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Dictionnaire étymologique, historique et anecdotique des proverbes et des locutions proverbiales de la Langue Française en rapport avec de proverbes et des locutions proverbiales des autres langues

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D

D.Tout se fait dans le monde par quatre grands D.

Ces quatre grands D signifient: Dieu, Diable, Dame, Denier.

DADA.C’est son dada.

Dada est un terme emprunté de la langue des enfants, qui l’ont formé par onomatopée de l’allure du cheval, pour désigner cet animal. Dans la locution proverbiale, il signifie une idée qu’on se plaît à caresser, dont on est entiché, à laquelle on revient toujours. C’est le milieu précis entre la passion et la monomanie.—On dit dans le même sens: C’est son califourchon. Le mot califourchon, qui ne s’emploie substantivement que dans cette phrase figurée, signifierait au propre la manière d’être affourché sur une monture, sur un dada, jambe deçà, jambe delà.

DAME.

Espèce d’interjection dont on se sert pour exprimer quelque surprise, quelque impatience, ou pour donner plus de force à une assertion. C’est un reste de l’usage de nos dévots aïeux qui appelaient, invoquaient, prenaient à témoin la vierge nommée Sainte-Dame, Notre-Dame, expressions que nos vieux auteurs ont employées dans le même sens que nous employons l’interjection dame. On trouve dans la farce de Patelin:

Sainte-Dame! comme il barbote!

Et dans l’Apparition du maréchal de Chabannes, par Guillaume Cretin:

Notre-Dame!

Ce bon roy pris sans avoir secours d’âme.

De Notre-Dame est venue, par aphérèse, l’exclamation tre-dame, usitée dans le langage de la populace.

DAMER.Damer le pion à quelqu’un.

C’est avoir une supériorité marquée sur lui, et par extension, le supplanter.—Métaphore tirée du jeu de dames, où celui qui dame un pion à son adversaire, c’est-à-dire qui lui fait l’avantage d’une dame, est beaucoup plus habile que lui.

Le jeu de dames est, dit-on, un allusion à une distinction féodale. Le pion ou dame simple représente la damoiselle qui était la femme d’un écuyer, et la dame damée représente la dame épouse d’un chevalier, laquelle était au-dessus de la première.

DANAÏDES.Le tonneau des Danaïdes.

On compare au tonneau des Danaïdes un travail inutile, une mémoire où rien ne laisse de trace, un cœur dont rien ne remplit les désirs, un prodigue qui dissipe à mesure qu’il reçoit.

On connaît la fable des Danaïdes qui, pour avoir égorgé leurs maris, la première nuit de leurs noces, furent éternellement condamnées à remplir d’eau, dans le tartare, un tonneau sans fond.

DANGER.Au danger on connaît les braves.

La meilleure explication de ce proverbe se trouve dans l’anecdote suivante rapportée par le cardinal Maury. «Le courage se montre surtout lorsqu’il lutte contre les obstacles et les dangers; sa force est dans le combat. Un brave soldat disait, à la vue de la citadelle de Namur, le lendemain de l’assaut: J’escaladai hier ce rocher au milieu du feu; je n’y grimperais pas aujourd’hui.—Vraiment, je le crois bien, répondit un autre; on ne nous tire plus des coups de fusils de là-haut.»

Ce trait est aussi beau dans son genre que celui d’Ajax provocant Jupiter et s’écriant au milieu des ténèbres:

Grand Dieu, rends-nous le jour et combats contre nous!

Il y a un bel adage allemand employé par Schiller: Verdopple die Gefahr, spricht der Held, nicht die Helfer; double les dangers, dit le héros, et non pas les auxiliaires.

Le danger dissout tous les liens.

Ce proverbe n’est que trop vrai, malgré quelques exceptions honorables qui font honneur à l’humanité. On voit régner, dans les temps de peste et de famine, tous les vices hideux d’un égoïsme dénaturé; il n’y a plus alors ni parents ni amis. Les cœurs glacés par la terreur sont inaccessibles à la pitié. On dirait que le ciel qui les châtie permet qu’ils renoncent aux affections généreuses, afin qu’ils restent sans consolation.

Danger passé, saint moqué.

Scampato il pericolo, gabbato il santo. On dit aussi: Péril passé, promesses oubliées. Ces proverbes font allusion aux vœux qu’on fait sur mer pendant la tempête, et qu’on oublie d’ordinaire aussitôt qu’on est arrivé au port. Dans les Facéties de Pogge, il est parlé d’un marin qui, sur le point de faire naufrage, vouait à la Vierge un cierge de la grosseur d’un mât; comme on lui représentait qu’il n’en trouverait point de pareil chez aucun marchand: Bon, répondit-il, si nous échappons, il faudra bien qu’elle se contente d’une petite bougie. La Fontaine a rapporté un trait de la même espèce dans la fable 12e du liv. IX:

Un passager, pendant l’orage,

Avait voué cent bœufs au vainqueur des Titans:
Il n’en avait pas un. Vouer cent éléphants

N’aurait pas coûté davantage.

Oh! combien le péril enrichirait les dieux,
Si nous nous souvenions des vœux qu’il nous fait faire!
Mais, le péril passé, l’on ne se souvient guère

De ce qu’on a promis aux cieux.

On compte seulement ce qu’on doit à la terre.
Jupiter, dit l’impie, est un bon créancier;

Il ne se sert jamais d’huissier.

DANSE.Après la panse, la danse.

Les Espagnols disent: Barriga caliente, pie durmiente; à panse chaude, pied endormi. Ces deux proverbes, dont l’un caractérise la vivacité française, et l’autre la gravité castillane, expriment, d’une manière contradictoire, qu’on ne doit pas interrompre la digestion par un travail sérieux, et ils sont fondés sur cet aphorisme de l’école de Salerne:

Post cœnam, stabis—vel passus mille meabis.

Après dîner tu te reposeras—ou tu feras mille pas.

Mais notre proverbe s’emploie presque toujours pour signifier que lorsqu’on a fait bonne chère, on ne songe qu’à se divertir. C’est le sens qu’il avait chez les Grecs de qui nous l’avons emprunté, comme on peut le voir dans les Causes naturelles de Plutarque (ch. 21), où il est rapporté.

L’usage de danser en sortant de table n’a jamais cessé d’exister dans les fêtes villageoises. Aussitôt que les paysans ont satisfait leur appétit, ils sautent et folâtrent sur l’herbe, au son des musettes ou du tambourin, et ils se moquent des citadins qui digèrent mollement sur des canapés.

Théophraste, dans ses Caractères, a signalé comme un contre-temps ridicule l’invitation de danser faite à un homme à jeun.

Donner une danse à quelqu’un.

C’est le châtier, parce que celui qu’on châtie se débat sous les coups qu’il reçoit, et semble exécuter une espèce de danse.—Les Grecs disaient, dans le même sens: Faire chanter à quelqu’un le bonheur des tortues. Ce qui s’explique par ce passage d’une comédie d’Aristophane: «O tortues, que votre enveloppe vous rend heureuses! vous êtes trois fois plus heureuses que moi avec ma peau. Cette écaille placée sur votre dos vous empêche de sentir les coups; mais, hélas! rien ne garantit mon dos, et dès qu’on me bâtonne je suis à la mort.»

Le mot danse, au XVe siècle, était souvent employé pour signifier des remontrances, des reproches, une moralité, une leçon, une correction; et c’est pour cela qu’il servit de titre à plusieurs ouvrages, tels que la Danse macabre, la Danse des morts, la Danse des femmes, la Danse des aveugles ou Danse aux aveugles, etc.

Avant la révolution on donnait au bourreau, par euphémisme, la dénomination de maître à danser, et on le désignait même ainsi sur les registres de la chambre de la grande chancellerie. Rabelais l’appelait l’aveugle qui fait danser, parce qu’il exécute aveuglément les arrêts de la justice.

DANSER.

Qui bien chante et qui bien danse
Fait un métier qui peu avance.

Ce proverbe, qui manque aujourd’hui de vérité, est une preuve que les chanteurs et les danseurs ne fesaient pas fortune chez nos aïeux aussi facilement que chez nous. Autres temps, autres mœurs.

DARIOLETTE.

Nom propre devenu appellatif pour désigner une entremetteuse d’amour, parce qu’il était celui de la confidente d’Élisenne dans le roman d’Amadis. Cette confidente, la perle des soubrettes, fut ainsi nommée, suivant Le Duchat, à cause de son vêtement riolé (rayé). Mais M. Éloi Johanneau pense que dariolette est venu de dariole, petite pièce de pâtisserie contenant de la crème, et a été appliqué à une jeune fille friande de cette espèce de pâtisserie, ce qui a plus de sel et de vérité.

Scarron, dans son Virgile travesti, liv. IV, dit de la sœur de Didon:

En un cas de nécessité
Elle eût été dariolette.

Regnier, sat. 5, appelle dariolet un entremetteur.

Doncq’ la même vertu le dressant au poulet,
De vertueux qu’il fut, le rend dariolet.

DÉ.Le dé en est jeté.

C’est-à-dire la résolution en est prise, et elle sera exécutée, quoi qu’il en puisse arriver. Alea jacta est, proverbe célèbre que César prononça lorsqu’il était prêt à passer le Rubicon pour marcher contre Rome. Les Latins, de qui nous l’avons reçu, l’avaient eux-mêmes reçu des Grecs: έῤῥίφθη ὸ ϰύϐος

DÉCHAUSSER.Il ne faut pas se déchausser pour manger cela.

C’est ce que dit un gaillard de bon appétit, à la vue d’un mets qu’il se flatte d’avaler promptement, sans crainte d’en avoir l’estomac surchargé. L’abbé Tuet pense que cette locution populaire peut être fondée sur la coutume des anciens qui, au moment du repas, quittaient leur chaussure pour se mettre sur les lits disposés autour de la table.

DÉCOUDRE.Il faut en découdre.

C’est-à-dire en venir aux mains, se prendre corps à corps. On prétend que cette locution populaire est fondée sur ce que les soldats portaient autrefois des jaques ou casaques garnies de coton ou de crin sous plusieurs double de toile qu’il fallait en quelque sorte désassembler, découdre, dans le combat au joindre, pour que le poignard pût pénétrer jusqu’à la chair. Il est plus naturel de penser qu’elle est fondée sur ce que, en se saisissant au collet, comme font les gens du peuple, on découd ou déchire ses habits.

DÉCOUVRIR.Plus on se découvre plus on a froid.

Plus on se dit malheureux, plus on est privé du secours d’autrui. Les hommes ne font guère du bien qu’à ceux qui peuvent le leur rendre, et quand on leur montre qu’on est sans ressource, on les trouve sans obligeance. Qui chante ses maux épouvante, suivant un autre proverbe.—Le secret de notre indigence, a dit un homme d’esprit, doit être le plus délicat et le mieux gardé de nos secrets.

DÉFIANCE.La défiance est mère de sûreté.

C’est-à-dire qu’il faut être toujours sur ses gardes pour éviter d’être trompé.—Ce proverbe, qui nous exhorte à nous défier de nos semblables, est peu conforme à l’humanité et sent la misanthropie. Il n’y a point de sagesse à croire tous les hommes trompeurs, et la défiance poussée à l’excès empoisonnerait la vie. Gardons-nous de ce rigorisme antiphilosophique, et si nous ne pouvons nous fier à beaucoup de gens, ayons du moins la consolation de nous fier à quelqu’un.

«J’aime beaucoup mieux être trompé, dit Bossuet, que de vivre éternellement dans la défiance, fille de la lâcheté et mère de la dissension. Laissez-moi errer, je vous prie, de cette erreur innocente que la prudence, que l’humanité, que la vérité même m’inspire; car la prudence m’enseigne à ne précipiter pas mon jugement, l’humanité m’ordonne de présumer plutôt le bien que le mal, et la vérité m’apprend de ne m’abandonner pas témérairement à condamner les coupables, de peur que, sans y songer, je ne flétrisse les innocents par une condamnation injurieuse.»

DÉFRUCTU.C’est un bon défructu.

Le défructu (mot oublié dans la dernière édition du Dictionnaire de l’Académie) était, autrefois, un bon repas qui avait lieu la veille de Noël, et qui se nommait ainsi, non pas, comme on l’a prétendu, à cause des fruits qu’on n’y servait point, mais à cause de l’antienne De fructu ventris tui, etc., chantée, ce jour-là, aux secondes vêpres, sur le psaume 131, d’où elle est extraite. L’usage voulait que cette antienne fût entonnée par un notable séculier qui se trouvait placé dans le chœur où il attendait que le chapier vînt la lui annoncer. Celui-ci se présentait au moment marqué, et après quelques salutations, lui offrait une branche d’oranger garnie de son fruit, ou une branche de laurier à laquelle était attachée une orange. Mais une telle distinction ne se fesait pas en vain, car celui qui en était l’objet ne pouvait se dispenser d’inviter à souper le clergé de la paroisse, et de donner aux chantres la desserte avec une certaine somme d’argent; et de là vint l’expression: C’est un bon défructu, pour signifier un bon régal, ou bien encore une bonne gratification, un bon pourboire.

Cette cérémonie fort ancienne fut interdite, en 1551, par le concile provincial de Narbonne, parce qu’elle dégénérait presque toujours en grands abus. Cependant elle se maintint dans plusieurs diocèses qui n’étaient point sous la juridiction de ce concile, et elle existait encore vers le milieu du XVIIe siècle. Une chronique rapporte comme un fait curieux, qu’à cette époque Claude Girardin, lieutenant général au bailliage d’Auxerre, ayant été élu coryphée du défructu dans la cathédrale de cette ville, fit les honneurs de sa nouvelle charge avec tant de magnificence que plus ne se pouvait.

DÉGOÛTÉ.Au dégoûté le miel est amer.

On trouve dans les Proverbes de Salomon (c. XXVII, v. 7): Anima satiata calcabit favum; l’ame rassasiée méprisera le rayon de miel.—Nous disons encore: A ventre soûl, cerises sont amères.

DÉLUGE.Après moi le déluge.

Pour faire entendre qu’on se moque de tout ce qui pourra arriver quand on ne sera plus. Proverbe qui répond à un proverbe grec ainsi traduit en latin:

Me mortuo, conflagret humus incendiis.

Que la terre après moi des flammes soit la proie.

Néron ayant entendu citer ce proverbe par un de ses courtisans, s’écria: J’aime mieux que l’incendie ait lieu de mon vivant, et il agit en conséquence en mettant le feu à Rome. Caligula n’était pas allé si loin; il s’était contenté de répéter souvent le proverbe, digne expression de son féroce égoïsme.

Les Indiens disent: Quand je me noie, tout le monde se noie.

DEMAIN.Ne remets pas à demain ce que tu peux faire aujourd’hui.

Parce que les délais peuvent compromettre les meilleures affaires. Ceux qui disent Je ferai demain sont des imprudents. Les Latins les comparaient aux corbeaux dont le croassement semble faire entendre cras, cras, demain, demain, ce qui avait donné lieu à l’expression Sponsio corvina, promesse de corbeau, dont saint Augustin s’est servi plusieurs fois.—Voici des réflexions de deux auteurs anglais dans lesquelles le sens moral du proverbe se trouve développé d’une manière élégante et originale. «Sois sage aujourd’hui: c’est folie de différer. Demain le fatal exemple de la veille t’entraînera, et toujours ainsi jusqu’à ce que la sagesse ne soit plus en ton pouvoir. Les délais sont les ravisseurs du temps. Ils nous enlèvent nos années l’une après l’autre. Enfin la vie nous échappe et laisse à la merci d’un seul instant les grands intérêts de l’éternité. Si cette erreur était moins commune, ne serait-elle pas bien étrange? mais qu’elle soit si commune, cela n’est-il pas plus étrange encore?.... Tous les hommes se préparent à vivre sans jamais sortir des liens de l’enfance. Ils se font tous l’honneur de croire qu’ils reviendront un jour à la raison, et sur la foi de ce retour, leur orgueil reçoit des félicitations toujours prêtes, au moins les leurs. Ils applaudissent à leur future conversion. Qu’elle est édifiante, en effet, cette vie qu’ils ne connaîtront jamais! Le temps confié à leurs mains devient le patrimoine de la folie. Celui qui appartient au destin, ils le lèguent à la sagesse..... Au milieu des meilleures intentions, l’homme forme et reforme de nouveaux plans, puis il meurt le même.»

(Young.)

«Demain, dis-tu? Demain! c’est un fripon qui joue son indigence contre ta richesse, qui reçoit ton argent comptant et le rembourse en souhaits, en espérances, en promesses, monnaie des sots; détestable banqueroute dont un créancier trop crédule est la dupe! Demain! c’est un jour qu’on ne trouve nulle part dans les vieux registres des âges, si ce n’est peut-être dans le calendrier des fous. La sagesse rejette ce mot et ne veut point de société avec ceux qui s’en servent.... C’est un enfant du caprice dont l’extravagance est la mère. Il est de la même étoffe que les songes et aussi vain que les chimériques visions de la nuit. Crois-moi, mon ami, arrête les moments présents; car sois certain que ce sont de vrais délateurs; et quoiqu’ils s’échappent sans bruit, sans laisser de trace après eux, ils vont droit au ciel, où ils rendent compte de ta folie... Arrête le moment présent, mon cher Horatio, imprime sur ses ailes le sceau de la sagesse. Voilà ce qui vaut mieux qu’un royaume, et ce qui est plus précieux que tous les dons brillants de la fortune. Oh! ne le laisse pas échapper de tes mains; mais, comme ce bon patriarche dont parlent nos annales, saisis l’ange au vol et retiens-le jusqu’à ce qu’il t’ait béni.» (Cotton.)

Le proverbe est fort ancien. Blaise de Montluc, dans ses Commentaires (liv. II, p. 540), l’appelle la devise d’Alexandre-le-Grand, et le rapporte en ces termes: Ce que tu peux faire anuit, n’attends pas au lendemain. Le mot anuit est synonyme de aujourd’hui. Les uns prétendent qu’il a pris cette signification de l’usage de compter par nuits établi chez les Gaulois, ainsi que chez les Hébreux, les Arabes, les Germains, les Islandais, etc.; les autres pensent qu’il a été formé par contraction de ante noctem (avant la nuit); mais ces étymologies sont justement révoquées en doute: il est évident que anuit est dérivé de la préposition en et du vieux substantif huy ou hui qui signifie jour. En hui est une expression qui se trouve dans nos plus anciens livres, notamment dans le Roman de Rou, par Robert Wace. Robert d’Artois disait aux Flamands qu’il conduisait: «Nous bevrons encore en hui de ces bons vins de Saint-Omer.» (Cette phrase est dans la Chronique publiée par M. Sauvage, p. 156.)

DÉMÉNAGEMENT.Trois déménagements valent un incendie.

Lorsqu’on déménage on brûle beaucoup de papiers et d’autres objets qu’on juge inutiles ou embarrassants; de là ce proverbe qu’on emploie pour marquer les inconvénients et les dégâts qui résultent de trop fréquents déménagements.

DÉMÉNAGER.On n’est jamais si riche que quand on déménage.

Parce que lorsqu’on déménage on trouve toujours qu’on a trop de choses à emporter. Fontenelle (d’autres disent le président Hénault) fit une application spirituelle et plaisante de ce proverbe. Après un examen de conscience pour une confession générale qu’il voulut faire vers la fin de sa vie, il s’écria: En vérité, l’on n’est jamais si riche que quand on déménage.

DÉMENTI.Un démenti vaut un soufflet.

Proverbe qui signifie également qu’un démenti doit être vengé par un soufflet, et qu’un démenti, qui équivaut à un soufflet, est un soufflet en paroles.—Le préjugé sur lequel est fondé ce proverbe remonte aux premiers temps de notre monarchie. C’était alors une injure des plus graves que d’appeler quelqu’un menteur, et le titre XXXIIe de la loi salique, rédigée sous Clovis, infligeait à ceux qui s’en rendaient coupables la grosse amende de 600 deniers.—Les Grecs et les Romains se donnaient des démentis sans en recevoir d’affront, et sans entrer en querelle. Ils ne connaissaient pas la chimère du point d’honneur qui n’a jamais fait d’autres héros que les héros du meurtre.

DÉNICHEUR.A d’autres, dénicheur de merles.

Expression dont on se sert pour faire entendre à une personne qu’on pénètre sa malice déguisée, et qu’on ne s’y laissera pas prendre. Elle a tiré son origine de l’historiette suivante, racontée par Boursault dans ses Lettres à Babet. Un jeune manant de vingt-deux ou vingt-trois ans, étant à confesse, s’accusa d’avoir rompu la haie de son voisin pour aller reconnaître un nid de merles. Le prêtre lui demanda si les merles étaient pris.—Non, lui répondit-il; je ne les trouve pas assez forts, et je n’irai les dénicher que samedi au soir. Il y alla en effet ce jour-là; mais il trouva la place vide, et il ne douta point que son confesseur n’eût enlevé les oiseaux. Cependant il n’osa lui en rien dire. Quelques mois après, un jubilé l’ayant obligé de retourner à confesse, il s’accusa d’aimer une jeune villageoise, et d’en être assez aimé pour obtenir ses faveurs. Quel âge a-t-elle? dit le prêtre.—Dix-sept ans.—Elle est sans doute jolie?—Oui, très jolie, la plus jolie de tout le village.—Et dans quelle rue demeure-t-elle? ajouta promptement le confesseur.—A d’autres, dénicheur de merles, lui répliqua tout aussi promptement le jeune homme; je ne me laisse pas attraper deux fois.

DENT.C’est l’histoire de la dent d’or.

Métaphore proverbiale usitée en parlant d’une chose qui a passé pour vraie pendant quelque temps, et qui est enfin reconnue fausse.—Le bruit se répandit, vers 1593, qu’un enfant de Silésie avait une dent molaire en or qui avait poussé naturellement dans sa gencive. A cette nouvelle, revêtue d’un certain caractère d’authenticité, plusieurs savants d’Allemagne s’empressèrent d’aller sur les lieux pour examiner un tel phénomène. Jacques Horstius, professeur en médecine à l’Université de Helmstad, ne fut pas des derniers à s’y rendre, et il publia, en 1595, une dissertation par laquelle il prétendait démontrer que la dent d’or était à la fois naturelle et merveilleuse, et qu’elle présageait l’abaissement du Grand-Turc[36] qui affligeait alors les chrétiens. Rullandus, Ingolsterus, Libavius, et d’autres savants en us, expliquèrent aussi, à leur tour, par des arguments opposés, la formation de cette dent métallique; mais leurs doctes explications n’éclaircirent pas la chose. L’honneur de la découverte était réservé à un orfèvre qui sut détacher de la fameuse dent une enveloppe d’or qui y avait été appliquée avec l’adresse la plus parfaite. Van Dale a donné sur ce sujet quelques détails curieux dans le dernier chapitre de son livre de Oraculis.

Avoir une dent de lait contre quelqu’un.

C’est avoir contre lui une vieille animosité, une animosité sucée pour ainsi dire avec le lait.

Malgré vous et vos dents.

Feydel, auteur des Remarques sur le Dictionnaire de l’Académie française, a prétendu, après d’autres grammairiens, que la locution originaire était Malgré vous et vos aidants, et que le mot aidants devint ensuite dents par la figure que les lexicographes appellent aphérèse, comme Antoinette est devenu Toinette. L’abbé Morellet lui reproche d’assimiler deux cas très différents. «On ne peut accourcir, dit-il, un mot entrant dans une locution qui n’est pas d’un usage habituel, et surtout l’accourcir en l’altérant de manière à le rendre inintelligible, comme dants au lieu de aidants. Il faut que l’étymologiste nous explique comment dants est devenu dents. Les dents, arme naturelle de l’homme et des animaux, sont prises figurément dans beaucoup de locutions pour tous les moyens de défense et d’attaque qu’on peut employer; on dit: Montrer les dents, Avoir une dent contre quelqu’un, Déchirer à belles dents, etc., toutes phrases dans lesquelles la substitution d’aidants à dents serait ridicule.»

L’explication de l’abbé Morellet vaut beaucoup mieux que celle de Feydel, et elle peut être confirmée par cette expression de la basse latinité du moyen âge: Malegratibus dentium ejus, qu’on trouve dans le Glossaire de Carpentier. Cependant il faut observer qu’on trouve aussi Malgré vous et vos dans, c’est-à-dire malgré vous et ceux qui sont plus puissants que vous. Dan, dant ou damp est un vieux mot qui signifie seigneur, maître.

DÉPOUILLER.Il faut dépouiller le vieil homme.

C’est-à-dire renoncer à ses vieilles habitudes. Dépouiller le vieil homme ou Se dépouiller du vieil homme, est une expression employée dans l’Écriture sainte pour signifier se défaire des inclinations de la nature corrompue. Elle est fondée sur la coutume de revêtir le néophite de nouveaux habits. Tous les mystères anciens prescrivaient de dépouiller le vieil homme à l’entrée du sanctuaire.

On ne se dépouille pas tout à fait du vieil homme.

On ne se défait pas entièrement des penchants vicieux qu’on a contractés depuis longtemps; on en conserve toujours quelque reste en passant d’une vie mondaine à une vie pieuse. Ainsi Rachel, quittant la maison paternelle pour suivre Jacob dans la sainte demeure des patriarches, emportait secrètement ses téraphim, idoles qu’elle avait adorées dans son enfance.

Il ne faut pas se dépouiller, ou se déshabiller, avant de se coucher.

Il ne faut pas donner son bien avant sa mort.—Proverbe fort ancien dans notre langue, car il fut employé dans la réponse que fit Guillaume-le-Conquérant, lorsque son fils Robert-Courte-Heuse ou Courte-Cuisse, qui s’était révolté contre lui, proposait de se soumettre en obtenant la possession de la Normandie comme apanage. Ce proverbe paraît pris de l’Ecclésiastique, qui dit, ch. XXXIII: «Ne donnez point pouvoir sur vous, pendant votre vie, à votre fils, à votre femme, à votre frère, ou à votre ami; ne donnez point à un autre le bien que vous possédez, de peur que vous ne vous en répentiez, et que vous ne soyez réduit à leur en demander avec prière. Tant que vous vivrez et que vous respirerez, que personne ne vous fasse changer sur ce point; car il vaut mieux que ce soient vos enfants qui vous prient, que d’être réduit à attendre ce qui vous viendra d’eux..... Distribuez votre succession le jour que finira votre vie et à l’heure de votre mort.»

Les Espagnols disent qu’il faut frapper d’un maillet le front de celui qui donne son bien avant sa mort. Quien da lo suyo antes de su muerte, que le den con un maço en la frente.

Ces proverbes ont été inspirés par l’égoïsme; mais ils ne sont que trop justifiés par l’ingratitude des héritiers souvent pires que les vautours, car les vautours ne s’attachent qu’aux cadavres. Si vultur es, cadaver expecta, disaient les Latins à l’homme avide qui voulait dévorer la succession d’un parent encore en vie.

Le parti le plus raisonnable à prendre est indiqué dans ce passage de Montaigne: «Un père atterré d’années et de maux, privé par sa faiblesse, et faute de santé, de la commune société des hommes, il se fait tort et aux siens de couver inutilement un grand tas de richesses. Il est assez en estat, s’il est sage, pour avoir désir de se dépouiller pour se coucher, non pas jusques à la chemise, mais jusques à une robe de nuit bien chaude. Le reste des pompes de quoy il n’a plus que faire, il doit en estrenner volontiers ceux à qui par ordonnance naturelle cela doit appartenir.»

DÉRATÉ.—Courir comme un dératé.

C’est courir vite et longtemps.—Locution fondée sur la croyance populaire que les meilleurs coureurs ont dû leur agilité extraordinaire à l’oblitération ou à l’absence de la rate, viscère abdominal dont le gonflement douloureux est regardé comme la principale cause qui empêche de courir longtemps. Cette croyance est venue comme beaucoup d’autres de la fabuleuse antiquité. Pline le naturaliste a dit sérieusement (liv. XXVI, ch. 13): «La prêle (equisetum) employée en décoction dans un vase de terre neuf, à la quantité qu’il peut en contenir, jusqu’à la réduction du tiers, étant bue, pendant trois jours, par hémines, consume la rate des coureurs, qu’on prépare à cette recette par une abstinence de toute nourriture grasse ou huileuse durant vingt-quatre heures.»

Il y eut autrefois en France, vers la fin du dix-septième siècle, une compagnie de chirurgiens qui prétendirent qu’il serait très avantageux pour les hommes de se faire ôter la rate; et afin de rassurer les esprits contre les craintes que devait causer cette extraction, ils s’avisèrent de dérater des chiens qui ne laissèrent pas, dit-on, de manger, de courir et de sauter comme auparavant. Mais ces animaux étant morts quelque temps après, personne ne voulut se soumettre à l’opération cruelle et bizarre qu’ils avaient subie.

DÉSIRER.Qui désire est en peine.

Tout désir suppose privation, et toutes les privations qu’on éprouve sont pénibles. C’est dans la disproportion de nos désirs et de nos facultés, dit Jean-Jacques Rousseau, que consiste notre misère. Un être sensible dont les facultés égaleraient les désirs serait un être absolument heureux..... Diminuez l’excès des désirs par les facultés, et mettez une égalité parfaite entre la puissance et la volonté.

Une tradition orientale rapporte qu’Oromase apparut un jour au vertueux Usbeck, et lui dit: Forme un souhait, je l’accomplirai à l’instant.—Source de lumière, répondit le sage, je te prie de borner mes désirs aux seuls biens dont je ne puis manquer.

N’est pas pauvre qui a peu, mais qui désire beaucoup.

Proverbe qui se trouve dans Sénèque: Non qui parum habet sed qui plus cupit pauper est.

Voulez-vous rendre riche Pithoclès? écrivait Épicure à son ami Idoménée; ne lui donnez point de l’argent, mais ôtez-lui des désirs.

On demandait à Cléanthe, philosophe stoïcien: Quel est le meilleur moyen de devenir riche?—C’est, répondit-il, d’être pauvre de désirs.

Les désirs ne sont au fond que des besoins; et il n’y a vraiment d’homme pauvre que celui qui ne peut trouver ce qu’il désire dans ce qu’il possède.

C’est une grande richesse, disait saint Paul, que de se contenter de ce qu’on a.

Qui borne ses désirs est toujours assez riche. (Voltaire.)

C’est un grand bonheur d’avoir ce qu’on désire, disait quelqu’un à un philosophe. Celui-ci répliqua: C’en est un bien plus grand de ne désirer que ce qu’on a.

DEUIL.Deuil joyeux.

Deuil d’héritier, deuil pour se conformer à l’usage et pour sauver les apparences; douleur sur le visage, et joie dans le cœur. C’est ce que les Grecs et les Latins désignaient par l’expression, Pleurer au tombeau de sa belle-mère.

Tous vont au convoi du mort, et chacun pleure son deuil.

On n’est guère sensible qu’à ses propres peines, et ce n’est que par un secret retour sur soi que l’on compatit à celles des autres. Il entre toujours une certaine dose d’égoïsme dans la composition du sentiment qu’on appelle la pitié; quelquefois même il n’y entre pas autre chose. On connaît l’histoire de cette dame qui, rentrant chez elle toute transie de froid, avait ordonné à ses gens de distribuer une voie de bois aux pauvres. Aussitôt qu’elle se fut placée dans une bergère commode auprès d’un bon feu, elle commença par modifier son ordre, et finit par le rétracter tout à fait en disant: Le temps s’est bien radouci.

DEVISE.Entendre la devise.

C’est-à-dire les propos galants. Cette expression se trouve dans une ancienne pièce qui a pour titre: Nouvelle moralité d’une pauvre fille villageoise, laquelle aima mieux avoir la tête coupée par son père que d’être violée par son seigneur, faicte à la louange et honneur des chastes et honnestes filles, à quatre personnages. Le valet du seigneur dit à la jeune villageoise qui repousse les propositions qu’il vient lui faire de la part de son maître:

Vous n’entendez point la devise,
Pauvre sotte!

Le mot devise est un des plus anciens de la langue française, et depuis près de huit cents ans il y a peu d’auteurs chez lesquels il ne se trouve employé en sens divers, comme le remarque le père Ménétrier dans la Science et l’Art des devises. Geoffroy de Villehardouin, sous Philippe-Auguste, donne le nom de devise à un testament. Devise se prend pour volonté dans une traduction manuscrite d’Ovide faite sous le règne de Jean-le-Bon: Lors fera Diex (Dieu) à sa devise. Les limites et bornes des champs s’appelaient aussi devises, apparemment du latin dividere, diviser. Enfin le même terme servait aussi à désigner les habits mi-partis de deux couleurs, comme ceux des échevins de quelques villes, les livrées, les armoiries et plusieurs autres choses qui distinguaient les personnes et marquaient leur dignité.

DIABLE.La beauté du diable.

C’est la fraîcheur de la jeunesse qui prête quelque agrément à la figure la moins jolie. La raison de cette expression est une enigme dont le mot se trouve dans ce proverbe: Le diable était beau quand il était jeune. Le temps de la jeunesse du diable est celui où il était au rang des anges du ciel d’où il fut banni et précipité dans l’enfer à cause de sa rébellion.

Le diable n’est pas si noir qu’on le fait.

Pour signifier qu’une personne n’a pas autant de vices ou de défauts qu’on lui en suppose.—Nos anciens poëtes, dit Fauchet, appellent le diable malfez ou maufez (mal fait), et les peintres le représentent horrible et hideux, comme s’il avait perdu cette beauté qui fit monter Luciabel en si grand orgueil.

Crever l’œil du diable.

Parvenir en dépit de l’envie.—Le diable est ici l’envieux dont le regard passe pour nuisible, d’après une vieille superstition que nous ont transmise les anciens, et que Virgile a rappelée dans ce vers de sa troisième églogue:

Nescio quis teneros oculus mihi fascinat agnos.

Envoyer quelqu’un au diable de Vauvert.

Le château de Vauvert (vallon vert) était autrefois regardé comme un repaire de diables. On y entendait toutes les nuits des hurlements horribles et un bruit affreux de chaînes traînées, disait-on, par des spectres. Saint Louis donna ce château inhabité aux Chartreux qui le lui avaient demandé, et aussitôt que ces religieux en eurent pris possession, le sabbat fut à jamais conjuré. Mais le souvenir de la terreur qu’il avait fait naître se conserva dans l’expression proverbiale: Envoyer ou Aller au diable de Vauvert, et par corruption, au diable vert.

Le château de Vauvert était situé hors des murs de Paris, dans une prairie, vers l’entrée de la grande allée qui se dirige du jardin du Luxembourg à l’Observatoire. L’ancienne rue de Vauvert qui conduisait à ce manoir infernal prit le nom de rue d’Enfer, qu’elle porte encore.

Quand le diable dit ses patenôtres, il veut te tromper.

Lorsqu’un méchant parle ou agit comme un homme de bien, il médite quelque perfidie.

Le crime prend souvent l’accent de la vertu. (Gresset.)

On appelle patenôtres du diable, les prières de l’hypocrite qui, sous le nom de Dieu, commet toute sorte de mal, comme dit le proverbe hébreu. Il y a une vieille épigramme anglaise intitulée: Patenôtre ou Pater du diable (the devil’s Pater), dont le principal mérite consiste à être en vers, soit qu’on la lise en allant de gauche à droite, soit qu’on la lise en revenant de droite à gauche, avec cette différence qu’elle exprime des bénédictions d’un côté et des malédictions de l’autre.

Le diable chante la grand’messe.

Ce proverbe, employé par Rabelais, s’applique à l’hypocrite.

Les Portugais disent: Detras de la cruz esta el diablo; le diable est derrière la croix.

Les Espagnols: Por las haldas del vicario sube el diablo al campanario; par les pans de la robe du vicaire, le diable monte au clocher.

Les Anglais: Were god hat is church the devil will his chapel; il n’y a point d’église où le diable n’ait sa chapelle.

Les Italiens comme les Anglais: Non sì tosto si fa un tempio a Dio come il diavolo ci fabrica una capella apresso.

Les Allemands: O uber die schlaue Sunde, die einen Engel vor jeden Teufel slellt; que le crime est rusé! il place un ange devant chaque démon. Ce qui revient à l’expression française: Couvrir son diable du plus bel ange, dont la reine de Navarre s’est servie dans sa Nouvelle douzième.

L’Évangile compare l’hypocrite à un sépulcre blanchi, plein d’éclat au dehors et de pourriture au dedans.

Le diable n’est pas toujours à la porte d’un pauvre homme.

Un homme malheureux ne l’est pas toujours.

Les Turcs disent: Ne meurs pas, ô mon âne! le printemps viendra, et avec lui croîtra le trèfle.

Tirer le diable par la queue.

Avoir de la peine à subsister; ne pouvoir chasser la misère.

Il faut procéder, dans l’explication de certaines locutions proverbiales, comme au jeu du baguenaudier. Elles sont tellement enchaînées l’une à l’autre, rentrent si bien l’une dans l’autre, qu’il est nécessaire d’avoir la clef de celle-ci pour trouver la clef de celle-là. Veut-on, par exemple, découvrir la raison du dicton: Tirer le diable par la queue, on doit la chercher en prenant pour point de départ un proverbe antérieur qui nous apprend que le diable, c’est-à-dire le malheur personnifié dans l’être infernal, est souvent à la porte d’un pauvre homme. Ce proverbe a fait supposer entre le diable et le pauvre homme une lutte dans laquelle celui-ci, n’osant attaquer de front son adversaire, sans doute à cause des cornes et des griffes, le saisit par derrière afin de l’éloigner de son logis; et l’inutilité de ses efforts a été rendue par une métaphore empruntée de ces bêtes récalcitrantes qui s’obstinent à avancer au lieu de reculer quand on les tire par la queue.

Le mitron qui tire le diable par la queue, est un symbole de la lutte incessante de l’homme contre le malheur, et du travail opiniâtre auquel il est condamné pour se procurer de quoi vivre.

On connaît cette phrase originale que M. Victor Hugo, dans sa Lucrèce Borgia, a mise dans la bouche de Gubetta: «Il faut que la queue du diable lui soit soudée, chevillée et vissée à l’échine d’une manière bien triomphante, pour qu’il résiste à l’innombrable multitude de gens qui la tirent perpétuellement.»

Le comte de Conflans plaisantait un jour le cardinal de Luynes de ce qu’il se fesait porter la queue par un chevalier de Saint-Louis. L’éminence piquée au jeu répondit que tel avait été toujours son usage, et que parmi ses caudataires il s’en était même trouvé un qui prenait le nom et les armoiries des Conflans.—Il n’y a rien d’étonnant en cela, repartit le comte avec gaieté: dans ma famille on a été réduit plus d’une fois à tirer le diable par la queue.

Le diable bat sa femme et marie sa fille.

Ce dicton, employé fréquemment pour signifier qu’il pleut et qu’il fait soleil à la fois, a pour fondement une tradition mythologique que je vais rapporter, d’après un fragment de Plutarque qu’Eusèbe nous a conservé dans sa Préparation évangélique (liv. III, ch. 1).—Jupiter était brouillé avec Junon qui se tenait cachée sur le mont Cythéron. Ce dieu, errant dans le voisinage, rencontra le sculpteur Alalcomène qui lui dit que, pour la ramener, il fallait la tromper et feindre de se marier avec une autre. Jupiter trouva le conseil fort bon et voulut le mettre sur l’heure en pratique. Aidé d’Alalcomène il coupa un grand chêne remarquable par sa beauté, forma du tronc de cet arbre la statue d’une belle femme, lui donna le nom de Dédala, et l’orna de la brillante parure de l’hyménée. Après cela, le chant nuptial fut entonné, et des joueurs de flûte, que fournit la Béotie, l’accompagnèrent du son mélodieux de leurs instruments. Junon instruite de ces préparatifs descendit à pas précipités du mont Cythéron, vint trouver Jupiter, se livra à des transports de jalousie et de colère, et fondit sur sa rivale pour la maltraiter; mais ayant reconnu la supercherie, elle changea ses cris en éclats de rire, se réconcilia avec son époux, se mit joyeusement à la tête de la noce qu’elle voulut voir achever, et institua, en mémoire de l’événement, la fête des dédales ou des statues qu’on célébra depuis, tous les ans, en grande pompe, à Platée en Béotie.

La dispute du Jupiter et de Junon est une allégorie de la lutte du principe igné représenté par ce dieu, et du principe humide représenté par cette déesse. Lorsque ces deux principes, ne se tempérant pas l’un par l’autre, ont rompu l’harmonie qui doit régner entre eux, il y a trouble et désordre dans les régions atmosphériques. La domination du premier produit une sécheresse brûlante, et celle du second amène des torrents de pluie. Ce dernier accident survint sans doute dans la Béotie qui fut inondée, ainsi que l’indique le séjour de Junon sur le Cythéron; et lorsque la terre dégagée des eaux eut reparu, on dit que la sérénité rendue à l’air par le calme était l’effet de la réconciliation des deux divinités, comme le mauvais temps avait été l’effet de leur division.

Après cette explication, il est presque superflu d’ajouter que Jupiter qui triomphe du courroux de Junon, ou, suivant l’expression de Plutarque, le principe igné qui se montre plus fort que le principe humide, est le diable qui bat sa femme, qui l’emporte sur sa femme, tandis que le même dieu qui fait la noce de la statue, dont il est l’auteur ou le père, est le diable qui marie sa fille. On sait que Jupiter a reçu le nom de diable et de grand diable dans le langage des chrétiens.

Les Italiens se servent du dicton le nozze del diavolo, les noces du diable, pour marquer cette coïncidence du soleil et de la pluie dans l’atmosphère qui tend à reprendre sa sérénité.

Faire le diable à quatre.

C’est faire beaucoup de bruit ou de désordre, s’emporter à l’excès. Les Italiens disent: Far el diavolo e la versiera, faire le diable et la sorcière.

Dans l’enfance du théâtre français, où l’on jouait les saints, la vierge et Dieu, on jouait aussi les diables. Les pièces qui représentaient ces êtres infernaux s’appelaient petites diableries ou grandes diableries; petites, lorsqu’il y avait moins de quatre diables, et grandes, lorsqu’il y en avait quatre. De là l’expression Faire le diable à quatre.

Cette sorte de spectacle populaire, dit le savant Huet, se donnait aux grandes fêtes et dans les cimetières des églises. Il était surtout en usage dans les villes du Poitou, où il avait été imaginé pour frapper de terreur les pécheurs endurcis et les ramener à la religion.

Il y a un ancien recueil de Diableries, qui a été publié par un nommé Brigadier. C’est une collection curieuse à laquelle sa rareté donne aujourd’hui beaucoup de prix.

Le diable devenu vieux se fit ermite.

On voit dans la légende que plusieurs diables fatigués de leur méchanceté y ont renoncé en vieillissant pour embrasser l’état monastique. Par exemple, le diable Puck est entré au service des dominicains de Schewerin dans le Mecklembourg, ainsi que l’atteste le livre intitulé: Veridica ratio de dæmonio Puck; le diable Bronzet s’est fait moine dans l’abbaye de Montmajor près d’Arles; et le diable que les Espagnols appellent Duende a porté aussi le capuchon[37]. C’est probablement à cette démonologie que se rattache le proverbe. Peut-être aussi fait-il allusion à l’histoire de Robert-le-Diable, père de Richard-sans-Peur, duc de Normandie. Robert-le-Diable, ainsi nommé à cause de sa conduite pleine de désordre et d’irréligion, se convertit vers la fin de ses jours, et se retira dans un désert pour y faire pénitence, comme on le voit dans le livre intitulé: Vie du terrible Robert-le-Diable, lequel après fut surnommé l’Omme-Dieu; in-4o gothique. Lyon, Mareschal, 1496.

Le proverbe s’adresse aux hommes qui viennent à résipiscence après une jeunesse dissipée; mais la malignité l’applique particulièrement aux femmes que la vieillesse fait tourner du côté des litanies, et qui trouvent dans une dévotion, feinte ou réelle, le refuge d’une galanterie repentante ou répudiée.

On dit de ces pénitentes retardataires qu’elles offrent à Dieu les restes du démon, pensée originale que j’ai prise pour fondement de l’épigramme suivante:

La vieille Arsinoé, fuyant les railleries
Des amants échappés à ses galanteries,
Dévote par dépit, dans un mystique lieu,
Fait des restes du diable un sacrifice à Dieu.

Martyr du diable.

Cette expression, autrefois proverbiale, a été employée dans un sermon latin de Jean Gerson, pour désigner un homme livré à l’ensorcellement des niaiseries, fascinationi nugarum, et continuellement tourmenté dans des agitations pleines de l’esprit du monde mais vides de l’esprit de Dieu.—Elle pourrait s’appliquer très bien à ces petits-maîtres et à ces petites-maîtresses qui mettent leur corps à la torture pour paraître avec plus d’éclat sous les livrées de la mode, ainsi qu’à ces êtres blasés qui poursuivent si laborieusement de coupables voluptés, et qui portent presque toujours la peine de leurs plaisirs.

M***, presque septuagénaire, s’est avisé de prendre une épouse de dix-huit ans. Il cherche à racheter par des excès de jeune homme son insuffisance de vieillard. Il promène en tous lieux madame qui a besoin de distractions; il l’accompagne aux spectacles et aux bals; il ne prend de repos ni le jour ni la nuit, il est condamné aux plaisirs forcés. C’est vraiment un martyr du diable.

C’est le valet du diable, il fait plus qu’on ne lui commande.

Cette façon de parler, qui se prend d’ordinaire en mauvaise part, s’applique à un homme qui, par zèle ou par tout autre motif, fait plus qu’on n’exige de lui. Elle est probablement venue de ce que, dans les mystères et les diableries, les valets de Satan, étaient souvent représentés allant au delà de ses ordres, afin de signaler leur dévouement pour ses intérêts.

Il a les quatre poils du diable.

Autrefois, lorsqu’on voulait attacher aux contrats de vente ou de donation un caractère spécial de validité, c’était l’usage que les vendeurs ou les donateurs offrissent trois ou quatre poils de leur barbe, qui étaient insérés dans les sceaux des titres remis aux acquéreurs ou aux donataires, comme l’atteste la formule suivante citée par Ducange, au mot barba: «Pour que cet écrit reste à toujours fixe et stable, j’y ai apposé la force de mon sceau, avec trois poils de ma barbe.» C’est par allusion à cet usage qu’on dit en certains endroits, notamment du côté de la Suisse, pour désigner un rusé fripon qui vient à bout de tout ce qu’il entreprend, comme s’il avait fait pacte avec l’esprit infernal: Cet homme a les quatre poils du diable.

Ce qui vient du diable retourne au diable.

Ce qui est acquis par des moyens illégitimes ne se conserve pas, ou ne fait aucun profit.—Richard-Cœur-de-Lion avait coutume d’employer ce proverbe en parlant de sa famille qui, depuis Robert-le-Diable, père de Guillaume-le-Conquérant, s’était souillée de toutes sortes de vices et de crimes. Du diable nous venons, disait-il, et au diable nous retournons. Saint Bernard avait dit le même mot en parlant de Henri II, père de Richard-Cœur-de-Lion. De diabolo venit et ad diabolum ibit; il vient du diable, et au diable il retournera. (J. Bronton, Ap. scr. fr., XIII, 215.)

Quand il dort le diable le berce.

Mot proverbial dont on se sert en parlant d’un homme inquiet, impatient, malicieux, qui ne songe qu’à tourmenter les autres, et qui se tourmente lui-même. Les Allemands nous ont pris ce mot pour nous l’appliquer. Quand le Français dort, disent-ils, le diable le berce. Ce qui est parfaitement vrai, si l’on en restreint l’application à la vivacité française pour laquelle le repos est un état violent et incommode.

Si le diable sortait de l’enfer pour se battre, il se présenterait aussitôt un Français pour accepter le défi.

Et c’est le cas de dire que le diable aurait affaire à forte partie.

L’ardeur guerrière du Français est très bien caractérisée dans ce vieux proverbe.

De jeune ange vieux diable.

On a observé que les caractères pleins de douceur dans le premier âge ont, en général, beaucoup de vivacité et de malice dans un autre âge. Ce changement est peut-être moins un effet de la nature que de l’éducation. C’est ainsi que le rosier, qui naît sans épines sur les hautes Alpes, se hérisse de pointes acérées lorsqu’il est cultivé dans nos jardins.

C’est le diable à confesser.

Expression très usitée en parlant d’une personne dont on ne peut tirer quelque aveu, ou dont on ne peut obtenir ce qu’on désire, et par extension, d’une chose très difficile, presque impossible.

Loger le diable dans sa bourse.

Un homme n’ayant plus ni crédit ni ressource,

Et logeant le diable en sa bourse,
C’est-à-dire n’y logeant rien.

(La Fontaine, fable 16 du livre IX.)

On a prétendu que cette expression devait son origine à une anecdote qui est racontée fort agréablement dans l’épigramme suivante de notre vieux poëte Saint-Gelais:

Un charlatan disait en plein marché
Qu’il montrerait le diable à tout le monde.
Si n’y eust nul, tant fust-il empesché,
Qui ne courust pour voir l’esprit immonde.
Lors une bourse assez large et profonde,
Il leur déploye et leur dit: Gens de bien,
Ouvrez vos yeux, voyez, y a-t-il rien?
—Non, dit quelqu’un des plus près regardans.
—Et c’est, dit-il, le diable; oyez-vous bien
Ouvrir sa bourse et ne voir rien dedans?

Ce n’est point de là certainement que l’expression est venue. Elle a précédé l’anecdote qui lui doit une bonne partie de son sel, et elle est née à une époque où toutes les monnaies étaient frappées à l’effigie de la croix, signe très redouté du diable, comme chacun sait: ce qui donna lieu d’imaginer que si le diable voulait se glisser dans une bourse, il fallait nécessairement qu’il n’y eût ni sou ni maille. Cette explication se justifie par un vieux proverbe fort original que voici: Le plus odieux de tous les diables est celui qui danse dans la poche, quand il n’y a pas la moindre pièce marquée du signe de la croix pour l’en chasser.

Les menteurs sont les enfants du diable.

Le diable est nommé le père du mensonge dans l’Écriture sainte, et le mot grec διἁϐολος, d’où dérive le nom du diable, signifie calomniateur.

Envoyer quelqu’un à tous les mille diables.

On croit que cette expression proverbiale fait allusion à une bande de voleurs qui exercèrent un fameux brigandage, en 1523, dit l’historien Duplex, et se firent nommer les mille diables.

DIAMANT.C’est un diamant sous le marteau.

Cette expression, par laquelle on désigne un homme fort et constant dans ses disgraces, est fondée sur une vieille opinion populaire qui attribuait au diamant plusieurs vertus qu’il n’a point, et particulièrement celle de résister à l’action du marteau. Cette opinion est consignée dans le Propriétaire des choses, liv. XVI, ch. 8, où il est dit que le diamant est de tous les corps le plus dur, que le marteau ne peut le briser, ni le feu le détruire, mais que le sang d’un jeune bouc a la faculté de le dissoudre. Credat judæus Apella.

DIEU.L’homme propose et Dieu dispose.

C’est-à-dire que les desseins des hommes ne réussissent qu’autant qu’il plaît à Dieu; que leurs entreprises tournent fréquemment au contraire de leurs projets et de leurs espérances. Les Espagnols disent: Los dichos en nos, los hechos en dios; les dits en nous, les faits en Dieu.

Il y a souvent dans les affaires les mieux concertées des rencontres imprévues qui les font échouer ou réussir, comme pour prouver l’insuffisance des calculs humains et manifester la supériorité de la Providence. L’homme dispose sa voie, dit la Sagesse, et Dieu conduit ses pas; ce que Fénelon a redit heureusement dans cette phrase de son beau sermon pour la fête de l’Épiphanie: «Dieu ne donne aux passions humaines, lors même qu’elles semblent décider de tout, que ce qu’il leur faut pour être les instruments de ses desseins. Ainsi, l’homme s’agite et Dieu le mène

Écoutons Bossuet sur la même matière. «Il n’y a point de hasard, dit-il, dans le gouvernement des affaires humaines, et la fortune n’est qu’un mot qui n’a aucun sens. Tout est sagesse et providence. On a beau compasser dans son esprit tous ses discours et tous ses desseins, l’occasion apporte toujours je ne sais quoi d’imprévu; en sorte qu’on dit et qu’on fait toujours plus ou moins qu’on ne pensait. Et cet endroit inconnu à l’homme dans ses propres actions et dans ses propres démarches, c’est l’endroit secret par où Dieu agit, et le ressort secret qu’il remue.»

Aux petits des oiseaux Dieu donne leur pâture.

La providence de Dieu est grande, elle pourvoit à la subsistance de toutes les créatures.—Les Espagnols disent: Les petits oiseaux des champs ont le bon Dieu pour maître-d’hôtel. Il y a dans leur proverbe je ne sais quel mélange de fierté et de confiance qui caractérise la pauvreté castillane, habituée à ne pas travailler et à vivre au soleil, dans des vestibules de palais et sous des porches d’église.

Servir Dieu, c’est régner.

Parce que celui qui sert Dieu maîtrise toutes ses passions, et règne sur lui-même. Ce proverbe est la traduction littérale de cette pensée d’un père de l’Église, Servire Deo regnare est. Il a beaucoup d’analogie avec ce qu’a dit Horace (Ode 6, liv. III):

Dis te minorem quod geris imperas.

Dieu donne le froid selon le drap.

Dieu proportionne les peines qu’il nous envoie aux forces que nous avons pour les supporter.—Henri Étienne, qui ne laisse guère échapper l’occasion de ridiculiser les moines, prétend dans le chapitre 32 de son Apologie d’Hérodote, que quelques-uns d’entre eux avaient traduit par ce proverbe la belle expression du psaume 147, v. 16, Dat nivem sicut lanam, dont Godeau a fait la paraphrase suivante:

Lorsque la froidure inhumaine

De leur vert ornement dépouille les forêts,
Sous une neige épaisse il couvre les guérets,
Et la neige a pour eux la chaleur de la laine.

Dieu vous bénisse!

Polydore Virgile prétend que du temps de saint Grégoire-le-Grand, en 591, il régna dans l’Italie une épidémie violente qui fesait mourir en éternuant ceux qui en étaient atteints, et que le pontife ordonna des prières accompagnées de vœux pour arrêter les progrès du mal, ce qui introduisit la coutume de dire: Dieu vous bénisse! Mais cette coutume date d’une époque bien antérieure au sixième siècle. Elle a existé de toute antiquité dans toutes les parties de l’ancien monde, et les navigateurs qui ont découvert le nouveau l’y ont trouvée établie. Plusieurs auteurs qui en ont recherché l’origine, l’attribuent à diverses raisons qu’ils déduisent de la religion, ou de la morale, ou de la physique. Je vais rapporter ce que j’ai pu recueillir de plus curieux sur cette matière traitée par Skookius, par Bartolin, par Strada et par d’autres savants.

HISTOIRE DE L’ÉTERNUMENT.

Lorsque notre père Adam fut devenu mortel par sa désobéissance, Dieu, disent les rabbins, décida, dans sa sagesse, que ce pécheur éternuerait une fois, et que ce serait au moment de rendre l’esprit. Il n’y eut pas, ajoutent-ils, d’autre genre de mort naturelle parmi les hommes jusqu’à Jacob. Ce patriarche, moins résigné que ses prédécesseurs à une pareille fin, et craignant de quitter ce monde à chaque bâillement qu’il fesait, obtint du Seigneur la révocation d’un tel arrêt. Il éternua et resta vivant, à la grande surprise de ceux qui l’entendirent. Ce miracle pourtant ne détruisit pas toutes les frayeurs que causait le mortel éternument. On crut que ses effets pourraient bien n’avoir été que différés, et l’on contracta l’habitude d’y remédier par des vœux. Ces vœux furent si efficaces, que le signe du trépas devint celui de la vie. Les enfants commencèrent dès lors à éternuer en naissant, et dans la suite le fils de la Sunamite, rappelé du tombeau à la voix du prophète Élysée, marqua sa résurrection par sept éternuments consécutifs qui, suivant la remarque d’un mélomane, retentirent en formant les sept tons de la gamme.

Il serait difficile de trouver un sens raisonnable au récit des rabbins, peu scrupuleux, comme on sait, à donner des énigmes sans mot. Ce que les mythologues ont imaginé sur le même sujet vaut un peu mieux. Lorsque Prométhée, disent-ils, eut façonné sa statue d’argile, il alla dérober, avec l’aide de Minerve, le feu céleste dont il avait besoin pour l’animer, et il l’apporta sur la terre dans un flacon hermétiquement bouché qu’il ouvrit ensuite sous le nez de cette statue pour le lui faire aspirer. Aussitôt que le phlogistique divin se fut insinué dans le cerveau, elle agita sa tête en éternuant. Prométhée ravi lui dit: Bien te fasse! et ce souhait fit tant d’impression sur la nouvelle créature, qu’elle ne l’oublia jamais et le répéta toujours, dans le même cas, à ses descendants qui l’ont perpétué jusqu’à nous. Cette fiction ingénieuse prouve du moins que les secrets de l’électricité, dont elle est une allégorie, n’étaient pas tout à fait inconnus dans les temps les plus reculés; mais elle ne décide pas la question qui nous occupe.

Aristote et d’autres philosophes ont cru trouver la solution de cette question dans le respect religieux qu’on avait jadis pour la tête, regardée comme la partie la plus noble du corps humain et le siége de l’ame, cet être immatériel et pensant émané de la divinité même à qui le cerveau fut consacré pour cette raison. C’est à cause de cela, assurent-ils, que l’éternument fut toujours accueilli avec une grande vénération, et qu’il obtint même des adorations en certains pays où l’on se mettait à genoux aussitôt qu’il se fesait entendre.

Les Siamois ont une opinion différente. Ils sont persuadés qu’il y a dans leur enfer plusieurs juges écrivant sans cesse sur un livre tous les péchés des hommes qui doivent paraître un jour devant leur tribunal; que le premier de ces juges, nommé Prayomppaban, est incessamment occupé à feuilleter ce registre où la dernière heure de chaque créature humaine est marquée, et que les personnes dont il lit l’article ne manquent jamais d’éternuer au même instant; ce qui dénote qu’elles ont bon nez. Ainsi l’éternument est de la part de ces personnes un signe de détresse pour avertir la compassion d’implorer l’assistance divine en leur faveur.

Avicène et Cardan le regardent comme une espèce de convulsion qui fait craindre l’épilepsie, et ils prétendent que les souhaits dont il est accompagné n’ont pas d’autre fondement que cette crainte.

Suivant d’autres médecins, l’éternument est une crise avantageuse dans plusieurs maladies, et une preuve du bon état du cerveau dans presque toutes les circonstances. Voilà pourquoi il a toujours obtenu des compliments de la part de ceux qui l’entendent.

Un auteur anonyme a fait l’hypothèse suivante: Parmi les enfants qui viennent de naître, quelques-uns ne respirent que quelques instants après qu’ils sont au monde, et d’autres restent tellement plongés dans un état de mort apparente qu’il faut avec des liqueurs irritantes leur communiquer la chaleur et la vie. Dans tous les cas possibles, le premier effet de l’air et le premier signe d’existence qu’ils donnent est l’éternument: cette espèce de convulsion générale semble les réveiller en sursaut. C’est alors que commence le jeu de la respiration, l’harmonie parfaite, et le libre exercice de chaque organe. Au comble de ses vœux, ou dans l’excès même de ses craintes, un père n’a qu’un souhait à faire, un souhait qu’il répétera, ou qui retentira dans son cœur, à chaque secousse qui fait tressaillir l’enfant: c’est qu’il vive, que le Dieu des cieux le conserve. Ainsi cet usage, en apparence frivole, ridicule, bizarre, inexplicable, est l’image et l’expression du sentiment le plus pur excité par le tableau le plus touchant de la nature. C’est la trace de la plus douce émotion et de l’élan irrésistible de l’homme vers son plus cher ouvrage; c’est le souvenir de la première chaîne d’affection qui se soit formée autour d’un nouveau membre de la société, du premier vivat qui soit sorti de la bouche des hommes. Enfin cet usage, dans quelque sens qu’on le prenne, est le cri général, universel de la tendresse paternelle, de la piété filiale, de l’amitié fraternelle, de toutes les plus douces affections de l’homme dans l’âge d’or; et cet âge, du moins sous ce rapport, existera toujours pour les ames sensibles.

On voit par ce qu’on vient de lire que l’habitude de saluer ceux qui éternuent, quoique attribuée à des causes diverses, est des plus antiques, des plus répandues et des plus constantes. Pour la rendre telle, il a fallu sans doute des motifs plus puissants que ceux de la civilité qui, soumise à diverses modifications dépendantes des temps, des lieux et des mœurs, n’aurait pu seule la propager partout, de siècle en siècle, et d’une manière si uniforme. On doit y reconnaître l’influence de la superstition établie à demeure fixe dans l’esprit humain dominé toujours par elle, soit à son insu, soit de son consentement, soit malgré lui, par l’entremise des passions dont elle est inséparable. La superstition, dans ce cas, a été favorisée par des législateurs qui n’y ont rien vu que d’honnête. Témoin ce précepte du Sadder, abrégé du Zend-Avesta de Zoroastre; «Dis Ahuno-var et Ashim vuhû, lorsque tu entends éternuer.»

Examinons maintenant les idées qui ont été attachées à l’éternument, et les cérémonies auxquelles il a donné lieu chez plusieurs peuples, soit anciens, soit modernes. Les Égyptiens, les Grecs et les Romains le prenaient pour un avertissement divin de la conduite qu’ils devaient tenir en telle ou telle circonstance, et pour un présage, tantôt favorable et tantôt funeste, des événements de la vie. Il y avait chez eux des devins qui fesaient métier d’expliquer ce qu’il signifiait, selon l’endroit, le temps et l’heure où il était venu, selon le bruit plus ou moins fort qu’il avait fait, et selon la position de la tête d’où il était parti. S’il paraissait d’heureux augure, on rendait grâces aux dieux, et l’on se hâtait de conclure les affaires qu’on avait le plus à cœur; mais s’il ne présageait rien de bon, on s’abstenait de toute entreprise importante, de sortir de chez soi, de manger même; jusqu’à ce qu’on eût rompu le maléfice par certaines pratiques religieuses ou par l’acceptation volontaire de quelque petit malheur en remplacement de celui qu’on croyait avoir à redouter. Les poëtes et les historiens ont pris plaisir à nous faire connaître de semblables préjugés, et s’il faut en citer des exemples,

Les exemples fameux ne nous manqueront pas.

Lorsque Pénélope, obsédée par ses amants, priait les dieux immortels de lui ramener Ulysse, son fils Télémaque fit un éternument si fort que tout le palais en retentit; et la chaste princesse se livra dès lors à la joie, ne doutant plus de l’accomplissement de sa prière, quoiqu’elle l’eût faite en vain tant de fois.

Les Athéniens, partis pour une expédition navale, voulaient rentrer dans le port parce que Thimothée, leur amiral, avait éternué. Eh quoi! leur dit-il, vous vous étonnez de ce qu’un homme sur dix mille a le cerveau humide!

Pendant que Xénophon exhortait les troupes à un parti périlleux, mais nécessaire, un soldat éternua. L’armée se persuada que son nez, qui était sans doute très remarquable, avait été choisi par les dieux pour sonner à la fois la charge et la victoire. Décidée aussitôt par ce pronostic bien plus que par l’éloquence de son chef, elle offrit un sacrifice au bon événement et brava tous les dangers avec confiance.

Les bonnes gens pensent que Socrate ne devint le plus sage des hommes qu’à force d’étudier la philosophie et de lutter contre ses passions; c’est une erreur. Qu’on lise Plutarque, De genio Socratis, on verra qu’il dut principalement cet avantage aux éternuments par lesquels son génie l’avertissait.

On croyait que l’amour éternuait à la naissance des belles et les destinait ainsi à partager avec les Grâces et Vénus l’encens des mortels. Aussi le plus joli compliment qu’un galant petit-maître de Rome pût adresser à celle dont il était épris consistait-il à lui dire: Sternuit tibi amor, l’amour a éternué pour vous. Ce que Parny s’est peut-être rappelé lorsqu’il a dit à son Éléonore:

Éternuez en assurance,
Le dieu d’amour vous bénira.

L’éternument eut quelquefois le privilége d’adoucir la férocité d’un tyran. Tibère devenait affable lorsqu’il avait éternué sous l’influence du bon quart-d’heure, et il se promenait sur un char dans les rues pour recevoir les félicitations de ses sujets.

Cette précieuse civilité n’avait pas lieu seulement à l’égard des autres: on ne négligeait point de se la faire à soi-même. Martial parle d’un certain Proclus dont le nez, curieux morceau d’histoire naturelle, avait son bout si distant des oreilles que le pauvre homme ne pouvait s’entendre éternuer pour former en son propre honneur le vœu ordinaire.

L’auteur de l’Histoire de la conquête du Pérou rapporte que lorsque le cacique de Guachoia ou Guacaya éternuait, ses sujets étaient avertis de cet heureux événement par des signaux publics, afin qu’ils se prosternassent en l’honneur de leur maître et qu’ils priassent le soleil de le protéger, de l’éclairer et d’être toujours avec lui.

Quand le roi de Monomotapa éternue, a dit quelque part Helvétius, tous les courtisans sont obligés d’éternuer aussi; et l’éternument gagnant de la cour à la ville et de la ville en province, l’empire paraît affligé d’un rhume général.

Chez le roi de Sennar, les choses se passent d’une manière plus curieuse encore. Aussitôt que ce prince a éternué, tous ceux qui sont en sa présence lui tournent le dos en faisant une pirouette et en se donnant une claque sur la fesse droite. Ils prétendent que le salut de l’état dépend de cette manœuvre. Ne nous en moquons pas, car nous le faisons dépendre aussi quelquefois de choses qui, pour paraître plus sérieuses, n’en sont pas moins risibles.

Les anabaptistes et les quakers ont proscrit le culte de l’éternument. Ce qu’ils ont fait là par esprit de secte et par singularité, on le fait maintenant dans le monde pour éviter la gêne et pour se conformer au bon ton qui ne permet plus de dire Dieu vous bénisse à quelqu’un, si ce n’est à un pauvre auquel on refuse la charité. Je suis assurément bien éloigné de trouver mauvais qu’on éternue sans cérémonie et tout à son aise; mais bien des gens n’approuvent pas les réformateurs, et ils regardent comme funeste l’abolition d’une coutume si religieusement observée pendant tant de siècles.

Ressembler au bon Dieu de Gibelou.

Cette comparaison, qu’on emploie en parlant d’une personne mal accoutrée et chargée de plusieurs pièces d’habillement l’une sur l’autre, est fondée sur une tradition populaire qui rapporte que les habitants de Gibelou avaient coutume d’envelopper la statue de l’enfant Jésus de chiffons de toute espèce.

Promettre ou jurer ses grands dieux.

Les païens, comme on sait, avaient de grands dieux et de petits dieux, et les engagements qu’ils prenaient en jurant par les grands dieux étaient plus solennels et plus sacrés que ceux qu’ils prenaient en jurant par les petits dieux.

DINDON.Être le dindon de la farce.

Les pères de comédie qui jouent des rôles de dupes étaient autrefois appelés pères dindons, par allusion à ces oiseaux de basse-cour, dont on a fait le symbole de la sottise. De là cette expression Être le dindon de la farce, ou Être le dindon d’une chose.

C’est la danse des dindons.

Cette métaphore proverbiale, qu’on emploie en parlant d’une chose qu’on a l’air de faire de bonne grâce, quoique ce soit à contre-cœur, est fondée sur l’historiette suivante qui paraît être d’une tradition fort ancienne:

Un de ces hommes dont le métier est de spéculer sur la curiosité publique, fit annoncer à son de trompe, un jour de foire, dans une petite ville de province, qu’il donnerait un ballet de dindons. La foule s’empressa d’accourir à ce spectacle extraordinaire; la salle fut remplie; des cris d’impatience commandèrent le lever de la toile; le théâtre se découvrit enfin, et l’on vit paraître les acteurs de basse-cour qui sautaient précipitamment, tantôt sur un pied et tantôt sur l’autre, en déployant leur voix aigre et discordante sur tous les tons, tandis que le directeur s’escrimait à les diriger avec une longue perche pour leur faire observer les règles du chassez et du croisez. Cette scène burlesque produisit sur les assistants un effet difficile à d’écrire. Les uns se récriaient de surprise, les autres applaudissaient avec transport; ceux-ci trépignaient de joie, ceux-là poussaient des éclats de rire immodérés; et l’engouement général était tel que personne ne soupçonnait pourquoi les dindons se donnaient tant de mouvement. On s’aperçut enfin que c’était pour se soustraire au contact d’une tôle brûlante sur laquelle ils étaient placés. Quelques étincelles échappées d’un des fourneaux disposés sous cette tôle découvrirent le secret de la comédie. Mais en même temps la peur du feu gagna l’assemblée: dans un instant tout y fut tohu bohu, et les spectateurs et les acteurs, se précipitant pêle-mêle, se sauvèrent comme ils purent, les premiers avec un pied de nez, et les seconds avec des pieds à la sainte-menehould.

DÎNER.Qui dort dîne.

«Cette façon de parler, dit Moisant de Brieux, est tirée de l’école de médecine, où l’on enseigne que le sommeil tient lieu d’aliment lorsque, l’estomac étant plein de crudités, il faut dégager la nature, et lui donner loisir de les cuire, sans la surcharger de nouvelles viandes.»

On trouve dans Rabelais (liv. V, ch. 5): Qui dort, il boit.

Que le riche dîne deux fois.

Proverbe ancien qu’on lit dans le festin de Trimalcion en ces termes: Tu beatior es? bis prande, bis cœna; si tu es plus riche que moi, dîne et soupe deux fois.—C’est une espèce de défi donné au riche par le pauvre dont le pain grossier a pour assaisonnement un appétit vigoureux, tandis que tout le luxe des festins les plus raffinés ne peut suppléer à cet attrait que le riche ne connaît pas. On sait le mot de ce financier accosté, comme il rentrait chez lui, à l’heure du dîner, par un malheureux qui demandait l’aumône en s’écriant: J’ai faim.—Que ce coquin dit-il, est heureux! il a faim!

DIRE.Bien dire fait rire, bien faire fait taire.

Ce proverbe s’applique aux personnes qui démentent et décréditent par leur conduite la morale qu’elles prêchent dans leurs discours, et qui font rire d’elles par leurs beaux préceptes, parce qu’elles ne se font pas applaudir par leurs bonnes actions.

Tout est dit.

Nullum est jam dictum, quod non dictum sit prius. (Térence.)

Cet adage, qu’une critique décourageante veut ériger en dogme littéraire, n’est pas absolument vrai. Tout est pensé peut-être, mais tout n’est pas dit; et s’il n’y a point d’idées tout à fait nouvelles, il peut y avoir des expressions neuves, car la combinaison des mots est infinie, et c’est un art créateur que celui de les placer, de les assortir, de les embellir l’un par l’autre, en leur ménageant des reflets étrangers, et en leur faisant trouver dans ces échanges réciproques des couleurs toujours variées. Il en est du langage comme de la lumière qui, sans changer dans son essence, prend mille teintes différentes, suivant les combinaisons d’un habile opticien.

DISEUR.L’entente est au diseur.

Unusquisque verborum suorum optimus interpres est. Celui qui parle est toujours censé le plus habile à comprendre et à expliquer ce qu’il dit, lors même qu’il lui est impossible de le faire; ce qui n’est pas aussi rare qu’on pourrait l’imaginer, car il y a bon nombre de discoureurs auxquels cela ne manque pas d’arriver, parce qu’une sotte vanité les engage à débiter inconsidérément des phrases sur tout, quand ils n’ont des idées sur rien. On peut dire d’eux, avec Sterne, que leur tête creuse est comme le tourne-broche que la fumée seule fait aller.

Le philosophe Phavorin adressait à un bavard de cette espèce l’apostrophe suivante, rapportée par Aulu-Gelle: An scire atque intelligere neminem vis quæ dicas? Quidni, homo inepte, ut quod vis abunde consequaris, taces?

Si ton esprit veut cacher
Les belles choses qu’il pense,
Dis-moi, qui peut t’empêcher
De te servir du silence? (Maynard.)

Spéron-Spéroni, écrivain italien du XVIe siècle, explique très bien comment des gens qui s’énoncent clairement pour eux-mêmes, dans leurs discours ou leurs écrits, sont obscurs pour les auditeurs ou les lecteurs. C’est, dit-il, que ces gens vont de la pensée à l’expression, tandis que les autres vont de l’expression à la pensée.

Diseur de bons mots, mauvais caractère.

Mot de Pascal, répété par La Bruyère, et passé en proverbe, pour blâmer ces mauvais plaisants qui cherchent à faire briller leur esprit aux dépens de leur cœur, et qui aiment mieux perdre un ami qu’un bon mot.

Les grands diseurs ne sont pas les grands faiseurs.

Ceux qui se vantent le plus, qui promettent le plus, sont ordinairement ceux qui font le moins. Nous disons encore: Grand vanteur, petit faiseur.

Chi e largo di bocca e stetto di mano, qui est large de bouche est étroit de main. (Proverbe italien.)

La lengua luengua es senal de mano corta, la langue longue est signe de main courte. (Proverbe espagnol.)

Great cry and little wool, grand cri et peu de laine.—Proverbe anglais, qui est venu de ce que, dans plusieurs mystères, le diable était représenté tondant les soies de ses cochons.

DOIGT.Mettre le doigt dessus.

C’est deviner, découvrir une chose. Les Latins disaient: Rem acu tangere, toucher la chose avec l’aiguille. Ce que Cicéron appliqua plaisamment à un sénateur dont le père avait été tailleur.

Savoir une chose sur le bout du doigt.

La savoir parfaitement de mémoire. C’est une variante de Savoir sur l’ongle, expression traduite de l’expression latine ad unguem qu’Erasme regarde comme une métaphore empruntée des marbriers qui tâtent à l’ongle la jointure des marbres rapportés, pour juger si elle est bien faite.

Mon petit doigt me l’a dit.

Phrase proverbiale qu’on adresse aux enfants, pour leur faire croire qu’on sait la vérité de quelque chose qu’ils refusent d’avouer. Elle a été agréablement employée par Molière dans une scène du Malade imaginaire que tout le monde connaît.

«Quelques auteurs ont estimé, dit le père Labbe, qu’il fallait expliquer Mon petit doigt me l’a dit, par mon petit dé ( pour dex, ou dieu) me l’a dit, faisant allusion au génie de Socrate, à la nymphe Egérie de Numa, et autres démons familiers; ces démons étant présumés inspirer ceux qu’ils favorisaient, et leur parler à l’oreille.»

Il est plus probable que cette phrase est née de l’usage de porter à l’oreille le petit doigt, nommé auriculaire pour cette raison. Un père, en y portant le sien, aura feint qu’il lui révélait quelque chose, et ce trait imité par d’autres sera passé en coutume.

Lorsque le général Beurnonville fit son fameux rapport sur une victoire qui ne lui avait coûté que le petit doigt d’un tambour, un plaisant composa une chanson dont le refrain était:

Holà! citoyen Beurnonville,
Le petit doigt n’a pas tout dit.

Il ne faut pas mettre le doigt entre l’arbre et l’écorce.

Il ne faut pas se mêler des querelles d’un mari et de sa femme, et en général des personnes qui sont naturellement unies. Une scène comique de Molière fait voir à quoi s’expose l’indiscret conciliateur.—Ce proverbe est plaisamment travesti dans le Médecin malgré lui (act. I, sc. 2), où Sganarelle l’énonce ainsi: Entre l’arbre et le doigt il ne faut pas mettre l’écorce.

DON.Il n’y a pas de plus bel acquêt que le don.

Il n’y a pas de bien acquis d’une plus belle manière que celui qui nous est donné.

Jamais un don ne vaut autant qu’au moment où l’on désire l’obtenir.

Ce proverbe a été employé par le troubadour Savary de Mauléon qui en est peut-être l’inventeur.

DONNER.Qui tôt donne, deux fois donne.

Traduction littérale de cette pensée de Sénèque: Bis dat qui cito dat. «La règle de la vraie bienfaisance, dit ce philosophe, est de donner comme nous voudrions recevoir, de bon cœur, promptement et sans hésiter. Un bienfait n’est pas agréable quand le bienfaiteur le garde trop longtemps dans ses mains, qu’il ne le lâche qu’avec peine, et comme s’il se l’arrachait. Après le refus, rien de plus dur que l’irrésolution. Elle manque à coup sûr la reconnaissance. En effet, le principal mérite du bienfait consistant dans la bienveillance, témoigner par ses délais qu’on oblige à contre-cœur, ce n’est pas donner, c’est mal défendre ce qu’on donne.»

On perd la grâce et le mérite d’un don quand on ne l’accorde pas le plus tôt qu’on peut. Un don qui se fait trop attendre, est gâté quand il arrive.

«Ne dites point à votre ami qui vous demande quelque chose: Allez et revenez, je vous le donnerai demain, lorsque vous pouvez le lui donner à l’heure même.» (Proverbe de Salomon.)

Si devant servir aujourd’hui ton prochain, tu attends à demain, fais pénitence. (Zend-Avesta de Zoroastre.)

On ne donne rien pour rien.

On ne donne que pour recevoir. Les présents qu’on fait ne sont que les arrhes de ceux qu’on attend.—Ce n’est pas là donner, dit Pline le jeune, c’est avec des présents trompeurs qui cachent l’hameçon et la glu dérober le bien d’autrui, Viscatis humatisque muneribus non sua promere sed aliena corripere. (Epist. 30, lib. IX.)

Les Italiens disent: Chi da ensegna rendere, qui donne enseigne à rendre; et les Arabes: Qui apporte, emporte.

Donner un œuf pour avoir un bœuf.

Les Latins employaient dans le même sens ce jeu de mots: Pileum donat ut pallium recipiat, il donne un bonnet pour avoir un manteau. Les Espagnols ont les deux dictons suivants: Con una sardina pescar una trucha, avec une sardine pêcher une truite.Meter aguja y sacar reja, mettre une aiguille et tirer un soc de charrue.

DORMIR.Dormir la grasse matinée.

Quelqu’un a prétendu, je crois que c’est Pasquier, que le mot grasse a été mis ici par métonymie, parce que ceux qui dorment beaucoup prennent de l’embonpoint; mais ce mot s’explique très bien sans figure dans le sens de grande qu’il a quelquefois; et l’expression Dormir la grasse matinée, ou la grande matinée, est traduite du latin Mane totum dormire.

Les Espagnols disent, d’une manière heureuse: Hazer plazer al sueno, faire plaisir au sommeil; ce qui rappelle ces jolis vers de Vergier sur La Fontaine:

Il laisse à son gré le soleil
Quitter l’empire de Neptune,
Et dort tant qu’il plaît au sommeil.

Nous disons encore proverbialement: Faire honneur au soleil. Cet honneur consiste à le laisser lever le premier.

DOS.Il tombe sur le dos et se casse le nez.

Expression plaisante dont on se sert en parlant d’un homme tout à fait malencontreux. Les Basques disent: Les vers s’engendrent dans sa salière;—les Provençaux: Il ferait faire naufrage à une barque chargée de crucifix;—les Italiens: Si romperebbe il collo in un filo di paglia, il se casserait le cou contre un brin de paille.—Nous disons encore: Il se noierait dans un verre d’eau ou dans un crachat.

DOUBLURE.Fin contre fin n’est pas bon à faire doublure.

On ne réussit pas à tromper aussi fin que soi. Ars deluditur arte.—Les Italiens disent: Duro con duro non fece mai bono muro, dur contre dur ne fit jamais bon mur.

DOUCEUR.Plus fait douceur que violence.

Proverbe dont La Fontaine est peut-être l’auteur.—Un autre proverbe dit: On prend plus de mouches avec du lait, ou du miel, qu’avec du vinaigre.

DOUTE.Dans le doute abstiens-toi.

Tant que nous ignorons ce que nous devons faire, la sagesse consiste à rester dans l’inaction, car il vaut mieux ne rien faire que de s’exposer à mal faire.—Ce proverbe se trouve dans le Zend-Avesta de Zoroastre qui passe pour en être l’inventeur. Cicéron l’a rapporté et expliqué en ces termes: Quod dubites ne feceris; æquitas enim lucet per se, dubitatio autem cogitationem significat injuriæ. Ce qui se trouve très bien traduit dans cette phrase du deuxième sermon de Bossuet, pour le dimanche de la Passion: «Quand nous doutons de la justice de nos entreprises, c’est une bonne maxime de se désister tout à fait. L’équité reluit assez d’elle-même, et le doute semble envelopper dans son obscurité quelque dessein d’injustice.»

DOUTER.Qui doute ne se trompe point.

Qui dubitat non errat. C’est en opinant qu’on se trompe, et non pas en doutant.

Error opinando non dubitando venit.

DRAGÉE.Tenir la dragée haute à quelqu’un.

C’est différer de lui accorder une chose promise; c’est offrir un vain appât à son espérance.

Cette locution est venue d’un jeu dans lequel on excite la convoitise des enfants en faisant voltiger devant eux une dragée suspendue par un long fil au bout d’un bâton, sans qu’il leur soit permis de la saisir autrement qu’avec la bouche.

DRAP.Mettre quelqu’un dans de beaux draps blancs.

C’est médire beaucoup de lui, découvrir tous ses défauts, et par extension, le placer dans une situation embarrassante. Mettez un Maure en de beaux draps blancs, dit Le Duchat, c’est de quoi le faire paraître encore plus noir.

DRAPEAU.Le drapeau déchiré fait la gloire du capitaine.

Il en est de même de la fortune délabrée de l’homme vertueux. La vertu, dit Rivarol, tire sa gloire des persécutions qu’elle endure, comme le drapeau de guerre tire son lustre de ses lambeaux déchirés.

Le mot drapeau, autrefois drapel, qu’on croit dérivé, dans le sens d’enseigne, de l’italien drapello, n’est pas très ancien en français. Il fut introduit au XVIe siècle par les capitaines qui tenaient à honneur d’avoir fait les guerres d’Italie sous François Ier, et qui voulaient faire entendre par ce mot que leur bannière avait été déchirée, car drapel (morceau de drap, chiffon) emportait autrefois un pareil sens.

DUIRE.Ce qui nuit à l’un duit à l’autre.

Ce qui est mauvais pour l’un est bon pour l’autre. Le verbe duire, que La Bruyère a mis dans la liste des mots qu’il regrettait, signifie convenir, et ne s’emploie qu’à la troisième personne.


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