Dictionnaire étymologique, historique et anecdotique des proverbes et des locutions proverbiales de la Langue Française en rapport avec de proverbes et des locutions proverbiales des autres langues
Q
QUART-D’HEURE.—Le quart-d’heure de Rabelais.
On appelle ainsi un mauvais moment à passer, une circonstance pareille à celle où se trouvait Rabelais, quand il fallait compter dans les auberges et qu’il n’avait pas de quoi payer sa dépense. On sait l’embarras où il se trouva, faute d’argent, dans une hôtellerie de Lyon, et le singulier expédient que lui suggéra son génie drolatique, pour s’en tirer et se faire conduire à Paris aux frais du procureur du roi. Cette anecdote a été souvent racontée; et, quoiqu’elle soit peu croyable, elle n’en a pas moins donné lieu à l’expression proverbiale.
QUARTIER.—Ne faire de quartier à personne.
C’est n’épargner personne. On dit aussi dans le même sens: Traiter tout le monde sans quartier.—Ces expressions prirent naissance dans les camps, où elles s’employaient pour dire refuser de recevoir à composition; littéralement, de recevoir la rançon appelée quartier, parce qu’elle consistait dans un quartier de la paie d’un officier ou d’un soldat qui demandait grâce. Cette manière de se racheter avait été introduite dans une guerre entre les Espagnols et les Hollandais.
Tomber sur les quatre quartiers de quelqu’un.
Le traiter sans ménagement, avec une rigueur excessive.—Métaphore prise du combat à l’espadon, où il fut toujours permis de porter des coups sur toutes les parties du corps d’un adversaire, tandis que, dans les tournois et dans les duels judiciaires, on ne pouvait le frapper qu’au buste.
QUENOUILLE.—Tomber en quenouille.
Ou disait autrefois: Tomber de lance en quenouille; à lanceâ ad fusum transire, en parlant des fiefs qui passaient des mâles aux femelles. La lance était alors la plus noble de toutes les armes à l’usage des gentilshommes, et la quenouille était souvent entre les mains de leurs épouses, plus laborieuses que les dames de notre temps. Ce qui fit employer le mot lance, pour désigner l’homme, et le mot quenouille, pour désigner la femme.
On lit dans les Antiquités françoises de Fauchet (liv. IV): «Le roi Guntchram, mettant une lance ou javeline en la main de Childebert (possible que de ceste manière de faire vient le mot de tumber en lance ou tumber en quenouille, quand un fief chet en la main d’un masle ou femelle), il luy dist que c’estoit la marque pour donner à cognoistre qu’il mettoit en ses mains tout son royaume.»
C’est une maxime, devenue loi fondamentale, que le royaume de France ne peut tomber en quenouille, c’est-à dire qu’il ne peut échoir en succession aux princesses. Après que les lis eurent été transportés dans les armoiries de l’État[77], on dit, dans le même sens, les lis ne filent point, par interprétation de ces paroles de l’Évangile selon saint Luc (ch. XII, v 27): Considerate lilia quomodo crescunt: non laborant, neque nent, etc. Voyez comment croissent les lis: ils ne travaillent point, ils ne filent point, etc.
Lorsqu’on parle d’une famille où les filles ont plus d’esprit que les garçons, on dit que l’esprit y est tombé en quenouille.
QUERELLEUR.—Les gens fatigués sont querelleurs.
Parce que l’agitation que la fatigue donne au sang et aux nerfs produit une sorte d’impatience naturelle qui s’irrite à la moindre contradiction.—Ce proverbe est pris du latin à lasso rixa quæritur. Il est cité comme ancien et commenté de la manière suivante par Sénèque (Traité de la colère, l. III, ch. 10): «On en peut dire autant des personnes qui ont faim, qui ont soif, qui sont excitées par quelque chose qui les échauffe. De même que les plaies sont sensibles au moindre tact, et même, à la longue, au moindre soupçon du toucher, de même une ame déjà affectée s’offense de la moindre chose; une salutation, une lettre, un discours, une simple question suffit pour mettre des gens en querelle. On ne peut toucher le corps d’un malade sans le faire gémir.»
QUEUE.—Faire la queue à quelqu’un.
Le prendre pour jouet ou pour dupe.—Cette façon de parler triviale est venue des Latins, qui disaient: Homuncio trahit caudam, le petit homme traîne la queue, sert de risée; parce qu’on était dans l’usage à Rome d’attacher une queue de bête par derrière à ceux qu’on voulait livrer au ridicule lorsqu’ils s’endormaient en compagnie. Veteres, dit Scaliger, iis quos irridere volebant dormientibus capiti supponebant vel caudam vulpis vel quid simile. Cela se pratique encore très souvent dans les joyeuses veillées des hameaux.
Pour enchérir sur cette expression, les soldats et le peuple disent faire une queue de Prussien, parce que les militaires prussiens portaient la queue très longue, il n’y a pas longtemps.
A la queue leuleu.
Lorsque plusieurs personnes marchent sur un seul rang, à la suite l’une de l’autre, on dit qu’elles marchent à la queue leuleu, expression par laquelle on désigne aussi un jeu dans lequel les enfants imitent les loups, autrefois appelés leux, qui courent après une louve en chaleur. «Le premier loup qui rencontre la louve, dit Pasquier, la flairant sous la queue, se met à sa suite; un autre loup se met à suivre celui-ci, et le troisième à la queue du second, tellement que de queue en queue ils font une grande traînée de loups... De là est venu jouer à la queue leuleu, par un ancien mot françois.»
Gare la queue des Allemands.
C’est-à-dire les suites fâcheuses d’une affaire.
Une ancienne coutume allemande voulait que deux personnes obligées de se battre en champ-clos fussent assistées de leurs parents respectifs, qui devaient prendre, à tour de rôle, la place du vaincu, jusqu’à ce que les juges du combat eussent décidé qu’il n’y avait plus à satisfaire aux exigences du point d’honneur. De là, dit-on, l’expression proverbiale.—Je croirais plus volontiers que cette expression est venue de ce que les seigneurs allemands, qui se rendaient aux diètes, se fesaient suivre de la plupart de leurs vassaux. Cette escorte, qu’ils appelaient leur queue, était toujours fort considérable, et, quoiqu’elle fût défrayée par eux, elle ne laissait pas d’être à charge dans les endroits où elle s’arrêtait. Bonneton de Peyrins, parlant de cet usage (Dissert. sur les réjouissances publiques), nous apprend qu’il était passé en proverbe de dire gare la queue pour un particulier qui, donnant un repas, voyait arriver chez lui plus de gens qu’il n’en avait invités.
On rapporte qu’un des premiers comtes de Savoie étant allé à Vérone au devant de l’empereur Henri II, qui passait d’Allemagne en Italie pour se faire couronner, se présenta à la porte du palais de ce prince avec une suite si nombreuse de vassaux que les huissiers ne voulurent pas l’introduire avec elle. Il leur répondit fièrement qu’il n’entrerait point sans sa queue, et l’empereur, instruit de sa réponse, ordonna qu’on le laissât entrer avec sa queue. Ce comte prit de là le surnom d’Amé la queue, Amedeus cauda.
QUIA.—Être réduit à quia.
C’est être réduit à l’impossibilité de répondre, comme un argumentateur qui, voulant expliquer le pourquoi d’une chose, s’arrêterait à dire quia, quia (parce que, parce que), faute de trouver une raison. Cette expression est prise des disputes de l’école, où l’argumentation se fesait en latin.
QUIBUS.—Avoir du quibus.
C’est-à-dire avoir des écus quibus omnia sint.
QUILLE.—Trousser ou prendre son sac et ses quilles.
C’est s’en aller à la hâte. Les quilles sont prises ici au figuré pour les jambes.—On dit aussi: Donner à quelqu’un son sac et ses quilles, c’est-à-dire le renvoyer, le chasser.
Recevoir quelqu’un comme un chien dans un jeu de quilles.
C’est le recevoir fort mal, le rudoyer.
Dieu nous garde d’un quiproquo d’apothicaire.
Il n’est pas besoin de dire combien ce quiproquo est dangereux.—Quiproquo est un terme formé de trois mots latins, quid pro quo, que les médecins du XIIIe et du XIVe siècle mettaient, dans leurs ordonnances, en tête d’une colonne particulière où ils indiquaient diverses drogues propres à être substituées à d’autres, dans le cas où celles-ci viendraient à manquer. Ce terme signifie la méprise ou la bévue d’une personne qui prend quid pour quo, c’est-à-dire une chose pour une autre. Comme on ne fesait guère sentir le d dans la prononciation de quid, l’usage s’établit de dire qui pro quo, qu’on laissa en trois mots distincts jusqu’au temps de Regnard, comme on le voit dans les vers suivants, que je transcris tels qu’ils se trouvent dans les éditions faites du vivant de ce poëte:
Mettez, de grâce, un frein à votre vertigo,
Et n’allez pas ici faire de qui pro quo.
QUOLIBET.
Il fut une époque du moyen-âge où la totalité des sciences et des arts qu’on enseignait dans les écoles se divisait en deux parties, dont l’une appelée quadrivium, comprenait l’arithmétique, la géométrie, l’astronomie et la musique, tandis que l’autre, appelée trivium, comprenait la grammaire, la logique et la rhétorique. Les savants de cette époque se piquaient d’écrire sur toutes ces connaissances, afin d’obtenir les honneurs de l’universalité et cet éloge alors assez commun, totum scibile scit, il sait tout ce qu’il était possible de savoir. Ils donnaient à leurs ouvrages le titre de quodlibet (tout ce qu’on veut) ou Quodlibeta ou Quæstiones quodlibeticæ. Mais comme toute leur science se réduisait à des niaiseries scolastiques, ce titre fastueux tomba dans le mépris à mesure que la véritable instruction fit des progrès, et le mot quodlibet, qu’on écrit aujourd’hui quolibet, ne servit plus qu’à désigner une plaisanterie basse et triviale, un pitoyable jeu de mots.