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Dictionnaire étymologique, historique et anecdotique des proverbes et des locutions proverbiales de la Langue Française en rapport avec de proverbes et des locutions proverbiales des autres langues

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VACHE.Sentir la vache à Colas.

C’est être soupçonné d’hérésie.—Le protestantisme est appelé la religion de la vache à Colas. Ces expressions sont venues, dit-on, de ce qu’un paysan des Cévennes, nommé Colas, qui avait embrassé le protestantisme, fit tuer une vache dans le saint temps du carême, et en distribua la viande à ses co-religionnaires, qui la mangèrent avec affectation pour narguer les catholiques.

On donna, dans la suite, le nom de Vache à Colas, à une chanson très injurieuse pour le clergé, laquelle fut faite par des religionnaires au commencement du XVIIe siècle et fut brûlée publiquement par le bourreau, avec défense expresse d’en faire aucune mention.

Parler français comme une vache espagnole.

On a altéré le texte de cette comparaison proverbiale en y substituant vache à Vace, ancien nom par lequel on désignait un habitant de la Biscaye, soit française, soit espagnole; et la substitution s’est faite d’autant plus aisément que les deux mots étaient presque homonymes dans le vieux langage, où vache se disait vacce. Ainsi, parler français comme une vache espagnole, c’est proprement parler français comme un Vace, ou Basque, espagnol; ce Basque-là étant jugé le plus inhabile à s’exprimer en français. Cette explication me semble bien préférable à celle qu’on pourrait donner encore, en conjecturant qu’on a dû écrire originairement parler français comme une vache espagnol, c’est-à-dire comme une vache parle espagnol, car de cette manière on fausserait le sens de la locution à laquelle on ferait dire ne point parler du tout le français, tandis qu’elle veut dire le parler très mal; et d’ailleurs pourquoi aurait-on signalé l’impossibilité pour une vache de parler l’espagnol plutôt que tout autre idiome? Il y a là une difficulté bien réelle; il n’y en a point, au contraire, si l’on admet Vace ou Basque, à la place de vacce ou vache. Rien n’est plus naturel que le reproche fait aux Basques d’écorcher le français, puisque la langue escualdunac n’a aucun point de connexion avec la nôtre, ni même avec aucune de celles que l’on connaît. Scaliger disait plaisamment des Basques: On prétend qu’ils l’entendent, mais je n’en crois rien.

Il est sorcier comme une vache.

Il ne sait rien prévoir ni deviner. C’est comme si l’on disait: On ne peut pas faire plus de fond sur ses prédictions qu’on n’en fesait sur l’inspection des entrailles d’une vache immolée.

Manger de la vache enragée.

Feydel explique ainsi cette locution: «Enragé est un ancien adjectif dont la signification était bien différente de celle de l’adjectif actuel. Cet ancien mot signifiait positivement retenu dans un fossé. Quand un bœuf, ou une vache, est retenu ainsi par une chute qui lui a démis l’épaule ou la hanche, le laboureur, pour ne pas perdre tout le prix de l’animal, mande le boucher qui fait son métier sur le champ, et la marchandise est débitée à bas prix, en pleine campagne. Ainsi le dicton signifie à la lettre, manger de très mauvaise viande, et encore n’en manger que par cas fortuit.»

Il y a une meilleure explication que voici: Dans tous les temps, l’usage et le débit de la chair des animaux domestiques atteints d’épizootie, ou mordus par un chien enragé, ont été prohibés par les lois de police qui ordonnaient autrefois de jeter ces animaux dans une fosse, comme on le voit dans les instructions données sur ce sujet, en 751, par le pape Zacharie à saint Boniface. Mais il y a toujours eu de pauvres gens qui, pressés par la faim, et sur la foi du proverbe morte la bête, mort le venin, n’ont pas craint d’éluder les ordonnances, en se nourrissant de la viande défendue, en mangeant de la vache enragée. Et cette expression, dans quelque sens qu’on la prenne, a été employée très naturellement pour peindre l’état de besoin, de privation et de misère.

La vache a bon pied.

Cela se dit par corruption de la vache a bon pis, quand on plaide contre quelqu’un qui a de quoi payer les frais.

Voir vaches noires en bois brûlé.

C’est se forger d’agréables chimères, poursuivre de douces illusions, comme font les vachers, lorsque, placés devant leur feu, ils rêvent au bonheur d’avoir de bonnes vaches noires, réputées meilleures laitières que les autres, et croient les voir apparaître dans les figures fantastiques qu’offrent à leurs yeux les tisons en se consumant. Les vaches noires en bois brûlé sont les châteaux en Espagne des vachers.

On disait autrefois chercher vache noire en bois brûlé, pour chercher une chose impossible ou très difficile à trouver. Scarron a employé cette expression dans les vers suivants d’une de ses lettres à Sarrazin:

Mais espérer qu’un Sarrazin normand
De ses amis garde quelque mémoire,
En bois brûlé c’est chercher vache noire.

Chacun son métier, et les vaches seront bien gardées.

Ce dicton s’emploie, en général, pour dire que toutes choses vont bien lorsque chacun ne se mêle que de ce qu’il doit faire; mais on s’en sert en particulier à propos de tel ou de tel homme sur le mérite duquel on ne veut pas s’expliquer longuement, pour signifier que si chacun se renfermait dans ce qui convient à sa vocation naturelle, il y aurait peut-être plus de vachers que de vaches.

VACHER.Le vacher de Chauny.

C’est-à-dire tout le monde. Ce vacher est un être fabuleux, le même que Pan, dieu des bergers, qui est l’emblème du grand tout, et dont le nom en grec signifie tout.

VAISSEAUX.Brûler ses vaisseaux.

S’interdire, s’ôter les moyens de revenir sur une résolution, de renoncer à une entreprise; se mettre dans l’impossibilité de reculer.

Allusion à la conduite de quelques grands capitaines que l’histoire nous représente incendiant les vaisseaux qui les avaient portés sur des bords ennemis, afin que leurs soldats, privés de tout espoir de retraite, fussent déterminés à vaincre ou à mourir. Agathocle, tyran de Syracuse, donna sur la côte d’Afrique le premier exemple de cette heureuse hardiesse. Asclépiotade, envoyé par Dioclétien contre l’usurpateur de la Grande-Bretagne, agit comme Agathocle et fut victorieux comme lui. L’empereur Julien mit le feu à ses magasins et à ses onze cents navires qui mouillaient dans le Tigre, lorsqu’il fit son expédition contre Sapor. Guillaume-le-Conquérant, abordant en Angleterre en 1066, eut recours au même moyen, qui fut suivi de la victoire d’Hastings. Robert Guiscard, dans le péril pressant où il se trouvait avec sa petite armée devant les troupes nombreuses d’Alexis Comnène, brûla aussi sa flotte et ses bagages, comme s’il eût dû combattre sur le lieu de sa naissance et de sa sépulture, et il gagna la bataille de Durazzo, le 13 octobre 1081. Enfin, c’est ainsi que Fernand Cortez, débarqué sur la côte du Mexique, préluda à la conquête de cette contrée.

VALET.Tel maître, tel valet.

Les valets prennent les habitudes des maîtres. C’est un proverbe grec passé dans la langue latine en ces termes: Talis hera, tales pedisequæ. Telle est la maîtresse, telles sont les servantes.

VALET.Autant de valets, autant d’ennemis.

«Les guerres des peuples anciens les uns contre les autres firent des captifs de ceux à qui l’on conserva la vie après la victoire, à la charge de demeurer serfs ou esclaves; ce qui fit dire proverbialement: Quot hostes, tot servi: autant d’ennemis, autant d’esclaves; et après, par une inversion de mots, selon Asinius Capito, dans Sextus Pompeius: Præposterè plurimis enuntiantibus, l’on a prononcé quot servi, tot hostes: autant d’esclaves, autant d’ennemis, dans un sens bien différent du premier proverbe. Sur quoi Sénèque a très bien remarqué que les maîtres n’ont pas leurs esclaves pour ennemis, mais qu’ils les rendent tels en les traitant de la manière la plus orgueilleuse, la plus outrageante et la plus cruelle: Non habemus illos hostes, sed facimus, cum in illos superbissimi, contumeliosissimi, crudelissimi sumus.» (Lamothe Levayer.)

VANITÉ.La vanité est la mère du mensonge.

On est rarement ce que l’on veut paraître, car presque toujours on ne cherche à paraître que par vanité; et la vanité n’est que l’affectation de quelque qualité qu’on n’a pas. Qui dit vain dit vide.

On demandait un jour au docteur Johnson: Pourquoi la vanité est-elle le caractère de l’ignorance?—Ne savez-vous pas, répondit-il, que les aveugles portent la tête plus haute que ceux qui ont de bons yeux?

On peut comparer la vanité à une belle inscription sur un cénotaphe.

La vanité n’a pas de plus grand ennemi que la vanité.

On la hait dans les autres, a dit un homme d’esprit, en proportion de ce qu’on est vain soi-même. C’est jalousie de métier.

VAUGIRARD.C’est le greffier de Vaugirard, qui ne peut écrire quand on le regarde.

Cette phrase proverbiale, dont la signification est que la moindre chose déconcerte les gens peu habiles, est venue, dit-on, de ce qu’il y avait à Vaugirard un greffier qui tenait son greffe dans un endroit qui n’était éclairé que par une lucarne; de sorte que le jour, dont il avait besoin pour écrire, se trouvait intercepté quand il prenait fantaisie à un passant de le regarder par cette petite ouverture.

Cette phrase est une variante de cette autre beaucoup plus ancienne: Il ressemble à messire Jean, qui ne peut lire quand on le regarde, et le nom de Vaugirard n’a peut-être été choisi que pour rimer avec regarde, qu’on écrivait autrefois regard.

VEAU.Faire le pied de veau.

Le veau est un animal qui, étant peu ferme sur ses pieds, les laisse échapper souvent en arrière, et tombe sur ses genoux, ce qui oblige les métayers et les bouchers de le transporter sur une charrette. De là l’expression faire le pied de veau, c’est-à-dire faire des révérences à quelqu’un, le flatter bassement. Le peuple dit: Faire le pied de veau, le pied derrière. Ce qui confirme l’explication que je viens de donner.

Cela croît au rebours comme la queue du veau.

Traduction de cette phrase proverbiale qu’on trouve dans Pétrone: Retroversus crescit tanquam cauda vituli. La queue du veau, ne croissant pas en proportion du corps, semble rapetisser à mesure que le corps grossit.

Adorer le veau d’or.

Faire la cour bassement à une personne qui n’a d’autre mérite que son pouvoir, son crédit ou ses richesses. Allusion à la conduite des Israélites dans le désert, lorsque, suivant la belle expression du Psalmiste, ils échangèrent la gloire du culte divin contre un animal nourri d’herbe.

Tuer le veau gras.

Faire quelque régal, quelque fête extraordinaire pour marquer la joie qu’on a du retour de quelqu’un, comme fit le père de l’enfant prodigue, au retour de son fils. La parabole de l’enfant prodigue, dont Jésus-Christ se servit, n’existait pas seulement chez les Juifs; elle se trouve dans les livres sacrés des Indiens. Mais on ne peut dire que les Juifs l’eussent tiré de là.

VELOURS.Faire patte de velours.

Cacher le dessein de nuire sous des dehors caressants.

Le chat ne nous caresse pas, dit Rivarol, il se caresse à nous. Il en est de même du fourbe qui veut nous nuire: s’il flatte nos penchants et s’il cherche à captiver notre bienveillance, c’est uniquement dans des vues personnelles; c’est pour trouver en nous, contre nous-mêmes, des auxiliaires de ses desseins, et les sentiments qu’il nous témoigne ne sont, en grande partie, qu’une satisfaction anticipée du mal qu’il se voit près de nous faire avec succès.—Les Anglais appellent cela couper la gorge avec une plume: to cut one’s throat with a feather.

Les Grecs employaient dans un sens analogue un vers proverbial rapporté par Suidas et traduit ainsi en latin:

Blandiri caudâ, furor est haud omnibus idem.
Flatter de la queue, tout le monde n’a pas la même fureur.

Métaphore prise des animaux qui sont prêts à mordre quand ils remuent la queue.

Les Latins disaient: Venena dantur melle sublita. On offre les poisons enveloppés de miel.—Ce qui rappelle le mot de l’abbé Trublet sur madame de Tencin: Si cette femme avait intérêt à vous empoisonner, elle choisirait le poison le plus doux.

Montcrif composa dans sa jeunesse une histoire des chats qui le fit surnommer l’historiogriphe, et qui lui attira beaucoup de brocards. Le poëte Roy, que Voltaire appelait un auteur spirituel, mais trop peu châtié, par allusion aux durs traitements qu’il recevait quelquefois pour des méchancetés littéraires dont il ne se corrigeait point, le poëte Roy ne laissa point échapper une si belle occasion d’exercer sa verve satirique, et il poursuivit l’historien des chats avec un acharnement excessif. Celui-ci, furieux, l’attendit un soir au sortir du Palais-Royal, et lui donna une volée de coups de canne. Mais cette correction ne produisit qu’une nouvelle épigramme improvisée sous le bâton: Roy, dont le dos était aguerri, fit semblant de prendre les coups pour des égratignures, et, retournant la tête bravement, il dit à haute voix: Patte de velours, Minon, patte de velours.

VENDOME.Le brouillard de monsieur de Vendôme.

Expression ironique qui signifie la grosse pluie; ce que les Anglais appellent a scotch mist, un brouillard d’Écosse.

A la fraîcheur de monsieur de Vendôme.

Autre expression ironique pour dire, à l’ardeur du soleil.

Etre de la couleur de monsieur de Vendôme.

Expression métaphorique par laquelle on marque qu’une personne ou une chose est invisible.

Quelques parémiographes pensent que ces façons de parler ont été altérées et que le nom de Vendôme y a été introduit par abus au lieu de vent d’amont; vent pluvieux, froid et invisible qui souffle du côté d’Orient. Quelques autres croient qu’elles n’ont subi aucun changement, et qu’elles sont des allusions à divers traits de la conduite militaire du duc de Vendôme, ce qui paraît plus vraisemblable. Mais il est à remarquer que ce duc n’est point, comme ils l’ont cru, celui qui fit la guerre de la succession d’Espagne, car les expressions dont il s’agit sont antérieures de plus d’un siècle et demi à cette époque. Elles doivent se rapporter au duc de Vendôme qui, en 1522, défendit la Picardie avec autant de prudence que de succès, lorsque cette province fut envahie par les troupes combinées des Flamands et des Anglais sous les ordres de l’amiral comte de Surrey. Le général français, qui avait à lutter contre des forces très supérieures aux siennes, prit le parti d’éviter les batailles rangées, et s’appliqua constamment à ruiner en détail l’armée ennemie, soit en interceptant ses convois, soit en attaquant ses postes avancés, soit en la harcelant sans relâche sur tous les points vulnérables avec une bonne cavalerie. Comme il n’était jamais arrêté dans ses expéditions, ni par la grande pluie, ni par la grande chaleur, et qu’il manœuvrait, au contraire, à la faveur de ces circonstances du temps, pour fondre à l’improviste sur quelque corps isolé ou pour aller ravitailler secrètement les places dans lesquelles il avait eu soin de jeter des garnisons, les soldats s’amusèrent à créer les locutions du brouillard, de la fraîcheur et de la couleur de monsieur de Vendôme, voulant faire entendre que leur chef regardait la grosse pluie comme un léger brouillard, que la grande chaleur était pour lui comme la fraîcheur, et qu’il savait dérober ses mouvements aux ennemis aussi bien que s’il eût été invisible.

Ils allèrent même jusqu’à dire le perroquet de monsieur de Vendôme, autre expression de la même espèce par laquelle on désigne encore un homme dont le silence rend les secrets impénétrables.

Il est plus près de sainte larme que de Vendôme.

Il est plus près de pleurer que de chanter.

Ce dicton est fondé sur une double allusion à une chanson joyeuse dont le refrain est Vendôme, Vendôme, Vendôme; et à la sainte larme qu’on gardait autrefois religieusement dans l’abbaye des Bénédictins à Vendôme. Cette sainte larme était une de celles que Notre Seigneur répandit à la résurrection de Lazare. Recueillie par un ange dans une petite ampoule et donnée à Marie, sœur du ressuscité, elle échut, dans la suite des temps, à un patriarche de Constantinople, puis à des chevaliers de l’empereur qui l’apportèrent dans un église de Frésingue, où Nitkère, évêque de cette ville, la reçut. Celui-ci en fit présent à Henri Ier, roi de France, ou à Henri III, roi de Germanie, époux de la fille d’Agnès, comtesse d’Anjou et fondatrice de Vendôme; car la certitude historique est malheureusement en souffrance sur ce point. Mais cela ne tire point à conséquence. On sait positivement que, des mains du roi de France, où de celles de l’épouse du roi de Germanie, la sainte larme passa à l’abbaye de Vendôme où elle fut déposée sur l’autel en signe de donation. Le reliquaire où on la conservait se composait de trois pièces, savoir: la petite ampoule, qui était bleue comme le ciel où l’ange l’avait sans doute prise, un vaisseau de verre transparent qui enveloppait cette ampoule, et un coffret qui contenait le tout. Si l’on désire de plus amples détails, on peut consulter une lettre de trente-huit pages dans le tome II des Œuvres posthumes du savant Mabillon, qui a pris la défense de la sainte larme contre Thiers, auteur du Traité des superstitions, qui avait osé publier une dissertation dans laquelle il cherchait à prouver la fausseté de cette relique.

VENTRE.Ventre affamé n’a point d’oreilles.

On a prétendu que ce proverbe fut inventé par un favori de Titus à propos d’une Juive, nommée Marie, qui, pendant le siége de Jérusalem par cet empereur, avait été poussée par la famine à se nourrir de la chair de son propre fils; mais ce proverbe était connu longtemps avant cette horrible action. Caton, haranguant le peuple dans un temps de disette, avait dit: Arduum est, Quirites, ad ventrem auribus carentem verba facere; il est difficile, citoyens, de se faire entendre du ventre qui n’a point d’oreilles.

Ventre saint-gris.

C’est à tort que le prétendu Vigneul-Marville[81] affirme que ventre saint-gris, mis à la mode par Henri IV, ne signifia jamais rien et qu’il n’eut d’autre fondement que le caprice des gouverneurs de ce prince, qui le lui enseignèrent afin qu’il ne contractât point l’habitude de certains blasphèmes que les seigneurs catholiques proféraient à tout propos à la cour du roi très chrétien. Il est évident que ventre saint-gris, variante de sang saint-gris, juron poitevin recueilli par Rabelais (liv. IV, ch. 9), désigne saint François d’Assise, fondateur de l’ordre des moines gris, et il est très probable que Henri IV, élevé dans une religion sans cesse anathématisée par ces moines, doit avoir juré sciemment par le ventre de leur patron, comme l’avocat Patelin par le ventre saint-Pierre, Clément Marot par le ventre saint-George[82], les Bas-Bretons par le ventre saint-Quenet, et les Belges par le ventre-Dieu, sur quoi Érasme a remarqué que ces derniers étaient moins scrupuleux que Socrate, qui ne jurait que par l’oie, per anserem.

VÉRITÉ.La vérité est au fond d’un puits.

Mot de Démocrite passé en proverbe pour exprimer la difficulté de découvrir la vérité. M. Ch. Nodier trouve dans ce mot une allégorie admirable: Parce que, dit-il, du fond d’un puits, où l’on ne reçoit la lumière que par une ouverture circonscrite, on ne juge sainement que la partie de l’horizon que cette ouverture laisse à découvert. Ainsi la vérité même, ajoute-t-il, si elle existait quelque part, ne connaîtrait qu’une partie du vrai. La vérité dans le puits est l’emblème de notre intelligence.

La vérité, suivant Saadi, s’enveloppe de sept voiles qu’il faut arracher.

Les Pyrrhoniens disaient de la vérité: Elle est comme l’Orient, différente selon le point de vue d’où on la considère.

La vérité est dans le vin.

In vino veritas.—Le proverbe précédent nous a dit que la vérité se tient dans un puits, celui-ci nous fait entendre qu’elle se tient dans une cave; mais placer sa demeure tantôt dans l’eau et tantôt dans le vin, n’est-ce pas avouer qu’on ne sait pas précisément où elle peut se trouver? Quoi qu’il en soit, les deux opinions sont très bien fondées, et si la première a pour elle l’autorité de Démocrite, la seconde s’appuie de l’autorité de Salomon. Ce sage roi s’écriait dans ses Paraboles: «Ne donnez point, ô Samuel, ne donnez point trop de vin aux rois qui mangent à votre table, et n’en prenez point vous-même avec excès, parce qu’il n’y a nul secret où règne le vin: nullum secretum est ubi regnat ebrietas.» (Ch. XXXI, v. 4.)

La conduite d’un homme échauffé de vin, dit J.-J. Rousseau, n’est que l’effet de ce qui se passe au fond de son cœur dans les autres temps. Dans un état où l’on ne déguise rien, on se montre tel qu’on est. On parle étant ivre comme on pense à jeun.

L’ivresse, en égarant l’esprit, dit Duclos, n’en donne que plus de ressort au caractère. Le vil complaisant d’un homme en place, s’étant enivré, lui tint des propos d’une haine envenimée et se fit chasser. On voulut excuser l’offenseur sur l’ivresse. Je ne puis m’y tromper, répondit l’offensé: ce qu’il m’a dit étant ivre, il le pense à jeun.

Chez certains sauvages, l’ivresse attire le respect; qui est ivre est déclaré prophète.

L’auteur du Rambler demandait que l’application du proverbe, in vino veritas, fût réservée pour les gens qui mentent à jeun; mais il ne pensait pas à cet autre proverbe, qui prouve l’inutilité de l’exception: Omnis homo mendax, tout homme est menteur.

Le temps découvre la vérité.

N’espérez pas pouvoir rien cacher, le temps voit, entend et découvre tout (Sophocle.)

Il n’est point de secret que le temps ne révèle. (Racine.)

On dit aussi: La vérité est la fille du temps, et ce proverbe cité par Aulu-Gelle, qui l’attribue à un poëte ancien dont il ne donne pas le nom, a été réduit en apologue par le capitaine Delisle.

Aux portes de la Sorbonne
La vérité se montra,
Le syndic la rencontra.
Que demandez-vous, la bonne?
—Hélas! l’hospitalité.
—Votre nom?—La vérité.
—Fuyez, dit-il, en colère,
Fuyez, ou je monte en chaire
Et crie à l’impiété!
—Vous me chassez, mais j’espère
Avoir mon tour, et j’attends:
Je suis la fille du temps,
Et j’attends tout de mon père.

VERRIER.Gentilhomme verrier.

On appelait ainsi, avant la révolution, le chef d’une manufacture de bouteilles, emploi qui, loin de faire déroger, conférait une sorte de noblesse; car tout ce qui avait quelque rapport au vin était particulièrement respecté en France. C’est pourquoi on avait consacré aux vacances des tribunaux et des colléges le temps des vendanges et non celui de la moisson, dont les travaux sont beaucoup plus importants.

VERT.Prendre quelqu’un sans vert.

Dans les XIIIe, XIVe et XVe siècles, on formait des sociétés connues sous le titre de sans vert, dont le principal statut était qu’on porterait sur soi une petite branche de verdure pendant les premiers jours du mois de mai. Les membres de ces sociétés, dans les deux sexes, jouissaient du droit de se visiter à toute heure de la journée, depuis l’aurore jusqu’à la nuit, en négligé comme en toilette, afin de s’assurer que chacun était muni de la branche de l’espèce de verdure déterminée par la compagnie. Quand on se laissait surprendre sans cette branche ou avec cette branche déjà fanée, on recevait un seau d’eau sur la tête, et l’on était obligé de donner un gage représentant le prix d’une amende, dont le produit s’appliquait à des plaisirs variés.

Employer le vert et le sec.

Le vert et le sec désignent le fourrage vert et le fourrage sec qu’on donne à manger aux bestiaux. On met les chevaux au vert ou on les met au sec, selon que l’un ou l’autre de ces deux régimes leur est plus salutaire; de là l’expression proverbiale employer le vert et le sec, c’est-à-dire employer tous les moyens, toutes les ressources qu’on peut avoir pour réussir à une chose.

On rapporte que Henri IV, voyant arriver à un bal qu’il donnait une dame vieille et sèche, vêtue d’une robe verte, s’approcha d’elle, et lui dit, qu’il lui était bien obligé du soin qu’elle avait pris, pour faire honneur à la compagnie, d’employer le vert et le sec. Cette plaisanterie, indigne d’un si bon roi, a donné une acception de plus à l’expression proverbiale.

VIE.Cache ta vie.

Ce précepte proverbial, que Suidas attribue à Néoclès, frère d’Epicure, était fort estimé des épicuriens, qui enseignaient par là de ne point se mêler des affaires publiques avec lesquelles le bonheur leur semblait incompatible. Plutarque, indigné d’une telle doctrine, en a fait une critique rigoureuse dans un traité particulier où il la signale comme destructive de tous les intérêts sociaux. Mais, quoi qu’il en dise, le mot cache ta vie est assez bien trouvé pour nous apprendre que notre prospérité nous expose aux traits de l’envie, et qu’il est prudent de cacher nos avantages pour être heureux. C’est ainsi qu’il faut l’entendre, et c’est ainsi que Voltaire l’a entendu dans ces vers qu’il adresse au bonheur personnifié, sous le nom grec de Macare.

Macare, c’est toi qu’on désire:
On t’aime, on te perd, et je croi
Que je t’ai rencontré chez moi,
Mais je me garde de le dire.
Quand on se vante de t’avoir,
On en est privé par l’envie;
Pour te garder il faut savoir
Te cacher et cacher sa vie.

Vie courte et bonne.

On dit presque toujours courte et bonne, en sous-entendant vie.—C’est le mot des amis de la joie, pour signifier qu’ils ne tiennent pas à se ménager une longue existence en renonçant à l’abus des plaisirs. Ce mot obtint une célébrité historique à l’époque de la Régence, par la répétition fréquente qu’en fesait la duchesse de Berry, fille du Régent, princesse aimable et spirituelle, qui fut servie à souhait et moissonnée à la fleur de l’âge.

Les voluptueux de Rome avaient adopté pour devise le vers suivant d’une traduction qu’avait faire Cécilius de la comédie de Ménandre, intitulée Hymnis.

Mihi sex menses satis sunt vitæ: septimum oreo spondeo.

Ce que Regnier-Desmarais a rendu ainsi:

Donnez-moi six mois de plaisir:
Je donne à Pluton le septième.

Saint Chrysostome rapporte, dans sa LXXIVe homélie, un proverbe grec très analogue, que Novarinus a traduit ainsi en latin dans son recueil: Adsit suave quiddam et jucundum, et suffocet me! Vienne quelque chose de doux et de délicieux, et que j’en sois suffoqué!

Les Allemands disent dans le même sens: Ein gutes Mahl und dann der Galgen! Un bon dîner, et la potence!

Que Bacchus, la table ont d’appas!
A Paphos, Vénus, tu m’entraînes!
Oh! ne m’attachez point aux mâts,
Si j’entends chanter les Sirènes! (Ducis.)

Au dicton, courte et bonne, les gens sensés répondent par cette remarque qui en est le corollaire: C’est la vie du cochon.

Ce sacrifice de l’avenir au présent, est un calcul faux et funeste. Écoutons Bossuet: «Quelle honte, s’écrie-t-il, quelle infamie, quelle ruine dans les fortunes, quels déréglements dans les esprits, quelles infirmités dans les corps n’ont pas été introduites par l’amour désordonné des plaisirs!... Les tyrans ont-ils jamais inventé des tortures plus insupportables que celles que les plaisirs font souffrir à ceux qui s’y abandonnent? Ils ont amené dans le monde des maux inconnus au genre humain; et les médecins nous enseignent d’un commun accord que ces funestes complications de symptômes et de maladies qui déconcertent leur art, confondent leurs expériences et démentent si souvent leurs anciens aphorismes, ont leurs sources dans les plaisirs.»

Saint Augustin, peignant les suites fâcheuses de la volupté, compare les plaisirs aux racines des ronces. Ces racines, dit-il, sont douces et on les manie sans être piqué, mais c’est de là que vient ce qui pique. Lenes sunt et radices spinarum. Si quis eas contrectet non pungitur; sed quo pungeris inde nascitur.

La volupté, disent quelques sages, doit être dans la vie, à l’égard de nos actions, comme un grain de sel qui les assaisonne et qui n’y peut entrer avec excès sans tout gâter.

Sénèque fait cette excellente recommandation: Sic præsentibus utaris voluptatibus ut futuris non noceas. Usez des voluptés présentes de manière à ne pas nuire aux voluptés futures.

La sagesse nous a été donnée principalement pour ménager nos plaisirs. (Saint Evremond.)

VIEILLESSE.Tout le monde désire la vieillesse, et tout le monde la maudit après l’avoir obtenue.

Proverbe qui se trouve dans Cicéron: Optant senectam omnes, adepti despuunt (de Senect., ch. II).

VIERGES.Amoureux des onze mille vierges.

On appelle ainsi celui qui devient amoureux de toutes les femmes qui s’offrent à sa vue.—Cette expression rappelle la légende des onze mille vierges. Voici ce que dit M. Salgues sur cette légende, qui passe aujourd’hui pour apocryphe: «Croyez-vous que sainte Ursule soit partie de Londres pour la Basse-Bretagne, avec onze mille vierges qui devaient épouser les onze mille soldats du capitaine Conan, son fiancé, et peupler le pays? Croyez-vous qu’une tempête miraculeuse les ait jetées dans les bouches du Rhin, et qu’elles aient remonté le fleuve jusqu’à la ville de Cologne, alors occupée par les Huns, qui servaient l’empereur Gratien? Croyez-vous que ces impertinents aient voulu leur faire la cour un peu trop brusquement, et qu’irrités d’être repoussés avec trop de fierté, ils les aient mises à mort pour leur apprendre à vivre? Nos bons aïeux le croyaient certainement, puisqu’ils célébraient annuellement, le 22 octobre, la fête de ces chastes héroïnes. Mais comme il n’est rien dans le monde sans contradiction, des critiques sourcilleux et difficiles ont contesté la vérité de ces récits. Ils ont fait d’abord observer que le nombre de onze mille vierges était un peu fort, qu’on aurait eu de la peine à les trouver dans les meilleurs temps du christianisme, et que le martyrologe de Wandelbert, composé en 850, et l’un des plus estimés des connaisseurs, n’en a porté le nombre qu’à mille, ce qui est encore beaucoup. Ensuite, ils ont soutenu qu’il fallait pousser la réduction encore plus loin, et ils ont porté l’esprit de réforme jusqu’à effacer d’un trait de plume dix mille neuf cent quatre-vingt dix-neuf vierges; de sorte qu’ils n’en ont voulu accorder que onze, ce qui doit laisser beaucoup de places vacantes en paradis. Ils se sont autorisés d’une inscription qu’ils ont interprétée à leur manière: Sancta Ursula et XI. M. V. Ceux qui tiennent pour les onze mille vierges ont traduit: Sainte Ursule et onze mille vierges. Mais nos critiques assurent que cette interprétation est fautive et erronée, et veulent que l’on traduise: Sainte Ursule et onze martyres vierges. Pour appuyer leur prétention, ils citent un catalogue de reliques tiré du Spicilège du père D. Luc d’Acheri, dans lequel on lit: De reliquiis SS. undecim virginum; des reliques des onze vierges.

Réduire ainsi onze mille vierges à onze, c’est déjà beaucoup. Cependant d’autres critiques, plus sévères encore, ont prétendu enchérir sur les premiers, et porter la soustraction bien plus loin; car ils ne veulent absolument que deux vierges. Ils protestent qu’on a très mal lu les anciens martyrologes qui portaient: SS. Ursula et Undecimilla virg. mart., c’est-à-dire SS. Ursule et Ondecimille, vierges, martyres. Des copistes ignorants ont pris un nom de femme pour un nom de nombre, et se sont imaginé que Undecimilla était une abréviation de undecim millia.

Voilà ce que pense le savant père Simon. Je ne sais s’il se trompe. Il est au moins constant qu’on a peu de renseignements exacts sur l’histoire de sainte Ursule et de ses compagnes. Baronius avoue que les véritables actes de son martyre ont été perdus.»

VIEUX.Il faut devenir vieux de bonne heure, si l’on veut l’être longtemps.

Ce proverbe est fort ancien, car il se trouve dans le Traité de la vieillesse par Cicéron. Mature fias senex si diu velis esse. Il signifie que c’est dans la jeunesse qu’on doit jeter les fondements d’une bonne et longue vieillesse.—Jean-Jacques Rousseau a très bien dit: «L’homme jeune n’est point celui que Dieu a voulu faire: pour s’empresser d’obéir à ses ordres, il faut se hâter de vieillir.»

VILAIN.Oignez vilain, il vous poindra: poignez vilain, il vous oindra.

Vieux dicton usité parmi les nobles d’autrefois pour rappeler la règle de conduite qu’ils devaient suivre à l’égard des vilains.

Le duc de Bourbon, frère aîné du sire de Beaujeau mari de la régente pendant la minorité de Charles VIII, disait aux États-Généraux de 1484: «Je connais le caractère des vilains: S’ils ne sont opprimés, il faut qu’ils oppriment. Otez leur le fardeau des tailles: vous les rendrez insolents, mutins, insociables. Ce n’est qu’en les traitant durement qu’on peut les contenir dans le devoir.»—Ce passage, rapporté par Garnier d’après Masselin, est curieux, et il peut avoir fourni à l’auteur d’Athalie, le trait remarquable qui termine les vers suivants sur les flatteurs des cours:

Bientôt ils vous diront que les plus saintes lois,
Maîtresses du vil peuple, obéissent aux rois,

··············

Qu’aux larmes, au travail le peuple est condamné
Et d’un sceptre de fer veut être gouverné,
Que s’il n’est opprimé, tôt ou tard il opprime.

VILLE.Avoir ville gagnée.

Cette expression, qui s’emploie en parlant de toute difficulté qu’on a vaincue, surmontée, était usitée chez les Grecs. Platon a dit: Un homme qui se décourage dans le commencement n’aura jamais ville gagnée.

Ville gagnée a été un cri de victoire: Martial de Paris nous apprend que les Anglais proféraient ce cri à la prise de Pontoise, en 1437.

Quand ils se virent les plus forts,
Commencèrent à pleine gorge
Crier tant qu’ils purent alors:
Ville gaignée! Vive saint George!

Monstrelet, racontant comment cette ville fut reprise, en 1441, par Charles VII, rapporte que ce roi et tous les autres seigneurs et capitaines ne cessaient de crier: Saint Denys ville gaignée!

Ville qui parlemente est à demi rendue.

Qui écoute les propositions qu’on lui fait n’est pas éloigné d’accorder ce qu’on lui demande.

VIN.A la Saint-Martin on boit du bon vin.

La fête de saint Martin arrive le onze novembre, après la fin des vendanges, et lorsque le vin commence à être fait. Elle correspond exactement à celle que les païens célébraient en l’honneur de Bacchus, le jour où ils fesaient l’ouverture des tonneaux pour goûter la liqueur nouvelle qu’ils regardaient comme un don de ce dieu. Cette fête était autrefois, en France, ce que le peuple appelle une fête à gueule, une espèce de mardi-gras, ainsi que je l’ai dit à la page 568, et tout le monde la solennisait le verre à la main, avec une égale ferveur. On pourrait croire que c’est à cause de cela que saint Martin devint le patron des buveurs. Cependant on assure que cette importante fonction lui fut conférée pour un autre motif; et l’on en rapporte l’origine au fait suivant qu’on voit représenté dans plusieurs tableaux d’église.—Notre saint se trouvait à dîner un jour, avec un prêtre qui lui servait la messe, chez l’empereur Maxime. Lorsque l’échanson présenta la coupe au prince suivant l’usage, celui-ci, voulant honorer son hôte, la lui fit remettre afin qu’il y bût le premier; mais saint Martin, après l’avoir portée à ses lèvres, la fit passer à son clerc comme au plus digne de la compagnie. Une action si inattendue étonna tous les convives; néanmoins elle ne déplut pas à l’empereur, qui loua, dit-on, saint Martin d’avoir fait à sa table ce qu’aucun autre évêque n’aurait osé faire à la table des moindres magistrats, et d’avoir préféré un simple ministre de Dieu au maître du monde.

On disait autrefois martiner pour bien boire, et l’on appelait l’ivresse mal de saint Martin, morbus sancti Martini.

Vin de la Saint-Martin.

On appelait autrefois ainsi l’argent que les maîtres donnaient aux valets et aux ouvriers pour faire la Saint-Martin.

Après bon vin, bon cheval.

Le Duchat explique ainsi ce proverbe: «Quand on a bu de bon vin on s’en ressent, et comme alors on ménage moins le cheval, il paraît meilleur parce qu’il va plus vite.»—Il me semble qu’on a dû dire après bon vin bon cheval, ou à bon vin bon cheval, pour signifier que lorsqu’on a bien bu, on a besoin d’un bon cheval qui ne bronche pas, et ne jette pas son cavalier à terre.

Vin versé n’est pas avalé.

Il ne faut pas compter sur l’avenir, car les espérances les mieux fondées peuvent être déconcertées à l’instant même où elles commencent à se réaliser. Ce proverbe, que nous avons reçu des anciens, a tiré, dit-on, son origine du trait suivant.—Ancée, roi de Samos, l’un des Argonautes, fesait planter une vigne, et ne donnait aucun relâche aux esclaves employés à cet ouvrage, dans l’impatience où il était de le voir achevé. Un de ces malheureux, excédé de fatigue, prit la liberté de lui dire: Seigneur, à quoi bon nous presser tant? vous ne boirez jamais du vin de cette vigne. Ancée prit à cœur ces paroles, et fit redoubler le travail. Aussitôt que les ceps eurent produit quelques raisins, il se hâta de les cueillir, de les exprimer dans un vase, et appelant son prophète: Regarde, dit-il, et ose me soutenir que je ne goûterai point le vin de ma vigne! A quoi l’esclave répondit: Seigneur, entre la coupe et la bouche il y a assez d’espace pour quelque accident qui peut vous en empêcher. Comme il prononçait ces mots, on vint annoncer au roi qu’un sanglier ravageait son vignoble. A cette nouvelle, il ne songe plus à boire, et se précipitant hors de son palais, il vole à la rencontre du féroce animal, qui s’élance sur lui, déchire ses entrailles et l’étend mort sur la place.

Dans l’Odyssée, Antinoüs, un des amants de Pénélope, pérît à peu près dans la même circonstance, car au moment où il portait la coupe à sa bouche, Ulysse lui perça la gorge avec une flèche.

Vin de Brétigny qui fait danser les chèvres.

Quoique le terroir de Brétigny, près de Montlhéri, soit reconnu peu propre à la vigne, cependant il n’est point certain, dit Saint-Foix, que ce soit le vin de ce lieu qui a donné occasion de parler de Brétigny, comme d’un pays de mauvais vin; peut-être le mépris du vin de Brétigny est-il venu de Bourgogne à Paris. Il y a en effet un village du même nom près de Dijon, et, comme il est dans la plaine, le vin est naturellement moins bon que celui des côtes voisines. Mais le proverbe porte que le vin de Brétigny fait danser les chèvres; et l’on assure qu’à Brétigny, près de Montlhéry, il y avait autrefois un homme nommé Chèvre, dont la folie, quand il avait bu, était de faire danser sa femme et ses filles. On peut penser que l’homonymie des deux villages aura fait rattacher au proverbe antérieurement connu cette plaisante tradition.

Vin d’une oreille.

On appelle ainsi le bon vin, parce qu’en le dégustant on marque l’approbation par l’inclination de l’oreille gauche; le vin de deux oreilles, au contraire, ne vaut rien, parce qu’on secoue les deux oreilles en signe de mécontentement.

Le vin donné aux ouvriers est le plus cher vendu.

Les travaux corporels augmentent la soif, dit Brillat-Savarin. Aussi les propriétaires ne manquent jamais de fortifier les ouvriers par des boissons, et de là le proverbe, que le vin qu’on leur donne est toujours le mieux vendu.

Vin sur lait c’est santé, lait sur vin c’est venin.

Ce proverbe signifie qu’on est guéri d’une maladie, lorsqu’on passe de l’usage du lait à celui du vin, et qu’on est malade, au contraire, lorsqu’on cesse de boire du vin pour boire du lait.

Les Espagnols disent: Dexo la lache al vino: bien seas venido, amigo. Le lait dit au vin: ami, sois le bienvenu.

Le vin entre et la raison sort.

Un apologue juif, où les effets du vin sont exprimés à la manière orientale, nous apprend que le patriarche Noé s’étant éloigné un moment du premier pied de vigne qu’il venait de planter, Satan transporté de joie s’en approcha, en s’écriant: Chère plante, je veux t’arroser! et aussitôt il courut chercher quatre animaux différents, un agneau, un singe, un lion et un pourceau qu’il égorgea tour à tour sur le cep, afin que la vertu de leur sang passât dans la sève et se propageât dans les rejetons. Cette opération du diable fut très heureuse et son influence s’étendit à tous les vignobles du monde. Depuis lors, si l’homme boit une coupe de vin, il devient caressant, aimable; il a la douceur de l’agneau: deux coupes le rendent vif, folâtre, il va sautant et gambadant comme le singe: trois lui communiquent le naturel du lion; il se montre fier, intraitable; il veut que tout lui cède; il se croit une puissance; il se dit en lui-même: Qui peut m’égaler? Boit-il davantage? il perd le bon sens, il est incapable de se conduire, il se roule dans la fange, il n’est plus qu’un immonde pourceau. De là ce proverbe des sages: Le vin entre et la raison sort.

De là aussi ces expressions, un vin d’agneau, un vin de singe, un vin de lion, un vin de pourceau, dont autrefois on se servait fréquemment, et dont on se sert encore quelquefois pour qualifier les divers effets de la boisson.—On a dit aussi un vin d’âne, qui assoupit et rend hébété; un vin de pie, qui rend bavard; un vin de cerf, qui rend triste et larmoyant; un vin de renard, qui rend malin et cauteleux. Enfin il y a peu de variétés bestiales qu’on n’ait découvertes dans l’ivrogne, et il semble qu’on ait voulu chercher en lui seul les nombreux sujets d’une ménagerie.

Le sens du proverbe, le vin entre et la raison sort, est exprimé poétiquement dans cette maxime tirée du Hava-mal des Scandinaves:—L’oiseau de l’oubli chante devant ceux qui s’enivrent, et leur dérobe leur ame.

VIOLENT.Ce qui est violent n’est pas durable.

Tout excès dure peu; quand un mal est à son comble, il touche à sa fin. Telle est la loi de la nature qui, entretenant la durée par la modération, ne souffre pas qu’une action violente se soutienne longtemps.—Ce proverbe est littéralement traduit de l’axiome de l’école, quod est violentum non est durabile.

Nous disons aussi, à force de mal tout ira bien, parce que, dans l’ordre naturel également, le dernier terme du mal est le premier degré du bien.—Les Italiens disent: Il male e la vigilia del bene, le mal est la veille du bien; et les Persans: C’est au plus étroit du défilé que la vallée commence.

VIRGULE.C’est une virgule dans l’Encyclopédie.

Expression dont on se sert en parlant d’une personne qui ne marque point par son esprit ou son érudition.

VISIÈRE.Rompre en visière à quelqu’un.

Cette expression s’employait autrefois au propre pour marquer l’action d’un combattant qui rompait sa lance dans la visière du casque de son adversaire. Aujourd’hui elle ne se prend qu’au figuré, et signifie contredire quelqu’un avec brusquerie et grossièreté, lui dire en face quelque chose de désobligeant ou d’injurieux.

VIVRE.Il faut que tout le monde vive.

On sait que l’abbé Desfontaines, mandé devant M. d’Argenson, lieutenant-général de police, pour quelques malices littéraires, crut se justifier en disant: Il faut que tout le monde vive, et que ce magistrat lui répondit: Je n’en vois pas la nécessité. Mais on ne sait pas peut-être que cette réponse souvent citée n’était qu’une redite, comme la plupart des bons mots dont les beaux-esprits du jour prétendent se faire honneur. Elle se trouve dans le Traité de l’idolatrie, par Tertullien (ch. XIV).—Ce père de l’Église pose en principe, qu’il n’est pas plus permis de fabriquer des idoles que de les adorer; et, supposant qu’un statuaire lui adresse cette objection: mais mon métier est d’en faire, et je n’ai pas d’autre moyen de vivre; il réplique: Eh quoi! mon ami, EST-IL NÉCESSAIRE QUE TU VIVES? Jam illa objici solita vox: non habeo aliquid quo vivam.—Districtius repercuti potest: VIVERE ERGO HABES?

Il faut vivre à Rome comme à Rome.

Il faut se conformer aux usages du pays où l’on se trouve.—Proverbe pris du distique suivant, de saint Ambroise:

Si Romæ fueris, Romano vivito more;
Si fueris alibi, vivito sicut ibi.

Il a trop d’esprit, il ne vivra pas.

C’est ce qu’on dit d’un enfant trop précoce, parce que les trop grands développements de l’esprit, surtout dans un âge tendre, nuisent à ceux du corps et peuvent causer une maladie mortelle. Il y a pourtant bon nombre de ces petits prodiges de collége, de ces génies en herbe, même parmi les lauréats de l’Université de Paris, qui ne meurent que de vieillesse; mais il faut dire que, craignant sans doute les suites d’un pareil horoscope, à mesure qu’ils grandissent, ils se corrigent si bien de leur précocité, qu’ils tombent dans l’excès contraire. Sottise entretient la santé.

Les enfants trop tôt sages, ne vivent pas longtemps.

Ce proverbe est fondé sur la même raison que l’expression précédente. Il existait chez les Grecs et chez les Latins.

VOISIN.Qui a bon voisin a bon matin.

Quelques auteurs écrivent mâtin, parce que, disent-ils, un bon voisin défend son voisin si les voleurs l’attaquent, et est pour lui comme un bon chien de garde; mais les meilleurs auteurs écrivent matin sans accent circonflexe, parce que, suivant eux, quand on a un bon voisin, on peut dormir en repos la grasse matinée. Cette interprétation, plus recherchée peut-être, mais moins basse que l’autre, est conforme à cette sentence des interprètes du droit: Cui malus est vicinus, infelix contingit mane. Quoi qu’il en soit, les deux textes s’accordent à faire entendre que la tranquillité d’un homme dépend en partie de son voisin.

Hésiode préfère un bon voisin à un parent. «S’il te survient, dit-il, un travail ou un embarras imprévu, les voisins accourent sans ceinture, les parents prennent le temps de se retrousser. Un mauvais voisin est un malheur, un bon voisin est un bien inestimable. Heureux qui en rencontre de tels! Si le laboureur voit périr son bétail, c’est qu’il a de mauvais voisins.»

VOLEUR.Les grands voleurs font pendre les petits.

Diogène voyant passer un voleur que les ministres de la justice conduisaient au gibet, s’écria: Voilà de grands voleurs qui vont en faire pendre un petit. C’est sans doute ce mot qui donna lieu au proverbe, pour signifier que les coupables puissants livrent les faibles comme des victimes expiatoires et se sauvent en les sacrifiant.

Les voleurs privés sont aux galères, et les voleurs publics dans des palais.

Proverbe pris de celui-ci, de Caton, cité par Aulu-Gelle: Privatorum fures in nervo et compedibus ætatem agunt, publici in auro et purpurâ visuntur.

On ne pend que les petits voleurs.

Parce qu’ils n’ont ni argent, ni crédit pour se soustraire à la sévérité des lois, si justement comparées par Anacharsis, aux toiles d’araignée qui retiennent les petites mouches et laissent passer les grosses.

Mal prend aux volereaux de faire les voleurs.

························

Où la mouche a passé le moucheron demeure. (La Fontaine.)

Le maréchal de Villars contait que, dans une de ses campagnes, les excessives friponneries d’un entrepreneur de vivres ayant fait souffrir et murmurer l’armée, il le tança vertement, et le menaça de le faire pendre. Cette menace ne me regarde pas, lui répondit hardiment le fripon, et je suis bien aise de vous dire qu’on ne pend pas un homme qui dispose de cent mille écus. Je ne sais comment cela se fit, ajoutait naïvement le maréchal, mais en effet il ne fut point pendu, quoiqu’il eût mérité cent fois de l’être.—Pecuniosus damnari non potest.

Le pactole a des eaux qui peuvent tout blanchir.

VOLONTÉ.A bonne volonté ne faut la faculté.

Ne faut, c’est-à-dire ne manque pas. Volenti nihil difficile.

Vouloir, c’est pouvoir, dit saint Paul.

A qui veut fortement les choses, nul obstacle n’est difficile. Un génie appliqué perce tout, se fait faire place, arrive enfin à son but (Bossuet).

C’est la seule tiédeur de notre volonté qui fait notre faiblesse, et l’on est toujours assez fort pour faire ce qu’on veut fortement (Jean-Jacques Rousseau).

Bien des choses ne sont impossibles que parce qu’on s’est accoutumé à les regarder comme telles: une opinion contraire et du courage rendraient souvent facile ce que le préjugé et la lâcheté font regarder comme impraticable (Duclos).

VOMISSEMENT.Retourner à son vomissement.

C’est retomber dans ses erreurs, s’abandonner de nouveau à ses inclinations vicieuses.—Cette expression est prise des Proverbes de Salomon (ch. XXVI, v. 11): Sicut canis qui revertitur ad vomitum suum, sic imprudens qui iterat stultitiam suam. L’insensé qui retombe dans sa folie est comme le chien qui retourne à ce qu’il a vomi.

On trouve dans les Adages des pères de l’Église, une expression analogue qui est plus élégante. Reædificare Jericho, reconstruire Jéricho, pour signifier, revenir à l’esprit du siècle.

VOULOIR.Il faut vouloir ce qu’on ne peut empêcher.

Tendre les bras à son destin, c’est de tous les moyens le plus infaillible pour en adoucir les rigueurs. Il n’y a de douleur que dans la privation forcée, dit M. A. Guiraud, et toutes les fois que la volonté de l’homme est d’accord avec son destin, le sacrifice devient une consolation, parce que la conscience y trouve une sorte d’acquit pour le passé et une espérance presque certaine pour l’avenir.

FIN.


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