elles.

Étourdi comme le premier coup de matines.

C’est-à-dire comme un homme qui est réveillé par le premier coup de matines, et qui, étant encore à moitié endormi, ne sait ce qu’il fait.—Les matines, qu’on nommait aussi les primes, étaient autrefois appelées proverbialement primes-sottes, primæ stultæ, et le premier coup de la cloche qui sonnait cet office était appelé éveille-sots, primus matutinarum sonitus evigilans stultos, parce qu’il servait de signal, en certains jours marqués pour la réunion de la confrérie des sots.

MÉCHANCETÉ.Méchanceté porte sa peine.

Le méchant est la victime de sa méchanceté. Attalus dit dans Sénèque, épître 81: Maximam sui veneni partem ebibit nequitia. La méchanceté boit elle-même la plus grande partie de son poison. Suivant saint Augustin, il n’y a pas de méchant qui ne se fasse du mal à lui-même avant d’en faire aux autres; il est comme le feu qui ne consume rien s’il ne brûle lui-même auparavant. Nemo malus qui non sibi priùs noceat: sic esse putate quomodo ignem; nisi ardeat non incendit (in Psalm. 34).

Saint Augustin remarque encore que l’homme est méchant de peur d’être malheureux, et qu’il est encore plus malheureux parce qu’il est méchant. Ne miser sit, malus est; et ideo miser est quia malus est (in Psalm. 32).

«Jamais ne comprendrons-nous, s’écrie Bossuet, que celui qui nous fait injure est toujours beaucoup plus à plaindre que nous qui la recevons; que lui-même se perce le cœur pour nous effleurer la peau, et qu’enfin nos ennemis sont des furieux qui, voulant nous faire boire pour ainsi dire tout le venin de leur haine, en font eux-mêmes un essai funeste, et avalent les premiers le poison qu’ils nous préparent?»

MÉDAILLE.Toute médaille a son revers.

Chaque chose peut être considérée sous deux faces différentes. Il n’y a pas de bonne affaire qui n’ait son mauvais côté.

Les revers des plus belles médailles anciennes sont presque tous négligés, et c’est là ce qui a donné lieu au proverbe. Mais pourquoi ces revers sont-ils négligés? Serait-ce par flatterie? a dit quelque part Diderot. Aurait-on voulu que rien ne luttât avec l’image du prince?

MÉDARD.

S’il pleut le jour de saint Médard,
Il pleut quarante jours plus tard.

Je regarde saint Médard comme un des meilleurs saints du paradis, et je ne puis croire qu’il soit l’auteur des longues pluies qui tombent trop souvent dans les mois de juin et de juillet. Est-il croyable, en effet, qu’après s’être montré constamment le bienfaiteur des habitants de la campagne, durant son séjour sur la terre, il cherche à leur nuire, depuis son installation dans le ciel, et se donne là-haut le singulier passe-temps d’amonceler des nuages pour noyer leurs fruits et leurs blés? D’ailleurs sur quoi se fonderait une imputation pareille? Toutes les observations météorologiques ont constaté que saint Médard, arrivant à une époque où la nature ne songe point encore à devenir variable, ne saurait produire, ni présager aucune intempérie dans la saison. C’est le 8 juin qu’échoit régulièrement la fête de cet aimable fondateur de la rosière de Salency, lorsque les roses brillent dans toute leur pompe; et une circonstance si peu suspecte ferait plutôt penser que, s’il avait quelque autorité sur l’atmosphère, il aimerait mieux en préparer les plus pures influences, ne fût-ce que pour ces belles fleurs qu’il a destinées à couronner la vertu. Un si doux emploi paraîtrait du moins assorti aux habitudes de sa vie. Pourquoi donc a-t-on imaginé de lui assigner un rôle tout opposé? A quel propos l’a-t-on représenté triste et sombre auprès d’un long baromètre qui marque une pluie de quarante jours? J’ai lu quelque part, que cela pourrait avoir eu pour premier fondement une anecdote rapportée par les légendaires. Cette anecdote dit, que saint Médard se trouvait un jour au milieu des champs en nombreuse compagnie, lorsqu’une forte averse fondit tout à coup d’un ciel sans nuage. Tout le monde en fut mouillé jusqu’à la peau, et lui seul n’en reçut pas la moindre goutte, attendu qu’un aigle officieux vint déployer ses vastes ailes au-dessus de sa tête, et lui servir de parapluie jusqu’au logis paternel. Mais pour rattacher à ce fait l’origine du préjugé établi à l’égard de notre saint, il aurait fallu supposer que c’était lui qui avait fait pleuvoir sur son prochain, supposition que le récit de ses pieux biographes n’autorise nullement. Il est beaucoup plus probable que si l’on a fait de saint Médard un intendant des eaux pluviales, un maître du déluge, magister diluvii, comme l’ont appelé de vieilles chroniques, c’est parce que, avant la réformation du calendrier, il avait sa fête plus rapprochée du solstice d’été, dont la présence influe réellement sur le temps. Cependant cela n’indique point la raison des quarante jours de pluie énoncés dans le proverbe. Reste à examiner ce que marque ce nombre de jours qui paraît ne pas avoir été précisé sans dessein. Ne serait-ce point une allusion au déluge? Ce grand cataclysme, suivant une tradition répandue dans le moyen-âge, commença l’année 600 de l’âge de Noé, au dix-septième jour du second mois nommé chez les Juifs Iiar, ou Zéus, quantième correspondant au 10 mai de notre calendrier, et il finit l’année suivante, après une durée de 394 jours, dont on fait ainsi le calcul.

Durée de la pluie, 40 jours.
Durée de l’augmentation des eaux, 150
Durée de la diminution des eaux, 150
Intervalle du desséchement de la terre, 40
Attente pour le premier envoi de la colombe, 7
Attente pour le second envoi de la colombe, 7
———————
Total 394 jours.
———————

En rappelant ce nombre de jours à l’année solaire, on trouvera que les 365, dont elle se compose, sont compris dans l’espace du 10 mai 600 au 10 mai 601, et que les 29 restants, comptés à partir de cette dernière date (10 mai), aboutissent juste au 8 juin, anniversaire de l’époque où Noé sortit de l’arche et de la fête de saint Médard; et c’est ce qui a peut-être donné lieu d’imaginer que, s’il vient à pleuvoir ce jour-là, on est menacé d’une pluie de 40 jours ou d’un second déluge.

Ces explications sur l’influence attribuée à saint Médard sont les meilleures qu’il m’ait été possible de donner. Elles s’accordent assez bien avec les mœurs du moyen-âge, où les clercs, seuls possesseurs de quelque science, en rattachaient toutes les observations à des faits religieux vrais ou faux. Je n’ose me flatter toutefois qu’on ne me reprochera point d’avoir laissé un peu la certitude en souffrance. Et qui pourrait se flatter de dire au juste pourquoi le saint du jour fait la pluie et le beau temps?

Ris de saint Médard.

Grégoire de Tours, chapitre 95 de la Gloire des confesseurs, nous apprend que saint Médard ayant le don d’apaiser le mal de dents, était représenté la bouche entr’ouverte, laissant un peu voir ses dents, pour avertir ceux qui auraient ce mal de recourir à lui. Comme ce saint, entr’ouvrant ainsi la bouche, paraissait rire, mais d’un ris forcé, de là est venue l’expression ris de saint Médard, pour dire un ris à contre-cœur.

Regnier a employé cette expression dans ce vers de sa 8e satire:

D’un ris de saint Médard il me fallut respondre.

MÉDISANT.L’écoutant fait le médisant.

Quelqu’un disait à un sage: Une personne vous a diffamé en ma présence.—Si vous n’aviez pas écouté cette personne avec plaisir, repartit le sage, elle ne m’aurait point diffamé.

La réponse était juste. On ne médit d’ordinaire que parce qu’on est écouté, et le médisant n’est guère plus coupable que l’écoutant. Le premier a le diable sur la langue, dit saint Bernard, et le second l’a dans l’oreille.

Suivant un autre proverbe, la moitié du monde s’applique à médire, et l’autre moitié à écouter les médisances. Si cela est vrai, il faut en conclure que l’homme qui voulait qu’on pendit par la langue ceux qui médisent, et par les oreilles ceux qui écoutent les médisances, souhaitait la destruction du genre humain.

Une comtesse de Poitiers, nommée Alienor, disent les chartres de cette ville, avait établi des peines afflictives contre les femmes médisantes, dans un code de lois qu’elle avait rédigées elle-même en latin. Voici un article curieux de cette pénalité: «Si une femme est convaincue de médisance, elle sera liée sur un âne avec une corde, et de plus elle sera plongée trois fois dans l’eau.»

MÉLUSINE.Faire des cris de Mélusine.

On a prétendu que Mélusine était une altération de mère Lucine, mater Lucina, déesse invoquée par les femmes en couches, et que l’expression signifiait proprement crier comme une femme qui accouche.—Cette expression a une tout autre origine: elle rappelle la fée Mélusine, dont Jean d’Arras a écrit, vers la fin du XIVe siècle, la merveilleuse histoire, que des écrivains français et allemands du XVIe siècle ont augmentée d’une infinité de détails. A les en croire, Mélusine était une fée aussi prudente qu’habile, à qui l’on doit la construction de Saintes, de La Rochelle, des châteaux de Lusignan, de Pons, d’Issoudun, et enfin tous les monuments qui subsistent encore dans le Poitou. Elle avait épousé Raimondin, comte de Poitiers, sous la condition qu’il ne s’informerait jamais de ce qu’elle devenait le samedi. C’était le jour où, après s’être métamorphosée en serpent, elle allait se jeter dans une cuve pleine d’eau. L’imprudente curiosité de Raimondin fut punie par les reproches amers de Mélusine, qui disparut aussitôt du château de Lusignan, où, suivant la tradition populaire, elle est cependant revenue plusieurs fois depuis, mais seulement dans des occasions importantes, et pour annoncer par des cris effroyables de terribles calamités, principalement lorsque quelque seigneur de la maison de Lusignan ou quelqu’un des rois de France était menacé de la mort. Brantôme nous assure que lorsque le château fut rasé par ordre de Henri III, plusieurs personnes la virent distinctement en l’air, et que les officiers de l’armée l’entendirent se lamenter comme une fauvette dont on détruit le nid et dont on dérobe les petits. On prétend qu’elle reparut, dans la suite, au milieu des décombres de l’antique manoir, pour annoncer la mort de Henri IV et de Louis XIII. Son histoire, que l’empereur Charles-Quint et la reine Catherine de Médicis voulurent apprendre sur les lieux mêmes, est connue de tous les paysans du Poitou. Aujourd’hui encore, les mères ne cessent d’en faire des récits aux petits enfants, qui pâlissent d’effroi en les écoutant.

MENTEUR.Un menteur n’est point écouté, même en disant la vérité.

Mendaci homini ne verum quidem dicenti credere solemus. (Cicero, De divin., no 146.)

Un homme habitué à mentir se plaignait de ne trouver que des incrédules, un jour qu’il venait de dire la vérité.—Eh pourquoi, lui répliqua-t-on, vous êtes-vous avisé de la dire?

A menteur, menteur et demi.

C’est-à-dire qu’il est bon de réfuter un mensonge par un mensonge plus grand encore, comme l’enseigne l’apologue dans lequel l’homme qui prétend avoir vu un chou gros comme un chêne, trouve un plaisant qui lui répond qu’il existe une marmite grande comme une église, faite exprès pour faire cuire ce chou.

Il faut qu’un menteur ait bonne mémoire.

Les menteurs sont habitués à débiter tant de choses, qu’il leur est presque impossible de ne pas se contredire. Pour éviter cet inconvénient, ils auraient besoin de se faire exprès une mémoire.—Ce proverbe se trouve dans le recueil des Adages des Pères de l’Église, en ces termes: Memoriam custodem habere mendacem oportet. J’ai lu quelque part qu’il fut appliqué au grammairien Didyme, qui avait traité de ridicule une histoire inventée par lui-même et insérée dans un de ses ouvrages. Ce qui n’était pas bien étonnant de la part de cet auteur qui avait composé trois mille cinq cents traités, travail prodigieux pour lequel il avait été surnommé Chalkenteros, homme aux entrailles d’airain.

MENTIR.Il n’enrage pas pour mentir.

Feydel prétend qu’enrage est ici une altération d’enraie, qui s’écrivait autrefois enrage, et qu’il faudrait dire: Il n’enraie point pour mentir. Sur quoi l’abbé Morellet lui reproche de ne fournir aucune preuve de son assertion et d’ignorer complétement le sens du dicton qui est: Pour mentir il ne sort point de son état naturel, c’est de sang-froid et par habitude qu’il ment.—L’abbé Morellet a probablement raison contre Feydel. Cependant l’explication qu’il donne me parait laisser quelque chose à dire. Citons d’abord le dicton entier: Il est de la compagnie de saint Hubert; il n’enrage point pour mentir. Remarquons ensuite qu’on attribuait à saint Hubert le privilége de préserver de la rage tous ses parents et toutes les personnes qui étaient taillées de son étole merveilleuse, qu’un ange lui avait apportée de la part de la mère de Dieu[64]. Après cela, il sera facile de comprendre l’idée qui a déterminé l’emploi du verbe enrager dans ce dicton, qu’on applique aux chasseurs dont saint Hubert, comme on sait, est le patron.

Il y avait à Metz et en plusieurs autres endroits de la Lorraine, au XVIe siècle, une compagnie de Saint-Hubert, ou un ordre des Menteurs. Tous les membres s’engageaient par serment à ne jamais dire la vérité en fait de chasse. Les candidats juraient à genoux; les chevaliers attachaient leurs fusils par la bandoulière à des pitons enfoncés dans le tronc d’un chêne; le président siégeait sur une borne.

MERLE.Fin comme un merle.

Le merle, disent les naturalistes, est un oiseau très fin, qui se tient en sentinelle pour avertir sa femelle et ses petits de l’approche de l’oiseau de proie. Son adresse à les garantir de ses serres, ajoutent-ils, a peut-être donné lieu à l’expression proverbiale.

S’il fait cela, je lui donnerai un merle blanc.

Expression dont on se sert pour défier quelqu’un de faire quelque chose qu’on regarde comme impossible. On croyait autrefois qu’il n’y avait point de merles blancs. Cependant cette espèce de merles existe; elle est même assez commune dans plusieurs contrées, notamment en Savoie et en Auvergne.

MÉTIER.Qui a métier a rente.

Les Allemands disent: Jedes Handwerk hat einen goldenen Boden. Chaque métier a son fonds d’or.

Il n’est si petit métier qui ne nourrisse son maître.

Les Grecs et les Latins disaient: Un artiste vit partout. M. de Chateaubriand a observé que l’idée de J.-J. Rousseau de faire apprendre un métier à Émile n’était que ce proverbe, dont Néron se servait pour répondre à ceux qui lui reprochaient l’ardeur avec laquelle il se livrait à l’étude de la musique. Il est singulier, a-t-il dit, que la pensée d’un philosophe ne soit que le mot d’un tyran. Réflexion plus brillante que juste: car il n’y a rien de singulier qu’un philosophe se rencontre avec un tyran dans une pensée qui n’appartient pas à ce tyran, mais à tout le monde.

Un proverbe persan dit qu’un cordonnier, en courant le monde, peut toujours écarter la misère; mais qu’un roi, hors de son royaume, peut se voir exposé à mourir de faim.

Un métier ne met pas seulement à l’abri du besoin, il met encore à l’abri du vice; et il serait bon que les parents, quels que soient leur rang et leur fortune, fissent apprendre à leurs enfants une industrie manuelle, comme le recommandait l’école pharisienne chez les Juifs, d’après cette maxime du Talmud: Tout homme qui ne donne pas une profession à ses enfants, les prépare à une mauvaise vie.

MEUNIER.Devenir d’évêque meunier.

On prétend que ce proverbe est altéré, et qu’il faut dire d’évêque aumônier; mais est-ce qu’on n’a pas vu des métamorphoses aussi étranges? Témoin Denis le Tyran réduit à être maître d’école, dit Nicot, dans son Recueil de proverbes, imprimé il y a plus de deux cents ans. Pape et puis meunier est un proverbe qui se trouve dans ce recueil. On y trouve aussi d’évêque aumônier; mais ce proverbe-là paraît moins ancien et n’est pas aussi bien fait que l’autre, qui présente une opposition plus forte. (L’abbé Morellet.)

Quelques étymologistes disent que l’expression devenir d’évêque meunier a eu pour origine l’élévation d’un meunier à la dignité d’évêque, et le rabaissement d’un évêque à la condition de meunier, parce que l’évêque ne put parvenir à résoudre plusieurs questions qui lui furent proposées par un roi, tandis que le meunier, qui prit sa place et parut habillé en évêque devant le roi, les résolut toutes. La dernière était de dire ce que le roi, pensait: «Sire, vous pensez parler à un évêque, et vous parlez à un meunier.» Mais il est évident que cette histoire, racontée dans un vieux fabliau, a été imaginée d’après l’expression proverbiale qui n’est qu’une traduction de celle des Latins, Ab equis ad asinos: passer des chevaux aux ânes, ou de maître de chevaux devenir maître d’ânes. La traduction fut faite à une époque où les évêques avaient autant de chevaux que les meuniers avaient d’ânes[65].

MEURTRIER.Hardi ou assuré comme un meurtrier.

Saint Romain, qui délivra les habitants de Rouen du terrible dragon connu sous le nom de Gargouille, était accompagné d’un larron et d’un meurtrier, lorsqu’il fit cette miraculeuse expédition dans la forêt de Rouvray; mais à la vue du monstre, le larron s’enfuit épouvanté, tandis que le meurtrier resta courageusement auprès du saint. Cette tradition populaire, dont l’auteur de la Vie de saint Romain ne parle point, a donné lieu, dit-on, à l’expression proverbiale.

MIEUX.Le mieux est l’ennemi du bien.

«L’homme s’ennuie du bien, cherche le mieux, trouve le mal, et s’y soumet crainte de pire.» (M. le duc de Levis.)

Ce proverbe, emprunté de l’italien Il meglio e l’inimico del bene, fait allusion au mieux futur contingent, c’est-à-dire au mieux qu’on cherche et non pas à celui qu’on a trouvé, pour signaler ce faux système de perfectibilité qui, égarant l’esprit humain loin des routes de l’expérience, le conduit trop souvent à des innovations funestes, et pour enseigner à respecter les choses établies lorsqu’elles sont bonnes, au lieu de les détruire sous prétexte de les améliorer. Il exprime une vérité du premier ordre qui n’a jamais été méconnue impunément. C’est de l’oubli de cette vérité que sont nées, dans tous les temps, les révolutions qui ont couvert l’Europe de mille plaies. Puisse la génération actuelle, éclairée par tant de malheurs, l’ériger en loi conservatrice des avantages dont elle jouit, et se conformer à cette heureuse circonspection sans laquelle il n’y a plus de sécurité pour le présent ni de garantie pour l’avenir! Courir après le mieux, c’est imiter la folie des premiers habitants de l’Arcadie qui couraient après le soleil, et qui, s’imaginant qu’ils l’atteindraient sur une montagne où ils le croyaient arrêté, trouvaient, en arrivant au sommet, que cet astre était aussi loin d’eux qu’auparavant. Le mieux n’est qu’un fantôme trompeur toujours prompt à s’évanouir dans le tourbillon des fausses espérances où l’on prétend le fixer, et la raison consiste à regarder le bien comme le plus beau partage de la condition humaine:

Non qu’on ne puisse augmenter en prudence,
En bonté d’ame, en talents, en science:
Cherchons le mieux sur ces chapitres-là;
Partout ailleurs évitons la chimère.
Dans son état heureux qui peut se plaire,
Vivre à sa place et garder ce qu’il a. (Voltaire.)

MILIEU.Il n’y a point de milieu.

Dans certains cas, il faut opter entre le pour et le contre; il n’y a point un troisième parti, non est tertium, comme disaient les Latins. Ce qu’on appelle un mezzo termine ne paraîtrait alors que le signe d’un esprit équivoque et réservé qui voudrait satisfaire à de doubles vues. Les passions ne veulent point reconnaître la neutralité, qui est d’ailleurs un point très difficile à saisir, et l’homme qui se placerait juste entre deux personnes divisées paraîtrait à chacune d’elles plus rapproché de son adversaire que d’elle-même. C’est un effet des lois de l’optique, dit ingénieusement Chamfort, comme l’effet par lequel le jet d’eau d’un bassin semble moins éloigné du bord opposé que de celui d’où on le regarde.

MITRAILLE.Avoir de la mitraille.

C’est-à-dire de la basse monnaie. Ce mot est une altération de mitaille qui désignait autrefois une monnaie de billon, ayant cours particulièrement en Flandre.

MOINE.Se faire moine après sa mort.

Expression qui doit son origine à une dévotion singulière qui consistait à se faire enterrer avec un habit de moine, dans l’espérance qu’on échapperait par ce moyen aux griffes du diable. Cette dévotion, que Jean de Meung a critiquée dans le roman de la Rose, fut très commune dans le XIIIe, le XIVe, le xve et le XVIe siècle.

Jean de Brienne, empereur de Constantinople, mort en 1327, qui a été comparé par les poëtes grossiers de son temps à Hector, à Judas Machabée et à Roland, à cause de ses prouesses dans la Terre-Sainte, eut l’ambition d’entrer au paradis revêtu de la robe d’un cordelier.—En 1502, Gilles Dauphin, général des cordeliers, voulant témoigner sa reconnaissance des bienfaits que son ordre avait reçus du Parlement de Paris, accorda aux membres de ce parlement la permission de se faire enterrer en habit de cordelier. (Registres du parlement, 27 janvier 1502.)

Mieux vaut gaudir de son patrimoine que le laisser à ribaud moine.

Il vaut mieux dépenser son bien dans les plaisirs que le laisser à quelque couvent où il ne servirait qu’à entretenir le déréglement des moines.—Ce vieux proverbe, cité par G. Meurier a rapport à l’usage presque général, sous le règne de saint Louis, de faire des legs en faveur des monastères et des églises. Un autre proverbe dit: Grande chère et petit testament, les prêtres sont trop riches. En effet, le clergé regorgeait alors de richesses provenues des donations multipliées des fidèles auxquels on persuadait que leurs pieuses libéralités dans ce monde leur seraient rendues dans l’autre avec usure.

MORE.Traiter quelqu’un de Turc à More.

C’est-à-dire avec une extrême dureté, comme les Turcs traitaient autrefois les Mores.

MORION.Donner le morion.

Sorte de punition qu’on infligeait autrefois à un soldat, en le frappant sur le derrière avec la hampe d’une hallebarde ou la crosse d’un mousquet, pendant qu’on lui fesait tenir une pique au bout de laquelle était placée une armure de tête appelée morion. Voici comment M. A. A. Monteil raconte la chose d’après l’Alphabet militaire. «Quand un soldat est condamné aux honneurs du morion, il est d’abord obligé de se choisir parmi ses camarades un parrain. Aussitôt le parrain le désarme, lui place le chapeau sur la pointe d’une pique, qu’il lui donne à tenir, et le fait mettre dans la position de quelqu’un à qui l’on va donner le fouet sur les chausses, et véritablement le lui donne avec le bois d’une arquebuse. On compte les coups de cette manière: on lui demande s’il est gentilhomme; il doit répondre qu’il l’est, puisqu’il est soldat: on lui dit alors qu’un gentilhomme doit avoir tant de pages, tant de valets, tant de chiens, tant de faucons; et autant de pages, autant de valets, autant de chiens, autant de faucons, autant de coups. On lui demande combien de tours il y a à son château: s’il répond qu’il ne s’en souvient pas, on répond pour lui; autant de tours, autant de coups. On lui demande ensuite quels sont les princes de la famille royale: il les nomme ou on les nomme pour lui; autant de princes, autant de coups. On passe aux maréchaux de France, aux officiers du régiment: il les nomme ou on les nomme; autant de maréchaux, autant d’officiers, autant de coups. De temps en temps le parrain ajoute: Honneur à Dieu! service au roi. Tout pour toi, rien pour moi.

Le tambour avait battu un ban au commencement, il en bat un autre à la fin.»

MORT.Il y a remède à tout, hors la mort.

On trouve dans l’Imitation de Jésus-Christ: Nemo impetrare potest à Papâ bullam nunquam moriendi; ce que Molière a très bien traduit par ce vers de sa comédie de l’Étourdi:

On n’a point pour la mort de dispense de Rome.

La mort assise à la porte des vieux guette les jeunes.

C’est à-dire que les vieux ont à redouter le voisinage de la mort et les jeunes sa surprise. Ce proverbe est tiré de celui-ci qu’ont souvent employé les écrivains ecclésiastiques du moyen-âge: Dies ultimus senibus est in januis, juvenibus in insidiis.

La mort, disent les Turcs, est un chameau noir qui s’agenouille devant toutes les portes.

Rien n’est plus certain que la mort, rien n’est plus incertain que l’heure de la mort.

Notre dernière heure à tous nous est inconnue, mais elle arrive inévitablement pour les jeunes comme pour les vieux, et Dieu n’accorde à personne un tour de cadran comme à Ézéchias.

Un homme mort n’a ni parents ni amis.

Ce proverbe se trouve dans le sirvente que Richard Ier, roi d’Angleterre, composa pendant sa captivité en Autriche. La meilleure explication qu’on en puisse donner est dans le passage suivant du discours du père Aubry à Atala: «Que parlé-je de la puissance des amitiés de la terre! Voulez-vous, ma chère fille, en connaître l’étendue? Si un homme revenait à la lumière, quelques années après sa mort, je doute qu’il fût revu avec joie par ceux-là même qui ont donné le plus de larmes à sa mémoire, tant on forme vite d’autres liaisons, tant on prend facilement d’autres habitudes, tant l’inconstance est naturelle à l’homme, tant notre vie est peu de chose, même dans le cœur de nos amis!»

Les vers suivants, extraits d’une pièce de M. Victor Hugo, A un voyageur, reviennent aussi au proverbe, et sont dignes de figurer à côté du beau passage que j’ai rapporté.

Combien vivent joyeux qui devraient, sœurs ou frères,
Faire un pleur éternel de quelques ombres chères!

Pouvoir des ans vainqueurs!

Les morts durent bien peu; laissons-les sous la pierre.
Hélas! dans le cercueil ils tombent en poussière

Moins vite qu’en nos cœurs.

Voyageur! voyageur! quelle est notre folie?
Qui sait combien de morts à chaque heure on oublie,

Des plus chers, des plus beaux!

Qui peut savoir combien toute douleur s’émousse,
Et combien, sur la terre, un jour d’herbe qui pousse

Efface de tombeaux!

Les morts ont tort.

Pour dire que, lorsqu’un homme est mort, on rejette sur lui la faute de beaucoup de choses; qu’on excuse volontiers les vivants aux dépens des morts. L’abbé Tuet a rapporté l’origine de ce proverbe au duel judiciaire, où le combattant qui succombait sous les coups de son adversaire était réputé coupable, parce qu’on pensait que la divinité, prise pour juge de la cause, manifestait toujours le bon droit par la victoire. Mais l’abbé Tuet ne s’est pas souvenu que, longtemps avant l’usage dont il parle, on disait proverbialement en latin, qui periere arguuntur; ce qui a été traduit en français par les morts ont tort. Pline-le-Naturaliste (liv. XXIX), parlant des médecins qui s’instruisent aux risques et périls des malades, et qui tuent avec impunité, a observé que les reproches ne tombent point sur ces assassins privilégiés, et que ce sont les morts qui ont tort: ultro qui periere arguuntur.

MOUCHE.Prendre la mouche.

Se fâcher, s’emporter sans sujet. Allusion aux mouvements d’impatience d’un homme qui veut prendre ou chasser une mouche toujours obstinée à revenir lui piquer la figure. Les Italiens qui ont la même expression, saltar la mosca, disent aussi la mosca vi sali al naso. La mouche vous saute au nez. Nous disons de même quelle mouche vous pique?

C’est une fine mouche.

C’est une personne très fine et très rusée.—Mouche s’est dit pour espion, et de mouche, pris dans ce sens, on a fait mouchard. C’est à tort qu’on a prétendu que le mot mouchard était dérivé du nom d’un certain père de Mouchy, opiniâtre ennemi de la réforme, et qui en fesait observer les sectateurs secrets par des espions à ses gages.—«Il était inutile, dit M. Ch. Nodier, de chercher là l’étymologie de mouchard, qui se présente tout naturellement dans musca, qui avait la même acception figurée chez les Latins, comme on peut le voir plusieurs fois dans Plaute et dans Pétrone. Mouche est d’ailleurs encore synonyme de mouchard, tant dans ce sens particulier que dans son usage proverbial: une fine mouche.—Je voudrais être mouche.

Les mouches de cour sont chassées. (La Fontaine.)

«Mouche de cour se lit déjà dans l’Éperon de discipline, d’Antoine du Saix, qui fit imprimer cet ouvrage à une époque où le père de Mouchy était encore fort jeune.»

Faire la mouche du coche.

Faire l’empressé, le nécessaire, et s’attribuer le succès des choses auxquelles on a le moins contribué. Personne n’ignore que cette expression est venue d’une fable d’Ésope admirablement imitée par La Fontaine. Madame de Sévigné, parlant de la mouche du coche, a dit: «La gillette s’écrie: Oh que je fais de poudre!» Trait fort plaisant et tout à fait digne de notre inimitable fabuliste!

MOUCHER.Il ne se mouche pas du pied.

Les Latins appelaient un homme fin, homo emunctæ naris, ce qui signifie littéralement un homme dont le nez est mouché; et c’est par une imitation comique de cette expression, que nous disons dans le même sens, un homme qui ne se mouche pas du pied, parce qu’un homme qui voudrait ne se moucher que du pied, serait condamné à rester toujours morveux, et par conséquent n’aurait pas l’odorat subtil.

MOULIN.C’est un moulin à paroles.

Expression qu’on applique à une personne qui parle beaucoup sans rien dire. Les Persans ont ce joli proverbe qu’ils emploient dans un sens analogue: J’entends le bruit du moulin, mais je ne vois pas la farine.

Jeter son bonnet par-dessus les moulins.

C’est braver les bienséances, l’opinion publique.—On ignore l’origine de cette expression singulière, et l’on conjecture qu’elle peut être venue, en prenant sur la route une très grande extension de sens, de la phrase suivante, par laquelle on terminait les contes de fée qu’on fesait aux enfants: Je jetai mon bonnet par dessus les moulins, et je ne sais ce que tout cela devint.

Il est à remarquer que les fables sénégalaises finissent par une formule de la même espèce: Ici la fable alla tomber dans l’eau.—On fera, si l’on veut, l’application de cette formule à l’article qu’on vient de lire.

Se battre contre des moulins à vent.

Se forger des chimères, se créer des fantômes pour les combattre. Cette expression rappelle le trait de Don Quichotte se battant contre des moulins à vent, qu’il prenait pour des géants.

MOUSSE.Pierre qui roule n’amasse point de mousse.

C’est la traduction littérale d’un adage grec employé par Lucien, et passé dans la langue latine en ces termes: Saxum volutum non obducitur musco. Sa signification ordinaire est que l’inconstance nuit à la fortune et qu’il faut se fixer à quelque établissement pour y profiter; mais on peut l’interpréter encore d’une manière plus morale en l’appliquant à la manie des voyages qui tournent trop souvent au préjudice des bonnes mœurs.

Dans maint auteur de science profonde
J’ai lu qu’on perd trop à courir le monde:
Très rarement en devient-on meilleur.
Un sort errant ne conduit qu’à l’erreur. (Gresset.)

MOUTON.Revenir à ses moutons.

Reprendre un discours qui avait été quitté ou interrompu, revenir à son sujet.

Cette expression est prise de la farce de Patelin, dans laquelle M. Guillaume, marchand drapier, plaidant contre le berger Agnelet, qui lui a dérobé des moutons, s’interrompt fréquemment pour parler d’une pièce de drap que lui a volée Patelin, avocat de sa partie adverse. Le juge qui ne comprend rien à cette digression embrouillée, l’avertit, à plusieurs reprises, de ne pas s’écarter de sa cause, en lui disant: Sus, retournons à nos moutons.

Martial (liv. VI, épig. 19) a employé une expression très analogue à la nôtre: Jam dic, Posthume, de tribus capellis. Posthume, parle enfin des trois chèvres.

MULE.Ferrer la mule.

C’est acheter une chose pour quelqu’un et la lui compter plus cher qu’elle n’a coûté; c’est enfler les mémoires de dépense.

Quelques auteurs font remonter l’origine de cette expression jusqu’au règne de Vespasien. Cet empereur, voyageant un jour en litière, fut obligé de s’arrêter pour faire ferrer ses mules, sur la demande de son cocher; mais ayant soupçonné que cette demande n’avait été faite que pour ménager une audience à un solliciteur, il voulut savoir ce que le cocher avait gagné à faire ferrer, quanti calceasset, et il se fit donner la moitié du bénéfice (Suétone, Vie de Vespasien, ch. 23). D’autres auteurs disent que l’expression ferrer la mule est venue de ce que, dans le temps où les magistrats allaient au palais, montés sur des mules, les laquais qui gardaient les bêtes, pendant l’audience, buvaient ou jouaient pour se désennuyer, et puis cherchaient à s’indemniser de leur dépense ou de leur perte, en fesant payer quelquefois à leurs maîtres des frais supposés pour le ferrement des mules.

MULET.Garder le mulet.

Cette expression fut introduite dans le temps où les magistrats, les médecins, et autres graves personnages, montaient sur des mules ou des mulets pour aller à leurs affaires. Elle signifie, attendre avec ennui, avec impatience, comme fesaient les valets qui gardaient ces mules ou ces mulets dans la rue, lorsque les maîtres étaient entrés dans quelque maison.

Têtu comme un mulet.

J.-J. Rousseau a dit: Têtu comme la mule d’Edom.

Il est difficile de faire quitter au mulet la route qu’il veut suivre, et plus difficile encore de le faire marcher dans la compagnie des chevaux, pour lesquels il a une aversion extrême. La résistance qu’il oppose s’accroît d’ordinaire sous les coups qu’il reçoit, et se change en une colère terrible: alors il se précipite sur l’imprudent qui a voulu le contraindre; et malheur à celui-ci! car, en pareil cas, ainsi que le dit un proverbe provençal: Il n’y a pas de mulet qui ne tue son conducteur.

On croyait autrefois que l’homme exposé à un si grand danger n’en pouvait être sauvé que par une protection céleste: c’est ce qu’attestent quelques ex voto qui représentent l’animal furieux près d’écraser son maître sous ses pieds. J’ai vu un de ces tableaux singuliers dans la chapelle de Sainte-Anne de la cathédrale d’Apt.—Cela prouve suffisamment sans doute que l’obstination du mulet méritait de passer en proverbe; mais cela prouve aussi que l’obstination du muletier le méritait peut-être davantage.

Le duc de Vendôme disait plaisamment que, dans les marches des armées, il avait souvent examiné les querelles entre les mulets et les muletiers, et qu’à la honte de l’humanité, la raison était presque toujours du côté des mulets.

MULOT.Endormir le mulot.

Amuser un homme pour le surprendre, pour le tromper.

Cette façon de parler est une allusion à ce qui se pratiquait autrefois en plusieurs endroits, où, pour détruire les loirs et les mulots, on fesait brûler, sur la place qu’ils occupaient, certaines essences mêlées de fleur de soufre, dont la vapeur les étourdissait et les empêchait de se soustraire à l’atteinte de l’assommoir.

En 1767, les mulots dévorèrent une partie des semences. Le sieur Gosselin, laboureur, de Puzeaux en Picardie, imagina des soufflets propres à les faire périr par la vapeur du soufre, et le Gouvernement fit distribuer ces soufflets dans les provinces.

MUR.Les murs ont des oreilles.

On doit craindre d’être écouté quand on parle d’affaires qu’il est important de tenir secrètes.

A ce proverbe correspond celui des Latins: Staterii paries, le mur de Statérius. Ce Statérius fut puni de mort pour avoir tenu des propos coupables qui tendaient à la subversion de l’État, et qui avaient été entendus de quelques personnes cachées derrière une mince cloison.

MUSER.Qui refuse muse.

La meilleure explication de ce proverbe se trouve dans ce vers de Molière:

Refuser ce qu’on donne est bon à faire aux fous.

Muser signifiait autrefois faire acte de folie, et musar équivalait à fou. Vous parlez comme hardi musar, répondit saint Louis à Joinville qui venait d’avancer qu’il aimerait mieux avoir commis trente péchés que d’être mézeau (lépreux). Mais ces deux mots perdirent, dans la suite, une telle acception, et furent seulement employés, le premier, pour exprimer l’habitude de consumer en bagatelles un temps réclamé par quelque occupation sérieuse, et le second, pour désigner l’insouciant entiché de cette manie. C’est dans ce dernier sens qu’il faut entendre l’adage suivant, traduit du grec par Amyot:

Qui muse à quoi que ce soit,
Toujours perte il en reçoit.

Notez que le verbe morari (muser) se prenait aussi, chez les Latins, dans le même sens que le verbe insanire (être fou), avec cette seule différence que sa première syllabe était brève dans un cas et longue dans l’autre. La preuve s’en trouve dans plusieurs auteurs, et dans ce jeu de mots que l’ingrat Néron, au rapport de Suétone, fit après la mort de Claude, dont il était le fils adoptif: Desiit morari inter homines. Il a cessé de demeurer ou de délirer parmi les hommes.


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