Dictionnaire étymologique, historique et anecdotique des proverbes et des locutions proverbiales de la Langue Française en rapport avec de proverbes et des locutions proverbiales des autres langues
G
GABATINE.—Donner de la gabatine à quelqu’un.
C’est le tromper, lui en faire accroire, se moquer de lui. Gabatine est dérivé du vieux mot gab ou gabe, qui signifiait: raillerie, moquerie. On avait aussi autrefois le verbe gaber ou gabber, et l’on disait dans le même sens: gaber ou gabber quelqu’un.
GABEGIE.—Il y a là dessous de la gabegie.
C’est-à-dire quelque intrigue, quelque manége, quelque artifice dont il faut se défier. «Ce mot trivial, dit M. Ch. Nodier, est d’un usage si commun dans le peuple, qu’il n’est pas permis de l’omettre dans les dictionnaires, et qu’il est du moins curieux d’en chercher l’étymologie. Il est évident qu’il nous a été apporté par les Italiens, et que c’est une des compensations de peu de valeur que nous avons reçues d’eux en échange des innombrables altérations que leur prononciation efféminée a fait subir à notre langue. Gabegie ou gabbegie est fait de gabba et de bugia, ruse et mensonge.»
GALBANUM.—Donner du galbanum à quelqu’un.
Lui donner de fausses espérances, l’amuser par de vaines promesses.—Cette façon de parler, dit Moisant de Brieux, vient de ce que, pour faire tomber les renards dans le piége, on y met des rôties frottées de galbanum dont l’odeur plaît extrêmement à ces animaux et les attire. Le galbanum est une espèce de gomme produite par une plante du même nom.
GALÈRE.—Qu’allait-il faire dans cette galère?
Ce proverbe dont on fait l’application à un homme qui s’est embarqué dans une mauvaise affaire, doit son origine à une scène des Fourberies de Scapin, où le vieux Géronte, apprenant que son fils Léandre est retenu dans une galère turque, d’où il ne peut sortir qu’en donnant cinq cents écus qu’il le prie de lui envoyer, s’écrie jusqu’à six fois: Que diable allait-il faire dans cette galère? Cette scène, que tout le monde connaît, est imitée d’une scène du Pédant joué, où le principal personnage, placé dans la même situation que Géronte, et obligé de compter cent pistoles pour le rachat de son fils, dit aussi à plusieurs reprises: Que diable aller faire dans la galère d’un Turc? Mais l’imitation est bien supérieure à l’original, et si l’esprit de Cyrano de Bergerac a trouvé le refrain auquel reviennent toujours les deux avares, c’est le génie de Molière qui l’a rendu comique, et en a fait un proverbe qu’on n’oubliera jamais.
GALIMATHIAS.—C’est du galimathias.
Cette expression naquit au barreau, selon le savant Huet, à l’époque où l’on plaidait en latin. Il s’agissait, un jour, d’un litige survenu au sujet d’un coq appartenant à un nommé Mathias. Certain avocat, extrêmement diffus, répéta si souvent dans son plaidoyer les mots gallus et Mathias, que la langue finit par lui fourcher; au lieu de dire gallus Mathiæ (le coq de Mathias), il dit galli Mathias (Mathias du coq), ce qui égaya beaucoup l’auditoire, et donna lieu d’appeler galimathias tout discours embrouillé et confus.
Il y a deux sortes de galimathias, disait Boileau, le galimathias simple, et le galimathias double. Le galimathias simple est celui que le lecteur n’entend pas, mais que l’auteur entend; le galimathias double est celui qui ne peut être entendu ni du lecteur ni de l’auteur.
Je citerai comme exemple curieux du galimathias double une phrase facétieuse de Rabelais, dans laquelle cet auteur a eu probablement en vue d’imiter et de faire ressortir l’inextricable confusion des titres de parenté établis par les généalogistes. «En après Pantagruel, lisant les belles chroniques de ses ancêtres, trouva Geoffroy de Lusignan, dit Geoffroy à la grand’dent, grand-père du beau-cousin de la sœur aînée de la tante du gendre de l’oncle de la bruz de sa belle-mère, estait enterré à Maillezais, etc. (Liv. II, ch. 5.)
On lisait un jour à Voltaire une pièce de vers de la façon d’un amateur nommé M. de Gali.—Il ne manque à cet ouvrage qu’un seul mot, s’écria-t-il, c’est celui de Mathias, qu’il faut placer immédiatement après le nom de l’auteur.
Voltaire avait créé le terme galithomas, pour exprimer certaine enflure voisine du galimathias, qu’on trouve quelquefois dans le style de Thomas, dont Gilbert a dit:
Thomas assommant, quand sa lourde éloquence
Souvent, pour ne rien dire, ouvre une bouche immense.
La réputation méritée de Thomas comme orateur et comme poète n’a pas permis que ce terme fût sanctionné par l’usage.
GANT.—Jeter le gant à quelqu’un.
Le défier au combat.
Ramasser ou relever le gant.
Accepter le défi.
Ces expressions sont venues de l’usage où l’on était autrefois de décider par les armes et en champ clos certaines affaires civiles ou criminelles. Les deux parties se présentaient devant les juges, leur exposaient les faits qui les portaient à recourir au combat judiciaire, et se donnaient réciproquement un démenti. Aussitôt après, l’une d’elles jetait à terre son gant que l’autre ramassait, et, l’épée à la main, elles s’attaquaient avec fureur, jusqu’à ce que la victoire eût prononcé sur le différend.
Avoir perdu ses gants.
Cela se dit d’une demoiselle qui a eu quelque commerce de galanterie, parce qu’autrefois un des plus grands témoignages d’amour qu’une demoiselle pût accorder à un homme qu’elle croyait épouser, c’était de lui donner ses gants. Élisabeth, reine d’Angleterre, éprise de Robert d’Évreux, comte d’Essex, lui fit présent d’un de ses gants pour qu’il le portât sur son chapeau; faveur dont elle n’honora jamais aucun autre soupirant, car on prétend qu’elle en eut un assez grand nombre, quoi qu’en dise cette épitaphe qu’elle ordonna de mettre sur son tombeau: Ci gît Élisabeth, qui régna vierge et mourut vierge. Hic sita est Elisabeth quæ virgo regnavit, virgo obiit. (Cambden, ad ann. 1559.)
Vous n’en aurez pas les gants.
C’est ce qu’on dit à une personne qui annonce une chose déjà connue, qui propose un expédient déjà proposé, et qui, avec la prétention de donner du nouveau, ne donne que du vieux.—Allusion à l’usage de gratifier d’une paire de gants celui qui apportait une bonne nouvelle. Cet usage, suivant Le Duchat, est venu d’Espagne, où il est appelé la paragante, mot qui signifie proprement pour des gants, et qui se trouve employé comme synonyme de récompense dans ces vers de Molière:
Dessus l’avide espoir de quelque paragante
Il n’est rien que leur art avidement ne tente.
En France, les bourgeois donnaient des gants, et les grands seigneurs donnaient quelque pièce de l’habillement; cela avait lieu surtout au treizième et au quatorzième siècle. On sait que Duguesclin se dépouillait fort souvent de sa robe pour en faire présent au gentilhomme ou au trouvère qui lui apportait bon message ou plaisir, et que ceux-ci le remerciaient de sa magnificence en épelant son nom en rasades, c’est-à-dire en vidant un nombre de coupes égal à celui des lettres de ce noble nom.
Cette coutume de récompenser par des vêtements est de toute antiquité; il n’y a guère de peuple chez lequel elle n’ait été pratiquée: je me bornerai à citer les Grecs, les Romains et les Arabes. Aristophane parle d’un habit qu’on devait donner à un poète pour avoir chanté les louanges d’une cité. Martial nous dit qu’à Rome on gratifiait les poètes d’habits neufs. En Arabie, on fesait de semblables cadeaux, et Mahomet donna son manteau au poète Kaab. En Orient, on donne encore des fourrures et des étoffes.
GAUTIER ET GARGUILLE.—Se moquer de Gautier et de Garguille.
Se moquer de tout le monde. Regnier a dit (sat. XIII):
Au reste, n’épargnez ni Gaultier ni Garguille.
«Gaultier et Garguille étaient deux bouffons qui jouaient dans les farces avant que le théâtre français se fût perfectionné. Leurs noms ont passé en proverbe pour signifier des personnes méprisables et sans distinction. L’auteur du Moyen de parvenir a dit dans le même sens: Venez, mes amis, mais ne m’amenez ni Gaultier ni Guillaume. Celle façon de parler est moins ancienne que l’autre; car on trouve Gautier et Garguille dans le premier des contes imprimés sous le nom de Bonaventure des Periers, dont la permission d’imprimer est de l’an 1557: Riez, dit-il, et ne vous chaille si ce fut Gaultier ou si ce fut Garguille.» (M. Viollet Le Duc, Commentaire de Regnier.)
GELER.—Plus il gèle, plus il étreint.
Plus il arrive de maux, plus il est difficile de les supporter.
GÉNIE.—Il n’y a point de génie sans un grain de folie.
Nullum magnum ingenium sine mixturâ dementiæ, dit Sénèque, qui attribue cette pensée à Aristote; cependant Aristote n’a exprimé cette pensée d’une manière formelle dans aucun de ses ouvrages. Mais dans un de ses problèmes, il s’est proposé une question qui la renferme implicitement, et qui peut avoir donné lieu au résultat présenté par Sénèque: cette question est énoncée ainsi: «Pourquoi ceux qui se sont distingués, soit en philosophie, soit en politique, soit en poésie, soit dans les arts, ont-ils tous été mélancoliques?» (Probl., sect. 30.)
Platon fait entendre aussi qu’on se flatte vainement d’exceller dans un art, surtout dans la poésie, si, guidé seulement par les règles, on ne se sent transporté de cette fureur presque divine qui est en ce genre le caractère le plus sensible et le moins équivoque d’une véritable inspiration.
En effet, sans l’enthousiasme, sans cette fièvre de l’ame, il n’est point de productions immortelles dans les arts imitatifs, et un poète, un musicien, un peintre, un statuaire, n’enfantent rien qui frappe, qui émeuve, qui transporte; en un mot, tout ce qui est sublime, tout ce qui surpasse la nature, est le fruit de l’enthousiasme et quelquefois même d’une sorte de folie dont l’enthousiasme est fort près. L’histoire des beaux arts nous apprend que plusieurs artistes et écrivains célèbres furent sujets à des accès de folie causés par une exaltation d’esprit à laquelle ils durent souvent leurs plus grands succès; têtes aliénées par l’imagination. Il est sûr que les passions fortes décomposent l’être moral, et lui donnent pour ainsi dire une autre nature ou du moins une autre manière d’être, soit en bien, soit en mal.
C’est là sans doute ce qui a donné lieu au proverbe, qu’on emploie comme une sorte de reproche contre le génie, car on veut que le génie soit toujours sage, sans penser, dit, je crois, Helvétius, qu’il est l’effort des passions, rarement compatibles avec la sagesse.—Pascal remarque à ce sujet, que l’extrême esprit est accusé de folie, et que rien ne passe pour bon que la médiocrité.
Il faut reconnaître pourtant que les grands talents se trouvent rarement dans un homme sans de grands défauts, et que les erreurs les plus monstrueuses ont toujours été l’œuvre des plus grands génies.
GEORGE.—Laissez faire à George, il est homme d’âge.
On croit que ce proverbe est un mot que répétait souvent Louis XII, pour exprimer sa confiance dans l’habileté du cardinal George d’Amboise son ministre; non que ce ministre fût réellement un homme d’âge, puisqu’il mourut à cinquante ans, mais parce qu’il déployait dans l’administration des affaires publiques une expérience comparable à celle des plus sages vieillards. Être homme d’âge signifiait alors, être homme d’expérience.—Le cardinal George d’Amboise, dit Montesquieu, trouva les intérêts du peuple dans ceux du roi, et les intérêts du roi dans ceux du peuple.
Être monté comme un saint George.
Être monté sur un cheval fort bon ou fort beau.—Saint George était né en Cappadoce, pays renommé, chez les anciens, pour les chevaux. Il est toujours représenté, suivant l’usage de l’église romaine, monté sur un cheval de bataille, armé de toutes pièces, et terrassant un dragon de sa lance. C’est ainsi qu’on le voit sur le collier de l’ordre de la jarretière, dont il est le patron. Les empereurs d’Orient l’avaient fait peindre de la même manière sur l’un des douze étendards portés dans les grandes cérémonies. Les armoiries de Russie furent aussi un saint George à cheval jusqu’en 1482, où le grand-duc Iwan III, qui avait épousé la princesse Sophie, petite-fille de Manuel II Paléologue, les quitta pour prendre celles de l’empire grec, renversé par Mahomet II, c’est-à-dire, l’aigle noir à deux têtes.
Rendre les armes à saint George.
«Les légendaires racontent que saint George, après divers voyages, s’arrêta à Silène, ville de Lybie (quelques-uns disent à Melitène, ville d’Arménie), qui était infestée par un dragon épouvantable. Ce cavalier, armé de pied en cap, attaqua le dragon et lui passa un lien au cou. Le monstre se soumit à lui par l’effet d’une puissance invisible et surnaturelle, et se laissa conduire sans résistance; de sorte qu’il rendit, pour ainsi dire, les armes à saint George. Ce fait miraculeux est cité sous l’empire de Dioclétien, en l’année 299 de l’ère chrétienne.» (M. Viollet Le Duc, Comment. de Regnier.)
Brave comme saint George.
Expression employée par plusieurs auteurs, notamment par Regnier (sat. VII).—Les chevaliers avaient choisi saint George pour patron, et ils recevaient leurs grades au nom de Dieu et de monsieur saint George. Ceux qui devaient se battre en duel prenaient à témoin saint George le bon chevalier dans les serments qu’ils fesaient. Le cri de guerre des Anglais était saint George, comme celui des Français était saint Denys. L’historien Guido rapporte que Robert, comte de Flandre, qui se signala parmi les premiers croisés, fut appelé filius Georgii, fils de saint George, à cause de sa grande vaillance. L’église romaine avait coutume d’invoquer saint George, avec saint Maurice et saint Sébastien, dans les expéditions des chrétiens contre les ennemis de la foi. Le nom de Géorgie, donné à une province de l’Asie, est venu de ce que les habitants de cette province, en combattant les infidèles, se plaçaient toujours sous la protection de saint George, en qui ils avaient une confiance particulière. Gautier de Metz rappelle ce dernier fait dans les vers suivants, extraits de son roman intitulé La mappemonde.
Celle gent sont boin crestien,
Et ont à nom Georgien.
Car saint George crient toujours,
En bataille et ès estours
Contre payens, et si l’aourent
Sur tous outres et l’honnourent.
GIBELET.—Avoir un coup de gibelet.
On sous-entend à la tête, et l’on suppose que la cervelle de la personne à laquelle on applique cette expression s’est éventée, comme le vin s’évente quelquefois, après que le tonneau où il est contenu a été percé avec le petit forêt qu’on appelle gibelet. On dit dans le même sens: Avoir un coup de marteau.—Avoir un coup de hache.—Avoir la tête fêlée.
GIBET.—Le gibet ne perd jamais ses droits.
C’est-à-dire que les criminels sont punis tôt ou tard. Ce proverbe n’est pas toujours vrai, et il est démenti par cet autre, Le gibet n’est que pour les malheureux, dont le sens est, que les richesses et le crédit sauvent ordinairement les grands criminels.
On rapporte que Charles-Quint, passant un jour devant un gibet, ôta son chapeau pour le saluer très respectueusement. Nous avons ajourd’hui bien des gens qui seraient tentés d’en faire autant devant l’échafaud. Ils le regardent comme une des bases de la civilisation; ils pensent que, si la civilisation touche au ciel par des théorèmes, elle n’a pas sur la terre de plus solide appui que l’échafaud. C’est de la présence de cet instrument de justice que vient toute leur sécurité. Ils ressemblent trait pour trait à un homme dont voici l’histoire:—Cet homme, échappé d’un naufrage, aborde sur une côte escarpée. Le danger qu’il vient de courir remplit encore ses sens de terreur. Il se figure qu’il foule une terre inhospitalière; son imagination troublée ne lui montre que des anthropophages prêts à le dévorer; il se glisse entre les rochers et les arbres, précipitant ou suspendant ses pas tour à tour, et croyant entendre son arrêt de mort dans le moindre bruit; il arrive enfin à un endroit marqué par des traces humaines. A cette vue, il recule épouvanté; mais, ô bonheur inespéré! en se détournant, il a découvert un gibet. A l’instant, son cœur ne bat plus que de joie; il lève les yeux au ciel, et s’écrie: Dieu soit béni! je suis dans un pays civilisé.
Malheureux comme un gibet.
Dans l’antiquité, le gibet était fait du bois de certains arbres appelés malheureux, maudits par la religion et réputés stériles, tels que le peuplier, l’aune et l’orme. Infelices arbores, damnatæque religionis, quæ nec seruntur nec ferunt fructum, quales populus, alnus, ulmus. (Pline, Hist. nat., lib. XXVI.) C’est probablement de là qu’est venue l’expression proverbiale.—On dit aussi: Plus malheureux que le bois dont on fait le gibet, ce que Pasquier a pris pour titre du chapitre 40 du livre VIII de ses Recherches, où il prétend que cette expression fait allusion au gibet de Montfaucon qui porta malheur à tous ceux qui le firent construire ou réparer. En effet, remarque-t-il, Enguerrant de Marigny, premier auteur de ce gibet, y fut pendu; un général des finances de Charles-le-Bel, Pierre Rémy, qui ordonna de le reconstruire, y fut attaché à son tour, sous le règne de Philippe de-Valois; «et de notre temps, ajoute-t-il, Jean Moulnier, lieutenant civil de Paris, y ayant fait mettre la main pour le refaire, la fortune courut sur lui, sinon de la penderie, comme aux deux autres, pour le moins d’amende honorable, à laquelle il fut condamné.»
Cette tradition sur le gibet de Montfaucon rappelle celle des Romains sur le cheval Séien. C’était un superbe animal qu’une généalogie fabuleuse fesait descendre des chevaux de Diomède qui dévorèrent leur maître; et l’on croyait que la destinée avait voulu qu’il eût une sorte de ressemblance avec ces chevaux, en attachant fatalement à sa possession la perte de son possesseur. Cnéius Séius, à qui il appartint d’abord, fut livré au bourreau par Marc-Antoine. Dolabella, qui en fit l’acquisition, périt bientôt après de mort violente. Deux autres acquéreurs, Cassius et Marc-Antoine, l’auteur du supplice du premier propriétaire, eurent une fin tragique. Enfin, un cinquième, Nigidius, se noya avec ce funeste cheval, en traversant la rivière de Marathon; et le souvenir de tant de malheurs passa en proverbe. On disait à Rome d’un homme poursuivi par une fatalité constante qui ne lui permettait de réussir en rien: Equum habet seianum; il a le cheval séien ou le cheval de Séius.
Si le gibet avait une bouche comme il a des oreilles, il appellerait à lui bien des gens.
Ce vieux proverbe, tombé en désuétude, est fondé sur un usage de la législation pénale d’autrefois: le bourreau coupait les oreilles des filous repris de justice, ce qui s’appelait essoriller, et il les clouait au gibet. Ce supplice fut infligé, sous Charles VIII, à Dojac, qui avait été l’un des ministres de Louis XI.—En Angleterre, les auteurs qui déplaisaient au gouvernement étaient attachés au pilori par les oreilles; et une telle punition fut en vigueur jusque sous le protectorat de Cromwell.
GILLE.—Faire Gille.
S’esquiver, s’enfuir. On prétend que cette façon de parler fait allusion à la conduite de saint Œgydius, dont on a transformé le nom en celui de saint Gille, prince qui prit la fuite pour ne pas être forcé d’accepter la couronne qu’on lui offrait.
On trouve dans le Ménagiana l’exorde d’un sermon qui fut prêché, le jour de la fête de ce saint, par le père Boulanger, surnommé le petit-père André. Je pense que mes lecteurs ne seront pas fâchés que je le rapporte ici. «Messieurs, s’écria le facétieux prédicateur, quoiqu’il soit ordinaire de trouver du niais partout où il y a du Gille, témoin le proverbe si commun, Gille le niais, il n’en est cependant pas ainsi du grand saint dont nous célébrons la mémoire; car, s’il a été Gille, il n’a point été niais; au lieu que la plupart des chrétiens d’aujourd’hui sont tous des niais, par cela même qu’ils ne sont pas des Gilles. C’est, messieurs, ce que je me propose de vous faire voir dans mon discours, dont voici tout le plan et toute l’économie. Gille n’a point été niais, parce qu’il a été assez avisé pour devenir un saint: première proposition. Vous serez tous des niais, qui tomberez sottement dans les filets du diable, si vous ne changez de vie et ne devenez des Gilles, comme votre glorieux patron: seconde proposition. Voilà les deux raisons qui feront le partage de ce discours, après que nous aurons imploré le secours de celle qui fit faire Gille au diable, lorsque l’ange lui dit: Ave, Maria, etc.»
GLACE.—Rompre la glace.
Lever les premières difficultés dans une affaire, hasarder une première démarche, une tentative qui exige de la hardiesse, et de la fermeté.—Cette expression, traduite du latin scindere glaciem, est une métaphore prise, suivant Érasme, de la coutume des marins qui, se trouvant arrêtés au passage de quelque fleuve gelé, envoient des hommes en avant, pour rompre la glace et frayer le chemin.
GLOSE.—La glose d’Orléans est pire que le texte.
Les Orléanais ont de l’esprit, mais ils l’ont tourné à la raillerie; et c’est probablement ce qui leur a valu l’épithète de guépins (voyez ce mot), et a donné lieu au proverbe que la glose d’Orléans est pire que le texte; car le propre des railleurs est d’ajouter toujours quelque chose aux faits qu’ils rapportent, ce qui s’appelle broder et détruire le texte par la glose. Telle est l’explication que Lemaire, dans ses Antiquités d’Orléans, ch. 19, donne de ce proverbe cité dans une lettre de Jean de Cervantes, évêque de Ségovie, au pape Æneas Sylvius, dans la Forêt nuptiale de Jean Nevizan (liv. V, n. 25), et dans les Instituts de Pierre de Belle-Perche, en latin, de Bellâ perticâ (liv. IV, tit. 6). Ce dernier auteur dit: Glossa Aurelianensis est quæ destruit textum. La glose d’Orléans est celle qui détruit le texte.
GNAC.—Il y a du gnac.
C’est-à-dire quelque chose de suspect dont il faut se défier. Cette locution rappelle l’histoire d’un courtisan qui, sortant des appartements du Louvre, cherchait vainement son manteau à l’endroit où il l’avait déposé. Il demanda quelles étaient les personnes qui étaient sorties avant lui, dans l’espérance qu’il pourrait le retrouver chez quelqu’une d’elles; mais comme il entendit nommer un gentilhomme gascon dont le nom se terminait en gnac: Ah! s’écria-t-il, puisqu’il y a du gnac, mon manteau est perdu.—Regnier a fait allusion à ce trait dans le vers suivant:
En mémoire aussitôt me tomba la Gascogne. (Sat. X.)
Notez que gasconner s’est dit autrefois pour escamoter, et qu’il a été employé dans ce sens par Brantôme.
GODARD.—Servez M. Godard! sa femme est en couches.
Le nom de Godard, que le peuple aujourd’hui donne spécialement au mari d’une femme en couches, signifiait autrefois un homme adonné aux plaisirs de la table, habitué à prendre toutes ses aises. C’était un synonyme de Godon, autre vieux mot que le prédicateur Olivier Maillard a employé dans plusieurs de ses sermons, notamment dans le vingt-quatrième, où le mauvais riche est appelé Unus grossus godon qui non curabat nisi de ventre; un gros godon qui n’avait cure que de son ventre.
Le proverbe a deux acceptions très distinctes. Si on l’applique à un homme à qui un enfant vient de naître, c’est une formule de félicitation équivalente à un Gloria patri, une exclamation d’amical et joyeux enthousiasme en faveur de la paternité. Dans tous les autres cas, c’est une ironie emphatique contre les prétentions d’un paresseux qui voudrait qu’on lui fît sa besogne, ou d’un indiscret qui, en réclamant quelque service, montre une exigence déplacée, ou bien encore d’un impertinent qui se donne des airs de commander.
Ce proverbe est venu sans doute de ce que, autrefois, dans le Béarn et dans les provinces limitrophes, le mari d’une femme en couches se mettait au lit pour recevoir les visites des parents et des amis, et s’y tenait mollement plusieurs jours de suite, pendant lesquels il avait soin de se faire servir des mets succulents. Une telle étiquette, désignée par l’expression Faire la couvade, qui en indique clairement le motif, se rattachait probablement à quelque tradition du culte des Géniales, dieux qui présidaient à la génération. Elle n’était pas moins ancienne que singulière. Apollonius de Rhodes (Argaunotiq., ch. II), en signale l’existence sur les côtes des Tiburéniens, où les hommes, dit-il, se mettent au lit quand les femmes sont en couches, et se font soigner par elles. Diodore de Sicile et Strabon rapportent qu’elle régnait de leur temps en Espagne, en Corse et en plusieurs endroits de l’Asie, où elle s’est conservée parmi quelques tribus de l’empire Chinois. Les premiers navigateurs qui abordèrent au Nouveau-Monde l’y trouvèrent établie, et il n’y a pas longtemps qu’elle était encore observée par les naturels du Mexique, des Antilles et du Brésil.
La locution populaire Faire l’accouchée, c’est-à-dire se tenir au lit par oisiveté et mollesse, prendre ses aises, se délicater, ne serait-elle pas venue aussi d’une allusion à l’usage de la couvade?
GOGO.—Avoir tout à gogo.—Vivre à gogo.
Avoir tout en abondance.—Vivre à son aise, dans l’abondance—Gogo est une réduplication du celtique go, qui signifie: beaucoup, en profusion. Les Anglais disent: To be born with a silver spoon in the mouth. Être né avec une cuiller d’argent à la bouche.
GONIN.—C’est un maître Gonin.
Un homme fin, rusé, fourbe. Regnier a dit (sat. X):
Pour s’assurer si c’est ou laine, ou soie, ou lin,
Il faut en devinaille être maître Gonin.
Sur quoi Brossette fait celle remarque: «Brantôme, vers la fin du premier volume de ses Dames galantes, parle d’un maître Gonin, fameux magicien, ou soi-disant tel, qui, par les tours merveilleux de son art, divertissait la cour de François Ier. Un autre maître Gonin, petit-fils du précédent, et beaucoup moine habile si l’on en croit Brantôme, vivait sous Charles IX. Delrio, tome II de ses Disquisitions magiques, en rapporte un fait par où, s’il était véritable, le petit-fils ne cédait en rien au grand-père»[50].
Il y avait aussi, sous Louis XIII, un nouveau maître Gonin, habile joueur de gobelets qui se tenait sur le Pont-Neuf. Mais ce n’est pas la dextérité de ces personnages célèbres dans les rues de Paris qui a donné lieu à l’expression proverbiale. Elle est plus ancienne qu’eux. Le nom de Gonin d’ailleurs n’est point patronymique; il vient de gone, qui signifiait particulièrement une robe de moine, dans l’ancienne langue romane, et il a servi à désigner ceux qui portaient cette robe. Un tour de maître Gonin, c’est proprement un tour de moine.
GORGE.—Faire rendre gorge à quelqu’un.
C’est l’obliger à rendre ce qu’il a pris illicitement; métaphore empruntée de la fauconnerie, où l’on appelle gorge la mangeaille de l’oiseau de proie, qui se la voit souvent arracher du jabot par le fauconnier, lorsque celui-ci veut qu’il chasse.
L’oiseau ne vole pas sur sa gorge.
Au propre, l’oiseau ne vole pas à la poursuite du gibier, quand il est repu; au figuré, l’on ne doit pas se livrer à un violent exercice en sortant de table.
Faire une gorge chaude de quelque chose.
Gorge chaude est un terme de vénerie par lequel on désigne la viande du gibier vivant ou récemment tué qu’on donne aux oiseaux de proie; et c’est parce que ces oiseaux sont très friands d’une telle curée, qu’on a dit des personnes qui se réjouissent d’une chose, qu’elles en font une gorge chaude ou des gorges chaudes.
GOUJON.—Avaler le goujon.
Se laisser attraper, se laisser prendre à une supercherie, à un conte, comme font M. et madame Oronte dans la comédie de Crispin rival, lorsqu’ils ajoutent foi à deux fripons de valets qui leur parlent de deux étangs où l’on pêche tous les ans pour 2,000 francs de goujons.
GOUSSAUT.—C’est un franc Goussaut.
Un seigneur de la cour de Louis XIII fesait une partie de piquet dans un cercle. Ayant reconnu qu’il n’avait pas bien écarté, il s’écria: Je suis un franc Goussaut. Or, Goussaut était le nom d’un président qui jouait très mal et qui passait pour un imbécile. Ce président se trouvait par hasard derrière le joueur, qui ne le croyait pas si près. Choqué de l’expression, il répondit avec colère: Vous êtes un sot. Et l’autre repartit, sans se déconcerter: Vous avez raison; c’est précisément cela que j’ai voulu dire.
On a prétendu que la locution a dû son origine à cette anecdote, mais elle a été prise indubitablement de la fauconnerie, où le terme de goussaut s’emploie pour désigner un oiseau peu allongé et trop lourd pour la volerie, comme la buse.
GOÛT.—Il ne faut pas disputer des goûts.
Voltaire a expliqué ainsi ce proverbe: «On dit qu’il ne faut point disputer des goûts, et on a raison, quand il n’est question que du goût sensuel, de la répugnance qu’on a pour une certaine nourriture, de la préférence qu’on donne à une autre: on n’en dispute point, parce qu’on ne peut corriger un défaut d’organes. Il n’en est pas de même dans les arts: comme ils ont des beautés réelles, il y a un bon goût qui les discerne, et un mauvais goût qui les ignore; et on corrige souvent le défaut d’esprit qui donne un goût de travers. Il y a aussi des ames froides, des esprits faux, qu’on ne peut ni échauffer, ni redresser. C’est avec eux qu’il ne faut point disputer des goûts, parce qu’ils n’en ont point.»
GOUTTE.—La goutte est comme les enfants des princes; on la baptise tard.
On se contentait d’ondoyer les enfants des princes du sang au moment de leur naissance, et on ne les baptisait que lorsqu’ils avaient atteint l’âge de douze ans[51]. C’est ce qui a fait dire que la goutte leur ressemble, d’après la peine qu’éprouvent les goutteux à convenir qu’ils sont travaillés de cette maladie.—Les goutteux sont martyrs avant d’être confesseurs, dit un autre proverbe plus ancien.
Goutte tracassée est à demi-pansée.
L’exercice est un bon remède contre la goutte.
Au mal de la goutte
Le mire ne voit goutte.
Ovide a dit la même chose dans ce vers:
Tollere nodosam nescit medicina padagram.
Mire est un vieux mot qui signifie médecin et chirurgien.
La goutte vient de la feuillette ou de la fillette.
Jeu de mots proverbial que répétait souvent l’historien Mézeray, qui passe pour en être l’auteur.
GRÂCE.—Donner le coup de grâce à quelqu’un.
Faire quelque chose qui achève de le perdre, de le ruiner.—On appelait autrefois coup de grâce, le coup que le bourreau donnait sur l’estomac à un criminel roué vif, afin d’abréger ses souffrances.
Apprêter la table bien fournie à la bonne grâce.
Expression citée dans les Adages de l’Ancien et du Nouveau Testament par le jésuite Martin Del Rio, qui la regarde comme une allusion au culte de bonne grâce ou bonne fortune à laquelle on consacrait des tables couvertes de mets exquis, pour se ménager ses faveurs. Cette expression, dont se servent les villageois, dans quelques localités du midi de la France, pour dire bien traiter ses convives, leur prodiguer les délices de la bonne chère, était généralement usitée autrefois et signifiait de plus: se donner du bon temps, jouir des douceurs de la vie, se livrer à ses joyeux penchants; toutes acceptions conformes à celles que les Latins attachaient à l’adage indulgere genio, que je crois devoir traduire par choyer son bon génie, car cet adage me paraît avoir la même origine que notre expression. Ce qui me porte à penser ainsi, c’est que le bon génie et la bonne fortune furent toujours adorés et fêtés ensemble. Ces deux divinités recevaient les mêmes honneurs, à Rome, dans un temple du Capitole, dont leurs statues, chefs-d’œuvre de Praxitèle, fesaient un des plus beaux ornements; elles avaient un autel commun dans l’antre de Trophonius; Orphée ne les a jamais séparées dans ses hymnes, et le prophète Isaïe les a réunies dans ce passage remarquable, traduit en latin d’après la version des Septante: Qui ponitis mensam gad et impletis meni libamen, etc. Vous qui dressez la table pour la bonne fortune et qui préparez des libations pour le bon génie, etc. C’est saint Jérome qui nous apprend que gad signifie la bonne fortune, et meni le bon génie.
GRAIN.—Être dans le grain.
Être à son aise, être dans quelque affaire avantageuse.—Métaphore empruntée des animaux qui sont nourris de grain et qui en ont plus qu’il ne leur en faut.
GRAISSER.—Graisser la patte à quelqu’un.
Le gagner en lui fesant un cadeau ou lui donnant de l’argent. La Mésangère a prétendu que le mot patte désignait ici un pied de chevreuil ou autre bête fauve, suspendu à un cordon de porte, et il s’est fondé sur l’expression plus récente graisser le marteau, c’est-à-dire, donner la pièce au portier d’une maison dont on veut se faciliter l’entrée. Mais ce mot doit s’entendre de la main de l’homme qui se laisse corrompre par un présent. Dans le temps où l’on payait la dime de carnibus porcinis (des chairs de porc), Graisser la patte s’employait littéralement pour exprimer l’action d’un redevancier qui remettait, de la main à la main, au commissaire-dimeur quelque portion de la denrée soumise au droit, dans la vue de capter sa bienveillance ou d’apprivoiser sa rigidité[52]. Les solliciteurs donnaient aussi du lard aux personnes qu’ils voulaient intéresser en leur faveur. Le lard était au moyen-âge un mets fort estimé et il jouissait de tous les priviléges dont les poulardes du Mans et les dindes truffées sont aujourd’hui en possession.
GRAPIN.—Se noyer dans la mare à Grapin.
Cette espèce de proverbe qu’on emploie en parlant d’un discoureur qui perd le fil de ses idées et reste court, est un mot de Pierre Emmanuel de Coulanges. Cet aimable chansonnier, proche parent et ami de madame de Sévigné, occupait une charge de conseiller au parlement, quoique son caractère léger et jovial le rendit peu propre aux graves fonctions de la magistrature. Un jour qu’il rapportait, aux enquêtes du palais, l’affaire d’une mare d’eau que se disputaient deux paysans, dont l’un se nommait Grapin, il s’embrouilla dans le détail des faits, et, interrompant brusquement sa narration, il dit aux juges: «Pardon, messieurs, je sens que je me noie dans la mare à Grapin, et je suis votre serviteur.» Le lendemain il vendit sa charge, et ne songea plus qu’à faire de jolies chansons et de bons diners.
GRATTE-CUL.—Il n’est point de si belle rose qui ne devienne gratte-cul.
Il n’y a pas de si belle personne qui, en vieillissant, ne devienne laide. Les Italiens disent: Non fû mai cosi bella scarpa che non diventasse brutta ciabatta; il n’y a jamais eu si beau soulier qui ne soit devenu laide savatte.
Non semper idem floribus est honos
Vernis... (Horace, lib. II, od. II.)
Les fleurs du printemps ne conservent pas toujours leur beauté.
GREC.—Être Grec.
Les Grecs ayant de l’instruction, quand les autres peuples étaient dans l’ignorance, ont dû nécessairement passer pour habiles. De là cette expression qu’on applique à un homme fin, adroit, subtil, rusé, et même perfide. Les Romains donnaient le même sens au verbe græcari, agir à la manière des Grecs, et ils appelaient l’art de tromper, ars pelasga, art des Grecs.
On dit d’un homme peu instruit ou peu industrieux, qu’il n’est pas grand Grec, ou habile Grec.
Passez, c’est du grec.
C’est-à-dire, ne vous occupez pas, ne vous mêlez pas de cela, car vous n’y entendez rien. Cette locution a sans doute tiré son origine de la coutume des glossateurs. On prétend que lorsqu’ils tombaient sur quelque mot grec dans les manuscrits latins, ils cessaient d’interpréter, et en donnaient pour raison que c’était du grec qui ne pouvait être lu: Græcum est, non potest legi.
GREDIN.—C’est un gredin.
Il y avait autrefois chez les grands seigneurs des valets du dernier ordre qui se tenaient toujours sur les gradins, c’est-à-dire sur les degrés de l’escalier, sans jamais entrer dans l’appartement. On leur donnait à cause de cela le nom de gredins, corrompu de celui de gradins, et ce nom devint par la suite un terme injurieux, pour signifier un homme du néant, un homme sans naissance, sans bien ni qualités, un mauvais gueux.
Gredin s’emploie aussi pour désigner un fripon, et l’on prétend que, dans ce sens, l’expression est une métaphore prise du chien du même nom, dont la mauvaise réputation vient de ce que les individus de la race à laquelle il appartient sont uniquement propres à quêter et à piller. Certain fournisseur du temps du directoire, ne manquait jamais d’appeler gredins ceux de ses agents qui trompaient sa confiance. Ne me parlez pas de ce gredin-là, disait-il d’un de ses employés les plus intelligents: c’est un chien qui quête, mais qui ne rapporte pas.
GRELOT.—Attacher le grelot.
Faire le premier pas dans une entreprise difficile, hasardeuse. Dans la fable de La Fontaine, Conseil tenu par les rats, l’assemblée décide, sur l’avis de son doyen, qu’il faut attacher un grelot au cou du terrible chat Rodilard. La résolution est unanime, mais nul ne se présente pour l’exécution:
Chacun fut de l’avis de monsieur le doyen,
Chose ne leur parut à tous plus salutaire.
La difficulté fut d’attacher le grelot,
L’un dit: je n’y vois point; je ne suis pas si sot;
L’autre: je ne saurais; si bien que sans rien faire
On se quitta.
L’expression a été popularisée par notre inimitable fabuliste; mais elle n’est pas de son invention. Il y a un proverbe chinois qui dit: Celui qui a attaché le grelot doit le détacher. Celui qui a commencé une entreprise doit la terminer.
GRENIER.—Quand la maison est trop haute, il n’y a rien au grenier.
Quand une personne a la taille trop élevée, elle a la tète vide. C’est une opinion fort ancienne et fort répandue que la nature développe le corps outre mesure aux dépens de l’esprit, et que ce qu’elle ajoute au premier elle le retranche au second: Quod corporis addit moli detrahit ingenio natura.—Un proverbe latin traduit du grec dit: Amens qui longus, un homme grand est un sot.
Le petit abbé Cosson, disputant un jour avec un impertinent de haute taille et de peu d’intelligence, finit brusquement par lui dire: «Brisons là, monsieur; un rez-de-chaussée ne peut pas tenir tête à six étages.» Comme son interlocuteur n’avait pas l’air de comprendre: «Rien n’est plus semblable, ajouta-t-il, qu’un homme de six pieds et une maison de six étages. C’est toujours le sixième qui est le plus mal meublé.»
Le chancelier Bacon avait fait la même comparaison avant lui. Interrogé par Jacques Ier sur ce qu’il pensait d’un ambassadeur français, homme fort grand, à qui ce roi venait de donner audience: «Sire, répondit-il, les gens de cette taille sont quelquefois semblables aux maisons de cinq ou six étages, dont le plus haut appartement est d’ordinaire le plus mal garni.»
GRENOBLE.—Faire la reconduite de Grenoble.
C’est accompagner quelqu’un à coups de pierres; le renvoyer en le maltraitant.
Quelques-uns pensent que ce dicton est né d’une allusion à l’échec qu’éprouva Lesdiguières, lorsque, voulant surprendre Grenoble, il en fut repoussé à coups de pierres. Quelques autres le font venir des rixes si fréquentes, dans cette ville, entre les compagnons du devoir et les cordonniers, dont les uns voulant chasser les autres, les poursuivent à coups de pierres.
GRENOUILLE.—Faire le métier de la grenouille.
C’est boire et babiller; double occupation des ivrognes.
Il n’est pas cause que les grenouilles n’ont point de queue.
On sait que les petits des grenouilles, ou les tétards, ont une longue queue qui disparaît à mesure que leur corps se développe. C’est sur ce changement, regardé par le peuple comme un phénomène merveilleux, qu’est fondé le dicton, dont on se sert ironiquement pour signifier qu’un homme ne fait rien d’extraordinaire, qu’il n’a pas la moindre intelligence.
GRIBOUILLE.—Il est fin comme gribouille, qui se cache dans l’eau, de peur de la pluie.
On trouve dans le recueil de Philippe Garnier: Il est aussi sot que Dorie, qui se cache dans l’eau, de peur de la pluie. Gribouille et Dorie sont des êtres imaginaires, des types de la sottise de certaines gens qui, pour éviter un inconvénient, se jettent dans un autre inconvénient encore plus grand.—On dit aussi, c’est un gribouille, pour un sot, un imbécile, un niais. Borel pense que ce nom vient du grec γρυτοπώλης (regrattier, fripier). D’autres le croient forgé à plaisir.
GRIGOU.—C’est un grigou.
Un misérable qui n’a pas de quoi vivre; un avare fieffé qui se refuse jusqu’au nécessaire. Ce mot dit Roquefort, vient de l’italien grieco, ou de l’espagnol griego, qui a la même signification. L’abbé Morellet le fait dériver du latin gregarius.
GRINGALET.—C’est un gringalet.
On se sert beaucoup de cette expression pour désigner, au physique, un homme maigre, fluet, et au moral, un homme sans aveu, sans consistance, sans considération. Nos lexicographes ne regardent pas ce mot comme français, car aucun ne le cite. On peut croire pourtant qu’il l’est ou du moins qu’il l’a été, puisqu’il se trouve dans Perceval.
GRIVE.—Soûl comme une grive.
Ce n’est pas sans raison qu’on a fait de cet oiseau le type proverbial de l’ivresse. Les grives sauvages s’enivrent fortement à manger du raisin mûr qu’elles aiment beaucoup, et les grives apprivoisées s’enivrent plus fortement encore à boire du vin pur, pour lequel elles ont un goût particulier. Linnée (Fauna suecica, p. 71) parle d’une litorne ou tourdelle, espèce de grive, qui, ayant été élevée chez un cabaretier, se rendit si familière, qu’elle courait sur la table et allait boire du vin dans les verres; elle en but tant qu’elle devint chauve; mais, après avoir été privée de cette liqueur, pendant un an qu’elle passa en cage, elle reprit ses plumes.
GRUE.—Faire la grue.
C’est-à-dire regarder en l’air, parce que la grue est un oiseau à long cou qui a la tête et les yeux dirigés en l’air. Le peuple, qui est toujours disposé à chercher des merveilles en l’air, est appelé le peuple grue. Dans cette dernière expression, grue se prend pour bête, imbécile, comme dans le proverbe suivant: Maître Gonin est mort, le monde n’est plus grue.
Faire le pied de grue.
Lorsque les grues s’arrêtent quelque part, dit Pline le naturaliste (liv. X, c. 23), quelques-unes font le guet pendant la nuit, posées sur un pied et tenant de l’autre un petit caillou dont la chute, quand elles s’endorment, révèle leur négligence, ou interrompt leur sommeil: les autres se tiennent, tantôt sur un pied et tantôt sur l’autre. De là cette expression triviale, Faire le pied de grue, pour dire attendre longtemps sur ses pieds.
Un moineau dans la main vaut mieux qu’une grue qui vole.
Il faut préférer un petit avantage qui est certain à un grand avantage qui est incertain.
La grue figure dans ce proverbe par la raison qu’on mangeait beaucoup de grues en France dans le treizième et le quatorzième siècle; comme on peut le voir dans le vieux livre intitulé: Viandier pour appareiller toutes manières de viandes, par Taillevent.
GUÉPIN.—Les guépins d’Orléans.
L’esprit fin et railleur des Orléanais leur a fait donner ce sobriquet de guépins, qui est dérivé du bas latin guespa pour vespa, guêpe, comme l’indiquent ces vers de Théodore de Bèze:
Aurelias vocare vespas suevimus.
Ut dicere olim mos erat nasum atticum.
Bonaventure des Périers, dans son conte d’une dame d’Orléans qui aimait un écolier, oppose le terme de guépin à civil et poli. C’était, dit-il, une dame gentille et honnête, encore qu’elle fût guespine.
Dans la Relation de l’entrée de l’empereur Charles-Quint à Orléans, en 1539, guespin est employé pour étudiant de la ville d’Orléans.
On trouve dans le Mercure d’octobre 1732, une autre origine que voici: «Orléans est une des plus anciennes villes des Gaules, fondée par une colonie grecque sortie des environs de l’Épire, 250 ans après la destruction de Troie. Orléans fut la plus savante ville des Gaules. On remarquait dans ses habitants un certain génie brillant qu’on ne remarquait pas dans les autres Gaulois; aussi leur donna-t-on le nom de γόεσπος (goespos) qui en grec signifie pierre brillante. C’était une espèce de caillou transparent qui se trouvait aux environs de l’Épire, et qui a longtemps décoré les temples des Grecs. Le nom leur est resté depuis, et, par corruption de langage, a été changé en celui de guespin ou guépin.»
GUEULE.—Venir la gueule enfarinée.
C’est-à-dire dans l’espérance d’obtenir ce qu’on désire, avec une sotte confiance, inconsidérément.—Cette façon de parler est, suivant Le Duchat, une métaphore empruntée des boulangers qui, au moment d’enfourner, sèment de la farine à la gueule ou bouche de leur four, afin de juger par la manière dont la farine s’allume, si le four a le degré de chaleur convenable. N’est-elle pas plutôt une allusion aux farces dites enfarinées, dans lesquelles l’acteur chargé du rôle de Gilles ou de Pierrot, se montre toujours le visage saupoudré de farine? (Voyez Jean farine.)
A goupil endormi, rien ne lui chet en gueule.
On ne gagne rien à vivre dans l’inaction.—Goupil primitivement voulpil, est un vieux mot dérivé de vulpillus diminutif de vulpes (renard), et chet est la troisième personne du présent de l’indicatif du vieux verbe chéir ou chéer (choir, tomber.)
GUEUX.—Gueux comme un rat.
Ne serait-ce pas gueux comme un ras qu’il faudrait dire? On ne voit pas, en effet, en quoi un rat est plus gueux qu’un autre animal de son espèce, tandis que ras, au lieu de rat, donne l’idée d’un malheureux, qui, condamné à être rasé ou tondu publiquement, reste dans l’abandon et la misère.
On dit plus fréquemment, gueux comme un rat d’église; ce qui est tout à fait juste, car un rat n’a presque rien à manger dans une église. Il est probable que cette dernière comparaison a été imaginée pour rectifier l’inexactitude de la première plus anciennement usitée.
Les gueux ne sont jamais hors de leur chemin.
Parce que les gueux n’ont point de demeure fixe. Il en est de même de ceux qui disputent sans avoir des notions déterminées; et ce proverbe leur est justement appliqué.
GUI.—A gui l’an neuf! où au gui l’an neuf!
C’est le cri antique, le cri gaulois, par lequel les Druides annonçaient en chantant le premier jour de l’année, jour consacré à la distribution du gui de chêne.
Ad viscum, viscum Druidæ cantare solebant. (Ovide.)
Il est encore usité aujourd’hui, en plusieurs endroits, comme refrain de quelques couplets que les enfants font entendre devant les portes des maisons, pour demander des étrennes.
GUIGNON.—Porter guignon.
Porter malheur.—Le mot guignon, dérivé du verbe guigner (regarder du coin de l’œil ou de travers), a reçu la signification de malheur, à cause des maléfices attribués par la superstition à cette manière de regarder, qui est celle de l’envie.
Non istic oblique oculo mea commoda quisquam,
Limat. (Horace, lib. I, épist. 14.)
Ici personne ne trouble mon bonheur par son œil oblique.
Les Espagnols appellent, mal de ojos, mal des yeux, non le mal qu’on reçoit, mais celui qu’on donne par les yeux. C’est la fascination du mauvais œil.
GUILLEDOU.—Courir le guilledou.
Aller souvent, et surtout la nuit, dans les lieux de débauche. Guilledou, suivant Ménage, est dérivé de gildonia, espèce d’ancienne société ou confrérie, encore existante en quelques endroits d’Allemagne, dans laquelle on fesait des festins qui pouvaient servir de prétexte à d’autres débauches.—Suivant Le Duchat, courir le guilledou est une corruption de courir l’aiguillette, et peut signifier proprement courir les grands corps de garde, de tout temps pratiqués dans les portes des villes, sous des tours dont les flèches se terminent en pointe comme l’aiguillette d’un clocher. Une de ces portes est appelée guildou dans l’Histoire du roi Charles VII (édition du Louvre, in-folio, p. 783); et, dans l’histoire du même prince, attribuée à Alain Chartier, sous l’année 1446, il est parlé d’un château de Bretagne appelé Guilledou, soit à cause de sa tour, soit parce qu’il était situé sur quelque pointe de montagne.—L’abbé Morellet, donne l’étymologie suivante: «Le propos d’un homme qui court les lieux de prostitution est tout naturellement will do you...? Voulez-vous...? si l’on considère que le w anglais se change souvent en g, et que dou a pu remplacer do you pour la plus grande facilité de la prononciation, on comprend aisément comment courir le guilledou est mener la vie d’un libertin, demandant aux filles will you? ou will do you...?
GUILLOT.—Être logé chez Guillot le songeur.
C’est être absorbé dans ses pensées, dans ses réflexions. Moisant de Brieux conjecture que, Guillot le songeur a été mis pour Guillan le pensif, chevalier de la cour du roi Lisvard qui l’appelait le plus grand rêveur du monde, parce qu’il pensait tellement à sa dame, qu’il s’oubliait souvent lui-même.
Qui croit guiller Guillot, Guillot le guille.
Guiller est un vieux mot qui signifie tromper.—Borel assure que ce proverbe vient d’un seigneur de l’Albigeois, nommé Guillot de Ferrières, homme très rusé sous une apparence de bonhomie.