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Dictionnaire étymologique, historique et anecdotique des proverbes et des locutions proverbiales de la Langue Française en rapport avec de proverbes et des locutions proverbiales des autres langues

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A

A.—Être marqué à l’a.

C’est être doué de quelque qualité éminente, être distingué par un mérite supérieur.

On prétend que cette expression est fondée sur l’usage de marquer les monnaies de France selon l’ordre des signes alphabétiques, parce que les pièces fabriquées à Paris, dont la marque est un A, ont été réputées de meilleur aloi que les pièces fabriquées dans les villes de province. Mais il est plus probable qu’elle est fondée sur la prééminence qu’a toujours eue l’A dans l’alphabet de presque toutes les langues, et qu’elle est un emprunt fait aux anciens, qui employaient les lettres pour désigner divers personnages et donnaient à ceux du premier ordre la dénomination d’Alpha ou d’A.

Martial (épig. 57, liv. II), parlant d’un certain Codrus, renommé parmi les jeunes gens de Rome à cause de l’élégance de sa parure, l’appelle Alpha penulatorum, ce qui signifie littéralement, l’Alpha de ceux qui portent le manteau.

Autrefois, en Alsace, les prébendes étaient titrées, selon leur valeur, par les lettres de l’alphabet. Il y avait des chanoines appelés Chanoine A, Chanoine B, Chanoine C, etc.

Il n’a pas fait une panse d’a.

C’est-à-dire, il n’a pas fait la moindre chose.

Panse d’a ne se dit que du petit a, parce que le petit a commence à se former par un c ou demi-rond qui ressemble à une panse ou ventre. Il ne faut donc pas employer le grand A lorsqu’on écrit cette phrase proverbiale, car le signe serait sans rapport avec la chose signifiée.

ABATTU.L’abattu veut toujours lutter.

On consent rarement à s’avouer plus faible que son adversaire. L’amour-propre trouve presque toujours des raisons pour déguiser une défaite, et il donne ordinairement à ces raisons l’accent du défi. C’est l’éloquence de Périclès qui, renversé par Thucydide à la lutte, prouvait aux spectateurs que c’était lui qui avait terrassé Thucydide.

On dit aussi dans un sens analogue: Plus on bat le tambour, plus il fait de bruit. Les Provençaux expriment la même idée par cette comparaison spirituelle: Faire comme les cigales, qui chantent quand on les frotte. Il faut savoir que, pour faire chanter les cigales qu’on a prises, on les roule entre les doigts; car le son rauque et monotone que rendent ces insectes ne part point du gosier, comme l’a prétendu saint Ambroise, très bon prélat, mais très mauvais naturaliste: il vient de deux instruments qui sont placés aux deux côtés de leur ventre, et qui consistent en deux membranes élastiques dont la cavité renferme des parties écailleuses sur lesquelles ces membranes flottent avec bruit.

ABBAYE.Pour un moine l’abbaye ne faut point.

C’est-à-dire que dans une société on ne s’abstient point de faire ce qu’on a projeté ou de se livrer à la joie, quoiqu’un des membres manque ou s’y oppose. Faut, dans ce vieux proverbe, est la troisième personne du présent indicatif du verbe faillir.

ABBÉ.Attendre quelqu’un comme les moines l’abbé.

C’est ne pas l’attendre.—Cette façon de parler s’emploie particulièrement lorsqu’une personne invitée à dîner n’arrive point à l’heure indiquée, et que les autres convives se mettent à table. Elle est fondée sur l’ancienne coutume des couvents où les moines étaient dispensés d’attendre leur supérieur, dès l’instant que le son de la cloche des repas, sonus epulantis, les avait appelés au réfectoire. Leur devise était ce refrain d’une prose gastronomique qu’ils chantaient sans doute avec plus de plaisir qu’aucune hymne de leur bréviaire.

O beata viscera,
Nulla sit vobis mora!

Loin de vous tout retard, entrailles bienheureuses!

Les Allemands disent: Mit der linken Hand auf einem warten. Attendre quelqu’un avec la main gauche, c’est-à-dire, pendant que la droite est occupée à porter les morceaux à la bouche.

Il n’y a point de plus sage abbé que celui qui a été moine.

L’homme qui a pratiqué les devoirs de l’obéissance est celui qui pratique le mieux les devoirs du commandement. (Voyez le proverbe: il faut apprendre à obéir pour savoir commander.)

Le moine répond comme l’abbé chante.

Les inférieurs se montrent d’ordinaire du même sentiment et tiennent le même langage que les supérieurs.—Un sénateur romain disait à Tibère: Si primo loco censueris Cæsar, habebo quod sequar. César, si vous émettez le premier une opinion, je ne pourrai que la suivre.

Regis ad exemplar totus componitur orbis. (Horace.)

Le bedeau de la paroisse est toujours de l’avis de monsieur le curé.

Pour un moine on ne laisse pas de faire un abbé.

L’absence ou l’opposition d’un individu n’empêche point une compagnie de délibérer ou de conclure une affaire.

Être comme l’abbé Rognonet
Qui de sa soutane ne put faire un bonnet.

Comparaison proverbiale qu’on applique à une personne qui ne sait tirer aucun parti d’une position avantageuse, et qui gâte la meilleure affaire par sa sotte maladresse. On dit aussi, dans le même sens: Tailler sa besogne sur le patron de l’abbé Rognonet.

L’abbé Rognonet est un être imaginaire, qui a tiré son nom, suivant les uns, du verbe rogner, dont l’action devait lui être familière, et, suivant les autres, du verbe rognoner, par allusion à la mauvaise humeur à laquelle il se laissait emporter toutes les fois que, voyant son opération manquée, il était obligé de la recommencer pour la manquer encore. L’histoire de ce malencontreux personnage a été probablement suggérée par un passage de Rabelais (liv. IV, ch. 52), où Carpalim, valet de Panurge, parlant du tailleur Groingnet, ainsi nommé sans doute du vieux verbe groingner (grogner), fait le détail suivant des infortunes survenues à ce tailleur dans l’exercice de son métier, parce qu’il avait employé en patrons et en mesures un parchemin sur lequel était écrite une vieille clémentine ou décrétale du pape Clément V: «O cas estrange! touts habillements taillez sus tels patrons, et pourtraicts sus telles mesures, feurent guastez et perdus, robbes, cappes, manteaulx, sayons, juppes, cazacquins, collets, pourpoincts, cottes, gonnelles, verdugualles. Groingnet, cuidant tailler une cappe, tailloit la forme d’une braguette; en lieu d’ung sayon tailloit ung chappeau à prunes succées; sus la forme d’ung cazacquin tailloit une aumusse; sus le patron d’ung pourpoinct tailloit la guise d’une paelle. Ses varlets l’avoir cousue la deschiquetoient par le fond et sembloit d’une paelle à fricasser chastaignes. Pour ung collet faisoit ung brodequin. Sus le patron d’une verdugualle faisoit ung tabourin de souisse. Tellement que le paovre homme par justice fut condamné à payer les estoffes de touts ses chalands et de présent en est au saphran. (Voyez le mot Safran.) Punition dist homenaz et vengeance divine!»

ABOMINATION.L’abomination de la désolation.

Expression tirée de l’Écriture sainte, pour désigner les plus grands excès de l’impiété, la plus grande profanation. Elle s’emploie proverbialement et familièrement pour se récrier avec emphase contre une chose qui choque les usages reçus.

«L’abomination de la désolation, dit Bossuet, est la même chose que les armées des payens autour de Jérusalem.... Le mot d’abomination, dans l’usage de la langue sainte, signifie idole. Les armées romaines portaient dans leurs enseignes les images de leurs césars et de leurs dieux; ces enseignes étaient aux soldats un objet de culte; et parce que les idoles, selon l’ordre de Dieu, ne devaient jamais paraître dans la terre sainte, les armées romaines en étaient bannies.... Quand Jérusalem fut assiégée, elle était environnée d’autant d’idoles qu’il y avait d’enseignes, et l’abomination ne parut jamais tant où elle ne devait pas être, c’est-à-dire dans la terre sainte et autour du temple.»

ABONDANCE.Abondance de biens ne nuit pas.

Proverbe sur lequel Voltaire a très spirituellement enchéri par ce joli vers, qui est aussi devenu proverbe:

Le superflu, chose très nécessaire.

Mais il n’est pas absolument vrai que l’abondance ne nuise point, car elle amène quelquefois des inconvénients fâcheux, comme le remarque cet autre proverbe: Abondance engendre fâcherie; et d’ailleurs elle est regardée par les philosophes comme contraire au bonheur, qui ne se rencontre guère que dans un état frugal, entre la pauvreté et les richesses, suivant l’expression de Fléchier.

L’abondance des biens de la terre nous rend nécessiteux de ceux du ciel.

C’est-à-dire que l’effet ordinaire des richesses est de détourner ceux qui les possèdent de la pratique des vertus chrétiennes. Le Saint-Esprit, dans la Bible, appelle les richesses des trésors d’iniquité; et le Sauveur, dans l’Évangile, les signale comme le plus grand obstacle au salut: de là ce proverbe ascétique, qui a servi et qui servira encore de texte à plus d’un sermon, sans guérir personne de l’envie des richesses.

La trop grande abondance ne parvient point à maturité.

Les épis trop pressés dans un champ se renversent les uns sur les autres par l’effet de la pluie ou du vent; les fruits trop nombreux sur un arbre en épuisent le suc nourricier, ou en font rompre les branches sous leur poids: et c’est ainsi que l’excessive abondance nuit à la maturité. Mais ce proverbe, très vrai au propre, a également sa juste application au figuré, pour signifier que trop de choses entreprises à la fois ne pouvant obtenir tous les soins que chacune d’elles réclame en particulier, sont exposées à ne pas réussir ou à ne réussir qu’imparfaitement.

De l’abondance du cœur la bouche parle.

On ne peut guère s’empêcher de parler des choses dont on a le cœur plein; quand le cœur est plein, il faut que la bouche déborde: ou bien: en suivant l’impulsion de son cœur, dans ses discours, on ne manque point de paroles éloquentes.

Ce proverbe est littéralement traduit des paroles suivantes de l’évangile selon saint Mathieu (ch. 6, v. 45), Ex abundantia cordis os loquitur.

Les Basques disent: Bihozaren beharguile mihia. La langue est l’ouvrière du cœur.

ABSENCE.L’absence est l’ennemie de l’amour.

On dit aussi: Loin des yeux et loin du cœur; ce qui paraît pris de ce vers de Properce (élégie 21, liv. III):

Quantum oculis, animo tum procul ibit amor.

Un bel esprit, écrivant à un voyageur, lui rappelait ce proverbe et ajoutait plaisamment: «Hâtez-vous donc d’oublier la maîtresse que vous avez laissée à Paris; car il est bon de prévenir les infidèles.»

Un peu d’absence fait grand bien.

Les personnes qui s’aiment se revoient avec plus de plaisir après une courte séparation. Le sentiment, affaibli par l’habitude d’être ensemble, se retrempe dans l’absence. «L’imagination, dit Montaigne (Ess., liv. III, ch. 9), embrasse plus chaudement et plus continuellement ce qu’elle va quérir que ce que nous touchons. Comptez vos amusements journaliers: vous trouverez que vous êtes le plus absent de votre ami, quand il vous est présent. Son assistance relâche votre attention et donne liberté à votre pensée de s’absenter à toute heure, pour toute occasion.»

Les deux passages suivants de Saadi offrent une explication plus sensible. «Abuhurra allait tous les jours rendre ses devoirs à Mahomet, à qui Dieu veuille être propice. Le prophète lui dit: Abuhurra, viens me voir plus rarement, si tu veux que notre amitié s’accroisse; de trop fréquentes visites l’useraient trop promptement.»—«Un plaisant disait: Depuis le temps qu’on vante la beauté du soleil, je n’ai jamais ouï dire que personne en soit devenu plus amoureux. C’est, lui répondit-on, parce qu’on le voit tous les jours, si ce n’est en hiver où il se cache quelquefois sous les nuages; mais alors même on en connaît mieux le prix.»

La beauté même à l’œil sait-elle toujours plaire?
Vous croyez que le temps la détruit ou l’altère:
L’habitude, voilà son plus triste ennemi.
A qui nous voit toujours on ne plaît qu’à demi.

(Barthe, Art d’aimer.)

M. Raynouard parle d’un tenson manuscrit où est discutée cette question: «Laquelle est plus aimée, ou la dame présente, ou la dame absente? Qui induit le plus à aimer, ou les yeux ou le cœur?» Cette question, dit-il, fut soumise à là décision de la cour d’amour de Pierrefeu et de Signe; mais l’histoire ne dit pas quelle fut la décision.

Il ne faut pas croire pourtant que l’absence ait une influence vivifiante sur toutes les passions. Elle augmente les grandes et diminue les petites. La Rochefoucauld l’a comparée au vent, qui allume le feu et éteint les bougies.

ABSENT.Absent n’est point sans coulpe ni présent sans excuse.

Vieux proverbe dont le sens moral est qu’on doit s’abstenir de condamner les personnes qui sont inculpées pendant leur absence, puisque si elles étaient présentes elles trouveraient peut-être quelque moyen de se disculper. Les condamnés par défaut gagnent quelquefois leurs procès en s’expliquant devant les juges.

Nous avons laissé perdre le mot coulpe, qui n’est plus usité que dans le proverbe et dans le style marotique. Cependant le mot n’est remplacé exactement par aucun autre. Nos bons écrivains devraient chercher à le remettre en crédit, à l’exemple de J.-J. Rousseau, qui l’a employé heureusement plusieurs fois dans ses Confessions.

Les absents ont tort.

C’est-à-dire qu’on les oublie ou que, si l’on s’occupe d’eux, c’est presque toujours à leur désavantage. Les Latins disaient: Absens hæres non erit. Point d’héritage pour l’absent.

L’emploi le plus fréquent de ce proverbe a lieu pour signifier simplement qu’on rejette la faute de beaucoup de choses sur les absents, et qu’on parle d’eux avec peu de ménagement.

L’éloge des absents se fait sans flatterie. (Gresset.)

Les absents qu’on épargne le moins sont ceux qui se font attendre, parce que leurs défauts viennent se présenter naturellement aux yeux de ceux qui sont obligés d’attendre. On compte les défauts de celui qu’on attend, dit le proverbe espagnol.

Les os sont pour les absents.

Et même pour les retardataires: Tardè venientibus ossa.

Proverbe de table qui s’emploie aussi quelquefois par extension pour signifier que, dans une affaire à laquelle plusieurs sont intéressés, celui qui ne fait point valoir ses droits par sa présence est ordinairement le plus mal partagé.

ACCOMMODEMENT.Un mauvais accommodement vaut mieux qu’un bon procès.

On dit aussi: Un maigre accord est préférable à un gras procès.

Suivant un autre proverbe, On achète toujours les procès argent comptant.—On sait que les plaideurs sont obligés de payer cher la justice, car c’est une chose trop rare pour qu’ils puissent l’obtenir à bon marché.

«Les tribunaux sont des arènes d’où le vainqueur sort presque toujours mutilé.» (M. Léon Gozlan.)

..... N’entreprends point même un juste procès,
N’imite point ces fous dont la sotte avarice
Va de ses revenus engraisser la justice;
Qui, toujours assignant et toujours assignés,
Souvent demeurent gueux de vingt procès gagnés.

(Boileau, épit. 2.)

ACCORD.Être de tous bons accords.

Cette expression, dont on se sert en parlant d’une personne d’humeur aisée et de bonne composition: est une métaphore empruntée de la musique. On a dit autrefois: Être comme la quinte, laquelle est de tous bons accords. Phrase qui se trouve, je crois, dans Rabelais.

Etienne Tabourot publia, en 1560, son Livre des bigarrures et touches, sur le titre duquel il déguisa son nom sous celui de seigneur des accords, et prit pour devise un tambourin avec ces mots: à tous accords, voulant faire entendre par là qu’il savait s’accommoder au goût de tout le monde[3].

Les bigarrures et touches du seigneur des accords sont un recueil de règles appuyées de beaucoup d’exemples pour composer, tant en latin qu’en français, des facéties de toute espèce, comme les rébus ordinaires, les rébus de Picardie, les étymologies, les anagrammes, les allusions, les équivoques, les entend-trois (mots à triple entente), les antistrophes ou contre-petteries, les acrostiches simples et doubles, les échos ou rimes redoublées, les rimes enchaînées, les vers rapportés ou coupés, les vers numéraux, les vers rétrogrades par lettre, et par mots, etc., etc.

Ce recueil, dont la meilleure édition est de 1662, fesait les délices de nos joyeux ancêtres, qui l’appelaient un grenier à sel, dénomination justifiée par les plaisanteries piquantes et curieuses qu’on y trouve à chaque chapitre. En voici une sur diverses interprétations données aux quatre lettres S, P, Q, R, qui signifient, comme on sait, Senatus Populus Que Romanus. Les sibylles, dit le seigneur des accords, que je cite de mémoire, ont regardé ces initiales comme une allusion prophétique à la venue du Messie, et les ont expliquées ainsi: Salvat Populum Quem Redemit. Beda les a entendues par dérision des Goths, Stultus Populus Quærit Romana; et les Goths, par dérision des habitants de Rome, Sono Poltroni Questi Romani. Les Français y ont trouvé Si Peu Que Rien; et les protestants d’Allemagne, Sublato Papâ Quietum Regnum. Quelqu’un les voyant tracées sur une tapisserie, dans la chambre d’un pape nouvellement élu, dit, en les lisant: Sancte Pater Quare Rides? Et le saint-père, les répétant en sens inverse, répondit: Rideo Quia Papa Sum.

ACCOUCHÉE.Le caquet de l’accouchée.

On appelle ainsi une causerie bruyante et frivole que font des femmes réunies chez une accouchée, et, par extension, un babil intarissable et insignifiant.

Cette expression était déjà proverbiale au commencement du quatorzième siècle, où le suprême bon ton exigeait que l’accouchée tînt cercle avec les amies qui venaient la visiter, et qu’elle déployât, pour les bien recevoir, un luxe de représentation aussi exagéré que sa fortune et son rang le lui permettaient. Une dame, noble et riche, en pareille circonstance, prenait soin de faire décorer sa chambre, où la réunion avait lieu, des plus beaux meubles et des plus belles tentures qu’ornaient ses chiffres et ses devises; elle y faisait étaler, comme dans un bazar oriental, ses bijoux les plus précieux et tout cet attirail de toilette que les Latins nommaient le monde féminin, mundus muliebris. Elle-même, placée sur un lit magnifique ainsi que sur un trône, se montrait aux regards merveilleusement parée et toute resplendissante de l’éclat des pierreries. On peut voir sur ce sujet des particularités curieuses dans la Cité des dames de Christine de Pisan. Voici ce qu’on trouve dans un autre ouvrage fort ancien, intitulé: le Miroir des vanités et pompes du monde. «Il y a la caquetoire parée tout plein de fins carreaux pour asseoir les femmes qui surviennent, et auprès du lit une chaise ou faudeteul garni et couvert de fleurs. L’accouchée est dans son lit, plus parée que une épousée, coiffée à la coquarte, tant que diriez que c’est la tête d’une marote ou d’une idole. Au regard des brasseroles, elles sont de satin cramoisi ou satin paille, satin blanc, velours, toile d’or ou toile d’argent, ou autre sorte que savent bien prendre ou choisir. Elles ont carquans autour du col, bracelets d’or, et sont plus phalerées que idoles ou roines de cartes. Leur lit est couvert de fins draps de lin de Hollande, ou toile cotonine tant déliée que c’est rage, et plus uni et poli que marbre. Il leur semble que serait une grande faute, si un pli passait l’autre. Au regard du chalit, il est de marqueterie ou de bois taillé à l’antique et à devises.»

Il y a un livre, imprimé en 1623, qui est intitulé: Recueil général des caquets de l’accouchée.

Elle est parée comme une accouchée.

Cette locution, dont on se sert en parlant d’une femme qui est fort parée dans son lit, doit son origine à l’usage rapporté dans l’article précédent.

ACCUSÉ.Il faut garder une oreille pour l’accusé.

Il faut écouter celui qu’on accuse avant de le condamner.

Cette recommandation, qu’on fait particulièrement en faveur des absents, est une allusion au trait d’Alexandre-le-Grand qui, jugeant un jour une cause, se boucha une oreille avec le doigt pendant le plaidoyer de l’accusateur, et dit aux assistants: Je réserve cette oreille tout entière pour l’accusé.

ACTION.Une bonne action ne reste jamais sans récompense.

Saint Augustin, De civitate Dei, a dit que Dieu récompense en cette vie les vertus purement humaines, comme celles des anciens Romains, parce qu’il ne les récompense point dans l’autre; et cette opinion a été la doctrine de plusieurs écoles. Il est permis, sans doute, de différer d’avis sur ce point avec saint Augustin et ses disciples; mais il faut convenir que, même dans ce monde, l’ordre naturel des événements offre souvent les plus fortes apparences d’une rétribution morale, ce qui suffit pour défendre le proverbe contre les démentis que lui donne l’ingratitude.

ADMIRATEUR.A sot auteur sot admirateur.

Au jugement de saint Jérôme, il n’y a pas de si sot écrivain qui ne trouve un lecteur semblable à lui. Nullus tam imperitus scriptor est, qui lectorem non inveniat similem sui. (Præf. in lib. XII comment. in Isai.)—Boileau a enchéri sur cette pensée lorsqu’il a dit:

Un sot trouve toujours un plus sot qui l’admire.

On pourrait enchérir encore sur le vers de Boileau, attendu que pour un sot auteur il y a souvent cent plus sots admirateurs.—Champfort demandait plaisamment: Combien faut-il de sots pour faire un public?

ADMIRATION.L’admiration est la fille de l’ignorance.

C’est-à-dire que les ignorants sont grands admirateurs.

Tout est géant dans la nature
Aux yeux étroits du peuple nain.

(Thomas.)

Quelqu’un a très bien dit: Moins on sait, plus on croit; moins on comprend, plus on admire; et Vauvenargues a remarqué avec raison que l’admiration est moins souvent une preuve de la perfection des choses que de l’imperfection de notre esprit.

«Les sots admirent quelquefois, mais ce sont des sots. Les personnes d’esprit ont en eux les semences de toutes les vérités et de tous les sentiments. Rien ne leur est nouveau: ils admirent peu; ils approuvent.» (La Bruyère.)

On allonge quelquefois le proverbe en disant: L’admiration est la fille de l’ignorance et la mère des merveilles.—Nous remarquerons, sur cette adjonction, que l’idée qu’elle exprime se retrouve dans une ingénieuse allégorie de la fable qui fait naître de l’Admiration la déesse de l’Arc-en-ciel; car Iris, fille de Thaumas, suivant la signification de Thaumas en grec, c’est Iris, fille de l’Admiration.

ADVERSITÉ.L’adversité rend sage.

Parce qu’elle éveille la réflexion et l’expérience: c’est pourquoi Sénèque a très bien dit: Sua cuique calamitas tanquàm ars assignatur. A chacun est assignée sa part de misère, comme un art qu’il doit apprendre pour se rendre habile.

Il faut remarquer cependant que l’influence de l’adversité n’est vraiment salutaire que dans la première jeunesse, lorsqu’on peut contracter encore l’habitude de penser et de réfléchir. Passé cet âge, elle afflige plus qu’elle n’éclaire. La jeunesse, dit J.-J. Rousseau, est le temps d’étudier la sagesse; la vieillesse est le temps de la pratiquer. L’adversité ne profite que pour le temps qu’on a devant soi. Est-il temps, au moment qu’il faut mourir, d’apprendre comment on aurait dû vivre?

Ces observations philosophiques sont très bien résumées dans un proverbe écossais dont voici la traduction littérale: L’adversité est saine à déjeûner, indifférente à dîner, et mortelle à souper.

AFFAIRE.Dieu nous garde d’un homme qui n’a qu’une affaire.

Parce qu’un homme qui n’a qu’une affaire, dit Leroux, en est ordinairement si occupé, qu’il en fatigue tout le monde.—La pensée suivante de Montesquieu semble avoir été écrite pour servir de commentaire à ce proverbe. «Les gens qui ont peu d’affaires sont de très grands parleurs: moins on pense, plus on parle. Ainsi les femmes parlent plus que les hommes: à force d’oisiveté, elles n’ont point à penser.»

Il vaut mieux avoir affaire à Dieu qu’à ses saints.

Il vaut mieux avoir affaire au roi qu’à ses ministres, et, en général, à un homme puissant qu’à ses subalternes.

Voltaire s’est amusé à rattacher l’origine de ce proverbe à un conte spirituel et plaisant, que je vais transcrire. «Il y avait autrefois un roi d’Espagne, qui avait promis de distribuer des aumônes considérables à tous les habitants d’auprès de Burgos, qui avaient été ruinés par la guerre. Ils vinrent aux portes du palais; mais les huissiers ne voulurent les laisser entrer qu’à condition qu’ils partageraient avec eux. Le bonhomme Cardéro se présenta le premier au monarque, se jeta à ses pieds et lui dit: Grand roi, je supplie votre altesse royale[4] de faire donner à chacun de nous cent coups d’étrivières. Voilà une plaisante demande! dit le roi; pourquoi me faites-vous cette prière? C’est, dit Cardéro, que vos gens veulent absolument avoir la moitié de ce que vous nous donnerez. Le roi rit beaucoup, et fit un présent considérable à Cardéro: de là vient le proverbe qu’Il vaut mieux avoir affaire à Dieu qu’à ses saints

Se non e vero, e bene trovato, si ce n’est vrai, c’est bien trouvé, mais trouvé pourtant après Straparole, qui, dans la troisième fable de sa septième Nuit, fait jouer au bouffon Cimaroste, introduit auprès du saint-père, un rôle pareil à celui que Voltaire fait jouer au bonhomme Cardéro. La seule différence notable qu’il y ait entre les deux narrations, c’est que le proverbe ne se trouve pas mentionné dans celle de l’auteur italien; ce qui prouverait, s’il en était besoin, qu’il a dû sa naissance à quelque autre fait. Tout porte à croire qu’il a été imaginé par allusion aux saints gélifs ou saints vendangeurs, ainsi nommés parce que leurs fêtes, qui arrivent au mois d’avril, sont notées dans le calendrier populaire comme des jours où la gelée est pernicieuse aux semences et aux vignes. Ces saints, qu’on désigne aussi par le diminutifs Georget, Marquet, Jacquet, Croiset, Pérégrinet et Urbinet, étaient rendus responsables, autrefois, de la maligne influence de la saison, sur laquelle on croyait qu’ils avaient autorité; et les agriculteurs ainsi que les vignerons à qui elle causait quelque dommage, regrettant de les avoir invoqués en vain, leur adressaient des reproches, qui se résumèrent dans la formule proverbiale: Il vaut mieux avoir affaire à Dieu qu’à ses saints. Mais il est à remarquer qu’ils ne s’en tenaient pas d’ordinaire à une telle plainte. On lit, dans le Recueil des Statuts synodaux des églises de Cahors et Rhodez, par D. Martenne, que souvent ils fustigeaient et mutilaient leurs statues, lacéraient leurs images, les foulaient aux pieds et les traînaient dans la boue, à travers les ronces et les orties, jusqu’à la rivière, où ils les précipitaient, en poussant des cris d’insulte et de réprobation. Sanctorum imagines seu statuas irreverenti ausu tractantes, cum est intemperies aëris vel tempestatis,... in terra protrahunt, in orticis vel spinis supponunt, verberant, dilaniant, percutiunt et submergunt penitus reprobantes, etc.

Rabelais a dit, par plaisanterie sans doute, que François de Dinteville, évêque d’Auxerre, voulant faire cesser de tels désordres, avait eu la pensée de faire transférer les saints gélifs dans le temps de la canicule, et de mettre la mi-août au mois d’avril.

Un chapelain du cardinal de Richelieu fit une variante assez plaisante au proverbe Il vaut mieux avoir affaire à Dieu qu’à ses saints. Un jour qu’il avait attendu longtemps son éminence, à qui des occupations importantes fesaient oublier la messe, il se crut dispensé de la dire, et, sortant de la chapelle, il entra dans une salle voisine, où deux de ses amis étaient à déjeuner. Invité à se mettre à table avec eux, il hésita d’abord, et puis il se laissa aller à la tentation. Mais à peine eut-il porté le premier morceau à la bouche qu’on vint le chercher pour remplir son ministère, chose que sa conscience lui défendait de faire, puisqu’il n’était plus à jeun. Comme il se lamentait sur l’alternative fâcheuse à laquelle il se trouvait réduit d’offenser Dieu ou de déplaire au cardinal, on lui conseilla d’aller s’excuser auprès du cardinal, qui entendrait facilement raison. Mais le pauvre abbé, qui connaissait bien son homme, n’envisagea qu’avec frayeur la démarche qu’on lui proposait, et il ne put s’empêcher, dit-on, de s’écrier: Oh! j’aime mieux avoir affaire à Dieu qu’à monsieur le cardinal.

Les affaires font les hommes.

Pour signifier qu’une personne peu habile peut le devenir beaucoup à force de pratiquer les affaires.

A demain les affaires.

C’est-à-dire, amusons-nous aujourd’hui sans penser à aucune affaire.

Pendant que Thèbes gémissait sous le joug des Spartiates, Archias, gouverneur de cette ville, fut invité un jour, avec ses principaux officiers, chez un riche citoyen, nommé Philidas, à un repas somptueux, après lequel de séduisantes courtisanes devaient se joindre aux convives pour célébrer avec eux la fête de Vénus qui avait lieu ce jour-là. Comme il était plongé dans les délices de la bonne chère, un messager lui apporta des lettres où se trouvait dévoilé le secret d’une conjuration qui était sur le point d’éclater; il les rejeta en s’écriant: A demain les affaires sérieuses, et il demanda qu’on allât chercher les femmes promises à ses désirs; mais à la place et sous le vêtement de ces femmes, les conjurés, dont son hôte était le complice et dont Pélopidas était le chef, furent introduits dans la salle du festin, et l’insensé, qui attendait des caresses, ne reçut que des coups de poignard. Cet événement, qui amena l’affranchissement de la Béotie, obtint une grande célébrité dans la Grèce, et la phrase à demain les affaires, passant de bouche en bouche, devint un proverbe que les insouciants et les amis de la joie affectent maintenant de prendre pour devise, et qu’ils feraient mieux de prendre pour leçon.

AFFECTION.L’affection aveugle la raison.

On n’aperçoit pas ordinairement les défauts des personnes qu’on aime, et souvent même on prend ces défauts pour des qualités, car l’illusion est un effet nécessaire du sentiment, dont la force se mesure presque toujours par le degré d’aveuglement qu’il produit.

Le cœur a ses raisons que la raison ignore.

On voit toujours par les yeux de son affection.

Et, fût-il plus parfait que la perfection,
L’homme voit par les yeux de son affection. (Regnier, sat. 5.)

L’historiette suivante servira de commentaire à ce proverbe.

Un bon curé et une dame galante se trouvaient dans un observatoire. Ils avaient ouï dire que la lune était habitée, ils le croyaient, et, le télescope en main, tous les deux tâchaient d’en reconnaître les habitants. Si je ne me trompe, dit d’abord la dame, j’aperçois deux ombres: elles s’inclinent l’une vers l’autre. Je n’en doute point, ce sont deux amants heureux.... Eh! non, madame, s’écria le curé: les deux ombres que vous voyez sont deux clochers d’une cathédrale.—Ce conte est notre histoire; nous n’apercevons le plus souvent dans les choses que ce que nous désirons y trouver. Sur la terre comme dans la lune, des passions différentes nous font toujours voir ou des amants ou des clochers.

AFFLICTION.L’affliction ne guérit pas le mal.

Non est auxilium flere (Ovide). Les larmes ne sont d’aucun secours. Il ne faut pas épuiser à pleurer ses peines les forces qu’on peut avoir pour les adoucir. Le temps le plus mal employé, dit le duc de Lévis, est celui qu’on donne à ses regrets, à moins qu’on n’en tire des leçons pour l’avenir.

Scapin fait un excellent calcul lorsque, au lieu de s’affliger, il rend grâce à Dieu de tout le mal qui ne lui est point arrivé.

AFRIQUE.Qu’y a-t-il de nouveau en Afrique?

Quid novi fert Africa?

Cette interrogation proverbiale, fréquemment employée parmi nous, au sens propre, depuis dix ans que nous sommes campés en Afrique, nous est venue des Romains. On prétend qu’elle dut sa naissance à la curiosité vivement excitée chez eux par les événements multipliés qui se succédèrent dans cette région, lorsqu’ils en firent la conquête; mais on se trompe, car la chose se disait longtemps avant l’époque dont on parle. Pline le naturaliste (liv. VIII, ch. 16) en donne l’explication suivante: «La rareté des eaux en Afrique attire les bêtes féroces vers les bords d’un petit nombre de rivières; et, comme la violence ou le plaisir accouple alors des animaux de différentes espèces, il en provient des monstres; de là le proverbe grec que l’Afrique apporte toujours quelque chose de nouveau

Ce proverbe se trouve dans Aristote en ces termes: Ότι άεὶ φἐρει τι λιϐὐη ϰαινὀν. Il n’est donc pas d’origine romaine, et il fait allusion aux monstruosités que la contrée africaine a produites plus que toute autre et en tout temps. Peut-être était-il présent à l’esprit de Pythagore, lorsque ce philosophe disait: «Si tu veux voir des monstres, ne va pas en Afrique; voyage chez un peuple en révolution.»

ÂGE.L’âge n’est fait que pour les chevaux.

Pour dire qu’il ne faut pas reprocher à quelqu’un son âge, et qu’il vaut mieux considérer ses qualités que ses années.

AGIOS.Voilà bien des agios.

Voilà bien des discours, des cérémonies, des prétentions.

Agios est un mot grec par lequel commencent trois versets qui sont chantés trois fois chacun, la veille de Pâques, pendant l’adoration de la croix. Ce mot, qui signifie saint dans la langue d’où il est tiré, se trouve employé chez nos vieux auteurs comme synonyme de oraison, prière. Mais aujourd’hui il n’est plus qu’un terme d’emphase dont le peuple se sert dans les diverses acceptions énoncées en tête de cet article.

Les agios d’une mariée de village.

On désigne ainsi une toilette extraordinaire et ridicule; mais dans ce cas on devrait écrire agiaux, vieux mot qui veut dire affiquet, et qui dérive, suivant M. Éloi Johanneau, du latin aculeolus, aiguille de tête. Rabelais parle de gimpes et agiaux. On trouve écrit agiaulx dans des livres antérieurs au sien, et cette manière d’orthographier est plus près de l’étymologie que je viens de rapporter, Aculéols, acuols, agiaulx, voilà les transformations successives du mot pour devenir agiaux ou agios.

AGNEAU.D’où vient l’agneau, là retourne la peau.

Proverbe synonyme de ceux-ci, qui sont plus usités: Ce qui vient de la flûte s’en retourne au tambour.—Bien mal acquis ne profite point.

AHAN.Suer d’ahan.

C’est se donner une grande peine, une fatigue extraordinaire.

Le mot ahan, d’où vient le verbe ahanner, qu’on employait autrefois pour dire haleter en travaillant, est l’onomatopée du cri de respiration précipitée que laissent échapper les bûcherons dans leurs travaux. La plupart de nos vieux auteurs, depuis Jean de Meung jusqu’à Montaigne, et quelques écrivains des deux derniers siècles, se sont servis de ce terme très expressif. Je citerai Rabelais et Voltaire. Le premier a dit, dans son nouveau prologue du livre IV: «O Jupiter! vous en suâtes d’ahan, et de votre sueur tombant en terre naquirent les choux-cabus.» Le second, dans une de ses lettres, parlant de certains rimailleurs, les a désignés par la périphrase suivante: «Ces pauvres diables qui suent d’ahan dans leurs greniers pour chanter la volupté.»

Le père Labbe, qui regarde aussi le mot ahan comme une onomatopée, cite la naïveté plaisante d’un petit garçon qui disait à son père, filetoupier ou batteur de chanvre, dans l’idée de le soulager d’une partie de son travail: «Mon père, contentez-vous de battre, je vais faire ahan pour vous.»

AIDE.Bon droit a besoin d’aide.

Il ne faut pas se fier sur la justice de sa cause, quoiqu’il ne soit pas impossible de gagner une cause juste, comme l’a remarqué finement La Bruyère; il est nécessaire, pour en assurer le succès, de solliciter et de faire agir des amis et des protecteurs.—Plus valet favor in judice quam lex in Codice. La faveur chez le juge vaut mieux que la loi dans le Code.

Lamotte a dit qu’un juge a toujours

Pour les présents des mains, pour les belles des yeux.

Vers qui ressemble beaucoup à ceux-ci de La Fontaine, liv. VIII, fab. 7:

Nous n’avons pas les yeux à l’épreuve des belles,

Ni les mains à celle de l’or.

Bon droit a besoin d’aide est un proverbe ancien dans notre langue, car il se trouve dans le recueil des proverbes français, mis en vers latins, que Jean de la Vêprie publia en 1519.

Indiget auxilio vel bona causa bono.

Un peu d’aide fait grand bien.

Les Anglais disent: Many hands make light work. Plusieurs mains avancent l’ouvrage.

Aller à la cour des aides.

Ce calembourg proverbial s’emploie en parlant d’une personne qui se fait aider en quelque ouvrage, d’une personne qui va aux emprunts chez ses amis, et d’une femme galante qui ne se contente pas de son mari.

L’ancienne cour des aides tirait son nom ainsi que son origine des généraux des aides, institués, en 1356, pour connaître des discussions auxquelles pourraient donner lieu l’imposition et la perception des subsides ou aides réclamés par le roi Jean; mais elle n’avait été établie comme tribunal que sous le règne de François Ier.

AIDER.Aide-toi, le Ciel t’aidera.

Pour signifier qu’on prie vainement le ciel de favoriser une entreprise, si l’on ne travaille soi-même à la faire réussir. «De nostre part convient nous évertuer, et, comme dit le sainct envoyé, estre coopérateurs avec lui-même.» (Rabelais, liv. IV, chap. 23.)

Quand nous n’agissons point les dieux nous abandonnent. (Volt.)

Les Lacédémoniens recommandaient d’implorer l’assistance des dieux avec les bras étendus et non pas avec les bras croisés.

Les Athéniens disaient: Φιλεῖ τῷ ϰἀμνοντι συγϰἀμνειν Θἑος. Dieu aime à seconder celui qui travaille.

Les Basques rendent la même pensée en ces termes: Iaincoa, ahalcor bad’ere, esta ahanscor. Quoique Dieu soit bon ouvrier, il veut qu’on l’aide.

Les Espagnols se servent de cette phrase élégamment figurée: Por agua del cielo no dexes tu riego. Pour l’eau du ciel n’abandonne pas l’arrosoir[5].

Les Écossais s’expriment ainsi: Do the likeliest, and God will do the best. Fais ce qui convient, et Dieu fera le reste.

Le Ciel bénit toujours la main laborieuse.

On sait que le proverbe Aide-toi, le Ciel t’aidera, a été mis en action par La Fontaine, dans la fable du Charretier embourbé, qui a contribué beaucoup à le rendre très populaire.

AIGLE.L’aigle ne chasse point aux mouches.

L’homme supérieur dédaigne les bagatelles, ne descend point à des petitesses.

C’est la traduction littérale de l’adage latin: Aquila non capit muscas. Christine de Suède, qui affectait de se montrer ennemie des petits détails, avait souvent cet adage à la bouche.

Les Latins disaient encore dans un sens analogue: De minimis non curat prætor, parce que le préteur ne jugeait point les causes qui avaient peu d’importance.

L’aigle n’engendre point la colombe.

Pour dire que les vertus et les talents sont héréditaires, ce qui est rarement vrai, surtout des talents.

Ce proverbe est traduit d’Horace, qui a dit, dans l’ode 3e du liv. IV:

..... Nec imbellem feroces
Progenerant aquilæ columbam.

Et l’aigle, courageuse et fière,
N’engendre point de tourtereaux. (J.-B. Rousseau.)

AIGUILLE.Il faut une aiguille pour la bouche et deux pour la bourse.

C’est-à-dire que le mauvais emploi de l’argent est moins préjudiciable que le mauvais emploi des paroles.

Chercher une aiguille dans une botte de foin.

C’est chercher une chose aussi difficile à trouver que le serait une aiguille tombée dans une botte de foin.

Disputer sur la pointe d’une aiguille.

C’est-à-dire sur une chose qui n’en vaut pas la peine, sur la moindre bagatelle.

On a prétendu que cette expression est venue de la longue apostrophe que Pymante, personnage de la pièce de Clitandre par Corneille, adresse à l’aiguille avec laquelle Doris lui a crevé un œil. Mais une preuve sans réplique que l’expression n’est point venue de là, c’est qu’elle se trouve dans les vers suivants de Regnier, mort plusieurs années avant que Corneille eût écrit:

On n’avait point de peur qu’un procureur fiscal
Formât sur une aiguille un long procès-verbal.

Il est probable qu’elle est née d’une allusion aux disputes qui s’élèvent parmi les enfants, au jeu de la poussette, lorsque, dans un cas douteux, les uns prétendent que la pointe d’une aiguille qui vient d’être poussée avec le doigt se trouve placée de manière à rendre le coup valable, tandis que les autres soutiennent le contraire.

Les Grecs disaient: Disputer sur l’ombre d’un âne. Ce qui était fondé sur une historiette que Démosthène conta aux Athéniens pour ramener leur attention, un jour qu’il les haranguait, sans en être écouté, en faveur d’un homme qu’il voulait dérober au supplice. Un voyageur, dit-il, allait d’Athènes à Mégare, monté sur un âne qu’il avait loué. C’était au temps de la canicule, et vers le milieu du jour; ne pouvant résister à la rage du soleil et ne trouvant pas même un buisson sur la route pour se mettre à l’abri, il prit le parti de descendre de sa monture, de s’asseoir près d’elle et de se rafraîchir à son ombre; l’ânier qui l’accompagnait revendiqua cette place, alléguant qu’il n’avait pas loué l’ombre de sa bête. La dispute s’échauffa, des paroles on en vint aux coups, et il en résulta un procès... Après avoir parlé de la sorte, Démosthène allait reprendre sa harangue; mais les auditeurs, dont il avait piqué la curiosité, voulurent savoir quelle avait été la décision des juges sur une telle affaire. L’orateur alors releva éloquemment cette puérilité dans l’intérêt de son client, en leur reprochant d’accorder leur attention à une dispute sur l’ombre d’un âne, tandis qu’ils la refusaient à une cause où il s’agissait de la vie et de l’honneur d’un homme.

Les Latins disaient: Rixari de lanâ caprinâ. Disputer sur la laine d’une chèvre. Expression qui se trouve dans ce vers d’Horace:

Alter rixatur de lanâ sæpe caprinâ.

AIGUILLETTE.Courir l’aiguillette.

Cette expression est, dit-on, fondée sur une coutume observée anciennement à Beaucaire, la veille de la foire, par les femmes de mauvaise vie qui, ce jour-là, célébraient la fête de sainte Magdeleine, leur patronne, en faisant une course publique où la plus agile gagnait un paquet d’aiguillettes. Ce n’était point sans un motif particulier qu’un pareil prix leur était assigné par les autorités du lieu; car l’enseigne de ces femmes était une aiguillette que chacune d’elles portait sur l’épaule gauche. Ainsi le voulait une ordonnance par laquelle Louis IX avait réglé leur costume, ordonnance que la reine Jeanne, comtesse de Provence, fit observer, un siècle après, dans le comtat Venaissin.

On ne peut dire précisément à quelle époque fut établie la course de Beaucaire. Peut-être est-elle aussi ancienne que la foire qui fut instituée, à ce qu’on prétend, par Raymond VI comte de Toulouse, en reconnaissance du zèle que les Beaucairois avaient montré pour ses intérêts pendant la guerre des Albigeois[6]. On ne peut préciser non plus à quelle époque cette course fut supprimée. Golnitz, qui en a parlé dans son Ulysse gallo-belge, écrit en 1630, nous apprend qu’elle n’existait plus alors depuis longtemps.

On fesait courir aussi les courtisanes en Italie, et le prix qu’on leur donnait, ou le patio, était un coupon de velours ou de brocard, ou de quelque autre étoffe précieuse.

Certains étymologistes ont pensé que la qualification de coureuse donnée à une femme galante est venue d’une allusion à cette espèce de course. Il est plus probable que cette espèce de course, au contraire, a été la conséquence de la qualification de coureuse, qui est d’une haute antiquité. Salomon, dans ses Proverbes (ch. 7, v. 9), appelle la courtisane mulier vaga, c’est-à-dire coureuse; et Properce se sert du même terme, dans ce vers de la cinquième élégie du premier livre:

Non est illa vagis similis collata puellis.

Celle que tu recherches ne ressemble point aux coureuses.

Nouer l’aiguillette.

Ami lecteur, vous avez quelquefois
Ouï conter qu’on nouait l’aiguillette. (Voltaire.)

Cette expression, dont on se sert pour désigner un prétendu maléfice auquel le peuple attribue le pouvoir de réduire les nouveaux mariés à un état d’impuissance, est venu, dit un excellent commentateur de Regnier, de ce que, autrefois, le haut-de-chausses tenait au pourpoint par un lacet nommé aiguillette, ajustement dont le costume de l’Avare, conservé au théâtre dans cette pièce de Molière, peut donner une idée. C’est l’explication la plus décente, et je m’y tiens. Si l’on en désire une autre, on saura bien la trouver sans moi.

On a cru, dans tous les temps, qu’il y avait des sorciers capables d’empêcher la consommation du mariage, et cette croyance, tout absurde qu’elle est, a été partagée par des philosophes, des saints, des législateurs et des papes. Platon, livre XI des Lois, conseille aux nouveaux époux de se prémunir contre les charmes ou ligatures qui trompent l’espoir du lit conjugal. Saint Augustin, Traité septième, de l’Évangile selon saint Jean, spécifie les divers sortiléges usités en pareil cas. Charlemagne, dans ses Capitulaires, condamne à des peines afflictives les fauteurs de cette œuvre d’iniquité, et plusieurs pontifes ont fulminé des bulles contre eux.

La superstition avait suggéré un assez grand nombre de moyens pour empêcher ou pour rompre le nouement de l’aiguillette. Un des plus anciens, que rapportent les auteurs qui ont écrit sur les cérémonies nuptiales, consistait à frotter de graisse de loup le haut et les poteaux de la porte de la maison où les mariés devaient coucher; et il est à remarquer que le mot latin uxor, épouse, est venu de cette onction faite par l’épouse. On a dit d’abord unxor, du verbe ungere, oindre, et puis uxor. Ne riez pas de cette étymologie: elle a été reconnue, excellente par Festus, saint Isidore de Séville, Arnobe, Donat, Servius, Brisson, etc., etc.

Chez nos bons aïeux, on avait soin de mettre du sel dans ses poches ou des sous marqués dans ses souliers, avant d’aller à l’église pour la cérémonie du mariage. Quelquefois on fesait cette cérémonie pendant la nuit, en cachette, afin qu’il n’y eût que des personnes non suspectes; quelquefois aussi on frappait la tête et la plante des pieds des fiancés avec des bâtons ou autrement, pendant qu’agenouillés ils recevaient la bénédiction nuptiale. (Thiers, Traité des superstitions.)

Lorsque ces préservatifs contre le sortilége n’avaient pas été assez efficaces, on perçait un tonneau de vin blanc dont on n’avait encore rien tiré, et on fesait passer dans l’anneau nuptial le premier vin qui en coulait.—On usait aussi de plusieurs pratiques religieuses, indiquées dans quelques rituels, pour guérir les hommes froids et maléficiés, homines frigidos et maleficiatos.

Le père Théophile Raynaud a écrit sérieusement qu’il était permis, en ce cas, de renouveler le mariage qu’on avait contracté, et il en cite plusieurs exemples. Cependant l’Église condamna formellement cette folle idée qui s’était accréditée.

AILE.Tirer pied ou aile de quelqu’un ou de quelque chose.

C’est en tirer de manière ou d’autre au moins une partie de ce qu’on prétend en avoir.

Expression métaphorique que l’on croit être prise du tir de l’oie.

On donne à ce jeu cruel, qui se pratique dans nos villages, une origine très ancienne et très singulière. Il fut, dit-on, institué par les Gaulois, en mémoire du revers que fit éprouver aux soldats de Brennus la vigilance de l’oiseau gardien du Capitole. Si le fait est vrai, il peut être cité comme modèle de la vengeance la plus persévérante qu’il y ait jamais eu. Mais il faut avouer qu’il eût mieux valu amnistier l’innocente parenté des oies romaines, qui, après tout, n’avaient fait que leur devoir.

En avoir dans l’aile.

Cette expression est une allusion à l’état d’un oiseau blessé à l’aile, qui ne peut plus voler. Elle s’emploie en parlant d’une personne amoureuse à qui sa passion ne permet plus de voltiger, ou d’une personne qui a éprouvé quelque disgrâce.

En avoir dans l’aile, se dit encore pour signifier: Être dans la cinquantaine. En ce sens, l’expression est une allusion homonymique du mot aile à la lettre numérale L, qui signifie cinquante dans le système des chiffres romains, dont voici l’explication:

La lettre M marqua mille, parce qu’elle est la première du mot latin mille. Cette lettre eut d’abord ces deux formes CIƆ et CIƆ, dont une moitié, tracée ainsi IƆ ou D, constitua le demi-mille ou cinq cents. Le C, qui représenta le nombre cent, en sa qualité d’initiale du mot centum, eut primitivement cette figure C qui, coupée en deux par le milieu, donna L ou cinquante, moitié de cent.—Quant aux chiffres de la première dizaine, ils furent faits à l’imitation des doigts de la main sur lesquels on comptait, en commençant par l’auriculaire. I fut mis pour un, II pour deux, III pour trois, IIII pour quatre, V pour cinq, parce que le pouce et l’index écartés forment une espèce de V; et X, composé de deux V réunis par la pointe, valut dix, nombre égal à celui des doigts des deux mains.—Dans la suite, on réforma le chiffre IIII pour la commodité ou l’abréviation de l’écriture, et l’on eut IV, en plaçant I comme unité diminutive devant V, ce qui désigne une main moins un doigt. On mit aussi la même unité devant X, pour marquer la même diminution, et X, à son tour, servit à priver de toute la valeur numérique qu’il a les chiffres L et C qui en furent précédés, de sorte que XL devint le signe XXXX quarante, et XC de LXXXX, quatre-vingt-dix, etc.

AIMER.Il faut aimer pour être aimé.

Proverbe rapporté par Sénèque, Si vis amari, ama, et très bien expliqué dans ce passage de J.-J. Rousseau: «On peut résister à tout, hors à la bienveillance, et il n’y a pas de moyen plus sûr de gagner l’affection des autres que de leur donner la sienne.... On sent qu’un tendre cœur ne demande qu’à se donner, et le doux sentiment qu’il cherche vient le chercher à son tour.»

La bonté, dit Bossuet, est le premier attrait que nous avons en nous-même pour gagner les autres hommes. Les cœurs sont à ce prix, et celui dont la bonté n’est pas le partage, par une juste punition de sa dédaigneuse insensibilité, demeure privé du plus grand bien de la vie humaine, c’est-à-dire des douceurs de la société.

C’est trop aimer quand on en meurt.

Ce proverbe est du moyen âge, dont il atteste la simplicité. Il n’a plus d’application dans notre siècle égoïste. On dit, au contraire, aujourd’hui: Mort d’amour et d’une fluxion de poitrine.

Mieux vaut aimer bergères que princesses.

On a voulu chercher une origine historique à ce proverbe qui est né peut-être d’une réflexion naturelle, et l’on a trouvé cette origine dans l’affreux supplice que subirent deux gentilshommes normands, Philippe d’Aunai et Gautier, son frère, convaincus d’avoir eu, pendant trois ans, un commerce adultère avec les princesses Marguerite et Blanche, épouses des deux fils de Philippe-le-Bel, Louis et Charles. Les chroniques en vers de Godefroy de Paris (manuscrits de la Bibliothèque royale, no 6812) nous apprennent que les deux coupables furent écorchés vifs, traînés, après cela, dans la prairie de Maubuisson tout fraîchement fauchée, puis décapités et pendus par les aisselles à un gibet. Quant aux deux princesses, elles furent honteusement tondues et incarcérées. Marguerite fut étranglée, dans la suite, au château Gallard, par ordre de son mari Louis-le-Hutin, qui voulut se remarier, en montant sur le trône. Blanche languit dans une longue captivité.

Aimer mieux de loin que de près.

Expression qui a beaucoup de rapport avec ce vers qu’Alcyone adresse à Céix (Métamorph. d’Ovid., liv. IX):

Jam via longa placet, jam sum tibi carior absens.

Il est très vrai qu’on aime mieux certaines personnes lorsqu’on n’est plus auprès d’elles, parce que leurs défauts, rendus moins sensibles et presque effacés par l’éloignement, ne contrarient plus la tendre impulsion du cœur. Mais ce n’est point là ce qu’on entend d’ordinaire quand on dit aimer mieux de loin que de près. Cette phrase ne s’emploie guère que pour signifier qu’on ne se soucie point d’avoir un commerce assidu avec une personne.

Feindre d’aimer est pire que d’être faux monnayeur.

Il n’est pas besoin d’observer que ce proverbe est du temps des Amadis.

Il faut connaître avant d’aimer.

Maxime bonne pour l’amitié, mais inutile pour l’amour, qui n’est jamais déterminé par la réflexion.

Aime comme si tu devais un jour haïr.

Ce mot, que Scipion regardait comme le plus odieux blasphème contre l’amitié, est attribué à Bias par Aristote, qui dit dans sa Rhétorique: «L’amour et la haine sont sans vivacité dans le cœur des vieillards; suivant le précepte de Bias, ils aiment comme s’ils devaient haïr un jour; ils haïssent comme s’ils devaient un jour aimer.» Cependant Cicéron ne peut croire que la première partie de cette sentence appartienne à un homme aussi sage que Bias: la seconde, en effet, est seule digne de lui. Il est probable, comme le remarque M. Jos-Vict-Leclerc, que le philosophe de Priène s’était contenté de dire: Haïssez comme si vous deviez aimer, et qu’on a ajouté le reste pour former antithèse et pour appuyer une fausse maxime d’une grande autorité. Quoi qu’il en soit, cette maxime n’en est pas moins passée en proverbe, par une espèce de fatalité qui, trop souvent, fait retenir ce qui est mal et oublier ce qui est bien. Mais ce n’a pas été pourtant sans une forte opposition. Tous les auteurs qui ont écrit sur l’amitié se sont attachés à la combattre. Les deux meilleures réfutations qu’on en ait faites sont ce mot de César, J’aime mieux périr une fois que de me défier toujours, et ces vers de Gaillard que La Harpe a cités dans son Cours de Littérature:

Ah! périsse à jamais ce mot affreux d’un sage,
Ce mot, l’effroi du cœur et l’effroi de l’amour:
«Songez que votre ami peut vous trahir un jour!»
Qu’il me trahisse, hélas! sans que mon cœur l’offense,
Sans qu’une douloureuse et coupable prudence,
Dans l’obscur avenir, cherche un crime douteux.
S’il cesse un jour d’aimer, qu’il sera malheureux!
S’il trahit nos secrets, je dois encor le plaindre.
Mon amitié fut pure et je n’ai rien à craindre.
Qu’il montre à tous les yeux les secrets de mon cœur;
Ces secrets sont l’amour, l’amitié, la douleur,
La douleur de le voir, infidèle et parjure,
Oublier ses serments comme moi son injure.

Vivre avec nos ennemis, dit La Bruyère, comme s’ils devaient être un jour nos amis, et vivre avec nos amis comme s’ils pouvaient devenir nos ennemis, n’est ni selon la nature de la haine, ni selon les règles de l’amitié. Ce n’est point une maxime de morale, mais de politique.

Qui m’aime, me suive.

Philippe VI de Valois était à peine sur le trône de France qu’il fut engagé à la guerre contre les Flamands. Comme son conseil ne paraissait pas approuver cette guerre qu’il embrassait avec une extrême avidité, il porta sur Gaucher de Châtillon[7] un de ces regards qui semblent vouloir enlever les suffrages. «Et vous, seigneur connétable, lui dit-il, que pensez-vous de tout ceci? Croyez-vous qu’il faille attendre un temps plus favorable?—Sire, répondit le guerrier, qui a bon cœur, a toujours le temps à propos. «Philippe, à ces mots, se lève transporté de joie, court au connétable, l’embrasse et s’écrie: Qui m’aime, si me suive! Saint-Foix, qui rapporte le fait, prétend que ce fut l’origine du proverbe; mais il est sûr que ce n’en fut que l’application. Le proverbe existait longtemps auparavant, puisqu’il se trouve dans ce vers de Virgile:

Pollio, qui te amat veniat quo te quoque gaudet.

Il remonte jusqu’à Cyrus, qui exhortait ses soldats en s’écriant: Qui m’aime, me suive!

Qui bien aime, bien châtie.

Qui benè amat, benè castigat.

Le conseil exprimé par ce proverbe, étranger aux mœurs actuelles, fut un des points fondamentaux de la méthode du stoïcien Chrysippe pour l’éducation des enfants. Il paraît même avoir fait partie de la doctrine socratique, si l’on en juge par la quatrième scène du cinquième acte des Nuées d’Aristophane, où un disciple de Socrate est représenté battant son père, en disant: «Battre ce qu’on aime est l’effet le plus naturel de tout sentiment d’affection; aimer et battre ne sont qu’une même chose. Τοῦτ ἔς̓ ευνοεῖν τὸ τὐπτειν.»

Quand on n’a pas ce que l’on aime, il faut aimer ce que l’on a.

Proverbe qui se trouve dans presque toutes les langues; tant la vérité qu’il exprime est généralement reconnue. Il n’y pas de maladie plus cruelle, disaient les Celtes, que de n’être pas content de son sort.

Aime-moi un peu, mais continue.

Pour dire qu’on préfère une affection modérée mais durable, à une affection excessive qui est sujette à passer promptement.

Qui aime Bertrand aime son chien.

Pour signifier que quand on aime quelqu’un, il faut aimer aussi tout ce qui l’intéresse.

AIR.Prendre ou se donner de grands airs.

C’est-à-dire de grandes manières, trancher du grand seigneur.

Le mot air a été mis ici pour erre, qui signifie manière de vivre, d’agir, train de vie, comme dans cette autre locution, Aller grand’erre, dont on se sert, dit Barbasan, pour exprimer qu’une personne a un grand train, un grand équipage, qu’elle est somptueuse en habits. Roquefort observe qu’on n’a écrit air pour erre que dans le dix-huitième siècle et dans les nouveaux dictionnaires.

ALCHIMIE.Faire de l’alchimie avec les dents.

C’est n’avoir ni pain ni pâte, et mâcher à vide.—C’est encore se refuser la nourriture nécessaire, et chercher, comme l’avare, à remplir sa bourse par l’épargne de sa bouche.—Le roi Midas, dont les aliments se convertissaient en or, fesait de l’alchimie avec les dents.

ALGARADE.Faire une algarade à quelqu’un.

C’est lui faire une insulte bruyante et imprévue.—Plusieurs étymologistes prétendent que le mot algarade a été formé du nom des Algériens, à cause des invasions subites que ces corsaires fesaient autrefois sur les côtes de la Méditerranée. Il me semble qu’il a dû être formé par métaplasme du cri à la garade, que les habitants de nos contrées méridionales sont habitués à faire entendre pour avertir de quelque danger. Mais les doctes ont prononcé qu’il est venu de l’espagnol algarada, qu’ils dérivent du verbe arabe gara, molester, agir avec perfidie, et de l’article al, pareillement arabe.

ALIBORON.Maître Aliboron ou Aliborum.

Ignorant qui fait l’entendu et qui se croit propre à tout. Antoine de Arena a dit dans son poëme macaronique intitulé Modus de choreando bene:

Mestrus Aliborus omnia scire putans.

Ce mot est plus ancien que ne l’a cru Court de Gébelin qui en a attribué le premier emploi à Rabelais; car l’auteur de la Passion à personnages s’en était servi antérieurement dans ce vers injurieux que le satellite Gadifer adresse au Sauveur (feuillet 207 de l’édition in-4o gothique):

Sire roy, maistre Aliborum.

Pour en expliquer l’origine on a fait beaucoup de conjectures, dont la plus ingénieuse est celle du savant Huet évêque d’Avranches. D’après lui, ce terme, né au barreau, fut originairement un sobriquet donné à un avocat qui, plaidant en latin, selon l’ancien usage, et voulant détourner les juges d’admettre les alibi allégués par sa partie adverse, s’était écrié sottement: Non habenda est ratio istorum aliborum, comme si alibi eût été déclinable.

Le docte Le Duchat a imaginé une espèce de généalogie d’Aliboron, qu’il fait descendre d’Albert-le-Grand. Cet Albert, réputé alchimiste et magicien, est, dit-il, le prototype d’Albéron, Auberon ou Obéron, roi de féerie, dont le pouvoir opère des merveilles dans le roman de Huon de Bordeaux; et d’Albéron est venu Aliboron, qui, l’on doit l’avouer, ne fait pas grand honneur à ses ancêtres.

Sarazin et La Fontaine ont vu tout simplement un âne dans Aliboron. Le premier a dit dans le Testament du Goulu:

Ma sotane est pour maistre aliboron,
Car la sotane à sot âne appartient.

Et le second, dans la treizième fable du deuxième livre, Les Voleurs et l’Ane:

Arrive un troisième larron
Qui saisit maître aliboron.

Sarazin et La Fontaine, en donnant un tel nom à cet animal, n’ont fait, à mon avis, que lui rendre ce qui lui appartient. Je crois qu’Aliboron est le mot patois aribourou, francisé avec le changement de r en l, si commun en lexicologie; et aribourou, composé de ari, va, et de bourou, baudet, c’est-à-dire, Va, baudet! est, dans les idiomes méridionaux dérivés de la langue romane, un cri dont les âniers se servent pour faire marcher leurs bêtes, et dont les mauvais plaisants font une espèce de macte animo ironique qu’ils adressent aux sots qui extravaguent.

ALLELUIA.Enterrer l’alleluia.

On dit qu’on enterre l’alleluia, pour marquer le temps où l’on cesse de le chanter aux offices, c’est-à-dire le samedi veille du dimanche de la Septuagésime; et il est à remarquer qu’autrefois cette expression avait une signification littérale, comme le prouve un article intitulé Sepelitur alleluia, qui se trouve dans les statuts de l’église de Toul, rédigés au xve siècle. L’enterrement de l’alleluia se fesait très solennellement dans la cathédrale de cette ville, entre nones et vêpres, en présence de tout le chapitre. Les enfants de chœur officiaient et portaient une espèce de bière, qui représentait l’alleluia décédé, et qui était accompagnée des croix, des torches, de l’eau bénite et de l’encens. Il fallait que ces enfants et ceux qui suivaient le cercueil fissent entendre des plaintes et des lamentations jusqu’au cloître, où la fosse était préparée pour l’inhumation.

Fouetter l’alleluia.

Cette expression désignait autrefois une cérémonie qui se fesait aussi dans quelques diocèses, le samedi veille du dimanche de la Septuagésime. Un enfant de chœur lançait dans l’église une toupie autour de laquelle était écrit alleluia en lettres d’or, et, le fouet à la main, il la poussait le long du pavé, jusqu’à ce qu’elle fût tout à fait dehors. L’église alors, comme une mère complaisante, fesait dans sa liturgie la part de la récréation des jeunes clercs.

Alleluia d’automne.

Le peuple appelle ainsi, dans quelques endroits du midi de la France, une joie inconvenante et déplacée, comme le serait un alleluia chanté à l’office des morts qu’on fait en automne; ce qui revient au proverbe de l’Ecclésiastique (ch. 22, v. 6): Musica in luctu, importuna oratio: Un discours à contre-temps est comme une musique pendant le deuil.—Saint Grégoire-le-Grand avait ordonné que l’alleluia (terme hébreu, qui signifie louez Dieu) fût chanté toute l’année. Dès lors ce mot fut joint à toutes les prières, comme le Gloria Patri à tous les psaumes. Les rubricaires le placèrent même dans l’office des morts, d’où il fut ôté par décision expresse du onzième canon du quatrième concile de Tolède. De là l’expression Alleluia d’automne, qu’on pourrait regarder aussi comme une altération de Alleluia d’Othon, expliqué plus bas.

On dit encore: Alleluia de Carême, et c’est une superstition notée par Thiers (liv. iv, ch. 3), qu’il ne faut point chanter l’alleluia en Carême, de peur de faire pleurer la bonne Vierge.

Alleluia d’Othon.

L’empereur Othon II fit une irruption en France et s’avança, à la tête de soixante mille Allemands, jusqu’à Paris, qu’il assiégea, au mois d’octobre 978. Il s’approcha d’une des portes de la cité et la frappa de sa lance. Ensuite il monta sur le haut de Montmartre, et fit chanter alleluia en l’honneur d’une telle prouesse. Mais Lothaire, qui arriva sur ces entrefaites avec les troupes du comte Hugues-Capet et du duc de Bourgogne Henri, troubla la joie inconsidérée de ce fier conquérant, le mit en déroute, le poursuivit jusqu’à Soissons, et s’empara de tous ses bagages. L’alleluia d’Othon passa en proverbe, et servit autrefois à désigner une réjouissance intempestive ou une fanfaronnade suivie de quelque effet désagréable pour laefanfaron.

ALLEMAND.Faire une querelle d’Allemand.

Faire une querelle sans sujet ou pour un très mince sujet. Ce que les Italiens appellent Pigliar la cagione del petrosello. Prendre la cause du persil.

Les Allemands, que Ronsard appelle la gent pronte au tabourin, c’est-à-dire prompte à faire du bruit, furent longtemps d’incommodes voisins pour la France, et se montrèrent toujours prêts à saisir le moindre prétexte pour faire des irruptions sur son territoire. De là est venue probablement notre expression proverbiale. Elle peut être venue aussi de ce que les seigneurs allemands, autrefois fort adonnés aux plaisirs de la table, se cherchaient dispute à tout propos, une fois qu’ils étaient échauffés par le vin.—On disait, au moyen âge: Li plus ireux (les plus enclins à l’ire ou à la colère) sont en Allemaingne.

C’est du haut allemand.

C’est inintelligible. Molière a dit (Dépit amour., act. II, sc. 7):

Mon père, quoiqu’il eût la tête des meilleures,
Ne m’a jamais rien fait apprendre que mes heures,
Qui, depuis cinquante ans, dites journellement,
Ne sont encor pour moi que du haut allemand.

On trouve dans plusieurs passages de Rabelais, notamment dans le prologue du livre 4: N’y entendre que le haut allemand.

Cette expression est fondée sur l’ignorance générale où étaient nos pères du langage des habitants de l’Allemagne supérieure, avec lesquels ils n’avaient presque point de commerce. Ce langage, au reste, n’était pas toujours bien compris des habitants de l’Allemagne inférieure, comme l’atteste l’aventure des trois Bavarois, de tribus Bavaris, rapportée par Bebelius, au livre 3e de ses Facéties. Le pur saxon, ou le haut allemand, ne commença à prévaloir sur les nombreux dialectes germaniques et à devenir familier que par suite du choix qu’en firent les premiers écrivains de la réforme.

ALLER.On ne va jamais si loin que lorsqu’on ne sait pas où l’on va.

Ce proverbe est aussi anglais. Cromwell le répétait quelquefois, pour marquer qu’il faut avoir un but déterminé.

ALLOBROGE.C’est un Allobroge.

C’est un original, un sot, un rustre.—On dit aussi: Agir, parler, raisonner, écrire comme un Allobroge. Voltaire a dit: De très mauvaises tragédies barbares, écrites dans un style d’Allobroge, ont réussi.

L’emploi de ce mot dans un sens de mépris n’est pas nouveau, car il se trouve dans plusieurs auteurs latins, notamment dans Juvénal, qui nous apprend qu’un certain Rufus, rhéteur gaulois établi à Rome, qualifiait Cicéron de la sorte:

Rufus qui toties Ciceronem allobroga dixit. (Sat. 7, v. 214.)

Les Allobroges étaient un ancien peuple établi dans la partie des Gaules qu’on appelle aujourd’hui le Dauphiné et la Savoie, pays montagneux, d’où dériva leur nom formé, suivant Boxhornius, des mots celtiques all, haut, et brog, pays; c’est-à-dire le haut pays ou la montagne. L’opinion désavantageuse qu’on se fait ordinairement de l’esprit et des manières des montagnards fut sans doute la cause du ridicule attaché au nom des Allobroges, et à celui de leurs descendants, car on dit aussi populairement, en parlant d’un homme grossier: C’est un Savoyard. Mais il y a une autre raison de cette dernière expression: c’est que la plupart des gens qui viennent de Savoie en France pour travailler n’exercent guère que des métiers méprisés, comme celui de ramoneur. Ceci soit dit sans blesser la susceptibilité des bons habitants de cette contrée, qui tiennent à être nommés Savoisiens.

ALMANACH.Faire des almanachs.

Fleury de Bellingen donne cette explication: «Passer le temps, comme on dit, à compter les étoiles et tomber dans les misères en négligeant les affaires importantes, ainsi que cet astrologue qui, la vue fixée sur le ciel, ne prenait pas garde à la fosse qui était devant lui et y tomba.»

Faire des almanachs s’emploie aujourd’hui le plus souvent pour signifier faire des pronostics en l’air, se remplir la tête d’idées fausses, d’imaginations extravagantes. On dit aussi dans le même sens qu’un homme est un faiseur d’almanachs.

Prendre des almanachs de quelqu’un.

On dit à un homme qui a prédit juste ce qui devait arriver dans une affaire, qu’une autre fois on prendra de ses almanachs, pour signifier qu’on suivra ses conseils ou qu’on ajoutera foi à ses prédictions.

ALOUETTE.Il attend que les alouettes lui tombent toutes rôties dans le bec.

Ce proverbe, qu’on applique à un fainéant qui ne veut se donner aucune peine pour gagner sa vie, n’est point venu, comme le pense l’abbé Tuet, d’une allusion à la manne qui tombait du ciel pour nourrir les Israélites: il est fondé sur une tradition de l’âge d’or qu’on a fait revivre dans celle du pays de Cocagne. Voyez l’article sur cette expression, et vous y trouverez un fragment d’un poète grec où il est dit que, pendant l’âge d’or, les grives toutes rôties volaient dans les bouches que l’appétit fesait ouvrir.

On trouve dans les prophéties de Nahum, ch. 3: Fici cadunt in os comedentis.

Si le ciel tombait il y aurait bien des alouettes prises.

Réponse proverbiale qu’on fait pour se moquer d’une supposition absurde par une autre plus absurde:

Si cælum caderet multæ caperentur alaudæ.

Les Grecs disaient dans le même sens: Que serait-ce, si le ciel tombait? Et notez que chez eux la possibilité de la chute du ciel n’était pas une supposition, mais une croyance entretenue par leurs poëtes qui le représentaient soutenu sur les épaules chancelantes d’Atlas, et par quelques physiciens qui le croyaient fait de pierres de taille. Les Gaulois croyaient aussi à la chute du ciel, comme le prouve la réponse de leurs envoyés auprès d’Alexandre-le-Grand, lorsqu’il allait soumettre les Gètes au delà du Danube. Ce prince, qui les reçut à sa table, leur ayant demandé ce qu’ils craignaient le plus au monde:—Rien, s’écrièrent-ils, si ce n’est que le ciel ne tombe et ne nous écrase. Paroles qui firent dire au conquérant: Αλαζόνίς Κἐλτοὶ εἰσίν. Ils sont fiers, les Gaulois.

ALPHABET.La colère se passe en disant l’alphabet.

Les vers suivants de Molière (École des Femmes, act. II, sc. 4) expliquent très bien ce proverbe, qui se trouve parmi les six mille proverbes recueillis par Gomes de Trier, sous le titre de Jardin de récréation auquel croissent et fleurissent rameaux, fleurs et fruits. Amsterdam, 1611.

Un certain Grec disait à l’empereur Auguste,
Comme une instruction utile autant que juste,
Que, lorsqu’une aventure en colère nous met,
Nous devons, avant tout, dire notre alphabet,
Afin que, dans ce temps, notre ire se tempère,
Et qu’on ne fasse rien que l’on ne doive faire.

C’est Athénodore, philosophe originaire de Tharse, qui donna à l’empereur Auguste ce remède contre la colère. Il voulait lui faire entendre par là, dit Sénèque, que la réflexion est le meilleur moyen pour réprimer les premiers mouvements de cette passion impétueuse.

Interit ira mora. (Ovid.) La colère se passe quand on en retarde l’effet.

AMANDE.Il faut casser le noyau pour en avoir l’amande.

Il faut prendre de la peine avant de retirer du profit de quelque chose. Les Latins disaient: Qui nucleum esse vult frangit nucem; qui veut manger la noix doit en casser la coque. Rabelais (Prologue du 1er livre) recommande de rompre l’os pour en sucer la moelle.

AMANDIER.Il vaut mieux être mûrier qu’amandier.

Il y a plus de profit à être sage qu’à être fou.—L’amandier est considéré comme le symbole de l’imprudence, parce que sa floraison trop hâtive l’expose aux gelées du printemps; et le mûrier comme celui de la prudence, parce qu’il fleurit à une époque où il ne peut éprouver aucun dommage.

AMANT.L’ame d’un amant vit dans un corps étranger.

Cet adage ingénieux, rapporté par Plutarque dans la vie de Marc-Antoine, signifie qu’un amant est tout entier à sa passion et ne s’appartient pas à lui-même. L’ame d’un amant vit plus dans ce qu’elle aime que dans ce qu’elle anime, Anima plus vivit ubi amat quam ubi animat, parce que, disent les philosophes, elle est par nécessité là où elle anime, tandis qu’elle est par choix et par inclination là où elle aime.

La bourse d’un amant est liée avec des feuilles de porreau.

C’est-à-dire qu’elle n’est pas liée, parce que les feuilles de porreau, qui se rompent aussitôt qu’on veut les nouer, ne peuvent servir de lien.

Ce proverbe, qui était usité chez les Grecs et chez les Latins, et qui est cité dans les Symposiaques de Plutarque (liv. I, quest. 5), s’emploie pour marquer la prodigalité des amants. Cette prodigalité, dont on pourrait citer des milliers d’exemples remarquables, ne s’est jamais manifestée par un trait plus charmant que celui qui a inspiré à Delille les vers suivants:

Que j’aime ce mortel qui, dans sa douce ivresse,
Plein d’amour pour les lieux où jouit sa tendresse,
De ses doigts que paraient des anneaux précieux
Détache un diamant, le jette et dit: «Je veux
Qu’un autre aime après moi cet asile que j’aime,
Et soit heureux aux lieux où je le fus moi-même!»
Cœur noble et délicat! dis-moi quel diamant
Égale un trait si pur, et vaut ton sentiment.

Cet amant était milord Albemarle, le même qui, voyant un soir mademoiselle Gaucher, sa maîtresse, occupée à regarder fixement une étoile, s’écria: Ne la regardez pas tant, ma chère, je ne pourrais pas vous la donner.

Le sentiment qui respire dans ce mot, où le cœur s’est exprimé avec tant d’esprit et de délicatesse, se retrouve sous une forme non moins naïve qu’originale dans ces vers d’une vieille ballade qui est insérée parmi les ballades de Villon, mais qui n’est pas de Villon:

Or elle a tort, car noise ne rancune
Onc n’eut de moi: tant lui fus gracieux
Que s’elle eût dit: donne-moi de la lune,
J’eusse entrepris de monter jusqu’aux cieux.

AME.Être l’ame damnée de quelqu’un.

C’est être dévoué à toutes ses volontés, à tous ses désirs.

Cette façon de parler fait allusion à l’esprit familier, démon ou ame damnée, que tout sorcier est supposé avoir à ses ordres.

AMENDE.Les battus paient l’amende.

Lorsqu’il s’élevait quelque différend chez nos aïeux, et que rien n’indiquait de quel côté la balance de la justice devait pencher, leur législation autorisait le juge à remettre la décision de l’affaire au sort des armes. Il prononçait qu’il échéait gage de bataille, et les deux parties, après avoir entendu la messe célébrée pour la circonstance, missa pro duello, allaient plaider leur cause en champ clos, sous les yeux des magistrats. Les nobles combattaient à cheval, armés de pied en cap, les vilains à pied, tenant un bâton d’une main et un bouclier de l’autre. La victoire était la preuve du droit, comme le combat en était la discussion, parce que l’on croyait que Dieu pris pour juge fesait toujours triompher celui qui avait raison. Lorsque la contestation avait lieu en matière criminelle, le vaincu, s’il ne succombait pas sous les coups de son adversaire, était livré au bourreau; lorsqu’elle avait lieu en matière civile, il n’était pas mis à mort, il était seulement obligé de faire satisfaction au vainqueur, et de payer une amende plus ou moins forte. De là le proverbe: Les battus paient l’amende.

On dit aussi: C’est la coutume de Lorris, les battus paient l’amende. Ce qui est venu de ce que, autrefois, à Lorris, en Orléanais, tout créancier qui réclamait une somme, sans pouvoir fournir la preuve de sa créance, avait droit de contraindre son débiteur à un duel judiciaire à coups de poings, dans lequel le vaincu avait toujours tort, et de plus était amendé au profit du seigneur du lieu.

Cette coutume, fondée, dit-on, sur un titre octroyé par Philippe-le-Bel à la châtellenie de Lorris, était suivie dans plusieurs autres endroits; elle paraît avoir existé également à Paris, dans le quartier nommé l’Apport ou la porte Baudoyer, comme le prouvent des lettres de rémission de 1374, où se trouve cette phrase: «Ce serait grief que le blessé fisse les frais de l’écot pour la réconciliation, et le droit de la porte Baudoyer, qui est battu, si l’amende

AMI.Au besoin on connaît l’ami.

Proverbe tiré de ce passage de l’Ecclésiastique (ch. 12, v. 9): In bonis viri, immici illius in tristitia, in malitia illius amicus agnitus est: quand un homme est heureux, ses ennemis sont tristes, et quand il est malheureux, on connaît quel est son ami.

Amicus certus in re incertâ cernitur. (Ennius.)

La bonté du cheval se connaît à la guerre, et la fidélité de l’ami dans la mauvaise fortune. (Plutarque.)

Le faux ami ressemble à l’ombre d’un cadran.

Cette ombre se montre lorsque le soleil brille, et elle n’est plus visible quand il est voilé par les nuages.

Les anciens comparaient les faux amis aux hirondelles, qui paraissent dans la belle saison et disparaissent dans la mauvaise.

Donec eris felix, multos numerabis amicos
Tempora si fuerent nubila, solus eris.
(Ovide, élég. 5.)

(Tant que vous serez heureux, vous aurez des amis; mais si la fortune vous devient contraire, ils vous laisseront seul.)

Nous avons encore une comparaison proverbiale qui a inspiré cet ingénieux quatrain à Mermet, poëte du seizième siècle:

Les amis de l’heure présente
Ont le naturel du melon:
Il faut en essayer cinquante
Avant d’en trouver un de bon.

Rien de plus commun que le nom d’ami, rien de plus rare que la chose.

Vulgare amici nomen, sed rara est fides. (Phædr., lib. III, fab. 9.)

Heureux celui qui, dans sa vie, peut trouver l’ombre d’un ami! disait, dans une comédie de Ménandre, un jeune homme qui n’osait croire à la réalité d’un bien si précieux.

Aristote s’écriait: O mes amis, il n’y a plus d’amis! et Caton prétendait qu’il fallait tant de choses pour faire un ami, que cette rencontre n’arrivait pas en trois siècles.

L’amitié est bien bête de compagnie, disait Plutarque, mais non pas bête de troupeau. Remarque très vraie, car les amitiés célèbres n’ont jamais existé qu’entre deux personnes.

C’est un assez grand miracle de se doubler, a dit Montaigne; n’en connaissent pas la hauteur ceux qui parlent de se tripler.

On connaît cette boutade spirituelle de Chamfort: Dans le monde, vous avez trois sortes d’amis: vos amis qui vous aiment, vos amis qui ne se soucient pas de vous, et vos amis qui vous haïssent.

Hélas! pourquoi faut-il que ces chers amis à qui nous donnons notre confiance ne soient presque toujours que de chers ennemis!

Qui cesse d’être ami ne l’a jamais été.

Qui desinit esse amicus, amicus non fuit.

Ce bel adage se trouve en grec dans le troisième discours de Dion Chrysostôme, qui l’a développé, en disant que le caractère de l’amitié est de ne point changer, et que si quelqu’un est infidèle à une personne avec qui il était lié, il déclare par cette conduite qu’il ne l’aimait point véritablement, car s’il eût été son ami, il serait demeuré tel. C’est exactement la pensée que le père de Neuville a exprimée d’une manière si heureuse dans un de ses sermons, en parlant de la cour, où les heureux n’ont point d’amis, puisqu’il n’en reste point aux malheureux.

Un bon ami vaut mieux que cent parents.

Ce proverbe a sa raison dans cet autre: Beaucoup de parents et peu d’amis.

Delille a dit:

Le sort fait les parents, le choix fait les amis.

Dorat avait dit avant Delille:

C’est le hasard qui fait les frères
Et la vertu fait les amis.

Un ami est un autre nous-même.

Mot de Zénon, fondateur de la secte des stoïciens.

Qui n’est pas grand ennemi n’est pas grand ami.

C’est-à-dire, celui qui n’est pas capable de bien haïr, n’est pas capable de bien aimer; celui qui ne peut mettre beaucoup d’ardeur à se venger de ses ennemis, ne peut non plus en mettre beaucoup à servir ses amis.—L’auteur des Loisirs d’un Ministre d’état désapprouve très fort ce proverbe, qui mesure sur les degrés de la haine les degrés de l’amitié. «Distinguons, dit-il, entre les excès dans lesquels les passions peuvent nous entraîner et les suites d’une liaison sage et réfléchie. L’amitié ne doit être que de ce dernier genre. Si elle devenait passion, elle cesserait d’être aussi estimable et aussi respectable qu’elle l’est; elle aurait tous les dangers de l’amour, qui fait faire autant de fautes que la haine et la vengeance. Dieu nous garde de trop aimer aussi bien que de trop haïr! Cependant, il faut bien aimer jusqu’à un certain point: le cœur de l’homme a besoin de ce sentiment, et ce sentiment fait du bien à notre esprit, quand il ne l’aveugle point. Mais la haine et le désir de la vengeance ne peuvent jamais que nous tourmenter. On est heureux de ne point haïr; mais en aimant d’une manière sensée, ne peut-on pas servir ardemment ses amis, mettre de la vivacité, de la suite, même de la ténacité dans les affaires qui les intéressent? Eh! faut-il donc être cruel pour les uns parce que l’on est tendre pour les autres, persécuteur pour être serviable? non. Pour moi, je déclare que je suis un faible ennemi, non-seulement en force, mais en intention, quoique je sois ami très zélé et très essentiel.»

Ami jusqu’aux autels.

C’est-à-dire dans tout ce qui n’est pas contraire à la religion.

Ce proverbe, rapporté par Aulu-Gelle et par Plutarque, est une réponse de Périclès à un de ses amis qui l’engageait à faire un faux serment en sa faveur. Il est fondé sur l’usage antique de jurer, la main posée sur un autel.

François Ier en fit une noble application lorsque, en 1534, il écrivit au roi d’Angleterre, Henri VIII, qui lui conseillait de se séparer de l’église romaine comme il venait de le faire: Je suis votre ami, mais jusqu’aux autels.

On ne peut dire ami celui avec qui on n’a pas mangé quelques minots de sel.

Aristote et Plutarque se sont servis de ce proverbe, dont le sens est que l’amitié ne peut se former subitement, et qu’elle a besoin d’être confirmée par le temps. «Semblable aux vins généreux dont les années augmentent le prix, dit Cicéron, plus elle est vieille, plus elle est parfaite; et c’est avec raison qu’on pense qu’il faut manger ensemble plusieurs boisseaux de sel pour la consommer.»

L’amitié est aussi comparée au vin dans l’Ecclésiastique (ch. 9, v. 15): Vinum novum amicus novus: vetarescet et cum suavitate bibes illud. Le nouvel ami est comme un vin nouveau: il vieillira, et alors tu le boiras avec plaisir.

Amicitia pactum salis, amitié, pacte de sel, est un proverbe du moyen âge pour exprimer que l’amitié doit s’établir lentement et être toujours durable. Les mots pactum salis sont employés dans les livres saints, où ils signifient une alliance inviolable, par allusion à la nature du sel qui empêche la corruption. Num ignoratis quod Dominus Deus Israël dederit regnum David super Israël in sempiternum ipsi et filiis ejus in PACTUM SALIS. Il était recommandé dans le Lévitique d’offrir du sel dans tous les sacrifices, In omnii oblatione tuâ offeres sal (lib. II, cap. 13). Homère a donné au sel l’épithète de divin; Pythagore le regardait comme le symbole de la justice, et il voulait que la table en fût toujours pourvue. Vatable croit que les Francs admettaient le sel dans leurs pactes, pour montrer qu’ils dureraient toujours; et quelques auteurs ont pensé que le nom de loi salique a pu dériver de cet usage.

Il vaut mieux perdre un bon mot qu’un ami.

Ce proverbe doit être fort ancien. Quintilien a dit, dans ses Institutions oratoires, l. VI, ch. 3: Lædere numquam velimus, longe que absit propositum illud: potius amicum quam dictum perdidit.

Un ami en amène un autre.

Une personne invitée dans une maison y mène quelquefois une autre personne qu’on n’attendait pas, et la présentation se fait avec des excuses auxquelles on répond: Un ami en amène un autre.

Ami de Platon, mais plus ami de la vérité.

Amicus Plato sed magis amica veritas.

Ce proverbe est un mot d’Aristote attaquant quelques opinions philosophiques de son maître Platon.

Ami au prêter, ennemi au rendre.

Proverbe qui paraît pris de cette pensée de Plaute: Si vous redemandez l’argent que vous avez prêté, vous trouverez souvent que d’un ami votre bonté vous a fait un ennemi.

...... Si quis mutuum quid dederit,
Cum repetit, inimicum amicum beneficio invenit suo.

(Trinum, act. IV, sc. 3.)

On trouve dans G. Meurier: Au prêter Dieu, au rendre diable.

Les Espagnols ont ce proverbe: Qui prête ne recouvre; s’il recouvre, non tout; si tout, non tel; si tel, ennemi mortel.

Les Anglais disent: Qui prête son argent à son ami perd au double. C’est-à-dire l’argent et l’ami.

Vieux amis et comptes nouveaux.

Pour dire que c’est un moyen de conserver ses amis que d’avoir ses comptes toujours bien réglés avec eux. Les vases neufs et les vieux amis sont les meilleurs, disaient les Grecs et les Latins, dans un sens analogue.

Les bons comptes font les bons amis.

Proverbe dont on fait ordinairement l’application pour s’excuser de revoir un compte ou un mémoire présenté par un ami.

Il ne faut pas compter avec ses amis.

Ce proverbe, en opposition avec les deux précédents, signifie qu’il faut se montrer plutôt généreux qu’intéressé dans les affaires qu’on peut avoir avec ses amis.

Les Turcs disent: L’amitié mesure par tonneaux et le commerce par grains.

Entre amis, tout doit être commun.

Ce proverbe est fort ancien. Épicure blâmait Pythagore de l’avoir appliqué littéralement en obligeant ses disciples à mettre en commun tout ce qu’ils possédaient.—«Si j’ai un véritable ami, disait-il, ne suis-je pas aussi maître de ses biens que s’il m’en eût fait le dépositaire? Y a-t-il moins de mérite à donner son cœur que ses richesses? Je ne dois pas abuser de la tendresse de cet ami; ce qu’il possède, je dois le ménager comme ma propre fortune: mais je lui fais un outrage si j’exige qu’il la confie à un tiers pour nos besoins communs.»

Il faut aimer ses amis avec leurs défauts.

C’est-à-dire qu’il faut être indulgent pour les défauts de ses amis, car l’indulgence augmente l’amitié, et la sévérité la diminue. Il ne s’agit ici que de ces petits défauts qui ne tirent point à conséquence. La complaisance pour les vices des amis serait contraire à la morale et même à l’amitié.

Pour les cœurs corrompus l’amitié n’est point faite. (Voltaire.)

Il faut éprouver les amis aux petites occasions et les employer aux grandes.

Il faut louer tout bas ses amis.

Madame Geoffrin établissait comme autant de règles, 1o qu’il faut rarement louer ses amis dans le monde; 2o qu’il ne faut les louer que généralement et jamais par tel ou tel fait, en citant telle ou telle action, parce qu’on ne manque jamais de jeter quelque doute sur le fait ou de chercher à l’action quelque motif qui en diminue le mérite; 3o qu’il ne faut pas même les défendre lorsqu’ils sont attaqués trop vivement, si ce n’est en termes généraux et en peu de paroles, parce que tout ce qu’on dit en pareil cas ne sert qu’à animer les détracteurs et à leur faire outrer la censure.

Ces conseils sont le développement de notre proverbe, qui est pris du passage suivant des Proverbes de Salomon (ch. 27, v. 14): Qui laudat amicum suum voce altâ erit illi loco maledictionis. Qui loue son ami à haute voix, attire sur lui la malédiction.

Les amis de nos amis sont nos amis.

C’est-à-dire qu’ils ne doivent pas nous être indifférents, et qu’ils ont des droits à nos égards.

Il est bon d’avoir des amis partout.

Ce proverbe a donné lieu à un vieux conte qui a été mis en rimes de la manière suivante par je ne sais quel auteur:

Une dévote, un jour, dans une église,
Offrit un cierge au bienheureux Michel,
Un autre au diable.—Oh! oh! quelle méprise!
Mais c’est au diable. Y pensez-vous? ô ciel!
—Laissez, dit-elle, il ne m’importe guères;
Il faut toujours penser à l’avenir.
On ne sait pas ce qu’on peut devenir,
Et les amis sont partout nécessaires.

L’abbé Tuet rapporte qu’un Visigoth arien, nommé Agilane, disait un jour sérieusement à Grégoire de Tours, qu’on peut choisir, sans crime, telle religion que l’on veut, et que c’était un proverbe de sa nation, qu’en passant devant un temple de païens et une église de chrétiens, il n’y a point de mal de faire la révérence devant l’un et devant l’autre. Ce Visigoth, faisant son offrande à saint Michel, n’aurait sûrement pas oublié l’estafier du bienheureux.

Il faut se dire beaucoup d’amis et s’en croire peu.

Parce que, en se disant beaucoup d’amis, on peut obtenir quelque considération, et, en se croyant peu d’amis, on est moins exposé à se laisser tromper par ceux qui abusent de ce titre.

Dieu me garde de mes amis!
Je me garderai de mes ennemis.

On peut se garantir de la vengeance d’un ennemi déclaré, mais il n’y a point de préservatif contre la trahison qui se présente sous les couleurs de la bienveillance et de l’amitié.

Stobée rapporte (pag. 721) que le roi Antigone, sacrifiant aux dieux, les priait de le protéger contre ses amis, et qu’il répondait à ceux qui lui demandaient le motif de cette prière: C’est que connaissant mes ennemis, je puis m’en préserver.

On lit dans l’Ecclésiastique (ch. 6, v. 13): Ab inimicis tuis separare et ab amicis tuis attende. Séparez-vous de vos ennemis, et gardez-vous de vos amis.

Les Italiens disent comme nous:

Di chi mi fido quarda mi Dio!
Degli altri mi guardaro io.

En visitant les pozzi du palais du doge, à Venise, j’ai trouvé ces deux vers sur un mur dans un de ces cachots où le conseil des Dix enfermait ses victimes; ils y avaient été tracés de la main d’un prêtre qui avait eu le bonheur d’échapper à son horrible captivité par une issue qu’il s’était ouverte en arrachant du pavé une large dalle posée sur un égout aboutissant au canal voisin.

Les Allemands ont le même proverbe, et Schiller l’a employé dans une de ses tragédies.

Le plus bel âge de l’amitié est la vieillesse.

Le temps qui flétrit tout embellit l’amitié.

Il faut découdre et non déchirer l’amitié.

Mot de Caton l’ancien, rapporté par Cicéron en ces termes: Amicitiæ sunt dissuendæ magis quām discindendæ.

C’est quelquefois un malheur nécessaire de renoncer à certains amis; alors il faut s’en éloigner insensiblement, sans aigreur et sans colère, et faire voir qu’en se détachant de l’amitié on ne veut pas la remplacer par l’inimitié; car il n’y a rien de plus honteux que d’être en guerre ouverte après une liaison intime.

«Il ne faut pas croire, dit très bien madame de Lambert, qu’après les ruptures vous n’ayez plus de devoirs à remplir; ce sont les devoirs les plus difficiles, et où l’honnêteté seule vous soutient. On doit du respect à l’ancienne amitié. Il ne faut point appeler le monde à vos querelles; n’en parlez jamais que quand vous y êtes forcé pour votre propre justification; évitez même de trop charger l’ami infidèle, etc.»

Il ne faut pas laisser croître l’herbe sur le chemin de l’amitié.

Il ne faut pas négliger ses amis. Les Celtes disaient: «Sachez que, si vous avez un ami, vous devez le visiter souvent. Le chemin se remplit d’herbes, et les arbres le couvrent bientôt si l’on n’y passe sans cesse.»

L’amitié rompue n’est jamais bien soudée.

Les Espagnols disent par la même métaphore: Amigo quebrado, soldado, mas nunca sano. Ami rompu peut bien être soudé, mais il n’est jamais sain.

Il n’y a guère de réconciliation tout à fait sincère; la défiance ou la trahison s’y mêlent presque toujours. Asmodée, parlant de sa dispute avec Paillardoc, a dit avec autant de vérité que de finesse: «On nous réconcilia, nous nous embrassâmes, et, depuis ce temps, nous sommes ennemis mortels.»

Il y a un proverbe patois fort ingénieux, dont voici la traduction littérale: L’amitié rompue ne se renoue point sans que le nœud paraisse ou se sente.

AMOUR.Amour et mort, rien n’est plus fort.

Rien ne résiste à l’amour ni à la mort. C’est la belle pensée de l’Écriture sainte: Fortis ut mors dilectio; l’amour est fort comme la mort.

L’amour le plus parfait est le plus malheureux.

Les contrariétés auxquelles l’amour est soumis en prouvent la perfection. Tous les romans semblent faits pour confirmer la vérité de ce proverbe. On n’y voit que des amants poursuivis par une fatale destinée et dont la constance s’affermit sous les coups du malheur.

L’amour fait perdre le repas et le repos.

Ce proverbe est l’un des trente-un articles du Code d’amour qui se trouve dans l’ouvrage intitulé: Livre de l’art d’aimer et de la réprobation de l’amour, par maître André, chapelain de la Cour royale de France. Voici cet article: Minus dormit et edit quem amoris cogitatio vexat.

Le souci ronge ceux qui aiment, dit l’auteur de l’Imitation. Ovide a dit dans son Héroïde de Pénélope à Ulysse:

Res est solliciti plena timoris amor.
L’amour est toujours plein d’un inquiet effroi.

Les Italiens ont ce proverbe: Chi ha l’amor nel petto ha sprone nei fianchi; qui a l’amour au cœur a l’éperon aux flancs.

L’amour sied bien aux jeunes gens et déshonore les vieillards.

Amare juveni fructus est, crimen seni. (Laberius.)

L’amour, disait Louis XII, est le roi des jeunes gens, et le tyran des vieillards.

Est in camtie ridiculosa Venus. (Ovide.)

Turpè senex miles. (Id.)

C’est une grande difformité dans la nature qu’un vieillard amoureux. (La Bruyère.)

Lorsqu’un vieux fait l’amour,

La mort court à l’entour.

L’amour hâte la fin de la vie d’un vieillard. L’amour chez le vieillard est comme le gui qui fleurit sur un arbre mort.

Qui se marie par amour

A bonnes nuits et mauvais jours.

Une femme d’esprit disait à son fils, pour le dissuader de faire un mariage d’amour, qui est ordinairement un mariage pauvre: Souvenez-vous, mon fils, qu’il n’y a qu’une chose qui revienne tous les jours dans le ménage: c’est le pot-au-feu.

Après l’amour le repentir.

Hélas! nous ne pouvons aimer toujours, et le repentir nous prend où l’amour nous laisse.

L’amour et la pauvreté font ensemble mauvais ménage.

Le ménage le plus uni cesse de l’être quand il est pauvre. La pauvreté tue l’amour. Les Anglais disent: When poverty comes in at the door, love flies out at the window; lorsque la pauvreté entre par la porte, l’amour s’envole par la fenêtre.

L’amour ne loge point sous le toit de l’avarice.

Le Code d’amour déjà cité dit: Amor semper ab avaritiæ consuevit domicitiis exulare.

L’amour apprend aux ânes à danser.

La légèreté et la souplesse singulières avec lesquelles les ânes, au mois de mai, bondissent et se trémoussent dans la prairie auprès des ânesses, ont donné lieu à ce proverbe, dont le sens est que l’amour polit le naturel le plus inculte.

L’amour porte la musique.

Les amants aiment à chanter leurs plaisirs et leurs peines. De là ce proverbe, qu’on trouve expliqué dans les Symposiaques de Plutarque (liv. I, quest. 5). Les Anglais disent: Love was the mother of poetry. Amour engendra poésie. Ce qui a été ingénieusement développé dans le Spectateur, no 377.

A battre faut l’amour.

Faut est ici la troisième personne du présent indicatif du verbe faillir, et ce proverbe, tiré du latin, Injuria solvit amorem, signifie que les mauvais traitements font cesser l’amour.—Cependant le cas n’est point sans exceptions. On sait que les femmes moscovites mesuraient l’amour qu’elles inspiraient sur la violence avec laquelle elles étaient battues, et qu’il n’y avait ni paix ni contentement pour elles avant d’avoir éprouvé la pesanteur du bras marital. Experientia testatur fœminas moscoviticas verberibus placari. (Drex., de Jejunio, lib. I, cap. 2.)

Une vieille chanson languedocienne attribue aux filles de Montpellier le même goût.

Lei castagnos aou brasié
Pétoun qan soun pas mourdudos;
Les fillos de Mounpelié
Plouroun qan soun pas batudos.

Ce qu’un ancien traducteur a rendu ainsi vers par vers.

Les châtaignes au brasier
Pètent de n’être mordues;
Les filles de Montpellier
Pleurent de n’être battues.

Il y a encore une exception très remarquable au proverbe, et ce sont les deux parfaits modèles des amants qui l’ont fournie. Le sensible Abeilard fustigeait quelquefois la sensible Héloïse, qui ne l’en aimait pas moins. Lui-même, parlant à elle-même, raconte la chose dans une de ses lettres, où il avoue d’un cœur contrit les scandaleux excès de sa passion immodérée: In ipsis diebus dominicæ passionis;.... te notentem ac dissuadentem sæpiùs minis ac flagellis ad consensum trahebam. Les jours mêmes de la passion de notre Seigneur,.... lorsque tu me refusais ce que je demandais ou que tu m’exhortais à m’en priver, ne t’ai-je pas trop souvent forcée par des menaces et par des coups de fouet à céder à mes désirs? Ausone avait deviné le cœur d’Héloïse, lorsqu’il disait en peignant les qualités d’une maîtresse accomplie (épig. 77): Je veux qu’elle sache recevoir des coups, et qu’après les avoir reçus, elle prodigue ses caresses à son amant.

On revient toujours à ses premières amours.

Parce qu’on espère y trouver un bonheur que ne donnent point les autres.

Ce premier sentiment de l’ame

Laisse un long souvenir que rien ne peut user,

Et c’est dans la première flamme
Qu’est tout le nectar du baiser. (Lebrun.)

Que la nuit me prenne là où sont mes amours!

Pour dire qu’on s’attarde volontiers dans un endroit où l’on se plaît, auprès des personnes qu’on aime.

Ce vœu tendre et délicat ne serait pas déplacé auprès du vœu de Léandre, dans l’Anthologie ou Choix de fleurs. C’est vraiment une fleur d’amour.

Il n’y a point de laides amours.

L’objet qu’on aime est toujours beau.

«Tout cœur passionné embellit dans son imagination l’objet de sa passion; il lui donne un éclat que la nature ne lui donne pas, et il est ébloui de ce faux éclat. La lumière du soleil, qui est la vraie joie des yeux, ne lui paraît pas aussi belle.»

(Bossuet.)

Quisquis amat ranam ranam putat esse Dianam.

Quiconque aime une grenouille prend cette grenouille pour Diane.

C’est Diane Limnatis, déesse des marais et des étangs.

Les habitants de l’île de Chypre avaient érigé des autels à Vénus barbue. Les Romains adoraient Vénus louche, comme on le voit dans le second livre de l’Art d’aimer d’Ovide, et dans le Festin de Trimalcion, par Pétrone. Ils disaient même proverbialement, en parlant d’une belle qui avait le rayon du regard faussé: Si pæta, est Veneri similis. Si elle est louche, elle ressemble à Vénus. Horace nous apprend qu’un certain Balbinus trouvait des grâces dans le polype d’Agna sa maîtresse.

Le meilleur développement du proverbe, Il n’y a pas de laides amours, est dans les vers suivants, tirés de la traduction libre que Molière avait faite de Lucrèce, et placés dans la cinquième scène du deuxième acte du Misanthrope.

.... L’on voit les amants vanter toujours leur choix;
Jamais leur passion n’y voit rien de blàmable,
Et dans l’objet aimé tout leur paraît aimable.
Ils comptent les défauts pour des perfections,
Et savent y donner de favorables noms:
La pâle est aux jasmins en blancheur comparable;
La noire à faire peur, une brune adorable;
La maigre a de la taille et de la liberté;
La grasse est, dans son port, pleine de majesté;
La malpropre, sur soi de peu d’attraits chargée,
Est mise sous le nom de beauté négligée;
La géante paraît une déesse aux yeux;
La naine, un abrégé des merveilles des cieux;
L’orgueilleuse a le cœur digne d’une couronne;
La fourbe a de l’esprit; la sotte est toute bonne;
La trop grande parleuse est d’agréable humeur,
Et la muette garde une honnête pudeur.
C’est ainsi qu’un amant, dont l’amour est extrême,
Aime jusqu’aux défauts des personnes qu’il aime.

AMOUREUX.Amoureux transi.

Cette expression, dont on se sert pour désigner un amoureux timide, novice, froid, fait allusion à un ancien usage des justiciables volontaires des cours d’amour, espèce d’énergumènes qui avaient formé, sous le règne de Philippe V, une société ou confrérie nommée la Ligue des amants, dont l’objet était de prouver l’excès de leur passion par une opiniâtreté invincible à braver les ardeurs de l’été et les rigueurs de l’hiver. Dans les chaleurs extrêmes, ils allumaient de grands feux pour se chauffer, et ne sortaient de chez eux qu’enveloppés d’épaisses fourrures. Quand il gelait à pierre fendre, ils se couvraient très légèrement, et allaient, par le froid, par la neige ou par la pluie, soupirer à la porte de leurs maîtresses, où ils se tenaient jusqu’à ce qu’ils les eussent aperçues, étant parfois tellement morfondus et transis dans l’attente, dit un vieux auteur, qu’on entendait claquer leurs dents comme les becs des cigognes. Cette dévotion d’amour, poussée ainsi jusqu’au martyre, éclatait en outre par une foule de pratiques minutieuses et d’expressions alambiquées. Tel confrère élisait son domicile à l’enseigne de la Passion, rue du Sacrifice, paroisse de la Sincérité; tel autre demeurait sur la place de la Persévérance, hôtel de l’Assiduité, etc. Il existe un ouvrage rare et curieux, intitulé: l’Amoureux transy, par Jehan Boucher. Cet ouvrage, qui ne porte point de date, est une espèce de code galant de cette secte jadis si fameuse par ses extravagances et par ses niaiseries sentimentales.

AN.Je m’en moque comme de l’an quarante.

On croyait beaucoup à la fin du monde, dans le commencement du onzième siècle. C’était une opinion alors universellement répandue que les mille ans et plus qu’on prétendait assignés par Jésus-Christ lui-même comme terme à son église et à la société entière, devaient expirer en l’an quarante de ce siècle. La peur avait gagné tous les esprits. Les pécheurs se convertissaient en foule, et chacun parlait de se faire ermite. Mais lorsque celle époque si redoutable fut passée, on changea de langage, et l’on dit Je m’en moque comme de l’an quarante, expression qui est encore usitée en parlant d’une chose qui ne doit inspirer aucune crainte.

ANE.Un âne en gratte un autre.

Asinus asinum fricat.

On voit quelquefois deux ânes se mettre l’un contre l’autre et se frotter pour apaiser les démangeaisons de leur peau. De là ce proverbe qui s’emploie au figuré, en parlant de deux sots qui échangent entre eux des compliments ou des éloges.

L’âne de la communauté

Est toujours le plus mal bâté.

Pour dire qu’on néglige communément ce que l’on possède en commun: Communiter negligitur quod communiter possidetur.

L’âne de la montagne porte le vin et boit de l’eau.

Proverbe qu’on emploie en parlant d’un sot dupé qui a la peine sans avoir le profit.

On sait que les montagnards transportent à dos d’âne ou de mulet leur vin enfermé dans des outres, parce que la difficulté des chemins ne leur permet point de le transporter sur un chariot.

L’âne au milieu des singes.

On désigne ainsi un imbécile qui se trouve parmi des gens malins auxquels il sert de jouet.

Pour un point Martin perdit son âne.

Un ecclésiastique, nommé Martin, qui possédait l’abbaye d’Asello, en Italie, voulut faire inscrire sur la porte ce vers latin:

Porta patens esto. Nulli claudaris honesto.
Porte reste ouverte. Ne sois fermée à aucun honnête homme.

C’était à une époque où la ponctuation, longtemps abandonnée, venait d’être remise en usage. Martin, étranger à cet art, s’adressa à un copiste qui n’en savait pas plus que lui. Le point, qui devait être après le mot esto, fut placé après le mot nulli, et changea le sens de cette manière:

Porta patens esto nulli. Claudaris honesto.
Porte ne reste ouverte pour personne. Sois fermée à l’honnête homme.

Le pape, informé d’une inscription si mal séante, priva l’abbé Martin de son abbaye qu’il donna à un autre. Le nouveau titulaire corrigea la faute du malheureux vers, auquel il ajouta le suivant:

Uno pro puncto caruit Martinus asello.
Martin, pour un seul point, perdit son asello.

Ce qui revenait à cette formule de l’antique jurisprudence des Romains: Qui cadit virgulà, caussâ cadit; et comme asello signifie également un âne, l’équivoque donna lieu au dicton: Pour un point Martin perdit son âne.

Quelques parémiographes, jugeant cette explication trop recherchée, prétendent qu’il faut dire: Pour un poil Martin perdit son âne, et ils fondent leur opinion sur celle de Nicot qui dit dans son Dictionnaire: L’âne d’un nommé Martin avait été perdu ou volé à la foire. Notre homme, en le cherchant, apprit qu’un particulier venait d’en trouver un, et, comme il ne douta point que ce ne fût le sien, il courut le réclamer; mais celui qui l’avait trouvé demanda: De quelle couleur est le poil de la bête?—Il est gris, répondit le réclamant.—Non, répliqua l’autre, il est noir. Et c’est ainsi que pour un poil Martin perdit son âne.

La véritable origine est la première que j’ai rapportée, et ce qui le prouve, c’est qu’en Italie, d’où nous est venu le dicton, on dit aussi: Per un punto Martin perse la cappa, pour un point Martin perdit la chape, c’est-à-dire la dignité abbatiale dont la chape était l’insigne.

On a tort de dire: Faute d’un point Martin perdit son âne, au lieu de pour un point, etc. Cette variante qui fausse l’explication que j’ai donnée, ne se trouve pas dans les vieux recueils. Évidemment elle est moderne.

Être comme l’âne de Buridan.

C’est être tout-à-fait indécis entre deux partis ou deux avantages offerts.

Jean de Buridan, né à Béthune en Artois, célèbre dialecticien du quatorzième siècle, voulant prouver que, si les bêtes ne sont point déterminées par quelque motif externe, elles n’ont pas la force de choisir entre deux objets égaux, avait imaginé un argument sophistique dans le genre du crocodile[8] des stoïciens, afin de soutenir sa thèse avec succès contre toutes les objections. Il supposait un âne également pressé de la soif et de la faim, entre un seau d’eau et une mesure d’avoine faisant la même impression sur ses organes. Ensuite il demandait: que fera cet animal? Si ceux qui voulaient bien discuter avec lui cette grave question répondaient: il demeurera immobile; le docteur répliquait: il mourra donc de soif et de faim entre l’eau et l’avoine. S’ils lui disaient, au contraire: il ne sera pas assez bête pour se laisser mourir; sa conclusion était: il se tournera donc d’un côté plutôt que d’un autre; il a donc le libre arbitre. Son raisonnement embarrassa tous les philosophes du temps, et son âne, devenu fameux parmi ceux des écoles, obtint les honneurs du proverbe.

Spinoza (Éthiq., part. 2, p. 89) parle de l’ânesse au lieu de l’âne de Buridan, et il avoue sans façon qu’un homme qui serait dans le cas de cette bête, mourrait de faim et de soif. Montaigne (Ess., liv. II, chap. 14) exprime la même opinion. «Qui nous logerait, dit-il, entre la bouteille et le jambon avec un égal appétit de boire et de manger, il n’y aurait sans doute remède que de mourir de soif et de faim, n’y ayant aucune raison qui nous incline à la préférence.»

Bayle trouve ce raisonnement absurde, et le réfute ainsi: «L’homme a deux moyens de se dégager des piéges de l’équilibre. L’équilibre ne le ferait pas demeurer dans l’inaction, comme Spinoza le prétend; il y a le remède de penser qu’il ne dépend pas des objets: 1º je veux préférer ceci à cela, parce qu’il me plaît d’en user ainsi; 2º il pourrait agir en tirant ce qu’il a à faire à la courte-paille.»

C’est le pont aux ânes.

On se sert de cette expression en parlant des choses qui sont connues des esprits vulgaires et ne peuvent embarrasser que des ignorants de la première espèce, justement assimilés aux baudets qu’on voit s’arrêter devant un pont de bois dont les planches mal jointes leur laissent entrevoir le cours de l’eau, car ces animaux ont ordinairement une si grande peur de se noyer, que, suivant la remarque de Pline le naturaliste (liv. VIII, ch. 4), ils se précipiteraient à travers les flammes pour éviter de se mouiller les pieds. La même expression s’emploie aussi pour signifier les lieux communs et les réponses banales à l’usage des ignorants, et, dans ce sens, elle est une allusion à ces vieux recueils de solutions ou de thèmes tout faits, auxquels on donnait autrefois le nom de pont aux ânes, à cause de l’interrogatif an qui figurait au commencement de toutes les questions énoncées en latin. C’est un véritable calembourg, où pont aux ânes a été substitué à pont aux an, qui signifie le moyen de passer sur ces an comme sur une rivière, c’est-à-dire de surmonter les difficultés.

On trouve dans le vingt-huitième chapitre du deuxième livre de Rabelais le passage suivant, qui confirme l’explication que je viens de donner: «O qui pourra maintenant racompter comment se porta Pantagruel contre les trois cents géants! O ma muse! ma Calliope! ma Thalie! inspire-moy à ceste heure! Restaure-moy mes esperits; car voici le pont aux ânes de logicque; voici le trébuchet, voici la difficulté de povoir exprimer l’horrible bataille qui feut faicte.»

Les ânes de Beaune.

L’animosité des Athéniens contre les Thébains n’est pas plus célèbre que celle des habitants de Dijon contre les habitants de Beaune. S’il faut en croire les Dijonais, l’air seul du pays de leurs adversaires est abrutissant, et c’est à qui racontera les simplicités beaunoises le plus ridicules. La querelle de Piron avec les Beaunois n’a pas peu contribué à fortifier le préjugé qui leur est défavorable. Tous les jeux de mots auxquels peut donner lieu la comparaison d’un sot avec un âne ont été employés d’une manière plus ou moins heureuse, et jusqu’à satiété. Mais de telles plaisanteries sont-elles fondées? Les habitants de Beaune ont-ils l’esprit plus lourd et la conception plus tardive que ceux de Dijon? Il n’y a rien qui le prouve, et le proverbe n’a pas été fait pour populariser le béotisme qu’on leur impute. Il est venu de ce que, dans le XIIIe siècle, il y avait à Beaune une famille de négociants distingués dont le nom était Asne. Lorsqu’on voulait parler d’un commerce bien établi, on citait les Asne de Beaune. Depuis, ce nom est passé aux habitants, et c’est sur cette misérable équivoque que roulent tous les quolibets qui sont faits sur leur compte.

La sépulture des ânes.

Au moyen âge, ceux qui mouraient déconfès ou excommuniés étaient jetés dans les champs ou à la voirie, comme des charognes. C’est ce qu’on appelait la sépulture des ânes. On lit dans une vieille charte: Extrà cimeterium sepulturâ asinorum sepulti. La même expression se trouve dans un passage de la bulle d’excommunication fulminée par le pape Grégoire V contre le roi Robert et la reine Berthe. Voici ce passage littéralement traduit du latin: «Qu’ils n’aient d’autre sépulture que celle des ânes, afin qu’ils soient aux nations futures un exemple d’opprobre et de malédiction.» Cette expression est prise de l’Écriture sainte, où l’on voit qu’il fut prédit par Jérémie que Joachim aurait la sépulture d’un âne; prophétie qui se vérifia lorsque Nabuchodonosor fit massacrer ce roi de Juda et jeter son corps hors de la ville, avec défense de l’inhumer.

ANGE.Écrire comme un ange.

Ange Vergèce, célèbre calligraphe, venu de l’île de Candie, sa patrie, à Paris, vers 1540, donna lieu, dit-on, à cette expression proverbiale par la beauté de son écriture qui servit d’original aux graveurs des caractères de l’alphabet grec pour les impressions royales sous François Ier. La bibliothèque royale possède trois beaux manuscrits grecs de cet hellène, qui était attaché au collége royal en qualité d’écrivain du roi en lettres grecques.

Être aux anges.

C’est être transporté de joie.—Les Grecs et les Romains disaient dans le même sens: Être admis aux plus secrets mystères, par allusion aux jouissances que devaient éprouver les initiés aux mystères d’Eleusis, lorsqu’ils étaient admis par l’hiérophante, après de nombreuse épreuves, à la connaissance de ces mystères, si secrets, dit Tibulle (élég. 5, liv. III), qu’il n’était pas permis de les révéler même aux dieux.

Boire aux anges.

Saint Césaire, évêque d’Arles, dit, dans sa sixième homélie, que, de son temps, au commencement du VIe siècle, on poussait si loin la débauche de vin que, lorsqu’on ne pouvait presque plus boire, on adressait, pour s’y exciter encore, des santés aux saints et aux anges. Cette superstition d’ivrogne, renouvelée des Grecs qui, à la fin d’un repas, vidaient quelques coupes de plus en l’honneur des dieux, a donné naissance à l’expression boire aux anges, c’est-à-dire boire au delà de sa soif, ou, comme s’exprime Rabelais, boire pour la soif à venir.

Voir les anges violets.

On dit de quelqu’un qui a reçu un coup sur les yeux, qu’il a vu les anges violets, qu’on lui a fait voir les anges violets. C’est une allusion à l’éblouissement lumineux qui accompagne d’ordinaire ces sortes de coups, à la couleur violette de la partie contuse, à celle du costume épiscopal qui est aussi violette, et à l’usage où l’on était autrefois de désigner les évêques par le nom d’anges que saint Jean l’évangéliste leur a donné dans le deuxième chapitre de son Apocalypse.

L’Académie s’est bornée à dire que Voir les anges violets signifie avoir des visions creuses; mais il est certain que cette expression a toujours été employée dans le sens que j’ai donné et comme synonyme de cette autre plus usitée aujourd’hui: Voir trente-six chandelles.

ANGLAIS.Être poursuivi par les Anglais.

C’est être poursuivi par des créanciers rigides.—Le mot Anglais, pris dans ce sens, fut introduit, suivant Borel, à l’époque de l’occupation de la France par les Anglais qui, s’étant emparés de tout l’argent du pays, prêtaient aux habitants à des conditions fort dures, et se conduisaient comme de vrais Arabes envers leurs malheureux débiteurs. D’autres étymologistes pensent qu’il fut employé à l’occasion des impôts extraordinaires établis pour la rançon du roi Jean, prisonnier à Londres. Estienne Pasquier le fait venir des réclamations des Anglais qui prétendaient que cette rançon, fixée à trois millions d’écus d’or, par le traité de Bretigny, n’avait pas été entièrement payée.

Oncques ne vys Anglois de vostre taille,
Car, à tout coup, vous criez: baille, baille. (Marot.)

ANGUILLE.Il y a quelque anguille sous roche.

Pour signifier qu’il y a dans une affaire quelque chose de caché et de dangereux dont il faut se défier.

Le mot anguille, venu du latin anguilla, dont la racine est anguis, serpent, se prenait autrefois pour serpent, et il a gardé cette acception dans notre proverbe, qui correspond à celui des Grecs: Le scorpion dort sous la pierre; et à celui des Latins: Latet anguis in herba, le serpent est caché sous l’herbe.

On désigne encore les couleuvres, en certains endroits, sous le nom d’anguilles de haie.

Écorcher l’anguille par la queue.

C’est commencer par où il faudrait finir.

Rompre l’anguille au genou.

C’est tenter l’impossible, car une anguille, qui glisse toujours des mains, ne peut se rompre sur le genou comme un bâton. M. de Mennechet dit dans une annotation à la page 209 de l’Histoire de l’estat de France sous le règne de François II: «Rompre l’anguille au genou, signifie rompre une étoffe nouée à l’endroit du nœud.» Ce qui est un équivalent, et non une explication de l’expression proverbiale.

On trouve dans Rabelais, Rompre l’andouille au genou.

Les Espagnols disent: Soldar el azogue, souder le vif-argent; et les Italiens: Pigliar il vento con le reti, prendre le vent au filet.

Il ressemble aux anguilles de Melun, il crie avant qu’on l’écorche.

On représentait un jour à Melun le mystère de saint Barthélemy qui, suivant le martyrologe, fut écorché et mis en croix: un étudiant de cette ville, nommé Languille, chargé de faire le rôle du martyr, fut tellement épouvanté, au moment où les bourreaux le saisirent pour simuler le supplice, qu’il ne put s’empêcher de pousser des cris. Et de là vint la locution proverbiale qu’on applique à une personne qui s’effraie sans sujet, qui se plaint avant de sentir le mal. D’après cette explication, donnée par Fleury de Bellingen, il faudrait dire: Il ressemble à Languille, et non pas aux anguilles de Melun; mais la seconde version, quoique fautive, n’est pas moins usitée que la première, et le Dictionnaire de l’Académie l’a consacrée.

ANGOISSE.Faire avaler à quelqu’un des poires d’angoisse.

C’est lui faire essuyer de mauvais traitements dont il ne peut se plaindre. Allusion à la poire d’angoisse, petite boule de fer qui, étant glissée pur les voleurs dans la bouche d’un homme qu’ils voulaient dépouiller, et s’y détendant par la pression d’un ressort secret, accroissait son volume au point de lui couper la parole et de ne pouvoir être retirée qu’avec l’aide d’un serrurier. Machine vraiment diabolique dont l’invention a été attribuée par quelques auteurs au capitaine Gaucher qui servait, du temps de la ligue, au pays de Luxembourg, et par quelques autres à un Toulousain nommé Palioly, chef d’une bande de filous établie à Paris. L’Académie semble croire que cette locution fait allusion à la poire d’Angoisse, fruit si âpre et si revéche au goût, dit-elle, qu’on a de la peine à l’avaler. Mais elle se trompe, car ce fruit est assez doux dans sa maturité, et les Parisiens, qui le trouvaient fort bon autrefois, devaient en faire une consommation assez considérable, puisque les colporteurs le criaient dans les rues. Témoin ce vers des Crieries de Paris, par Guillaume de la Villeneuve:

Poires d’Angoisse crier haut.

L’instrument de fer a été nommé poire d’angoisse, parce qu’il est en forme de poire et qu’il cause de l’angoisse ou de la douleur; le fruit a tiré son nom de celui d’Angoisse ou Angoissement (d’autres disent Angoisserent), village du Limousin où il fut primitivement connu et devint très abondant.

ANNÉE.Les années de Pierre.

C’est-à-dire vingt-cinq années de pontificat, parce que saint Pierre fut à la tête de l’Église de Rome pendant vingt-cinq années. On dit à chaque nouveau pape qu’on élève sur la chaire de l’apôtre: Sancta pater, non videbis annos Petri; saint-père, vous ne verrez pas les années de Pierre. Et en effet, aucun pape ne les a vues. La raison en est toute simple: c’est que pour être un sujet papable, dit l’histoire des conclaves, il faut être cardinal d’un âge avancé et d’une complexion dont on ne puisse attendre ni un long règne ni de trop vigoureuses résolutions.

En examinant la liste des papes, on voit que le terme moyen de leur règne est d’environ huit ans. Pie VII est le pontife qui a gouverné le plus longtemps l’Église depuis saint Pierre. S’il eût vécu un an de plus, la prophétie proverbiale aurait été démentie, et Rome, alors, aurait été exposée aux plus grands malheurs et à la destruction, suivant l’opinion superstitieuse des habitants de cette ville.

ANTAN.Parler des neiges d’antan.

C’est-à-dire de choses qui sont passées et dont on ne doit plus s’occuper. On trouve dans la dix-neuvième satire de Régnier: Discourir des neiges d’antan.

Antan est un vieux mot formé par contraction des deux mots latins ante annum, et signifiant l’autre année, l’année d’avant. L’expression des neiges d’antan, qu’on n’emploie guère aujourd’hui, a été pendant longtemps en grande vogue, à cause de la fameuse ballade de Villon sur les dames du temps jadis, dont voici quelques vers:

. . . . . . . . Où est la reine
Qui commanda que Buridan
Fût jeté dans un sac en Seine?
Mais où sont les neiges d’antan?
La reine, blanche comme un lys,
Qui chantait à voix de sirène,
Berthe au grand pied, Biétris, Alys,
Harembouges qui tint le Maine,
Et Jeanne, la bonne Lorraine,
Qu’Anglais brûlèrent à Rouen,
Où sont-ils, vierge souveraine?
Mais où sont les neiges d’antan?

ANTIFE.Battre l’antife.

Antife est un terme d’argot employé par les gueux et les filous pour désigner une église, lieu qu’ils fréquentent de préférence, parce qu’ils y trouvent les chances les plus favorables au succès de leur industrie, au milieu de la foule qui s’y rend. C’est dans ce sens que l’auteur du poëme de Cartouche s’est servi de ce mot, qui paraît être le même qu’antive, féminin d’antif (antique), vieux adjectif tombé en désuétude. Ainsi, l’expression populaire battre l’antife, qui correspond figurément à battre le pavé des rues, ou, comme on dit encore, battre l’estrade, signifie, au propre, battre le pavé des églises, acception qui n’est pas usitée.

APOTHICAIRE.Apothicaire sans sucre.

Le sucre, cette précieuse denrée que le vieux poëte Eustache Deschamps appelait l’auxiliaire de la civilisation, fit son entrée dans le monde, au commencement du XIVe siècle, par l’officine des apothicaires qui lui attribuaient toute sorte de vertus curatives et l’employaient dans tous les remèdes: de là cette expression, Apothicaire sans sucre, par laquelle on désigne tout marchand mal assorti et toute personne qui manque de quelque chose d’essentiel à sa profession.

On trouve dans de vieux auteurs, Apothicaire sans caffetin. Le sucre blanc raffiné était autrefois appelé caffetin. Ce mot est dans une ordonnance rendue par le roi Jean, en 1353.

APÔTRE.Faire le bon apôtre.

Chercher à tromper en contrefaisant l’homme de bien. On dit encore ironiquement, C’est un bon apôtre, en parlant de quelqu’un qui déguise sa malice sous les apparences de la bonté, qui affecte une candeur, une probité qu’il n’a pas.—Allusion à la conduite de l’apôtre Judas, qui portait la trahison dans le cœur en faisant à son divin maître des protestations d’attachement et de fidélité.

APPÉTIT.L’appétit vient en mangeant.

Plus on a, plus on veut avoir.—Autant croît le désir que le trésor.

C’est la réponse que fit Amyot à Charles IX, dont il avait été le précepteur, un jour que ce roi lui témoignait sa surprise de ce qu’ayant paru d’abord borner son ambition à un petit bénéfice qu’il avait obtenu, il demandait encore le riche évêché d’Auxerre. Mais cette réponse, qu’on croit avoir été l’origine du proverbe, n’en fut que l’application. Amyot, en s’exprimant ainsi, répétait simplement un mot rapporté par Rabelais dans le cinquième chapitre de Gargantua, et attribué à Angeston[9], qui n’en était peut-être pas l’inventeur. Ovide, parlant d’Erisichton, condamné par Cérès à une famine dévorante, avait dit:

. . . . . . . . Cibus omnis in illo
Causa cibi est.
(Metam., lib. VIII, fab. 11.)
Tout aliment l’excite à d’autres aliments.

Et Quinte-Curce (liv. VII, ch. 8) avait mis la phrase suivante dans le discours des Scythes à Alexandre: Primus omnium satietate parasti famem. Tu es le premier chez qui la satiété ait engendré la faim. Cependant, il est juste de dire que si Angeston a pris la pensée de ces deux auteurs, il se l’est appropriée par l’heureuse originalité avec laquelle il l’a rendue en français.

Pain dérobé réveille l’appétit.

Pain dérobé que l’on mange en cachette,
Vaut mieux que pain qu’on cuit ou qu’on achète. (La Font.)

On lit dans les Proverbes de Salomon (ch. 9, v. 17): Aquæ furtivæ dulciores sunt, et panis absconditus suavior. Les eaux dérobées sont plus douces, et le pain pris en cachette est plus agréable. C’est de là qu’a été tiré notre proverbe, qui signifie que nous trouvons une certaine douceur dans les choses qui nous sont défendues, que l’objet de nos désirs nous plaît d’autant mieux qu’il est moins permis.—Les Latins disaient: Dulce pomum quum abest custos. Le fruit est doux en l’absence du gardien.

Nitimur in vetitum semper cupimusque negata. (Ovid, lib. III, éleg. 4.)

Nous nous roidissons toujours contre ce qui nous est défendu, et nous désirons ce qu’on nous refuse.

Tel est le cœur humain, surtout celui des femmes:
Un ascendant mutin fait naître dans nos ames,
Pour ce qu’on nous permet un dégoût triomphant,
Et le goût le plus vif pour ce qu’on nous défend. (Piron, Métrom.)

ARBRE.Quand l’arbre est tombé, tout le monde court aux branches.

Pour dire que tout le monde cherche à retirer quelque avantage de la disgrâce qui atteint un homme élevé en dignité.

On ne jette des pierres qu’à l’arbre chargé de fruits.

Il n’y a que l’homme distingué qui soit en butte aux traits envenimés de la critique: les détracteurs attaquent le mérite et laissent en paix la médiocrité. Un vieux proverbe les assimile aux chiens qui n’aboient qu’après la pleine lune sans se soucier du croissant.

ARC.Débander l’arc ne guérit pas la plaie.

Il ne suffit pas, pour réparer ou pour guérir le mal qu’on a fait, de renoncer au moyen d’en faire.

Lorsque le roi René perdit Isabelle de Lorraine, sa première épouse, qu’il aimait beaucoup, il prit pour devise un arc dont la corde était rompue, avec ces mots italiens: Arco per lentare, piaga non sana, dont notre proverbe est la traduction, et il mit cette devise dans un beau livre d’Heures qu’il peignit pour Jeanne de Laval, sa seconde épouse, à laquelle il était aussi tendrement attaché. La Bibliothèque royale conserve ce précieux ouvrage, qui présente sur toutes les pages les lettres R I enlacées avec grâce, et sur toutes les marges plusieurs autres devises relatives aux deux princesses.

ARCHIDIACRE.Crotté en archidiacre.

C’est-à-dire bien crotté, parce que les archidiacres étaient tenus autrefois de faire à pied leurs visites, dans toutes les saisons, chez tous les curés de leur archidiaconé. Le temps a fait disparaître cet usage et la locution qui s’y rattache.

ARGENT.L’argent est un bon serviteur, mais c’est un mauvais maître.

Ce proverbe a été attribué au chancelier Bacon, mais il existait avant Bacon; peut-être a-t-il été inspiré par ce vers d’Horace:

Imperat aut servit collecta pecunia cuique;

ou bien par ce mot sur Caligula: «Il n’y eut jamais un meilleur esclave ni un plus mauvais maître.»

Il faut pouvoir dire de l’argent ce que le philosophe Aristippe disait d’une belle courtisane: «Je possède Laïs sans qu’elle me possède.»

L’argent fait tout.

Nummus vincit, nummus regnat, nummus imperat.

On lit dans l’Ecclésiaste: Pecuniæ obediunt omnia.

Les Italiens disent: Il danaro e un compendio del poter humano.

Argent comptant porte médecine,

pour signifier qu’il est d’un grand secours, qu’il guérit bien des maux.

L’argent est un remède à tout mal, hormis à l’avarice.

L’esprit, le temps, l’argent, sont trois grands médecins;
L’argent seul!... est-il rien, excepté l’avarice,
Que ce doux élixir n’endorme et ne guérisse?

(Piron, École des Pères, act. III, sc. 3.)

Argent fait perdre et pendre gent.

Nos pères, qui aimaient les jeux de mots, disaient encore: Argent ard gent. Ard est la troisième personne du présent indicatif du vieux verbre ardre ou arder (brûler).

Les Italiens disent: Qui veut s’enrichir dans un an se fait pendre dans six mois.

Qui a de l’argent a des pirouettes (ou des cabrioles).

Ce proverbe signifie, au propre, que celui qui a de l’argent saute et danse volontiers, et, au figuré, qu’il a de quoi se réjouir, de quoi satisfaire ses fantaisies et se procurer tout ce qui lui plaît; explication plus juste et plus naturelle que celle qu’on trouve dans la plupart des auteurs, qui disent seulement que celui qui a de l’argent a de tout, laissant à deviner pour quel motif il est question de pirouettes ou de cabrioles.

Chargé d’argent comme un crapaud de plumes.

Le proverbe précédent nous a montré l’homme qui a de l’argent plein de légèreté et prêt à entrer en danse; celui-ci assimile l’homme sans argent à un lourd reptile: en effet, quand on a la bourse bien garnie, on se sent plus léger, comme si le contentement était une espèce de ressort secret qui favorise l’aisance des mouvements; et quand on a la bourse vide, on se sent plus lourd, comme si la tristesse était un poids invisible sous lequel on ne peut avoir une allure dégagée: deux faits qui sont en raison inverse des lois du système de gravité. Il est probable que cette différence a été présente à l’esprit de l’homme qui le premier a imaginé de dire chargé d’argent comme un crapaud de plumes; elle est du moins caractérisée dans cette expression. On sait que l’argent et les plumes se confondent sous une même idée, dans plusieurs façons de parler usitées parmi le peuple, comme se remplumer, plumer quelqu’un, avoir des plumes de quelqu’un au jeu, laisser ses plumes au jeu, etc.

Les Polonais disent: Nu comme un saint turc, parce que les dervis ou derviches, religieux turcs qui font profession de pauvreté, vont toujours les jambes nues et la poitrine découverte, à l’imitation des gymnosophistes indiens, qui avaient adopté la nudité comme emblème de leur amour pour la vérité nue.

L’argent est rond pour rouler.

Maxime des prodigues.

L’argent est plat pour s’entasser.

Maxime des avares.

Semer l’argent.

Cette expression fut d’abord employée littéralement pour désigner une prodigalité mémorable qui eut lieu dans une cour plénière tenue à Beaucaire par Raymond V, comte de Toulouse, en 1174. Le sire de Simiane, d’autres disent Bertrand de Raiembaus ou Raibaux, cherchant à surpasser en magnificence tous ses rivaux, fit labourer avec douze paires de taureaux blancs les cours et les environs du château, et y fit semer 30,000 sous en deniers, somme équivalente à 600 marcs d’argent fin, puisque 50 sous formaient alors un marc.

L’argent prêté veut être racheté.

C’est-à-dire que celui qui a prêté son argent a autant de peine à le recouvrer qu’il en aurait à le gagner, car on trouve presque toujours dans la main qui l’a reçu la main qui refuse de le rendre.

Ne prêtez point votre argent à un grand seigneur.

Proverbe pris des paroles de l’Ecclésiastique (ch. 9, v. 1): Noli fænerari homini fortiori te: quod si fæneraveris quasi perditum habe. Ne prêtez point votre argent à un homme plus puissant que vous; et si vous le lui avez prêté, tenez-le pour perdu.

Le conseil que donne ce proverbe se trouvait fort bon à suivre dans l’ancien temps, où les grands seigneurs pouvaient facilement abuser de leur position pour faire attendre longtemps tout créancier bourgeois qui réclamait son argent, et pour le punir de cette liberté grande: c’était alors un de leurs plaisirs et même un de leurs priviléges. Les registres du parlement et les taxes des chancelleries royales constatent qu’ils obtenaient quelquefois des lettres de non payer; et l’on sait que Philippe de Valois, voulant se montrer reconnaissant envers ceux qui avaient aidé à son élévation, leur octroya de pareilles lettres, en grande quantité. Le témoignage de ces faits n’est pas consigné dans l’histoire seulement, il l’est aussi dans le langage, car on dit, en parlant d’un débiteur qui tarde à satisfaire à ses engagements: Il se croit dispensé de payer ses dettes.

Les Basques se servent du proverbe suivant: Ne prête pas ton argent à celui à qui tu serais obligé de le redemander le chapeau à la main.

Si vous voulez savoir le prix de l’argent, essayez d’en emprunter.

En ce cas, il faut payer l’argent au poids de l’or.

L’argent ne sent pas mauvais.

On dit aussi: L’argent n’a point d’odeur.

L’empereur Vespasien, ayant mis un impôt sur les latrines, contre l’avis de son fils Titus, prit une pièce du premier argent qu’il en retira, et l’approcha du nez de ce prince, en disant: «Cela sent-il mauvais?» ce qui donna lieu au proverbe, dont Juvénal s’est servi:

. . . . . . Lucri bonus est odor ex re
Qualibet.
(Sat. 14, v. 204.)
L’argent qu’on gagne sent toujours bon, de quelque part qu’il vienne.

Ennius avait dit:

Unde habeas curat nemo, sed oportet habere.
Personne ne s’informe d’où vous avez, mais il faut avoir.

Les Anglais disent: Money is welcome, though it comes in a dirty clout. L’argent est toujours bien venu, quoiqu’il arrive dans un torchon sale.

Plaie d’argent n’est point mortelle.

Pour exprimer qu’un malheur est supportable lorsqu’on peut l’adoucir par quelque sacrifice d’argent.

Les Russes disent: Ce qu’on peut éviter à force d’argent n’est point un malheur; le vrai malheur est d’avoir dans sa poche une bourse vide.

Qui n’a point argent en bourse ait miel en bouche.

Quand on est pauvre, il faut filer doux, n’avoir que d’agréables paroles, car si l’on passe au riche quelques grossièretés, on n’en passe aucune au pauvre.

Ne touchez point à l’argent d’autrui, car le plus honnête homme n’y ajouta jamais rien.

Avertissement qu’on donne, par manière de plaisanterie, à quelqu’un qui prend dans ses mains de l’argent qui ne lui appartient pas.

Avoir de l’esprit argent comptant.

Cette expression est littéralement traduite de l’expression latine Habere ingenium in numerato, dont l’empereur Auguste se servait pour caractériser le talent du célèbre Vinicius, et dont Quintilien a fait l’application à un orateur habile à improviser sur toute sorte de sujets. L’abbé Gedoin l’a rendue ainsi: Avoir toutes les richesses de son esprit en argent comptant.

Un vieux traducteur avait dit: Én bonne pécune nombrée.

Argent sous corde.

On dit Jouer, payer argent sous corde, dans le même sens que Jouer, payer argent comptant, ou argent sur table. C’est une métaphore prise du jeu de paume, où l’on met l’argent sous la corde.

ARGOULET.C’est un pauvre argoulet.

Les argoulets étaient des arquebusiers à cheval, qui existèrent depuis Louis XI jusqu’à Henri II. Comme dans le dernier temps ils n’étaient pas considérables, dit Ménage, en comparaison des autres cavaliers, on employa le nom d’argoulet pour désigner un chétif soldat, et par extension un homme de néant.

ARISTARQUE.

Célèbre grammairien de Samos, qui fut chargé par Ptolémée Philadelphe de revoir les poëmes d’Homère, dont il donna l’édition que nous avons aujourd’hui. Dans cette importante révision, il fit preuve d’une critique si sage et si judicieuse, que son nom, devenu appellatif, a servi depuis à désigner un censeur juste, profond et éclairé. C’est ce que les Romains entendaient par un Aristarque, comme le prouve un passage de l’Art poétique d’Horace, où il est dit: Fiet Aristarchus, etc. C’est aussi ce que nous entendons, mais quelquefois nous y attachons une idée particulière de sévérité.

ARISTOTE.Faire le cheval d’Aristote.

On dit Faire le cheval d’Aristote, pour désigner une pénitence qui est imposée dans le jeu du gage touché, ou dans quelque autre jeu semblable, et qui consiste à prendre la posture d’un cheval, afin de recevoir sur son dos une dame qu’on doit promener ainsi dans le cercle où elle doit être embrassée par les joueurs. Cette pénitence est sans doute une allusion à l’usage symbolique d’après lequel le vassal ou le vaincu se mettait aux pieds du suzerain ou du vainqueur, une bride à la bouche et une selle sur le dos[10].

Quant à l’expression singulière par laquelle elle est désignée ici, elle doit son origine à un fabliau intitulé le Lai d’Aristote, dont voici le canevas[11].

Alexandre-le-Grand, épris d’une jeune et belle Indienne, semblait avoir perdu le goût des conquêtes. Ses guerriers en murmuraient, mais aucun d’eux n’était assez hardi pour lui en exprimer le mécontentement général. Son précepteur Aristote s’en chargea: il lui représenta qu’il ne convenait pas à un conquérant de négliger ainsi la gloire pour l’amour; que l’amour n’était bon que pour les bêtes, et que l’homme esclave de l’amour méritait d’être envoyé paître comme elles. Une telle remontrance, autorisée sans doute par les mœurs du temps jadis, qui étaient bien différentes des nôtres, fit impression sur le monarque, et il se décida, pour apaiser les murmures de son armée, à ne plus aller chez sa maîtresse; mais il n’eut pas le courage de défendre qu’elle vînt chez lui. Elle accourut tout éplorée pour savoir la cause de son délaissement, et elle apprit ce qu’avait fait Aristote. «Eh quoi! s’écria-t-elle, le seigneur Aristote a de l’humeur contre le penchant le plus naturel et le plus doux? Il vous conseille d’exterminer par la guerre des gens qui ne vous ont fait aucun mal, et il vous blâme d’aimer qui vous aime! C’est une déraison complète, c’est une impertinence inouïe qui réclame une punition exemplaire, et, si vous voulez bien le permettre, je me charge de la lui infliger.» Son amant ne s’opposa point à ses projets, et dès ce moment elle mit tout en œuvre pour séduire le philosophe. Ce que veut une belle est écrit dans les cieux, et l’égide de la sagesse ne met pas à couvert de ses traits vainqueurs. Le vieux censeur des plaisirs l’apprit à ses dépens. Son cœur, surpris par les galanteries les plus adroites, se révolta contre sa morale. Vainement il crut l’apaiser en recourant à l’étude et en se rappelant toutes les leçons de Platon: une image charmante venait sans cesse se placer devant ses yeux et détournait vers elle seule toutes les méditations auxquelles il se livrait. Enfin il reconnut que l’étude et Platon ne sauraient le défendre contre une passion si impérieuse, et son esprit subtil lui révéla que le meilleur moyen de la vaincre était d’y succomber. Dès l’instant il laissa là tous les livres et ne songea qu’aux moyens d’avoir un entretien secret avec la jeune Indienne. Un jour qu’elle fesait une promenade solitaire dans le jardin du palais impérial, il accourut auprès d’elle, et à peine l’eut-il abordée qu’il se jeta à ses pieds, en lui adressant une pathétique déclaration. L’enchanteresse feignit de ne pas y croire pour se la faire répéter. Cette manière de prolonger les jouissances de l’amour-propre était alors en usage chez le beau sexe. Obligée enfin de s’expliquer, elle répondit qu’elle ne pouvait ajouter foi à des aveux si extraordinaires sans des preuves bien convaincantes. Toutes celles qu’il était possible d’exiger lui furent offertes. «Eh bien, reprit-elle, après cela, il faut satisfaire un caprice. Toute femme a le sien: celui d’Omphale était de faire filer un héros, et le mien est de chevaucher sur le dos d’un philosophe. Cette condition vous paraîtra peut-être une folie; mais la folie est à mes yeux la meilleure preuve d’amour.» Il fut fait comme elle le désirait. Qu’y a-t-il en cela d’étonnant? Le dieu malin qui change un âne en danseur, comme dit le proverbe, peut également changer un philosophe en quadrupède. Voilà notre vieux barbon sellé, bridé, et l’aimable jouvencelle à califourchon sur son dos. Elle le fait trotter de côté et d’autre, et pendant qu’il s’essouffle à trotter, elle chante joyeusement un lai d’amour approprié à la circonstance. Enfin, quand il est bien fatigué, elle le presse encore et le conduit... devinez où?—elle le conduit vers Alexandre, caché sous un berceau de verdure d’où il examinait cette scène réjouissante. Peignez-vous, si vous le pouvez, la confusion d’Aristote, lorsque le monarque, riant aux éclats, l’apostropha de cette manière: «O maître! est-ce bien vous que je vois dans ce grotesque équipage? Vous avez donc oublié la morale que vous m’avez faite, et maintenant c’est vous qu’il faut mener paître.» La raillerie semblait sans réplique; mais l’homme habile a réponse à tout.—«Oui, c’est moi, j’en conviens, répondit le philosophe en se redressant. Que l’état où vous me voyez serve à vous mettre en garde contre l’amour. De quels dangers ne menace-t-il pas votre jeunesse, lorsqu’il a pu réduire un vieillard si renommé par sa sagesse à un tel excès de folie?»

Cette seconde leçon était meilleure que la première. Alexandre parut l’approuver, et il promit de la méditer auprès de la jeune Indienne. C’était là qu’on lui reprochait d’avoir perdu sa raison, c’était là qu’il devait la retrouver. Il y réussit, mais ce fut, dit-on, par l’effet du temps, plutôt que par celui de la leçon. Le temps, pour guérir de l’amour, en sait beaucoup plus qu’Aristote.

ARLEQUIN.Les trente-six raisons d’Arlequin.

On appelle ainsi des raisons superflues. Arlequin, dans une comédie du théâtre italien, excuse son maître de ce qu’il ne peut se rendre à une invitation, pour trente-six raisons. La première c’est qu’il est mort. On le dispense des autres.

DU PERSONNAGE D’ARLEQUIN.

Un comédien italien venu en France avec sa troupe, sous le règne de Henri III, ayant fréquenté la maison du président de Harlay, grand amateur de ses facéties, fut surnommé, dit-on, par ses camarades Arlechino (le petit Harlay), ce qui lui donna occasion d’équivoquer un jour facétieusement, en disant à ce magistrat: «Il y a parenté entre nous au cinquième degré: vous êtes Harlay premier, et je suis Harlay-quint.» Telle fut, suivant Ménage, l’origine du nom d’Arlequin. Mais quoique cet auteur ait rapporté sérieusement une telle étymologie, on ne doit la prendre que pour ce qu’elle vaut, c’est-à-dire pour une plaisanterie. Court de Gébelin la rejette avec raison, parce que le fait sur lequel elle repose ne lui paraît pas avéré et ne s’accorde guère avec les mœurs graves et austères du président de Harlay. Il pense que arlequin est un mot composé de l’article al, où l s’est changé en r, et de lecchino, diminutif de lecco, qui, en italien, désigne un homme adonné à la gloutonnerie, un lécheur de plats. En effet, Arlequin se montre constamment avec ce défaut sur la scène de sa patrie; mais il s’en est un peu corrigé en s’établissant en France. Ce qu’il y avait de trop grossier dans ses goûts a été modifié par l’heureuse influence de notre pays. Il s’est aussi amendé sur son penchant à la grotesque bouffonnerie, et il a su joindre à ses lazzi un esprit et une malice de meilleur ton, qui sont devenus les traits distinctifs de son caractère. Florian est le seul auteur de quelque mérite qui se soit avisé de lui attribuer des qualités contraires. Il lui a prêté de la timidité et de la bonhomie; il en a fait tour à tour un bon fils, un bon époux, un bon père, et il a su mêm le rendre intéressant dans ces divers rôles. Cependant une pareille innovation, quoique justifiée par le succès, a été regardée justement comme une faute capitale; car il n’est jamais permis de dénaturer à ce point des mœurs consacrées au théâtre. D’ailleurs Arlequin a perdu beaucoup plus qu’il n’a gagné dans cette réforme. Le sentiment fait un contraste bizarre avec son costume, et ne va nullement à sa figure de grillon[12]. Combien est préférable la joyeuse humeur qui l’anime sur le théâtre de Gherardi! C’est là qu’il est dans son véritable élément. Tout ce qu’il y fait, tout ce qu’il y dit est marqué au coin de l’originalité la plus plaisante. Qui pourrait ne pas applaudir à ses nombreuses saillies? elles feraient rire un Anglais attaqué du spleen. Boileau, qui se connaissait en bons mots, les a louées en désignant le recueil des comédies dont elles font le principal mérite sous le titre de Grenier à sel. Je ne puis résister au désir d’en citer quelques-unes.

«Il n’y a dans le monde que trois sortes de gens: les trompeurs, les trompés et les trompettes.»

«Un financier est un homme qui a sauté du derrière de la voiture dans l’intérieur, en évitant la roue.»

«L’amour d’une femme est un sable mouvant sur lequel on ne peut bâtir que des châteaux en Espagne.»

«On ne fait pas l’amour à Paris; on l’achète tout fait.»

Ce dernier mot a été attribué au spirituel marquis de Caraccioli, mais il était imprimé dans une arlequinade avant que M. le marquis eût appris à lire.

Le personnage d’Arlequin n’est point moderne comme son nom; je vais essayer de le prouver en établissant sa généalogie. Il descend en droite ligne d’une famille originaire du pays des Osques, et transplantée dans la cité de Romulus. Cette famille est celle des sannions ou bouffons qui jouaient les fables atellanes, ainsi nommées de la ville d’Atella, d’où ils étaient venus, vers les premiers temps de la république, pour ranimer les Romains découragés par une peste affreuse. C’est peut-être en mémoire d’un tel service que ces comédiens ne furent jamais confondus avec les autres; ils jouissaient de tous les droits des citoyens, et les jeunes patriciens se fesaient un honneur de s’associer à leurs jeux scéniques. Plusieurs écrivains de l’antiquité, qui ont pris soin de nous transmettre quelques-uns de leurs faits et gestes, assurent qu’il n’y avait rien de si divertissant. Cicéron, émerveillé de leur jeu, s’écrie: Quid enim potest tam ridiculum quam sannio esse, qui ore, vultu, imitandis moribus, voce, denique corpore ridetur ipso? (de Oratore, lib. II, cap. 61.) Le costume de ces mimes, tout à fait étranger aux habitudes grecques et aux habitudes romaines, se composait d’un pantalon de diverses couleurs, avec une veste à manches, pareillement bigarrée, qu’Apulée, dans son Apologie, désigne par le nom de centunculus, habit de diverses pièces cousues ensemble. Ils avaient la tête rasée, dit Vossius, et le visage barbouillé de noir de fumée: Rasis capitibus et fuligine faciem obducti. Tous ces traits caractéristiques se trouvent retracés dans des portraits empreints sur des vases antiques sortis des fouilles d’Herculanum et de Pompéia; et l’on peut en conclure que jamais descendant de noble race n’a offert une ressemblance de famille aussi frappante que celle qui existe entre Arlequin et ses aïeux.

Les sannions conservèrent toujours le privilége d’amuser les maîtres du monde, et ce privilége ne fut pas même suspendu par les guerres civiles qui désolèrent Rome, comme s’il eût dû servir de compensation à tant de désastres. Dans la suite, un tyran qui ne voulait laisser aucune consolation à ses sujets, Tibère, entreprit vainement de le faire cesser, en bannissant des acteurs si chéris; il se vit obligé de les rappeler pour apaiser la multitude prête à se révolter. Les peuples tiennent encore plus à leurs amusements qu’à leurs droits politiques, et il n’y a point de révolution qui puisse les leur enlever entièrement. Les beaux sermons de saint Jérôme, de saint Augustin, de Tertullien, de Lactance et de quelques autres pères de l’Église, n’eurent pas le pouvoir d’affaiblir le goût du public pour les jeux mimiques, en les présentant comme incompatibles avec les mœurs chrétiennes. Lorsque les hordes du Nord fondirent sur l’Italie, l’empire éternel disparut, mais les sannions restèrent. Leur gaieté pourtant sembla s’être perdue parmi les ruines. Ils ne consacrèrent point aux plaisirs des vainqueurs un talent que ces barbares étaient sans doute indignes d’apprécier, et ils se contentèrent de reparaître dans les réjouissances annuelles du carnaval et dans les farces du moyen âge. La comedia dell’arte vint enfin les relever de cette décadence et les réhabiliter dans une partie de leurs anciennes fonctions. Ils prirent alors le nom de zanni, qu’ils portent encore en Italie, et qui est évidemment le même que celui de sannions. Ils revêtirent aussi l’habit de trente-six couleurs, affecté à ce genre de comédie, qui représente des corporations individualisées, chaque losange servant à marquer une corporation. Ce que j’ai dit plus haut de l’emploi de cette bigarrure allégorique dans les fables atellanes prouve qu’elle n’est pas de l’invention des modernes; il est probable que son origine remonte aux Égyptiens. Le dieu Monde chez ce peuple, dit Porphyre, était figuré debout et revêtu des épaules aux pieds d’un magnifique manteau nuancé de mille couleurs[13]. Ce manteau était l’emblème de la nature; l’habit d’Arlequin est l’emblème de la société.

ARMES.Se battre à armes égales.

Les armes dont on se servait dans les anciens duels devaient être parfaitement égales. C’étaient des épées qu’on nommait jumelles, parce qu’on les renfermait dans le même fourreau.

Il n’est pas de plus belles armes que les armes de vilain.

Armes se prend ici pour armoiries. «Ces glorieuses marques, dit Mézeray, n’appartenaient autrefois qu’aux vrais gentilshommes, c’est-à-dire, à ceux qui étaient tels par des services militaires; et elles fesaient l’une des plus illustres parties de la succession dans leurs maisons. Aujourd’hui tout le monde en porte; les plus roturiers en sont les plus curieux. Ceux qui sont de profession contraire à celle des armes ne parlent que de leurs armoiries. Ils font passer des rébus de la vile populace, des allusions grossières sur leurs noms, des chiffres de marchands, des enseignes de boutiques et des outils d’artisans, dans les escus, à l’ombre des couronnes, des timbres, des cimiers et des supports; ils ont, par une hardiesse insupportable, choisi les pièces les plus illustres, et donné sujet de dire qu’il n’est point de plus belles armes que les armes de vilain.» (Abrégé chronol. de l’Hist. de France, t. II, p. 493, in-12. Paris, 1676.)

Ce proverbe a son application au figuré, en parlant d’une personne qui fait un pompeux étalage de qualités feintes ou affectées.

ARMOIRIES.Les armoiries des gueux.

Lorsqu’un pauvre fait l’important, qu’il a l’air de trancher du grand seigneur, on lui conseille de prendre les armoiries des gueux. Ces armoiries sont deux carottes de tabac en croix avec ces mots autour: Dieu vous bénisse.

On dit aussi: Le blason des gueux.

ART.L’art est de cacher l’art.

Le grand art de l’homme fin, dit Montaigne, est de ne le point paraître: où est l’apparence de la finesse, l’effet n’y est plus.

En littérature, toute la perfection de l’art consiste, suivant la remarque de Fénelon, à montrer si naïvement la simple nature qu’on le prenne pour elle.

Quand l’art ne laisse aucune trace dans un ouvrage, le lecteur s’imagine qu’il aurait pu le faire lui-même, et ce sentiment d’un amour-propre qui se flatte le rend singulièrement indulgent envers l’auteur. Ce n’est pas tout, quand l’art ne se montre pas, le plaisir de le deviner est laissé aux lecteurs, et ceux qui sont faits pour deviner savent gré à l’auteur de leur avoir ménagé ce plaisir.

ARTICHAUT.Faire d’une rose un artichaut.

C’est faire d’une belle chose une laide, d’une bonne une mauvaise. On dit aussi dans le même sens, Faire d’une pendule un tourne-broche.

Allusion à l’histoire d’un barbouilleur chargé de peindre une rose pour enseigne sur la porte d’un cabaret; il mit tant de vert-de-gris dans le fond de ses mélanges, que les teintes légères du rouge furent absorbées, et la rose en séchant devint un artichaut.

ASPERGES.En moins de temps qu’il n’en faut pour cuire des asperges.

Cette expression proverbiale et comique, employée par Rabelais (liv. V, ch. 7), est traduite de l’expression latine: Citiùs quàm asparagi coquuntur. Érasme, qui la rapporte dans ses Adages, observe qu’elle était familière à l’empereur Auguste.

ASSEZ.Il n’y a point assez, s’il n’y a trop.

Ce proverbe, qu’on exprimait autrefois d’une manière abrégée qui prêtait à l’équivoque, Assez n’y a, si trop n’y a, renferme une observation morale d’une grande vérité: c’est qu’on forme sans cesse des désirs immodérés. Les grands enfants, qu’on appelle les hommes, ressemblent à ce petit enfant gâté qui, invité à fixer lui-même le nombre des hochets qui devaient lui être donnés, ne répondait que par ces mots: Donnez-m’en trop.

Sénèque écrivait à Lucilius (épit. 119): Quod naturæ satis est homini non est; inventus est qui concupisceret aliquid post omnia. Ce qui suffit à la nature ne suffit point à l’homme; il s’en est trouvé un (Alexandre-le-Grand) qui, maître de tout, désirait quelque chose de plus que tout.

Les Yolofs, habitants de la Sénégambie occidentale, disent: Rien ne peut suffire à l’homme que ce qu’il n’a pas.

Beaumarchais a très spirituellement enchéri sur notre proverbe, lorsqu’il a mis dans la bouche de son Figaro, parlant de l’amour, ce mot charmant qui est aussi devenu proverbe: Trop n’est pas assez.

ASSIETTE.Deux gloutons ne s’accordent point en une même assiette.

Pas plus que deux chiens après un os. Ce proverbe est du temps où plusieurs personnes mangeaient à la même assiette. Les Espagnols disent: A dos pardales, en una espiga, nunca ay liga. Entre deux moineaux à un épi, il n’y a jamais de ligue.

Faire l’assiette.

On disait autrefois l’assiette d’une table, pour l’ordre dans lequel on devait y être assis; et faire l’assiette ou ordonner l’assiette, c’était désigner la place de chaque convive. Cette expression, qui n’est plus d’usage, se trouve dans la traduction des Symposiaques de Plutarque par Amyot; il serait bon de la rétablir, car elle épargnerait une périphrase. L’assiette se disait aussi pour le service.

ASTROLOGUE.Il n’est pas grand astrologue.

C’est-à-dire, il manque d’esprit, de prévoyance, d’habileté. Nos bons aïeux avaient foi à l’astrologie, et ils regardaient les astrologues comme des hommes du plus grand génie. (Voyez l’expression Faire la pluie et le beau temps.)

C’est un grand astrologue, il devine les fêtes quand elles sont venues.

Expression ironique, en parlant de quelqu’un qui manque de perspicacité.

ATTENDRE.Tout vient à point à qui sait attendre.

Pour dire que les affaires ont un point de maturité qu’il faut attendre et qu’il est dangereux de prévenir. «La science des occasions et des temps, dit Bossuet, est la principale partie des affaires. Il faudrait transcrire toutes les histoires saintes et profanes pour savoir ce que peuvent dans les affaires les temps et les contre-temps. Précipiter ses affaires, c’est le propre de la faiblesse, qui est contrainte de s’empresser dans l’exécution de ses desseins, parce qu’elle dépend des occasions.»

Omnibus hora certa est, et tempus suum cuilibet cæpto sub cœlis. (Ecclésiast., ch. 3, v. 1). Il y a pour tout un moment fixé, et chaque entreprise a son temps marqué sous les cieux.

Il ne faut pas se faire attendre ni arriver trop tôt.

On est impoli quand on se fait attendre, et gênant quand on arrive trop tôt.

Ne t’attends qu’à toi-même.

C’est-à-dire, ne compte pas sur la protection ou sur le secours d’autrui. La meilleure protection, les meilleurs secours que tu puisses avoir, il faut les chercher en toi-même; tu les trouveras dans ta bonne conduite, dans ton travail, dans ton économie, etc. C’est l’adage des Grecs: Si tu veux du bien, tire-le de toi-même. «Faites-vous, s’il se peut, dit Vauvenargues, une destinée qui ne dépende point de la bonté trop inconstante et trop peu commune des hommes. Si vous méritez des honneurs, si la gloire suit votre vie, vous ne manquerez ni d’amis fidèles, ni de protecteurs, ni d’admirateurs. Soyez donc d’abord par vous-même, si vous voulez acquérir les étrangers. Ce n’est point à une ame courageuse à attendre son sort de la seule faveur et du seul caprice d’autrui; c’est à son travail à lui faire une destinée digne d’elle.»

ATTENTE.L’attente tourmente.

Spes quæ differtur affligit animam. (Salomon, Parab., cap. 13, v. 12.) L’espérance différée afflige l’ame.

L’attente est douce, dit Montaigne, mais elle s’aigrit comme le lait.

Montesquieu appelle l’attente une chaîne qui lie tous nos plaisirs.

AUNE. Au bout de l’aune faut (manque) le drap.

Au propre, quelque grande que soit une pièce de drap, on en voit le bout à force de l’auner; au figuré, quelque étendue que soit une ressource, on l’épuise à force d’en user. Il n’y a rien dont on ne trouve la fin.

Les Grecs exprimaient la même idée par un tour de paradoxe passé dans la langue latine en ces termes: Quidquid extremum breve.

Savoir ce qu’en vaut l’aune.

Se dit d’une chose dont on a fait l’expérience à ses dépens.

Il ne faut pas mesurer les autres à son aune.

Il ne faut pas juger d’autrui par soi-même.

Les hommes ne se mesurent pas à l’aune.

Il ne faut pas juger du mérite des hommes par la taille.

AUTEL.Il en prendrait sur l’autel.

Cette expression, dont on se sert pour caractériser un homme avide du bien d’autrui, et, en général, toute personne que rien n’arrête quand il s’agit de se procurer des jouissances, est un emprunt que nous avons fait aux Latins, qui disaient dans le même sens, Edere de patellâ, comme on le voit dans cette phrase de Cicéron: Atqui reperias asotos ita non religiosos ut edant de patellâ. (De finib. bonor et malor, lib. II.) Il y a des libertins si peu scrupuleux, qu’ils mangeraient dans le plat du sacrifice. Le mot patella signifie une espèce de vase où l’on mettait quelque partie réservée d’une victime, ainsi que les viandes offertes aux dieux pénates nommés, pour cette raison, patellarii.

Il faut que le prêtre vive de l’autel.

On fesait autrefois une distinction entre l’église et l’autel, en donnant le nom d’église aux revenus fixes du clergé, et le nom d’autel aux offrandes des fidèles, parce que ces offrandes étaient ordinairement déposées sur l’autel. Le premier lot appartenait à des feudataires ecclésiastiques, et le second à des vicaires ou desservants. Quelques évêques prétendirent être maîtres de l’autel aussi bien que de l’église, comme on le voit dans une lettre de saint Abbon, qui les en blâme beaucoup; et cet acte de cupidité peu évangélique fit naître le proverbe comme une juste réclamation.

On dit: Il faut que le prêtre vive de l’autel, pour signifier qu’il doit avoir un salaire qui le laisse sans inquiétude sur les besoins de la vie; mais, suivant une remarque de Gusman d’Alfarache, il faut qu’il vive de l’autel pour servir à l’autel, et non pas qu’il serve à l’autel pour vivre de l’autel.

Le proverbe s’emploie aussi, par extension, pour exprimer qu’une personne qui exerce une profession honorable doit y trouver un honnête profit.

AVALEUR.Avaleur de charrettes ferrées.

C’est-à-dire fanfaron, faux brave.

On lit dans la satire Ménippée: «Douze ou quinze mille fendeurs de nazeaux et mangeurs de charrettes ferrées.» Cette expression proverbiale n’est pas nouvelle; car Athénée a dit (Deipnosoph., liv. VI): C’est un mangeur de lances et de catapultes.

AVARE.L’avare et le cochon ne sont bons qu’après leur mort.

L’assimilation de l’avare et du cochon donne à ce proverbe quelque chose de spirituel et de piquant, qui le rend préférable au proverbe latin que P. Syrus a renfermé dans ce vers:

Avarus, nisi cum moritur, nil recte facit.
L’avare ne fait qu’une bonne chose, c’est de mourir.

A père avare, enfant prodigue.

Le fils d’un avare se voyant exposé à beaucoup de privations, se fait escompter par des usuriers la riche succession qu’il attend, et comme il a pris en horreur l’avarice de son père, il se jette dans l’excès contraire.

L’observation qui sert de fondement à ce proverbe se trouve dans l’Ecclésiaste (ch. 5, v. 13-14): Est infirmitas pessima quam vidi sub sole, divitiæ conservatæ in malum domini sui: pereunt enim in afflictione pessimâ. Generavit filium qui in summâ egestate erit. Il y a une maladie bien fâcheuse que j’ai vue sous le soleil, des richesses conservées avec soin pour le tourment de celui qui les possède: il les voit périr dans une extrême affliction. Il a mis au monde un fils qui sera réduit à la dernière misère.—A père pilleur, fils gaspilleur.

AVARICE.Quand tous vices sont vieux, avarice est encore jeune.

L’âge et les réflexions, dit Massillon, guérissent d’ordinaire les autres passions, au lieu que l’avarice semble se ranimer et prendre de nouvelles forces dans la vieillesse. Ainsi l’âge rajeunit, pour ainsi dire, cette indigne passion. Elle se nourrit et s’enflamme par les remèdes mêmes qui guérissent et éteignent toutes les autres. Plus la mort approche, plus on couve des yeux son misérable trésor.

Avarice passe nature.

L’avare se prive des commodités de la vie; il est mal logé, mal vêtu, mal nourri; il souffre du froid et du chaud, et il endure la faim pour satisfaire une passion plus forte en lui que nature, une passion qui lui fait jeter ses entrailles hors de lui, selon l’expression énergique de l’Ecclésiaste.

Un proverbe anglais compare l’avare au chien placé dans la roue d’un tourne-broche: A covetous man like a dog in a wheel, roasts meat for others.

L’avarice est comme le feu, plus on y met de bois, plus il brûle.

Cette comparaison proverbiale se trouve dans le Traité des Bienfaits, par Sénèque (liv. II, ch. 27): Multò concitatior est avaritia in magnarum opum congestu collocata, ut flammæ acrior vis est quo ex majore incendio emicuit. Il en est de l’avarice comme du feu, dont la violence augmente en proportion des matières combustibles qui lui servent d’aliment.

Ovide, avant Sénèque, avait également comparé au feu la faim dévorante d’Erisichton, symbole frappant de l’avarice. (Métamorph., liv. VIII, fab. 11.)

Avarice de temps seule est louable.

Proverbe tiré de Sénèque, qui a dit, en parlant du temps: Cujus solius honesta est avaritia.

AVENIR.Nul ne sait ce que lui garde l’avenir.

C’est un proverbe qui se trouve parmi ceux de Salomon (ch. 27, v. 1): Ignoras quid superventura pariet dies. Tu ignores ce que produira le jour de demain. C’est aussi un proverbe latin, dont Varron fit le titre d’une de ses satires: Nescis quid vesper serus trahat. Tu ne sais pas les événements que peut amener le soir.

M. Dussault rapporte, dans un article du Journal des Débats, que la chevalière d’Éon avait coutume de dire: On ne sait pas ce qu’il y a de caché dans la matrice de la Providence. Si l’axiome n’est pas nouveau, l’expression est assurément neuve.

Il ne faut pas se fier sur l’avenir.

Il ne faut pas que les espérances que l’on fonde sur l’avenir fassent négliger les soins du présent. Fontenelle disait: «Nous tenons le présent dans nos mains; mais l’avenir est une espèce de charlatan qui, en nous éblouissant les yeux, nous l’escamote. Pourquoi souffrir que des espérances vaines ou douteuses nous enlèvent des jouissances certaines!»

Les Basques ont ce proverbe: Gueroa alderdi; l’avenir est perclus de la moitié de ses membres, pour signifier, je crois, que l’avenir qu’on a en vue n’arrive presque jamais, ou que, s’il arrive, il n’est ni tel qu’on le désire, ni tel qu’on le craint. «Il est des millions de millions d’avenirs possibles, dit M. de Chateaubriand. De tous ces avenirs un seul sera, et peut-être le moins prévu. Si le passé n’est rien, qu’est-ce que l’avenir, sinon une ombre au bord du Léthé qui n’apparaîtra peut-être jamais dans ce monde? Nous vivons entre un néant et une chimère.»

Quid brevi fortes jaculamur ævo
Multa?
(Horace, od. 16, lib. II.)
Pourquoi, si loin de nous, lancer dans l’avenir
L’espoir d’une existence aussi prompte à finir?

Bien fou qui s’inquiète de l’avenir.

Ce proverbe ne doit pas s’entendre à la lettre, car il signifierait qu’il est sage de négliger les soins de l’avenir, de laisser au hasard la disposition de notre vie, et de ne pas pourvoir à l’intervalle qu’il y a entre nous et la mort; ce qui offrirait une maxime déraisonnable, ce qui assimilerait ta prudence à la folie. Il signifie simplement qu’il ne faut point se livrer à des prévoyances inquiètes de l’avenir, parce qu’elles détruisent la sécurité du présent et ne laissent aucune paix à l’homme.

Il ne faut point, dit Bossuet, avoir une prévoyance pleine de souci et d’inquiétude, qui nous trouble dans la bonne fortune; mais il faut avoir une prévoyance pleine de précaution, qui empêche que la mauvaise fortune ne nous prenne au dépourvu.

Par le passé l’on connaît l’avenir.

Proverbe qui paraît pris de cette pensée de Sophocle: L’homme sage juge de l’avenir par le passé. Les Espagnols disent: Por el hilo sacarás el ovillo, y por lo pasado lo no venido. Par le fil tu tireras le peloton, et par le passé l’avenir.

Rien n’est tel que l’expérience du passé pour découvrir l’avenir; car l’avenir reproduit le passé, n’est qu’un passé qui recommence, suivant l’expression de M. Nodier. Quidquid jàm fuit, nunc est; et quod futurum est, jàm fuit (Ecclésiaste, ch. 3, v. 15). Tout ce qui est déjà arrivé arrive encore maintenant; et les événements futurs ont déjà existé. Pour bien juger de l’avenir, il importe donc de consulter le passé. Voulez-vous savoir, s’écrie Bossuet, ce qui fera du bien ou du mal aux siècles futurs? Regardez ce qui en a fait aux siècles passés: il n’y a rien de meilleur que les choses éprouvées.

AVERTI.Un homme averti en vaut deux.

Un homme qui a pris ses précautions, qui se tient sur ses gardes, est doublement fort. Quelques auteurs ont altéré ce proverbe, en écrivant: Un bon averti en vaut deux.

Qui dit averti, dit muni.

Muni se prend ici dans le sens de fortifié.

Le proverbe anglais qui correspond au nôtre est: Fore-warned, fore-armed. Averti d’avance, armé d’avance.

AVEUGLE.Être réduit à chanter la chanson de l’aveugle.

C’est-à-dire, être réduit à la misère. Voltaire, après avoir employé cette expression, parle de la chanson de l’aveugle, dont il cite ce couplet, qu’il a refait à sa manière:

Dieu, qui fait tout pour le mieux,
M’a fait une grande grâce:
Il m’a crevé les deux yeux
Et réduit à la besace.

Nous verrons, dit l’aveugle.

Dicton qui trouve son application lorsqu’une personne ignorante, ou sans connaissance de la chose dont il s’agit, s’ingère de donner des avis.

C’est un aveugle qui juge des couleurs.

Ce proverbe, qui ne paraît susceptible d’aucune exception, en a eu pourtant plusieurs assez remarquables. Il s’est rencontré des aveugles qui ont su très bien distinguer les couleurs au simple toucher, comme on peut le voir dans le Journal des Savants, du 3 septembre 1685.

Voici comment le fait s’explique: les couleurs, dit le père Regnault dans ses Entretiens physiques, ne sont dans les objets colorés que des tissus de parties propres à diriger vers nos yeux plus ou moins de rayons efficaces, avec des vibrations plus ou moins fortes. Il ne faut qu’une nouvelle tissure de parties pour offrir à la vue une couleur nouvelle. Le marbre noir réduit en poudre blanchit, et l’écrevisse en cuisant passe du vert au rouge, etc. Il y a sur une montagne de la Chine une statue qui présente un phénomène de la même espèce: elle se colore diversement suivant les diverses variations de l’atmosphère, et elle marque ainsi le temps comme un baromètre. Ce changement dans les couleurs n’arrive qu’autant que les corps acquièrent une nouvelle disposition de parties; et comme un tact bien exercé suffit pour faire reconnaître et apprécier cette nouvelle disposition, il s’ensuit qu’il n’est pas impossible à un aveugle de juger des couleurs.—Malgré cela, on appliquera toujours très bien le proverbe à un homme qui juge des choses sans les connaître.

AVIS.Autant de têtes, autant d’avis.

Quot capita tot sensus.

Il n’y a peut-être pas dans le monde deux opinions absoluā ment les mêmes. Comme le microscope nous fait voir des différences entre des choses qui semblent n’en offrir aucune, entre deux gouttes d’eau, par exemple, un examen attentif peut nous en faire reconnaître entre des opinions que nous jugeons identiques. M. Delaville a dit, dans son Folliculaire, avec autant de raison que d’esprit:

Les gens du même avis ne sont jamais d’accord.

Une pareille divergence tient à beaucoup de causes. Voici les principales: la raison humaine a diverses faces, et ne se présente pas du même côté à toute sorte d’esprits. La manière de juger, dit Bernardin de Saint-Pierre, diffère, dans chaque individu, suivant sa religion, sa nation, son état, son tempérament, son sexe, son âge, la saison de l’année, l’heure même du jour, et surtout d’après l’éducation, qui donne la première et la dernière teinture à nos jugements. Les impressions que chacun reçoit des objets, quoique ces objets restent les mêmes, varient à l’infini, comme le remarque Suard, suivant la disposition où chacun se trouve, et nos jugements sont moins l’expression de la nature des choses que de l’état de notre âme En outre, les mots dont on se sert pour énoncer les jugements étant souvent impropres, mal définis et mal compris, les font paraître encore plus discordants.

On donne à ces mots des sens doubles;

Et, faute de s’entendre, on se bat pour des riens.
Montaigne a bien raison, quand il dit que nos troubles

Sont presque tous grammairiens. (Fr. de Neufchateau.)

Un bon avis vaut un œil dans la main.

Un bon avis éclaire la conduite qu’on doit tenir; il dirige l’action comme l’œil dirige la main.

AVOCAT.Avocat de Ponce-Pilate.

Avocat sans cause. C’est, dit Moisant de Brieux, une misérable allusion à ces mots de Ponce-Pilate, dans l’Évangile: Ego nullam invenio... causam. Je ne trouve aucune cause.

Avocat du diable.

Cette expression, qu’on applique à quelqu’un qui parle en faveur des vices, qui soutient des opinions contraires aux doctrines de la foi, est venue de l’usage établi anciennement de disputer pour et contre, en public et même dans les églises, sur les objets les plus importants et les plus respectables de la religion. Celui qui défendait les mauvais principes était appelé avocat du diable.

Cette expression peut être venue tout aussi bien d’un autre usage qui consistait à citer le diable en justice pour lui demander réparation ou cessation de quelque mal dont on l’accusait d’être l’auteur, par exemple, du dégât fait dans la campagne par les mulots ou par les chenilles, qu’on excommuniait formellement, en ce cas. On lui fesait le procès suivant les règles de la jurisprudence, et on lui donnait un défenseur nommé d’office qui devenait pour lors à juste titre l’avocat du diable.

AVRIL.Poisson d’avril.

Tout le monde sait que le poisson d’avril est une fausse nouvelle qu’on fait accroire à quelqu’un, une course inutile qu’on lui fait faire le premier jour d’avril, qui est appelé, pour cette raison, la journée des dupes. Mais il est très peu de personnes qui sachent au juste ce qui a donné naissance à une telle mystification, et il semble que les étymologistes aient pris à tâche de la renouveler pour leurs lecteurs, en voulant en expliquer l’origine. Quelques-uns prétendent que la chose et le mot viennent de ce qu’un prince de Lorraine, que Louis XIII fesait garder à vue dans le château de Nancy, se sauva en traversant la Meurthe à la nage, le premier avril, ce qui fit dire aux Lorrains qu’on avait donné aux Français un poisson à garder; mais la chose et le mot existaient avant le règne de Louis XIII. D’autres les rapportent à la pêche qui commence au premier jour d’avril. Comme la pêche est alors presque toujours infructueuse, elle a donné lieu, suivant eux, à la coutume d’attrapper les gens simples et crédules, en leur offrant un appât qui leur échappe comme le poisson, en avril, échappe aux pêcheurs. Fleury de Bellingen pense que le poisson d’avril est une allusion aux courses que les Juifs, par manière d’insulte et de dérision, firent faire au Messie, à l’époque de sa passion, arrivée vers le commencement d’avril, en le renvoyant d’Anne à Caïphe, de Caïphe à Pilate, de Pilate à Hérode, et d’Hérode à Pilate. Une telle origine paraît même assez vraisemblable, dans un temps de grossière piété comme le moyen âge, où l’on traduisait en spectacles et en divertissements, dans les rues comme sur les théâtres, les histoires de l’Ancien et du Nouveau Testament, le tout pour la plus grande gloire de Dieu et pour l’édification des fidèles. Cependant il est peu probable que le mot poisson ne soit autre que celui de passion corrompu par l’ignorance du vulgaire, ainsi que le prétend l’auteur cité. Il y a sur ce mot une seconde conjecture, d’après laquelle, bien loin d’avoir été introduit par altération, il l’aurait été par choix, en remplacement du nom de Christ, qui ne pouvait figurer dans un jeu à cause de la coutume religieuse de ne jamais le prononcer sans faire quelque démonstration de respect; et le choix aurait été d’autant plus naturel, que les chrétiens primitifs, obligés de couvrir leur doctrine d’un voile mystérieux pour se soustraire aux persécutions, avaient désigné le divin législateur par le terme grec ΊΧθϒ̄̃Σ (poisson), dans lequel se trouvent les initiales des cinq mots sacrés: Ίησοῦς, Χριστὸς, θεὸς, ϒίὸς, Σωτἠρ, Jésus, Christ, Dieu, Fils, Sauveur.

L’explication de Fleury de Bellingen, ainsi rectifiée, s’accorderait assez bien avec l’opinion de ceux qui regardent le poisson d’avril comme une institution politique conçue par le clergé, à une époque où l’année commençait au mois d’avril et où l’imprimerie n’avait pas encore rendu communs l’art de lire et l’usage des calendriers; mais est-il certain que cette institution soit d’une date aussi ancienne? J’avoue que je n’ai pu découvrir aucun document qui le prouve, tandis que j’en ai trouvé plusieurs qui autorisent à penser le contraire. Par exemple, Gilbert Cousin (Gilbertus Cognatus), le seul des nombreux parémiographes du seizième siècle qui ait rapporté l’expression de poisson d’avril (aprilis piscis), ne lui a consacré qu’un article de trois lignes où l’on voit simplement que c’était une dénomination sous laquelle ses contemporains désignaient un proxénète, parce que le poisson dont cet infame entremetteur porte le nom[14] dans le langage du bas peuple est excellent à manger au mois d’avril. Or, il est très probable que si le jeu du poisson d’avril avait été connu du temps de Gilbert Cousin, celui-ci n’aurait pas manqué d’en parler, et il est permis de conclure de son silence et de celui des autres auteurs, que ce jeu n’eut point l’origine qu’on lui attribue. Tout porte à croire qu’il ne fut établi, ou du moins ne fut nommé comme nous le nommons maintenant, que vers la fin du seizième siècle, précisément lorsque l’année cessa de commencer en avril, conformément à une ordonnance que Charles IX rendit en 1564, et que le parlement n’enregistra qu’en 1567. Par suite d’un tel changement, les étrennes qui se donnaient en avril ou en janvier indifféremment, ayant été réservées pour le jour initial de ce dernier mois, on ne fit plus le premier avril que des félicitations de plaisanterie à ceux qui n’adoptaient qu’avec regret le nouveau régime; on s’amusa à les mystifier par des cadeaux simulés ou par des messages trompeurs, et comme au mois d’avril le soleil vient de quitter le signe zodiacal des poissons, on donna à ces simulacres le nom de poissons d’avril.

Le peuple alors était très familiarisé avec l’idée du zodiaque, parce que le zodiaque jouait un rôle important dans l’astrologie judiciaire, en faveur de laquelle existait un préjugé dominant, et parce qu’il était représenté sur le portail et dans les roses des principales églises, avec des bas-reliefs qui correspondaient à chacun de ses signes et indiquaient les travaux de chaque mois. Il faut observer que de tous les peuples chez qui le divertissement du premier avril est en usage, il n’y a que les Français qui l’aient désigné par le signe des poissons transporté en avril, si l’on excepte les Italiens, qui emploient quelquefois cette expression analogue, Pescar l’aprile; pêcher l’avril. Les Allemands disent: In den April schicken, envoyer dans l’avril; et les Anglais: To make april fool, faire un sot d’avril, ce qui leur est commun avec les Hollandais. Les Espagnols, qui font le jeu à la fête des Innocents, lui donnent le nom de cette fête.

Je terminerai cet article en rapportant un poisson d’avril des plus singuliers. L’électeur de Cologne, frère de l’électeur de Bavière, étant à Valenciennes, annonça qu’il prêcherait le premier avril. La foule fut prodigieuse à l’église. L’électeur monta en chaire, salua son auditoire, fit le signe de la croix, et s’écria d’une voix de tonnerre: Poisson d’avril! puis il descendit en riant, tandis que des trompettes et des cors de chasse fesaient un tintamarre digne de cette scène si peu d’accord avec la gravité ecclésiastique.


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