← Retour

Dictionnaire étymologique, historique et anecdotique des proverbes et des locutions proverbiales de la Langue Française en rapport avec de proverbes et des locutions proverbiales des autres langues

16px
100%

P

PAGE.Être hors de page.

C’est être hors de la dépendance d’autrui.—Le jeune gentilhomme qui était placé autrefois, en qualité de page, auprès de quelque haut baron ou de quelque illustre chevalier, quittait ce service à l’âge de quatorze ans pour remplir les fonctions d’écuyer. Le jour où ce changement d’état devait avoir lieu, il était présenté à l’autel par son père et sa mère qui allaient à l’offrande un cierge à la main. Là il recevait une épée et une ceinture que le prêtre lui mettait, après les avoir consacrées par sa bénédiction. La cérémonie terminée, il était hors de page.

PAGNOTE.Voir un combat du mont Pagnote.

C’est voir un combat d’un lieu où l’on ne court aucun danger; c’est, comme on dit encore, se tenir, pendant un combat, au poste des invulnérables.

Le mont Pagnote est une expression empruntée de l’italien.

Pagnote se dit aussi d’un homme timide, poltron.

PAILLE.Rompre la paille avec quelqu’un.

Déclarer ouvertement qu’on cesse tout commerce, toute liaison avec lui.

Le langage typique, c’est-à-dire le langage où l’on se sert de signes extérieurs pour exprimer sa pensée, était autrefois très usité; et quand on voulait signifier à quelqu’un qu’on n’aurait plus aucune relation avec lui, on brisait une paille en sa présence, ou on lui envoyait une paille rompue.—Dans une assemblée tenue à Soissons, Robert, comte de Paris, s’adressant avec hauteur à Charles-le-Simple, lui reprocha son aveuglement pour son ministre Haganon, l’injustice de ses faveurs et la pusillanimité de son caractère. En même temps, lui et ses amis rompirent et jetèrent à terre des pailles qu’ils tenaient à la main, déclarant qu’ils renonçaient à l’obéissance et à tous les liens contractés avec ce roi.

PAIR.Entendre le pair.

Le pair des monnaies est ce qu’il y a de plus important à connaître dans les opérations du change. Il est la clef de tout le système monétaire; et ce n’est que par là qu’on peut résoudre les questions de finance et de commerce qui ont pour objet l’appréciation des valeurs. Dès l’instant que le pair est établi, on convertit facilement en monnaie d’un pays une somme quelconque exprimée en monnaie étrangère, et réciproquement. Cette conversion résulte de la comparaison exacte du titre, du poids légal et de la valeur intrinsèque de l’unité monétaire d’un autre pays.

L’établissement du pair présentait autrefois en France beaucoup de difficultés, à cause de la multiplicité des monnaies, de leur variation continuelle et de l’altération que leur avaient fait subir Philippe-le-Bel, Philippe de Valois et Jean-le-Bon, trois rois que les historiens ont justement flétris du surnom de faux monnayeurs[70]. Ainsi il fut très naturel de désigner un habile changeur par l’expression il entend le pair, expression appliquée depuis, par une extension proverbiale, à tout homme qui montre de l’intelligence dans le maniement des affaires.

PAIX.Paix fourrée.

Paix qui est nécessitée par la saison où l’on porte des rures, et qui, faite de mauvaise foi, ne dure guère plus qu’une trève pour l’hiver. Cette expression était déjà en usage sous le règne de Charles VI, comme on le voit dans Juvénal des Ursins (pag. 246, 259 et 267). On appela ainsi la paix conclue, en 1408, entre le duc de Bourgogne et les enfants du duc d’Orléans qu’il avait fait assassiner. On donna aussi le même nom à la petite paix faite à Longjumeau, en 1568, entre les calvinistes et les catholiques, et violée six mois après.

PANIERC’est un panier percé.

Un homme qui dépense à mesure qu’il reçoit; un homme qui ne retient rien de ce qu’on lui apprend. Les Grecs et les Latins disaient un tonneau percé, et les Hébreux, un sac percé.

A petit mercier, petit panier.

Les petites choses conviennent aux petites gens. Parvum parva decent.

Il ne faut pas mettre tous ses œufs dans un panier.

Il ne faut pas risquer tout son bien dans une seule entreprise.

Adieu, paniers: vendanges sont faites.

L’occasion est passée, il n’y a plus rien à faire.

C’est le refrain d’une vieille ronde que les vendangeurs chantaient après avoir terminé leurs travaux.

PAON.Il est comme le paon qui crie en voyant ses pieds.

C’est ce qu’on dit d’un glorieux qui se fâche quand on lui montre ses défauts.—On prétend que le paon se met à crier à la vue de ses pieds, et que son cri, en pareille circonstance, n’est qu’un gémissement arraché à sa vanité. Cependant Buffon affirme que c’est là une supposition qu’on n’a pu faire qu’en prêtant nos mauvais raisonnements à cet oiseau, dont les pieds ne lui ont rien offert de difforme. Mais, que la chose soit vraie ou supposée, elle n’en a pas moins servi de fondement à la phrase proverbiale qui n’est pas de fraîche date; car on trouve dans une chanson de Raimbaud de Vaqueiras ou Vacheiras, troubadour du XIIe siècle, un passage curieux qui certainement y fait allusion, s’il n’y a pas donné lieu. Ce poëte dit à sa dame: «Le jour qu’Amour fit choix de nous deux, votre beauté m’inspira la fierté du paon, lorsqu’il contemple les brillantes couleurs de son plumage, et que, tout glorieux, il s’élève au haut des toits. Cet oiseau se livre à son orgueil jusqu’à ce que, baissant la tête, il aperçoive ses pieds, etc.»

Aquel orguelh li tre tro quel cap clina
Que ve sos pes, etc.

PAPIER.Le papier souffre tout.

C’est-à-dire, il ne faut pas ajouter foi à une chose, par la seule raison qu’elle est écrite ou imprimée; car on peut mettre sur le papier tout ce que l’on veut.—Dans un manifeste rédigé en français et publié par Charles-Quint, en réponse à une déclaration de guerre de François 1er et de Henri VIII, ligués contre lui, on trouve cette phrase curieuse qui fait allusion au proverbe et en prouve l’ancienneté: «Le papier montre bien qu’il est doux, vu que l’on a écrit tout ce que l’on a voulu.»

Le comte de Ségur a rapporté, dans ses Mémoires, une anecdote qui a ici naturellement sa place: «Diderot, que l’impératrice Catherine avait appelé auprès d’elle, lui avait conseillé de grandes innovations qu’elle n’accomplissait point. Le philosophe, un jour, lui en témoigna sa surprise avec une sorte de fierté mécontente.—M. Diderot, lui répondit l’impératrice, avec tous vos grands principes, que je comprends très bien, on ferait de bons livres et de mauvaise besogne. Vous oubliez, dans tous vos plans de réforme, la différence de nos deux positions. Vous, philosophe, vous ne travaillez que sur le papier qui souffre tout; il est uni, souple, et n’offre d’obstacles ni à votre imagination, ni à votre plume; tandis que moi, pauvre impératrice, je travaille sur la peau humaine qui est bien autrement irritable et chatouilleuse.»

PÂQUES.Donner à quelqu’un les œufs de Pâques.

C’est lui faire quelque petit présent dans le temps de Pâques. «C’était un usage commun à tous les peuples agricoles d’Europe et d’Asie de célébrer la fête du nouvel an en mangeant des œufs; et les œufs fesaient partie des présents qu’on s’envoyait ce jour-là. On avait même soin de les teindre en plusieurs couleurs, surtout en rouge, couleur favorite des anciens peuples et des Celtes en particulier. Mais la fête du nouvel an se célébrait à l’équinoxe du printemps, c’est-à-dire au temps où les chrétiens ne célèbrent plus que la fête de Pâques, tandis qu’ils ont transporté le nouvel an au solstice d’hiver. Il est arrivé de là que la fête des œufs a été attachée chez eux à la Pâque, et qu’on n’en a plus donné au nouvel an. Cependant, ce n’a point été par le simple effet de l’habitude, mais par la raison qui fesait attribuer à la fête de Pâques les mêmes prérogatives qu’au nouvel an, celles d’être un renouvellement de toutes choses, comme chez les Persans, et celles d’être d’abord le triomphe du soleil physique, et ensuite celui du soleil de justice, du Sauveur du monde, sur la mort par la résurrection.» (Court de Gébelin.)

Les œufs, chez les Égyptiens, étaient l’emblème sacré du renouvellement du monde après le déluge. Les Juifs les adoptèrent comme un type du renouvellement de leur nation par la sortie d’Égypte, et, à la fête de Pâques, ils les plaçaient sur la table avec l’agneau pascal. Les chrétiens les prirent pour symbole de la résurrection dont Jésus-Christ leur avait donné l’exemple et le précepte; et ils préférèrent aux diverses couleurs dont on les teignait, la couleur rouge, en mémoire de l’effusion de son sang sur la croix. Ova rubro colore inficiuntur in memoriam effusi sanguinis Salvatoris, est-il dit dans un ouvrage curieux intitulé: De Ludis orientalibus.

PARENT.L’amour des parents descend et ne remonte pas.

Helvétius a dit: «L’homme hait la dépendance. De là peut-être sa haine pour ses père et mère, et le proverbe fondé sur une observation commune et constante: L’amour des parents descend et ne remonte pas.» Il a pris le proverbe dans un sens affreusement exagéré. Le véritable sens est que l’amour des père et mère pour les enfants surpasse celui des enfants pour les père et mère. La nature, veillant à la conservation des espèces, a voulu donner la plus grande énergie au sentiment paternel et maternel, afin d’enchaîner les parents à tous les soins nécessaires pour protéger la frêle existence des enfants, et nous voyons qu’elle a agi ainsi dans tous les animaux comme dans l’homme. Elle n’a pas développé de même, il est vrai, le sentiment filial; mais, de cette disproportion qu’elle a laissée dans l’amour, il y a bien loin jusqu’à la haine. L’une est dans la nature, et l’autre est dénaturée, dit La Harpe, en réfutant l’opinion d’Helvétius dans une de ses belles pages qu’il termine par ces paroles remarquables: «Le plus funeste effet de ces calomnieux paradoxes, c’est qu’en les lisant l’ingrat et le fils dénaturé pourront se dire qu’ils sont comme les autres hommes. Méritent-ils le titre de philosophes, ceux qui n’ont écrit que pour la justification des monstres?»

PARESSEUX.Le paresseux est frère du mendiant.

Un autre proverbe dit: Celui qui néglige son bien est frère de celui qui le dissipe; ce qui est pris de ces paroles de Salomon: Qui mollis et dissolutus est in opere suo frater est sua opera dissipantis. (Parabol., ch. XVIII, v. 9.)

Ces deux proverbes contiennent implicitement toute la théorie du paupérisme.

Les provençaux disent: Le champ du paresseux est plein de mauvaises herbes.

PARLER.Trop gratter cuit, trop parler nuit.

Il faut résister aux démangeaisons de la langue comme à celles de la peau.—Zénon disait à ses disciples: Souvenez-vous que la nature nous a donné deux oreilles et une seule bouche, pour nous apprendre qu’il faut plus écouter que parler.

Os unum natura duas formavit et aures,
Ut plus audiret quam loqueretur homo.

El poco hablar es oro, y el mucho es lodo. Le peu parler est or, et le trop est boue. (Prov. espag.)

Chi parla semina, e chi tace raccoglie. Qui parle sème, et qui se tait recueille. (Prov. ital.)

Qui parle beaucoup, dit beaucoup de sottises.

In multiloquio non deerit peccatum. (Salomon, Prov. CX, v. 19.) Athénée appelle logodiarrhée, un flux de paroles que la réflexion n’a point digérées, et Voltaire a employé ce terme expressif qui mériterait d’être admis dans nos vocabulaires.

PARTAGE.C’est le partage de Montgommery, tout d’un côté et rien de l’autre.

Montgommery est le nom d’une illustre famille de Normandie, où la coutume voulait que les aînés eussent presque tout. Cette famille a été choisie sans doute de préférence à toute autre pour figurer dans la phrase proverbiale, à cause des biens et des priviléges nombreux qu’elle possédait, et peut-être aussi à cause des abus non moins nombreux qui s’y joignaient.—Il n’y avait pas, dans la haute Normandie, de terre dont la mouvance eût autant d’étendue que celle du comté de Montgommery. On comptait cent cinquante fiefs ou arrière-fiefs qui en relevaient, suivant un dénombrement fait en 1548 et déposé à la Bibliothèque royale.

C’est le partage de Cormery.

Expression synonyme de la précédente.—Il y avait en Touraine une célèbre abbaye de ce nom, fondée par Alcuin, la vingt-deuxième année du règne de Charlemagne, qui la dota de la plus grande partie des biens des moines de Saint-Martin de Tours, lorsque ces moines eurent été massacrés dans une émeute par les bourgeois de cette ville. Plusieurs couvents qui comptaient avoir le noyau de la succession, n’en ayant rien retiré, ou presque rien, furent très désappointés et se plaignirent de l’inégalité du partage, ce qui donna lieu, dit-on, à l’expression proverbiale.

Le fait sur lequel repose cette explication peut être controversé. Il est plus probable que l’expression est venue de ce que cormery signifiait autrefois cœur marri; car, dans un partage fait de cœur marri, c’est-à-dire à contre-cœur, on cherche à donner le moins qu’on peut.

PAS.Pas à pas on va bien loin.

Quand on va toujours, on ne laisse pas d’avancer, quoiqu’on aille lentement.—Ce n’est pas de courir qu’il importe, mais de ne pas s’arrêter en chemin. Une marche précipitée produit bientôt la fatigue, et par conséquent le retard, tandis qu’une marche mesurée dure longtemps et ménage le moyen d’aller plus loin.

Les Italiens disent: Chi va piano, va sano; chi va sano, va bene; chi va bene, va lontano. Qui va doucement, va sainement; qui va sainement, va bien; qui va bien, va loin.

Il n’y a que le premier pas qui coûte.

En toute affaire, le commencement est ce qu’il y a de plus difficile. Commencer, c’est le grand travail, dit un autre proverbe. Le cardinal de Polignac racontait un jour, devant madame du Deffant, le martyre de saint Denis, qui, ayant été décapité à Montmartre, releva sa tête et la porta dans ses mains jusqu’à l’endroit où on lui bâtit depuis une église[71]. Comme son Éminence avait l’air d’insister sur la longueur de la route que le saint avait parcourue en cet état, la spirituelle dame lui dit: «Monseigneur, il n’y a que le premier pas qui coûte

PATELIN.C’est un patelin.

C’est-à-dire un homme souple et artificieux qui, par des paroles flatteuses et insinuantes fait venir les autres à ses fins.—Patelin était le nom d’un acteur qui joua le rôle de l’avocat dans l’ancienne farce qui a pris ce nom. «Nos ancestres,» dit E. Pasquier (Recherches, liv. VIII, ch. 59), «trouvèrent ce maistre Pierre Patelin avoir si bien représenté le personnage pour lequel il estoit introduit, qu’ils mirent en usage le mot de patelin, pour signifier celui qui, par de beaux semblants, enjauloit, et de lui firent pateliner et patelinage

PATIENCE.La patience vient à bout de tout.

Les Orientaux, pour exprimer les succès que la patience obtient presque toujours, disent: On parvient à chasser le lièvre avec une charrette; proverbe dont nous avons l’analogue dans celui-ci: Une vache prend bien un lièvre.

Les Allemands se servent d’un proverbe assez plaisant pour marquer la force de la patience: Geduld über Windet Sauer kraut. La patience l’emporte sur la choûcroute.

La patience est amère, mais son fruit est doux.

Isocrate a dit de même, en parlant de la science: Elle a des racines amères, mais son fruit est doux; et peut-être est-ce le mot de cet orateur qui a suggéré le proverbe.—Si la patience n’est point exempte de peines, elle sait du moins les diminuer de moitié et les adoucir, tandis que l’impatience les double et les envenime. Ainsi, tout est profit dans la patience.

Saint Augustin a très bien dit: Vera animi tranquillitas in patientiæ sinu. La vraie tranquillité de l’esprit repose au sein de la patience.

La patience est la clef de la joie. (Prov. arabe.)

Patience! disent les ladres.

Patience est mis ici par allusion à la plante du même nom qu’on employait comme remède dans le traitement de la ladrerie ou lèpre. Ce calembourg proverbial, qu’on trouve dans Rabelais (liv. V, ch. 1), fait de la patience l’apanage de l’insensibilité, car le mot ladre se prenait aussi dans le sens d’insensible. Un autre proverbe dit que la patience est la vertu des sots et des ânes. Cela peut être vrai; mais il est encore plus vrai que la patience est la qualité distinctive de la raison et du courage. Prudens qui patiens.Fortis qui patiens.

On lit dans les Paraboles de Salomon (ch. XXIX, v. 11): Doctrina viri per patientiam noscitur. La sagesse d’un homme se connaît par sa patience.

PATISSIER.—Il a honte bue; il a passé par-devant l’huis du pâtissier.

C’est un homme sans pudeur, habitué à braver le respect humain. Cette façon de parler est venue, suivant l’abbé Tuet, de ce que les pâtissiers tenaient cabaret sur le derrière de leur maison. Les gens qui voulaient garder quelque décorum y entraient par une porte dérobée; et, quand un débauché y entrait par la boutique, on disait de lui qu’il avait honte bue, etc.

Il est plus probable que cette façon de parler est une allusion aux formes obscènes de certaines pâtisseries qu’on voyait étalées sur le devant de la boutique. La Bruyère-Champier (Bruyerinus Campegius), médecin de François Ier, nous apprend qu’elles représentaient les parties sexuelles de l’homme et de la femme. Quædam pudenda muliebria, aliæ virilia (si diis placet) representant: adeo degeneravere boni mores ut etiam christianis obscœna et pudenda in cibis placeant. (De re cibariâ, lib. VI, c. 7.)

Cet impudique usage avait été transmis des païens aux chrétiens. Les boulangers romains étalaient des pains de forme obscène. Le pain des athlètes, que Juvénal appelle coliphia dans sa seconde satire, et qui était fait de manière à donner de la vigueur à ceux qui le mangeaient, représentait le signe de la virilité. Les deux vers suivants de Martial ne laissent point de doute là-dessus:

Si vis esse Satur, nostrum potes esse Priapum;

Ipsa licet rodas inguina, purus eris

PATTE-PELU.C’est un patte-pelu.

C’est un rusé qui va adroitement à ses fins sous des apparences de douceur et d’honnêteté. On dit aussi d’une femme qui use de pareils artifices: C’est une patte-pelue.

Furetière pense que patte-pelu est une allusion à la fable du loup qui montrait patte de brebis à l’agneau pour le surprendre. D’autres le regardent comme un sobriquet du chat, hypocrite qui cache ses griffes dans le velours et égratigne en caressant. Suivant l’opinion la plus accréditée et la plus vraisemblable, ce mot rappelle Jacob qui, par le conseil de Rebecca, dont il était l’enfant gâté, enveloppa ses mains de la peau d’un chevreau, pour attraper son bonhomme de père qui n’y voyait que du bout des doigts, et escamoter la bénédiction que ce pauvre aveugle destinait au malheureux Ésaü, déjà trompé par son cadet sur la vente d’un plat de lentilles qu’il devait payer de son droit d’aînesse.

PAUVRE.Qui donne au pauvre, prête à Dieu.

Salomon a dit: Fœneratur Domino qui miseretur pauperis (Prov. CXIX, v. 17). Celui qui a pitié du pauvre, prête à Dieu.

La main du pauvre est la bourse de Dieu.

Proverbe pris de cette belle pensée de saint Ambroise: In paupere absconditur Deus; manum porrigit pauper, et accipit Deus. Dieu se cache dans le pauvre; et, quand le pauvre tend la main, Dieu reçoit.

Donner au pauvre n’appauvrit pas.

Donner au pauvre, c’est bénéficier avec le ciel. L’aumône est, dans l’esprit de la religion, une usure sainte, un gain assuré. Il n’y a pas, dit saint Clément, de champ si fertile qui rende autant qu’elle, cuinam agri tantùm profuerint quantùm gratificari?

Tout le monde tombe sur le pauvre.

Ce proverbe est un résumé du passage de l’Ecclésiastique (ch. XIII, v. 25, 27, 29): «Si le riche est ébranlé, ses amis le soutiennent; mais si le pauvre commence à tomber, ses amis même contribuent à sa chute.—Si le pauvre a été trompé, on lui fait encore des reproches; s’il parle sagement, on ne veut pas l’écouter.—S’il fait un faux pas, on le fait tomber tout-à-fait.»

Les Allemands disent: An das Armut will jedermann die Schuch wischen. Chacun veut essuyer ses pieds sur la pauvreté.

PAUVRETÉ.Pauvreté n’est pas vice.

Pour être pauvre, on n’en est pas moins honnête homme; on a tort de compter la richesse avant le mérite.

Cette réclamation proverbiale n’a presque pas de valeur dans ce siècle où l’argent est tout. La probité indigente se voit condamnée à l’humiliation et au mépris, et si quelqu’un fait observer que pauvreté n’est pas vice, tout le monde est prêt à répondre comme Dufresny: C’est bien pis.

Nos pères disaient: Pauvreté n’est pas vice; mais c’est une espèce de ladrerie, chacun la fuit.—La ladrerie, ou lèpre, était, dans le moyen-âge, une maladie non moins redoutée que la peste. On retranchait de la société les malheureux atteints de cette maladie, et l’on ne souffrait pas même qu’après leur mort, leurs cendres fussent mêlées, dans les cimetières, avec celles des autres hommes.

PAYS.Il est bien de son pays.

Cette expression proverbiale est regardée comme une variante de cette autre employée par Brantôme: Il sent bien son patois. Un homme qui est bien de son pays, ou qui sent bien son patois, est, au propre, un homme qui s’est toujours tenu dans le lieu de sa naissance, qui ne sait point parler autrement qu’on y parle; et, au figuré, un homme bien novice, bien simple.—Rien ne forme tant les hommes que les voyages, et ce n’est pas sans raison que l’on compare le monde à un grand livre, où celui qui n’a point quitté son pays natal n’a lu qu’un feuillet.

L’expression il est bien de son pays fait le sel de l’épigramme suivante de Ménage contre l’imprimeur Journel, qui avait refusé de mettre sous presse un passage des Origines de la langue française, relatif aux badauds de Paris:

De peur d’offenser sa patrie,

Journel, mon imprimeur, digne enfant de Paris,
Ne veut rien imprimer sur la badauderie,

Journel est bien de son pays.

PÉCHÉ.Péché caché est à demi pardonné.

Quand le scandale ne se joint pas au péché, le péché en est moindre, comme il est aussi plus grand dans le cas contraire.—Qui delinquit apertè bis reus est: agit simul et docet. Celui qui pèche publiquement est deux fois coupable: il fait le mal et enseigne à le faire.

PEINE.A chaque jour suffit sa peine.

C’est assez des peines du présent: il ne faut point les augmenter par la douleur de celles du passé, ni par la crainte de celles de l’avenir; car, dans le premier cas, on se tourmente toujours trop tard, et, dans le second, toujours trop tôt. Ce proverbe est pris du passage suivant de l’Évangile selon saint Mathieu (ch. VI, v. 34): Nolite ergo solliciti esse in crastinum: crastinus enim dies sollicitus erit sibi ipsi. Sufficit diei malitia sua. Ne soyez donc point en souci pour le lendemain, car le lendemain prendra soin de ce qui le regarde: A CHAQUE JOUR SUFFIT SA PEINE.

On rapporte que Napoléon, exilé à Sainte-Hélène, répétait souvent ce proverbe.

La peine et le plaisir se suivent.

Ésope dit que Jupiter voulut, un jour, mêler ensemble la volupté et la douleur; et que, n’ayant pu en venir à bout, il ordonna qu’elles se suivraient mutuellement. Ainsi, quand la douleur précède, la volupté la suit, et réciproquement.

Antisthène recommandait de chercher les plaisirs qui suivent la peine, et non pas ceux qui la précèdent.

PÈLERIN.Je connais le pèlerin.

C’est probablement le fabliau de la Confession du renard qui a donné naissance à cette expression, où le mot pèlerin est pris dans le sens de rusé et matois. Ce renard, obligé par son confesseur d’aller chercher à Rome l’absolution de ses péchés, met une écharpe à son cou, prend le bourdon, et s’achemine vers la ville sainte, en compagnie d’un âne et d’un bélier, ses voisins, qu’il a décidés à le suivre, à force d’instances et en leur offrant la perspective d’une foule d’avantages attachés à cette pieuse pérégrination. Nos trois romipètes courent quelque temps par monts et par vaux, mais ils n’accomplissent pas leur mission; car leur zèle se refroidit, et le mal du retour les gagne au milieu de diverses aventures fâcheuses qui leur arrivent. Cependant ils échappent à tous les dangers, grâce à l’adresse du renard, dont la conduite, en ces conjonctures, est un modèle achevé de finesse et de ruse.

Rouge au soir, blanc au matin,
C’est la journée du pèlerin.

Lorsque le ciel est rougi par le soleil couchant, on peut en conclure qu’il n’y a que des vapeurs légères qui se dissiperont au premier souffle de l’air, au lieu de se condenser pour se résoudre en pluie, comme font les nuages noirs, imperméables aux rayons lumineux; de là ce proverbe emprunté de l’Évangile selon saint Mathieu (ch. XVI, v. 2): Facto vespere dicitis: Serenum erit, rubicundum enim est cœlum.—Vous dites le soir: Il fera beau demain, car le ciel est rouge.

Ce proverbe a été développé poétiquement par M. de Lamartine dans ces vers de sa cinquième harmonie:

On regarde descendre avec un œil d’amour,
Sous les monts, dans les mers, l’astre poudreux du jour,
Et, selon que son disque, en se noyant dans l’ombre,
Creuse une ornière d’or ou laisse un sillon sombre,
On sait si, dans le ciel, l’aurore de demain
Doit ramener un jour nébuleux ou serein.

Quelquefois on fait un changement au proverbe, en disant:

Rouge le soir, blanc le matin,
Ravit le cœur du pèlerin.

Et alors on rappelle en même temps une observation météorologique et un précepte d’hygiène, par une double allusion à la couleur du ciel et à la couleur du vin, qu’on recommande de boire blanc le matin et rouge le soir. Cette variante se trouve en ces termes dans le Vrai régime des bergers, par Jean de Brie (fo 27, verso): Rouge vespre et blanc matin réjouissent le pèlerin.

Observons que le mot pèlerin désigne un homme en voyage; ce qui prouve que le proverbe est d’une époque très ancienne, où le mot voyageur n’était pas encore connu.

PENDU.Avoir de la corde de pendu.

C’est avoir un bonheur constant et inaltérable, particulièrement au jeu.—Pline le Naturaliste, nous apprend (liv. XXVIII, ch. 4) qu’à Rome, le peuple croyait que la corde qui avait serré le cou d’un pendu possédait plusieurs vertus merveilleuses, entre autres celle d’apaiser une violente migraine, dès l’instant qu’on se l’appliquait sur les tempes. Chez nos bons aïeux, la crédulité était plus grande encore: on pensait que la fièvre quarte, la colique, la sciatique, le mal de dents et d’autres maux ne pouvaient manquer de céder à l’efficacité d’un tel spécifique. On se figurait surtout qu’il suffisait d’avoir dans la poche un petit bout de cette précieuse corde, pour se ménager toutes les chances favorables du jeu, et c’est là ce qui donna naissance à l’expression proverbiale. Les joueurs aujourd’hui ne sont pas moins superstitieux. Ils ne portent plus de la corde de pendu, parce qu’on a cessé de pendre; mais ils ont foi à d’autres amulettes. Les paysans qui vont jouer aux foires et aux fêtes de village, ont soin de mettre dans leurs habits une plume de roitelet, persuadés que cette plume doit être un gage infaillible de bonheur; et, s’ils perdent, malgré cela, n’allez pas vous imaginer que leur persuasion en soit affaiblie. Ils s’accusent tout simplement d’avoir exposé leur enjeu contre des gens qui s’étaient munis comme eux et mieux qu’eux de la plume gagnante. Ainsi, l’influence du roitelet n’est jamais en défaut. Eh! comment pourrait-elle l’être! Le roitelet, disent-ils, est l’oiseau du bon Dieu; il assistait à la naissance de l’enfant Jésus; il fesait son nid au bord de la crèche; et c’est pour rappeler cette tradition qu’il paraît tous les ans à Noël.

L’influence que nos paysans attribuent au roitelet est attribuée, en Allemagne, à la chauve-souris, témoin cette expression proverbiale qui correspond à la nôtre: Ein Fledermaus Herz haben. Avoir un cœur de chauve-souris.

L’espoir du pendu, que la corde casse.

Autrefois on fesait grâce à un condamné, si la corde rompait pendant l’exécution, parce que l’on pensait que l’indulgence du ciel avait permis cet incident en faveur du repentir, et le peuple ne souffrait point qu’on dérogeât à cette coutume, dont nos vieilles chroniques rapportent plusieurs exemples. Mais comme elle devint très abusive, elle fut abrogée par tous les parlements, à l’exemple de celui de Bordeaux, dont un fameux arrêt, du 24 avril 1524, disait expressément que toutes les condamnations capitales, au supplice de la corde, contiendraient à l’avenir cette formule: Pendu, jusqu’à ce que mort s’ensuive.

Il ne faut point parler de corde dans la maison d’un pendu.

Il ne faut point parler de choses qui peuvent être reprochées à ceux devant qui on parle.—Ce proverbe était autrefois ainsi: Il ne faut point parler de corde devant un pendu, parce que, grâce à l’usage dont il est question dans l’article précédent, il y avait un assez grand nombre de pendus sauvés par la rupture de la corde. Le célèbre calligraphe Hamon de Blois était un de ces échappés de la potence, qu’on voyait se promener et voyager librement, portant dans leur poche, pour passe-port, l’extrait du procès-verbal de leur exécution.

Aussitôt pris, aussitôt pendu.

On prétend que cette locution proverbiale est une allusion à la malheureuse destinée de Barnabé Brisson, de Claude Larcher, tous deux conseillers au parlement, et de Jean Tardif, conseiller au Châtelet, qui furent arrêtés par la faction des Seize, le 15 novembre 1591, à neuf heures du matin, confessés à dix et pendus à onze. Mais c’est une erreur; car l’expression existait avant l’exécution de ces trois nobles défenseurs de l’autorité royale. Elle a dû son origine à la juridiction policielle de la maréchaussée. Cette milice, dont les attributions étaient autrefois beaucoup plus étendues qu’aujourd’hui, avait des magistrats, des procureurs du roi et des greffiers qui chevauchaient avec elle, et qui, dans le cas de délits commis sur les grands chemins, se constituaient sur le champ en tribunal pour les juger. Rien n’était plus expéditif que cette justice ambulante, déjà organisée du temps de Charles V; et malheur au coupable qu’elle appréhendait: Aussitôt pris, aussitôt pendu.

Qui est destiné à être pendu n’est jamais noyé.

Le gibet ne perd jamais ses droits.—Pendant les guerres d’Italie, sous Louis XII, Gaston de Foix, duc de Nemours, chef de l’armée française, ayant entendu parler, à Carpy, d’un fameux astrologue de cette ville, le fit appeler pour le consulter. Plusieurs officiers, qui se trouvaient en ce moment auprès du prince, voulurent se faire tirer leur horoscope. Il y avait parmi eux un aventurier, nommé Jacquin Caumont, à qui l’astrologue prédit qu’il serait pendu avant trois mois. Deux jours après, ledit Jacquin passant de nuit sur un mauvais pont de bois qui joignait les deux bords d’un canal profond, tomba au milieu de l’eau, où il aurait infailliblement péri, si des bateliers ne l’en eussent retiré. Mais il n’échappa à cette mort que pour en subir une autre plus malheureuse. Il ne fut pas noyé, parce qu’il devait être pendu; et c’est ce qui lui arriva dans les limites du temps marqué par la prédiction. Le seigneur de La Palisse, appelé au commandement de l’armée en remplacement du duc de Nemours, tué à la bataille de Ravenne, fit accrocher notre homme à une potence, dans cette ville, en plein marché, pour le punir de s’être rendu coupable de pillage. Estienne Pasquier (Recherches, liv. VIII, ch. 41) rapporte avec beaucoup de détails ce fait, qui a donné, dit-il, naissance au vieux proverbe: Qui a à pendre n’a à noyer.

Rabelais (liv. IV, chap. 24) fait plaisamment allusion à ce proverbe: «Par le digne froc que je porte, dist frère Jean à Panurge, durant la tempeste tu as eu paour sans cause et sans raison, car tes destinées fatales ne sont à périr en eaue. Tu seras hault en l’aer certainement pendu ou bruslé..... Panurge, mon amy, n’aye jamais paour de l’eaue, je t’en prie; par élément contraire sera ta vie terminée.—Voire, respondit Panurge; mais les cuisiniers des diables resvent quelquefois et errent en leur office, et mettent souvent bouillir ce qu’on destinoit pour roustir.»

Les Danois disent: Han drukner ikke som henge skal, uden vandet gaaer over galgen. Celui qui doit être pendu ne sera pas noyé, à moins que l’eau ne déborde jusqu’à la potence.

Comme le proverbe est aussi ancien en Danemark qu’en France, on peut en conclure qu’il n’a pas eu l’origine qui lui est assignée par Pasquier, et qu’il a été imaginé pour exprimer l’action de la fatalité. Le philosophe Posidonius avait déjà signalé cette action dans l’histoire d’un homme à qui les oracles avaient prédit qu’il périrait sous les eaux, et qui, échappé à tous les dangers de la mer, se noya dans un ruisseau.

PENSÉE.Vous saurez ma pensée.

C’est ce que nous disons à une personne qui boit dans le verre où nous venons de boire, parce que le verre est imprégné d’émanations récentes auxquelles on peut bien supposer quelque influence sympathique.

Les pensées ne paient point de douane ou de péage.

Les pensées sont libres et ne coûtent rien. On peut en rouler tant qu’on veut dans sa tête. Mais, parmi ces pensées affranchies du contrôle, il en est beaucoup qui sont des marchandises de contrebande, et que le diable confisque à son profit.

PERCÉ.Être bas percé.

Expression qu’on applique à une personne dont les affaires sont en mauvais état, dont la bourse est à peu près vide comme un tonneau bas percé; car on perce bas les tonneaux où il ne reste presque plus de liquide.

PÈRE.Ou ne peut contenter tout le monde et son père.

On n’obtient pas l’approbation de son père par les mêmes moyens que celle des étrangers, et l’on plaît rarement à son père, quand on veut plaire à tout le monde.—Ce proverbe, dont La Fontaine a fait usage dans la fable intitulée: le Meunier, son Fils et l’Ane, se trouve dans une lettre écrite au savant Nicolas par Léonard Arétin, surnommé Brunus, auteur du XVe siècle.

PERLE.Les perles, quoique mal enfilées, ne laissent pas d’être précieuses.

Les bonnes choses qu’on dit, quoique mal liées, ne laissent pas d’avoir du prix.—Ce proverbe est pris d’une maxime littéraire des Arabes, qui distinguent deux sortes de compositions poétiques, dont ils comparent l’une à des perles détachées et l’autre à des perles enfilées. Dans la première, l’art des transitions n’existe point. Les phrases et les vers s’y succèdent sans avoir ensemble un rapport marqué, et toute leur beauté consiste dans l’élégance de l’expression ou dans la justesse de la pensée. C’est le même genre de composition que celui des Proverbes de Salomon, du livre de Job et de tous les livres antérieurs à ceux des Grecs, car ce sont les Grecs qui, les premiers, ont donné une forme parfaitement régulière aux ouvrages de poésie.

PERRUQUE.C’est une tête à perruque.

Cette expression par laquelle on désigne un homme à routine, un homme de très peu d’esprit, équivaut à tête de bois, tête incapable de penser, tête qui n’est bonne qu’à porter perruque. L’accessoire est pris pour le principal.

L’abbé de Saint-Pierre, qui avait une opinion fort opposée au célibat des prêtres et une conduite très analogue à cette opinion, fesait apprendre le métier de perruquier à tous les enfants que lui donnaient ses chambrières; et quand ses amis lui demandaient pour quel motif il préférait ce métier à tout autre, sa réponse était: C’est que les têtes à perruque ne manqueront jamais.

Donner une perruque à quelqu’un.

C’est lui faire une réprimande, lui infliger une punition. Cette façon de parler triviale a pris naissance dans quelque couvent de bénédictins ou d’autres moines que leur règle obligeait d’avoir la tête rasée, comme serfs de Dieu. Lorsque ces religieux renvoyaient un novice, reconnu indigne d’être admis à faire profession, ils lui remettaient une perruque, en remplacement de ses cheveux qui avaient été rasés, afin qu’il pût reparaître dans le monde sans scandale; et les admoniteurs, prenant occasion de cela, disaient ordinairement aux autres novices: Prenez garde de vous faire donner une perruque, de recevoir une perruque; d’où vint l’emploi de ce mot dans le sens figuré de réprimande et de correction.

PERSÉVÉRANCE.La persévérance vient à bout de tout.

Avec quelque lenteur que la persévérance marche, son succès est certain, parce qu’elle ne perd pas son objet de vue et n’interrompt jamais ses poursuites. J’ai beau n’apporter qu’une corbeille de terre, dit un adage persan; si je continue, je finirai par élever une montagne.

La goutte d’eau finit par creuser le roc.

Gutta cavat lapidem non bis sed sæpe cadendo,
Sic fimus docti non bis sed sæpe legendo.

PESANT.Valoir son pesant d’or.

Cette expression, dont on se sert en parlant d’une personne recommandable par ses bonnes qualités ou d’une chose à laquelle on attache beaucoup de prix, fait allusion, dît M. Michelet, à la forme primitive du wehrgeld ou composition[72]. Le meurtrier devait contrepeser d’or le cadavre, donner un homme d’or pour celui qu’il avait tué; et, quand ce poids ne suffisait point pour apaiser le parent de la victime, il était quelquefois obligé de l’augmenter, selon leur exigence. C’est ce qu’on peut conclure d’un passage du poëme des quatre fils Aymon, où Charles propose à Aymon de lui payer neuf fois le pesant d’or pour le meurtre de son cousin Hugo.

Ce qui se fesait pour racheter un meurtrier ou un criminel, se fesait aussi pour se racheter ou pour racheter quelqu’un d’une maladie. On offrait à Dieu ou à quelque saint le poids du malade en or, ou en argent, ou en cire. Grégoire de Tours (De Mirac. S. Martini) rapporte que Chararic, roi des Suèves, fit peser en or et en argent le corps de son fils malade, et envoya cette somme au tombeau de saint Martin, dans l’espérance que ce saint le guérirait.

PET.Chantez à l’âne, il vous fera des pets.

Les ânes aiment la musique, témoin l’âne d’Ammonius et l’âne du père Regnault, dont il est parlé à l’article Rossignol d’Arcadie. Quand ils l’entendent, ils ouvrent la bouche et les oreilles de toute leur grandeur pour en aspirer les sons, pour s’en pénétrer; mais on prétend qu’ils en ont la colique de plaisir, et qu’à mesure qu’ils les reçoivent, ils les rendent en exhalaisons inverses. De là ce proverbe qu’on applique aux ignorants et aux ingrats qui méconnaissent les bons offices qu’on leur rend, et n’y répondent même que par des grossièretés.

PÉTAUD.C’est la cour du roi Pétaud.

C’est un lieu de confusion, une assemblée tumultueuse où chacun fait le maître.

Chacun y contredit, chacun y parle haut,
Et c’est tout justement la cour du roi Pétaud. (Molière.)

On dit dans le même sens: C’est une pétaudière.

Autrefois, en France, toutes les communautés se nommaient un chef qu’on appelait roi. Les mendiants mêmes avaient le leur, auquel on donnait, par plaisanterie, le nom de Pétaud, du verbe latin peto, je demande. On juge bien qu’un pareil roi n’avait pas grande autorité sur ses sujets, et que sa cour ne pouvait être qu’un lieu de tumulte et de désordre.

PEUPLE.La voix du peuple est la voix de Dieu.

C’est une pensée qu’Hésiode eut, dit-on, le premier, qu’Aristide développa en défendant Périclès, et qu’Aristote formula en sentence, devenue proverbiale, pour signifier que le sentiment du public est ordinairement fondé sur la vérité. Sénèque a dit: Nemo omnes, neminem omnes fefellerunt. Personne n’a trompé tout le monde, et tout le monde n’a trompé personne.

Les Italiens disent de même: L’universale non s’inganna. Il est rare, en effet, que le jugement de tous ne soit pas la révélation du vrai et l’instinct du bien. Mais il ne faut pas confondre la voix du peuple avec les bruits populaires. Le proverbe ne veut pas dire qu’il faille être de l’avis de la canaille.

PHÉBUS.Donner dans le phébus.

C’est parler ou écrire d’une manière boursouflée et peu intelligible.—«Le phébus,» dit le père Bouhours (Manière de bien penser dans les ouvrages d’esprit, dialog. IV), «n’est pas si obscur que le galimathias. Il a un brillant qui signifie ou paraît signifier quelque chose. Le soleil y entre d’ordinaire; et c’est peut-être ce qui, dans notre langue, a donné lieu au nom de Phébus.»

Cette conjecture est ingénieuse; mais elle ne me paraît pas admissible. Voici la véritable explication: Gaston Phébus[73], prince du Béarn, composa, vers le milieu du XIVe siècle, un traité sur la chasse, intitulé: le Miroir de Phébus des déduits de la chasse des bestes sauvaiges et des oyseaux de proie. L’ouvrage est divisé en deux parties, dont l’une est en prose et l’autre en vers. Cette seconde partie où figurent, à ce qu’on prétend, les événements de l’histoire contemporaine exposés sous le voile d’une allégorie continuelle, est écrite d’une manière aussi ampoulée qu’énigmatique; mais ce qui met le comble à la confusion qui y règne, c’est une série de discussions métaphysiques entre plusieurs vertus personnifiées qui font assaut de citations prises indistinctement de livres de philosophie, de médecine, de droit civil et de droit canon, etc.; le tout pour décider ou plutôt pour laisser indécise cette grave question: Si les chasseurs doivent accorder la préférence aux chiens ou aux faucons. L’embarras que le style d’une pareille composition donna aux lecteurs, embarras qui s’accrut à mesure que la langue subit des changements, fit appeler ce style le phébus, nom dérivé de l’écrivain, et appliqué à sa manière d’écrire.

Malherbe a dit des expressions phébées, pour des expressions ampoulées, qui n’ont qu’un faux éclat, qui sentent le phébus.

PIE.Être au nid de la pie.

C’est-à-dire au plus haut degré d’élévation, de fortune, parce que la pie fait toujours son nid à la cime de l’arbre le plus élevé.—On dit aussi: prendre la pie au nid; trouver la pie au nid, pour signifier, se procurer un grand avantage, faire une découverte importante.

PIÈCE.Faire pièce à quelqu’un.

C’est lui faire une malice.—Cette expression est venue de l’usage où l’on était autrefois de composer et de faire chanter quelque pièce de vers contre les personnes qu’on voulait railler ou ridiculiser. Cet usage existait particulièrement en Provence; et le roi René ne l’oublia point dans la procession qu’il institua pour la Fête-Dieu à Marseille. Une scène de ce grand drame montrait Momus, le dieu de la critique, sur un théâtre porté sur les épaules de plusieurs hommes. Ce Momus, couvert d’un habit emplumé, collé sur le corps, était accompagné de tous les animaux que les anciens lui donnaient pour symboles. Il avait au devant de lui des momons qui chantaient et dansaient grotesquement, et, dans les haltes de la procession, ridiculisaient les spectateurs contre lesquels il y avait à gloser. Parmi ces momons étaient entremêlés des troubadours, appelés par le peuple les farceurs, qui, en langage rimé, s’attachaient à dire aux gens leurs vérités les plus cachées, d’où est venue cette expression proverbiale commune en Provence: Dire son vers à quelqu’un.

PIED.Être sur un grand pied dans le monde.

C’est y être en estime, en considération, y jouer un rôle brillant.—Geoffroi Plantagenet, comte d’Anjou, un des hommes les plus beaux et les plus galants de son siècle, avait au bout du pied une excroissance de chair assez considérable. Il imagina de porter des souliers dont le bout recourbé était de la longueur nécessaire pour couvrir cette imperfection sans le gêner. Chacun voulut bientôt avoir des souliers comme ceux de ce seigneur; et la dimension de cette chaussure, qu’on nommait à la poulaine, devint, surtout dans le XIVe siècle, la mesure de la distinction. Les souliers d’un prince avaient deux pieds et demi de long, ceux d’un haut baron, deux pieds. Le simple chevalier était réduit à un pied et demi, et le bourgeois à un pied. De là l’expression: Être sur un grand pied dans le monde. (L’abbé Tuet.)

Les étymologistes ne sont pas d’accord sur l’origine du mot poulaine, qui désignait le bec recourbé du soulier. Les uns le dérivent du nom du cordonnier qui, le premier, confectionna une telle chaussure; les autres le font venir de l’ancien nom de la Pologne, la Poulaine, d’où cette chaussure, disent-ils, fut apportée en France.

C’est un pied-plat.

Terme de mépris par lequel on désigne un homme de basse naissance, qui ne mérite aucune considération. Il est venu de ce que les paysans portaient autrefois des souliers plats, et presque sans talons, tandis que les seigneurs avaient des souliers à talons hauts, qui étaient une marque distinctive de la noblesse.

Prendre quelqu’un au pied levé.

Prendre avantage contre lui de la moindre chose qu’il fait ou du moindre mot qui lui échappe.—Cette expression est venue peut-être d’un ancien jeu, nommé le jeu du pied levé, dans lequel les joueurs sont obligés de donner un gage, lorsqu’ils sont saisis au moment où ils lèvent le pied. Peut-être aussi est-elle une métaphore empruntée de l’escrime, où l’on prend son adversaire au pied levé, quand on le frappe aussitôt qu’il a le pied levé pour se fendre.

PIERRE.Faire d’une pierre deux coups.

Faire servir une chose à deux fins, tirer deux avantages d’une seule et même action.—Les Italiens disent: Far groppo e maglia. Faire nœud et maille.—Un bon vivant qui consacrait sa vie à la bonne chère et à l’amour, s’était logé dans un entresol au-dessus de la cuisine d’un restaurateur et au-dessous de la chambre de sa belle; et, quand il voulait jouir du double avantage de sa position, il lançait au plafond une pierre qui, retombant sur le parquet, avertissait à la fois cette belle et ce restaurateur toujours fidèles à l’appel. Pouvait-il mieux faire d’une pierre deux coups?

PILULE.Dorer la pilule à quelqu’un.

Employer des paroles flatteuses pour le déterminer à faire quelque chose qui excite sa répugnance, ou pour lui adoucir l’amertume d’un refus. Métaphore prise d’un procédé en usage chez les apothicaires, qui dorent ou argentent les pilules, afin d’en déguiser la couleur et le goût.—Les Espagnols disent: Si la pildora bien sapiera, no la doraran por defuera. Si la pilule avait bon goût, on ne la dorerait pas.

On connaît le vers, devenu proverbe, que Molière met dans la bouche de Sosie, lorsque l’amant d’Alcmène s’amuse à changer en honneur l’injure qu’il vient de faire à Amphytrion:

Le seigneur Jupiter sait dorer la pilule.

Faire avaler la pilule à quelqu’un.

C’est le déterminer à faire une chose pour laquelle il montre beaucoup de répugnance.

Il faut avaler les pilules sans les mâcher.

Il faut passer par-dessus les désagréments, les injures, les mauvaises affaires, sans s’y arrêter; il faut en prendre son parti promptement, au lieu d’aggraver le mal en se livrant à des regrets et à des plaintes inutiles.—Ce proverbe est littéralement traduit de celui-ci, usité au moyen-âge: Pilulæ sunt glutiendæ, non manducandæ.

Molière disait: Le mépris est une pilule qu’on peut avaler, mais qu’on ne peut pas mâcher.

PLAIDOYER.C’est le plaidoyer des trois sourds.

Ce dicton s’applique à une discussion dans laquelle les interlocuteurs, dupes de quelque méprise singulière, échangent des arguments entre lesquels il n’y a nul rapport, nulle suite, nulle liaison.—Dans le Plaidoyer des trois sourds, le demandeur parle de fromage; le défendeur, de labourage, et le juge annule le mariage, dépens compensés.

Les Latins disaient: Surdaster cum surdastro litigabat, judex autem erat utroque surdior. Un sourd était en procès avec un autre sourd, et le juge était plus sourd que l’un et l’autre: ce qui était fondé sur un conte semblable au nôtre. Nicarque a fait de ce conte une épigramme grecque, qu’Érasme a rapportée dans ses Adages, avec une traduction en vers latins du célèbre Thomas Morus.

PLANT.Laisser quelqu’un en plant. C’est le laisser dans quelque endroit, sans aller le retrouver, comme on le lui avait promis; proprement, c’est l’y laisser comme un plant d’arbre. On dit dans le même sens: Planter là quelqu’un pour reverdir. Autrefois on disait: Laisser sur le vert, pour négliger, abandonner.

Ils laissent sur le vert le noble de l’ouvrage. (Régnier.)

PLAT.Servir quelqu’un à plats couverts.

C’est lui témoigner en apparence beaucoup d’amitié, et le desservir sous main.—L’abbé Tuet pense que cette expression est venue de l’usage où l’on était autrefois, en France, de couvrir les plats qu’on servait sur la table des grands et les choses qu’on leur présentait.

PLONGEON.Faire le plongeon.

Baisser la tête pour éviter un coup, s’esquiver lâchement, se relâcher d’une chose, après avoir paru décidé à la faire.—Le plongeon est un oiseau aquatique qui plonge avec tant de promptitude, à l’éclair d’une arme à feu, qu’il en évite le plomb. Ce qui lui a fait donner le nom de mangeur de plomb par les chasseurs de la Louisiane et par ceux de la Picardie.

PLUIE.Faire la pluie et le beau temps.

Disposer de tout, régler tout par son crédit, par son influence. Cette façon de parler est une allusion au crédit et à l’influence des astrologues, qu’on appelait des hommes faisant la pluie et le beau temps, par une périphrase conforme à l’idée que le peuple ignorant avait conçue de leur science. Telle était la considération dont jouissaient autrefois ces charlatans fatidiques, qu’on n’entreprenait point d’affaire importante sans les avoir consultés. Agrippa nous apprend, De vanitate scientiarum, que les grands seigneurs et les villes avaient des astrologues à titre. Mathieu Paris rapporte, dans son Histoire de Louis XI, qu’à la cour de France on conservait une chronologie d’astrologues comme une chronologie de rois; et plusieurs historiens ont remarqué que Charles V, lorsqu’il remit à Duguesclin l’épée de connétable, crut ajouter beaucoup à cette glorieuse récompense, en lui donnant un astrologue expert qui sût l’avertir des bons et des mauvais jours.

Dans le royaume de Loango, il y a une grande fête où le peuple va demander au roi la pluie et le beau temps pour toutes les saisons de l’année. Le prince prend son arc, décoche une flèche vers le ciel pour marquer son autorité sur l’atmosphère; et ses sujets, persuadés qu’il en a disposé par cet acte les futures influences conformément à leurs besoins, poussent des cris de joie et de reconnaissance.

On lit dans les Essais de Montaigne (liv. III, ch. 8): «Le roi de Mexico, après la cérémonie de son sacre, fait serment à ses sujets de faire marcher le soleil en sa lumière accoutumée, esgoutter les nuées en temps opportun, et faire porter à la terre toutes les choses nécessaires à son peuple.» Ce fait se trouve aussi dans l’Histoire de la conquête du Mexique, par Solis (liv. III).

Les Gaulois attribuaient aux neuf vierges sacrées, nommées Sènes, de l’île de Sena (Sein) où elles résidaient, dans l’archipel Armoricain, le pouvoir de faire à leur gré le beau temps et les naufrages. Ils croyaient qu’elles possédaient un carquois merveilleux, dont les flèches, lancées dans les nues, dissipaient les orages.

Racine a traduit heureusement, en style noble, l’expression vulgaire: Faire la pluie et le beau temps, dans ce vers de la tragédie d’Esther:

Je fais, comme il me plaît, le calme et la tempête.

POIRIER.Je l’ai connu poirier.

Ce dicton, dont on se sert en parlant d’un parvenu orgueilleux, est venu d’une ancienne historiette que M. A. V. Arnault raconte ainsi: Il y avait, dans une chapelle de village aux environs de Bruxelles, un saint Jean fait en bois, auquel les paysans portaient une grande dévotion. Ils y venaient en pèlerinage de dix lieues à la ronde. Le tronc qui lui servait de piédestal, quoique vidé souvent, se remplissait toujours. Cette statue vermoulue étant tombée, le curé, qui l’avait fait restaurer plusieurs fois, prit le parti de la remplacer par une statue nouvelle, à la confection de laquelle il sacrifia son plus beau poirier. Maluit esse Deum. Le nouveau saint, peint et repeint, est remis à la place du vieux. En rajeunissant l’effigie, le curé crut raviver la piété des fidèles. Il en fut tout autrement: plus de pèlerinages. Les habitants du lieu même semblaient avoir oublié la route de la chapelle de saint Jean. Le pasteur, ne pouvant concevoir la cause de ce refroidissement, y rêvait, quand il rencontra un vacher qui, très dévot au vieux saint, n’était pas moins indifférent que les autres pour le nouveau.—Est-ce que tu n’as plus de dévotion à saint Jean? lui dit-il.—Si, monsieur le curé.—Pourquoi donc ne te revoit-on plus à la chapelle?—C’est qu’il n’y a plus là de saint Jean, monsieur le curé.—Comment? il n’y a plus de saint Jean! Ne sais-tu pas qu’il y en a là un tout neuf?—Si fait, monsieur le curé; mais celui-là n’est pas le vrai comme l’autre.—Et pourquoi ça?—C’est que je l’avons vu poirier.

POISSON.Les gros poissons mangent les petits.

Les puissants oppriment les faibles.—Ce proverbe, commun à presque toutes les langues modernes, tant la vérité qu’il exprime est généralement reconnue, était très usité parmi les Grecs et les Latins, qui disaient encore: Vivre en poisson, pour signifier n’avoir d’autre loi que celle du plus fort; mais il n’avait pas pris naissance chez ces peuples; il est probable qu’il leur était venu des Indiens, car il se trouve dans l’Histoire du poisson, épisode du Mahabharata, poëme épique sanscrit qui doit compter trente-huit siècles d’existence d’après les calculs du savant Wilkins, et qui n’en peut compter moins de trente d’après l’opinion la plus circonspecte.

POIVRE.Cher comme poivre.

Avant les voyages des Portugais aux Indes, une livre de poivre coûtait au moins deux marcs d’argent. Cette épice entrait alors dans la composition des présents considérables qu’on voulait faire, et elle était l’un des tributs que les seigneurs laïques ou séculiers exigeaient quelquefois de leurs vassaux ou de leurs serfs. Plusieurs historiens rapportent que Roger, vicomte de Béziers, voulant punir les habitants de cette ville, qui avaient tué son père dans une sédition, en 1107, les obligea, après les avoir soumis, à lui payer annuellement trois livres de poivre par famille, impôt qui fut regardé comme excessivement onéreux.

PONT.Elle a passé le pont de Gournay, elle a honte bue.

A une époque où la clôture n’était pas bien observée dans les couvents de filles, les religieuses de Chelles, abbaye située de l’autre côté de la Marne, passaient le pont et allaient visiter les moines de Gournay. Quoique ces visites n’eussent peut-être rien de criminel, le peuple en fut scandalisé, et leur fréquence fit naître ce proverbe, qu’on appliquait généralement à une femme de mauvaise vie. (L’abbé Tuet.)

PONTOISE.Avoir l’air de revenir de Pontoise.

Dans le temps de la féodalité, il y avait à Pontoise, ancienne capitale du Vexin français, un seigneur ombrageux et cruel qui se fesait amener les étrangers passant par cette ville, et les soumettait à un interrogatoire, après lequel il les renvoyait chez eux ou les retenait prisonniers, selon qu’ils y avaient bien ou mal répondu. Comme ces pauvres voyageurs étaient toujours intimidés et déconcertés par les questions et les menaces d’un pareil tyranneau, l’on en prit occasion de dire par comparaison: Avoir l’air de revenir de Pontoise, ou conter une chose comme en revenant de Pontoise, en parlant des gens dont les idées sont un peu troublées et confuses, embrouillées, même un peu niaises.

PORTE.Sortir par la belle porte.

Perdre ou quitter un emploi d’une manière honorable.—Cette expression rappelle un usage observé au parlement de Paris, à l’égard des prisonniers qu’on mettait en liberté, après avoir reconnu leur innocence. Les juges les fesaient reconduire honorablement par la grande porte donnant sur le grand escalier de la cour du May, et dite la belle porte.

POT.Sourd comme un pot.

Le Duchat pense que cette expression est venue de ce qu’il n’y a point d’oreilles figurées sur les pots, comme il y en a sur les écuelles.—Je crois qu’elle est une variante mal entendue de de cette autre expression plus ancienne: Sourd comme un toupin. Le mot toupin n’a point ici la signification de pot, mais celle de sabot, toupie. Sourd comme un toupin, ou comme un sabot, a beaucoup d’analogie avec dormir comme un sabot.

Beaumarchais disait: «Je suis sourd comme une urne sépulcrale, ce que les gens du peuple nomment sourd comme un pot; mais un pot ne fut jamais sourd, au lieu qu’une urne sépulcrale, renfermant des restes chéris, reçoit bien des soupirs et des invocations perdues, auxquels elle ne répond point; et c’est de là qu’a dû venir l’étymologie d’un grand mot que la populace ignorante a gâté.»

Tourner autour du pot.

User de circonlocutions oiseuses, au lieu de s’énoncer nettement, perdre le temps en vains préparatifs pour une affaire qui devrait être traitée sans retard. Cette expression est une métaphore prise de l’art du potier. Les Romains en avaient une très analogue qui se trouve dans ce vers d’Horace:

Nec circa vilem patulumque moraberis orbem.

Legouvé ayant voulu exprimer, dans sa tragédie de Henri IV, le mot naïf et touchant de ce bon roi, qui désirait que chaque paysan pût mettre la poule au pot le dimanche, eut recours à la périphrase suivante:

Je veux enfin qu’au jour marqué pour le repos,
L’hôte laborieux des modestes hameaux,
Sur sa table moins humble ait, par ma bienfaisance,
Quelques-uns de ces mets réservés à l’aisance.

Les plaisants lui reprochèrent d’avoir tourné autour du pot.

C’est le pot de terre contre le pot de fer.

C’est un homme faible contre un homme fort; c’est un homme sans appui qui doit échouer dans un démêlé avec un homme qui a de l’autorité et du crédit.—Ce proverbe est d’une grande antiquité, car il se trouve dans une fable d’Ésope et dans le passage suivant de l’Ecclésiastique (ch. XIII, v 2 et 3): Ditiori te ne socius fueris. Quid communicabit cacabus ad ollam? quando enim te colliserint confringetur. «N’entre point en société avec un homme plus puissant que toi. Quelle union peut-il y avoir entre un pot de terre et un pot de fer? s’ils viennent à se heurter l’un contre l’autre, le pot de terre sera brisé.»

Découvrir le pot aux roses.

La rose, dont le Tasse a dit d’une manière si charmante: Quanto si mostra men, tanto e più bella; moins elle se montre, plus elle est belle, la rose était, dans l’antiquité, le symbole de la discrétion; et la riante mythologie avait consacré cette idée, en racontant que l’Amour avait fait présent de la première rose qui parut sur la terre à Harpocrate, dieu du silence, pour l’engager à cacher les faiblesses de Vénus. De même que la rose a son bouton enveloppé de ses feuilles, on voulait que la bouche gardât la langue captive sous les lèvres[74]. Quand on fesait une confidence à quelqu’un, on ne manquait pas de lui offrir une rose, comme une recommandation expresse de respecter les secrets dont il devenait dépositaire. Cette fleur figurait surtout dans les festins: tressée en guirlandes destinées à couronner le front et la coupe des convives, ou placée par bouquets sous leurs yeux, elle servait à leur rappeler que les doux épanchements, nés de la liberté qui règne dans les banquets, doivent toujours être sacrés. Nos bons aïeux avaient adopté cet aimable usage, qu’ils rendaient plus significatif encore, en exposant sur la table un vase de roses sous un couvercle[75]; et de là vint la locution: Découvrir le pot aux roses, c’est-à-dire les choses qu’on veut tenir cachées, et particulièrement les mystères de la galanterie.

Les Allemands, pour recommander de ne point trahir une confidence, se servent de la formule suivante: Ceci est dit sous la rose.

Cette formule est également familière aux Anglais, et voici comment elle a été expliquée dans l’Herbier de la Bible, par Newton (pag. 223, 224, édition de Londres, in-8o 1587): «Quand d’aimables et gais compagnons se réunissent pour faire bonne chère, ils conviennent qu’aucun des joyeux propos tenus pendant le repas ne sera divulgué, et la phrase qu’ils emploient pour garantie de leur convention, est que tous ces propos doivent être considérés comme tenus sous la rose; car ils ont coutume de suspendre une rose au dessus de la table, afin de rappeler à la compagnie l’obligation du secret.»

Peacham, dans son ouvrage intitulé: The Truth of our times; la Vérité de notre temps (pag. 173, édit. de Londres, in-12, 1638), rapporte qu’en beaucoup d’endroits de l’Angleterre et des Pays-Bas, on voyait une rose peinte au beau milieu du plafond de la salle à manger.

On peut croire qu’un pareil usage ne fut pas inconnu aux anciens, si l’on en juge par ces quatre vers que Lloyd, dans son Dictionnaire, dit avoir été trouvés sur une dalle antique de marbre:

Est rosa flos Veneris, cujus quo furta laterent

Harpocrati matris dona dicavit Amor.

Inde rosam mentis hospes sut pendit amicis,

Convivæ ut sub eâ dicta tacenda sciant.

«La rose est la fleur de Vénus. L’Amour en consacra l’offrande à Harpocrate, pour l’engager à cacher les voluptés furtives de sa mère, et de là est née la coutume de suspendre cette fleur au-dessus de la table hospitalière, afin que les convives sachent qu’il ne faut pas divulguer ce qui a été dit sous la rose

Les pots fêlés sont ceux qui durent le plus.

Les personnes maladives résistent ordinairement plus longtemps que les autres, parce qu’elles se ménagent.—C’est un proverbe grec qui était passé dans la langue latine en ces termes: Malum vas non frangitur.

POTRON.S’éveiller ou se lever dès le potron minet.

C’est-à-dire de très grand matin, comme le petit chat, qui distinguant très bien les objets dans le crépuscule, à cause de la conformation particulière de ses yeux, profite de ce moment pour s’exercer avec plus d’avantage à la chasse des souris.

Potron est un diminutif du vieux mot potre, qui signifie petit des animaux.—On dit aussi dès le potron jacquet, comme on le voit dans ces vers du septième chant du poème de Cartouche par Grandval:

Il avançait pays monté sur son criquet,
Se levait, tous les jours, dès le potron Jacquet.

Jacquet est un vieux mot par lequel on désignait un flatteur[76], acception qu’Amyot a conservée dans la phrase suivante de sa traduction de Plutarque (Traité de la mauvaise honte, ch. 8): «Tu le loueras doncques haultement et follement et feras bruit des mains en lui applaudissant comme les jacquets.» C’est sans doute en raison de la conformité qu’on a trouvée entre le caractère du flatteur et celui du chat, que le nom de jacquet a été transporté à cet animal.

POUCE.Mettre les pouces.

Céder, se soumettre, s’avouer vaincu.—Les Grecs disaient αίρειν δάϰτυλον, lever le doigt, et les Romains de même tollere digitum, parce qu’il était d’usage que l’athlète qui succombait dans le combat avouât sa défaite par ce signe. Domitien avait ordonné par une loi spéciale que le gladiateur qui s’obstinait à ne point le faire fût mis à mort sur-le-champ.

POUDRE.Il n’a pas inventé la poudre.

Il n’a rien fait d’extraordinaire, il est tout à fait nul. C’est comme si l’on disait: il ne mérite pas le nom de docteur admirable, qui fut donné à Roger Bacon, moine franciscain, regardé comme l’inventeur de la poudre.

Quand on veut faire entendre, sans avoir l’air de blesser la politesse, qu’un homme n’a pas inventé la poudre, on dit qu’on a tiré le canon ou un beau feu d’artifice à sa naissance.

Voici un proverbe très curieux du XVe siècle sur la découverte de la poudre: Le moine qui inventa la poudre avait dessein de miner l’enfer.

Il n’est pas étonnant que nos aïeux aient considéré cette découverte comme un chef-d’œuvre et un type du génie. Elle avait pour eux la plus grande importance, car elle leur offrait un moyen infaillible de s’affranchir de l’oppression des nobles, de réprimer le brigandage seigneurial, en fesant cesser la supériorité du chevalier bardé de fer contre le bourgeois sans armure, du grand contre le petit, du fort contre le faible. C’était un don fait par le ciel à l’égalité des droits contre l’inégalité des moyens: la tyrannie des gentilshommes ne put tenir devant les armes à feu, et sa décadence commença précisément à l’époque où elles furent introduites.

Jeter de la poudre aux yeux.

M. A.-V. Arnault a dit dans un article sur la poudre: «Quelle est l’origine de cette expression? N’aurait-elle pas pris naissance dans les camps? Le chevalier de Boufflers me contait qu’autrefois à l’armée on jugeait de loin, au volume du tourbillon de poudre (c’était le mot consacré) qu’élevait un groupe de cavaliers, du grade de l’officier que ce groupe accompagnait sur la ligne. Poudre de maréchal-de-camp, disait-on, poudre de lieutenant-général, poudre de général, ce n’était pas raisonner absolument mal, le cortége d’un officier supérieur étant proportionné en nombre à l’importance de son grade. Cependant on peut être induit en erreur par cet indice, et prendre des troupeaux pour des troupes, comme cela est arrivé à don Quichotte, qui, à la vérité, s’est quelquefois trompé plus lourdement; un faquin entouré de quelques goujats peut faire autant de poudre qu’un maréchal de France. Quand on y était pris, on disait: Ce drôle nous a jeté de la poudre aux yeux. Ce qui passa en proverbe.»

J’ai rappelé cette explication comme curieuse, mais non comme vraie. L’expression proverbiale n’a pas dû son origine à un usage moderne, car elle est littéralement traduite de celle des Latins, pulverem oculis offundere. On pense qu’elle fait allusion à la poussière soulevée dans le stade par les pieds du coureur, qui gagnait ses concurrents de vitesse. Pour rallier ceux qui restaient trop en arrière, les spectateurs leur disaient que le vainqueur les empêchait de voir le but et d’y arriver, en leur jetant de la poudre aux yeux; et cette expression, passant bientôt du propre au figuré, servit à caractériser le manège de ces gens qui, par de belles paroles ou par tout autre moyen, nous éblouissent et nous empêchent de voir clair dans les choses qu’ils veulent faire tourner à leur avantage.

POULE.Qui naît poule aime à gratter.

Ce proverbe, synonyme de celui-ci, qui naquit chat court après les souris, s’emploie pour caractériser les penchants que l’on tient de son origine. On disait autrefois: Qui est extrait de gélines, il ne peut qu’il ne gratte.

C’est le fils de la poule blanche.

Le sens de cette expression proverbiale, que nous avons reçue des Romains, est très bien développé dans les vers suivants extraits de la IIIe Satire de Régnier:

Du siècle les mignons, fils de la poule blanche,
Ils tiennent à leur gré la fortune en leur manche;
En crédit élevés, ils disposent de tout,
Et n’entreprennent rien qu’ils n’en viennent à bout.

Quant à son origine, elle est fondée sur cette anecdote rapportée par Suétone dans le début de la Vie de Galba. Un jour que Livie, peu de temps après son mariage avec Auguste, allait visiter sa maison de plaisance aux environs de Véïes, une aigle laissa tomber, du haut des airs, sur son sein, une poule blanche vivante qui tenait en son bec un rameau de laurier: accident fort singulier que les augures regardèrent comme un présage merveilleux. Aussi l’heureuse poule fut-elle prise en affection par l’impératrice et révérée à Rome à l’égal des poulets sacrés. Dès lors elle n’eut plus à craindre les serres d’aucun oiseau ravisseur, et elle pondit tranquillement ses œufs d’où l’on vit éclore une quantité de jolis poussins, qui furent élevés avec soin dans une belle ferme à laquelle on donna le nom de villa ad gallinas. C’est par allusion à ce sort prospère que Juvénal a dit:

Te nunc, delicias! extra communia censes
Ponendum? quia tu
Gallinæ filius Albæ,
Nos viles pulli nati infelicibus ovis.

Penses-tu, homme amusant par ta simplicité, qu’on doive t’excepter de la loi commune, parce que tu es le fils de la poule blanche, et nous autres de vils poussins sortis d’œufs malheureux!

La poule ne doit pas chanter devant le coq.

Proverbe qui se trouve textuellement dans la comédie des Femmes Savantes, mais qui est antérieur à cette pièce, comme le prouvent ces deux vers de Jean de Meung:

C’est chose qui moult me desplaist,
Quand poule parle et coq se taist.

Quelques glossateurs prétendent que ce proverbe signifie qu’une femme qui se trouve avec son mari, dans une société, ne doit pas prendre la parole avant que son mari ait parlé, car, disent-ils, le mot devant est ici une préposition de temps qui remplace avant, comme dans cette phrase de Bossuet: «les anciens historiens qui mettent l’origine de Carthage devant la ruine de Troie.» Mais leur érudition grammaticale les a fourvoyés. Le veritable sens est qu’une femme doit se taire en présence de son mari. Un usage de l’ancienne civilité obligea pendant longtemps les femmes à demander aux maris la permission de parler, quand elles avaient quelque chose à dire devant des étrangers; la preuve en est dans plusieurs passages de nos vieux auteurs, notamment dans la phrase suivante de l’Heptaméron de Marguerite de Valois, reine de Navarre: «Parlemante qui était femme d’Hircan, laquelle n’était jamais oisive et mélancolique, ayant demandé à son mari congé (permission) de parler, dist: etc.»

Les gens de la campagne disent: Quand la poule veut chanter comme le coq, il faut lui couper la gorge. Ce qui exprime, au figuré, une menace peu sérieuse contre les femmes qui se mêlent de discourir et de décider à la manière des hommes, et, au propre, une observation d’histoire naturelle. Cette observation est que la poule cherche quelquefois à imiter le chant du coq, et que cela lui arrive surtout lorsqu’elle est devenue trop grasse et ne peut plus pondre, c’est-à-dire dans un temps où elle n’est plus bonne qu’à mettre au pot.

Le même proverbe existe chez les Persans, qui en font l’application aux femmes qui veulent cultiver la poésie.

C’est une poule mouillée.

Cela se dit d’une personne timide, faible, peureuse, incapable de montrer lu moindre énergie, parce qu’une poule, lorsqu’elle a été surprise par la pluie, se tient à l’écart, sans remuer, comme dans une espèce de honte et d’abattement. Il en est de même de la plupart des oiseaux, car ils ne peuvent guère voler dès que les barbes de leurs pennes ont été mouillées.

Les poules pondent par le bec.

C’est-à-dire que les poules font une plus grande quantité d’œufs, quand elles sont bien nourries.

POULET.

Billet d’amour, de galanterie.—L’origine du mot poulet dans ce sens est généralement rapportée au fait que voici: La difficulté de communiquer avec les dames avait fait imaginer aux Italiens le singulier moyen d’écrire à leurs maîtresses en leur envoyant une paire de poulets; les billets doux étaient glissés sous l’aile du plus gros, et l’amante, prévenue par une convention d’usage, ne donnait jamais le temps aux argus de se saisir du courrier innocemment contrebandier. Cependant tout se découvre à la fin, et les parents, alarmés par les conséquences qui pouvaient résulter de ce commerce interlope, le dénoncèrent à la justice. Celle-ci crut devoir déférer à leurs plaintes, et le premier ambassadeur d’amour pris en flagrant délit, fut condamné sans pitié à recevoir l’estrapade, ayant une paire de poulets attachés aux pieds. Depuis ce temps, l’expression portar polli, porter des poulets, fut employée en Italie pour désigner le métier de proxénète.

Le Duchat pense que la dénomination de poulet donnée aux billets d’amour, est venue de ce que ces sortes de billets étaient pliés en forme de poulets, à la manière dont les officiers de bouche, dit-il, plient les serviettes auxquelles ils savent donner différentes figures d’animaux.

Fouquet de la Varenne, qui d’abord était garçon de cuisine chez Catherine, duchesse de Bar, sœur de Henri IV, parut assez intelligent à ce prince pour qu’il le chargeât du département de la galanterie, poste plus lucratif qu’honorable; il fit une fortune si considérable à ce métier de porte-poulets (expression alors consacrée), que la duchesse de Bar lui dit: La Varenne, tu as plus gagné à porter les poulets de mon frère, qu’à piquer les miens.

POURCEAU.—Aller de porte en porte comme le pourceau de saint Antoine.

Expression qu’on applique ordinairement à un écornifleur, à un chercheur de franches lippées.

Saint Antoine, abbé, interprétant à la lettre un passage de l’Écriture qui dit que l’Évangile doit être annoncé à toutes les créatures, se crut appelé par là à faire entendre la parole de Dieu aux poissons et aux bêtes des champs et des bois. Il erra, prêchant sur les bords des fleuves et de la mer, au milieu des bruyères et des forêts; mais son éloquence ne produisit pas le même effet que la lyre d’Orphée. Elle n’attira ni monstre marin, ni tigre, ni lion. Il ne fut suivi, dans ses pieuses excursions, que par un pourceau. De là vient qu’il a été surnommé en Italie, saint Antoine du porc, santo Antonio del porco, et qu’il a été représenté par les peintres avec ce fidèle compagnon. De là vient aussi que les pourceaux lui ont été consacrés. Toutes les confréries placées sous la protection de ce saint, engraissaient autrefois un grand nombre de ces animaux, dont elles fesaient un commerce considérable. Ils portaient quelque marque pour être reconnus, et parcouraient tranquillement les rues, sans qu’il fût permis de les inquiéter, encore moins de les frapper. On n’avait pas d’autre moyen de les faire sortir des maisons où ils s’introduisaient fort souvent, que de leur jeter quelque mangeaille dehors pour les y attirer. Ils furent supprimés partout, parce qu’ils avaient dévoré plusieurs enfants; mais ceux de l’abbaye de saint Antoine furent honorablement exceptés, au nombre de douze, qui conservèrent le privilége d’aller de porte en porte avec une clochette au cou.

On lit dans le Carpenteriana, qu’il y avait autrefois de bons religieux qu’on appelait pourceaux de saint Antoine, lesquels étaient obligés de faire huit repas par jour par esprit de pénitence. Ces pourceaux, qui s’engraissaient comme les autres à la plus grande gloire de Dieu et aux dépens des fidèles, fesaient consister la piété à montrer jusqu’où la peau humaine peut s’étendre.

PRÉSENT.—Les petits présents entretiennent l’amitié.

Ce n’est pas sans raison que le proverbe dit les petits présents, car les présents doivent être réciproques, et, lorsqu’ils sont trop considérables pour qu’on puisse les rendre, ils blessent plus la vanité qu’ils n’excitent la reconnaissance, ils font naître la haine au lieu d’entretenir l’amitié.—Ce proverbe paraît pris de cette pensée celtique: «que les amis se réjouissent réciproquement par des présents d’armes et d’habits. Ceux qui donnent et qui reçoivent restent longtemps amis, et ils font souvent des festins ensemble.»

PRETANTAINE.Courir la pretantaine.

Cette expression s’emploie en parlant d’un homme qui va çà et là sans sujet, sans dessein, et d’une femme qui fait des sorties, des voyages qu’interdit la bienséance. Le mot pretantaine, dit Ménage, est une onomatopée du bruit que font les chevaux en galopant: pretantan, pretantan, pretantaine.

PRÊTER.Prêter pour être payé dans l’autre monde.

C’est ce qu’on appelle encore un prêter à ne jamais rendre.—L’origine de cette expression proverbiale remonte à un antique précepte de la religion druidique, en vertu duquel les Gaulois prêtaient de l’argent dans ce monde pour en recevoir le paiement dans l’autre. Ils agissaient ainsi pour exprimer leur croyance à l’immortalité de l’ame, qu’ils peignaient aussi sur les tombeaux, par des figures tenant une bourse à la main. Cette manière de prêter, qui devait faire tout à la fois le bonheur des fripons et des dupes, n’était point tombée en désuétude dans le moyen-âge, où elle devint une source de richesses pour plusieurs couvents. Des voyageurs rapportent qu’elle est en usage en Chine et au Japon: les bonzes ou prêtres de ces contrées donnent des billets pour l’autre monde en échange de l’argent qu’on leur remet dans celui-ci, et ces billets sont payables dans le royaume de la lune, où ils enseignent que les ames vivent éternellement.

PRÊTRE.Adroit comme un prêtre normand.

C’est-à-dire maladroit. L’abbé Tuet pense que saint Gaucher, prêtre de Normandie, dont il est fait mention dans le bréviaire de Rouen, a donné lieu à cette ironie proverbiale qui porte sur l’équivoque du mot gaucher, lequel désigne le saint et un homme qui ne se sert que de la main gauche.

PRIÉ.Rien n’est plus cher vendu que le prié.

Rien ne s’achète plus chèrement que ce qui s’achète par les prières, parce que le sacrifice de l’amour-propre est le plus grand de tous les sacrifices.

PRIÈRE.Courte prière pénètre les cieux.

Brevis oratio penetrat cælos.—Ce n’est pas la longueur, c’est la ferveur qui rend les prières efficaces.—Proverbe fondé sur ces paroles de l’Evangile selon saint Mathieu (ch. VI, v. 7): Orantes autem nolite multum orare sicut ethnici; putant enim quod in multiloquio suo exaudiantur. Quand vous priez, n’usez point de beaucoup de paroles, comme font les païens qui pensent être exaucés en parlant beaucoup.

«Je ne trouve point de plus digne hommage à la Divinité que cette admiration muette qu’excite la contemplation de ses œuvres, et qui ne s’exprime point par des actes développés. Mon ame s’élève avec extase à l’auteur des merveilles qui me frappent. J’ai lu qu’un sage évêque, dans la visite de son diocèse, trouva une vieille femme qui, pour toute prière, ne savait dire que O; il lui dit: Bonne mère, continuez toujours de prier ainsi; votre prière vaut mieux que les nôtres.—Cette meilleure prière est aussi la mienne.» (J. J. Rousseau, Confessions, part. II, liv. 12.)

PROCUREUR.C’est le couplet des procureurs.

C’est-à-dire une invective simulée, une gronderie qui n’a rien de sérieux, une plaisanterie d’usage et sans conséquence. Allusion à la conduite des procureurs qui se disputent vivement pour les droits de leurs clients, quand ils sont à l’audience; mais qui, au sortir de là, ne se souviennent plus de leur feinte colère et se retirent comme de bons amis, en se donnant le bras.—Les philosophes du XVIIIe siècle se servaient de cette expression pour désigner les attaques de quelques ecclésiastiques de leur parti, auxquels ils permettaient de déclamer contre eux, en chaire, pour la forme.

PROMETTRE.Promettre monts et merveilles.

Promettre beaucoup plus qu’on peut ou qu’on ne veut tenir. Les anciens employaient la même hyperbole. Perse a dit: Magnos promittere montes. Promettre de grandes montagnes. A ces montagnes, Saluste a joint les mers: Maria montesque polliceri.

Promettre des monts d’or.

Faire des promesses magnifiques, mais peu réalisables. Cette expression nous est venue des anciens comme la précédente. Elle se trouve littéralement dans le Phormion de Térence: Aureos montes polliceri. Au lieu des monts d’or, Plaute a dit Les monts des Perses, Persarum montes qui aurei esse perhibentur. Les monts des Perses qui sont réputés être d’or.—L’opinion qu’il existait de pareils monts, était encore très accréditée vers la fin du moyen-âge. Wilford, dans ses Recherches asiatiques sur l’Égypte et le Nil, nous apprend qu’on les plaçait par delà Syenne.

PROPHÈTE.Nul n’est prophète dans son pays.

C’est-à-dire que le mérite, que les talents d’un homme sont ordinairement méconnus dans son pays, qu’il a moins de succès, est moins honoré dans son pays qu’ailleurs.—Ce proverbe est pris des paroles suivantes de l’Évangile selon saint Luc (ch. I, v 24): Nemo acceptus est propheta in patriâ suâ.—Les Arabes disent: Le savant est dans sa patrie comme l’or caché dans la mine.

PROUVER.Qui veut trop prouver ne prouve rien.

On détruit par l’exagération l’effet qu’on veut produire, car quiconque exagère n’est point cru, et qui n’est point cru n’a rien prouvé.

PRUNE.Ce n’est pas pour des prunes.

Ce n’est pas pour rien.—Sganarelle dit:

Si je suis affligé, ce n’est pas pour des prunes.

On fait venir cette expression du conte suivant, rapporté par La Monnoye: Martin Grandin, doyen de Sorbonne, avait reçu en présent quelques boîtes d’excellentes prunes de Gènes qu’il enferma dans son cabinet. Ses écoliers ayant trouvé sa clef, firent main basse sur ses boîtes. Le docteur fit grand bruit, et il allait chasser tous ses pensionnaires, si l’un d’eux, tombant à genoux, ne lui eût dit: «Eh! monsieur; on dira que vous nous avez chassés pour des prunes.» A ce mot, le bon doyen ne put s’empêcher de rire et il se calma.—Le sel de ce conte prouve que cette expression était déjà reçue, et qu’il faut en aller chercher l’origine encore plus loin. Elle est née, sans doute, de ce que les prunes étaient autrefois très communes et à vil prix, comme l’indique ce vieux dicton qu’on emploie ironiquement pour répondre à quelqu’un qui offre une chose ou les restes d’une chose dont il est dégoûté: Mangez de nos prunes, nos pourceaux n’en veulent plus.


Chargement de la publicité...