Dictionnaire étymologique, historique et anecdotique des proverbes et des locutions proverbiales de la Langue Française en rapport avec de proverbes et des locutions proverbiales des autres langues
L
LABUTTE.—Père Labutte.
Ami du vin et du plaisir, qui satisfait ses goûts en cachette, afin que rien ne vienne troubler ses jouissances.
Le père Labutte est un religieux mendiant dont le nom a été popularisé par une vieille chanson. Sterne a parlé de ce personnage imaginaire dans la phrase suivante qui justifie et complète l’explication que je donne: «Le père Labutte qu’on a tant chanté, qui boit quand personne ne le voit, et qui a bu sans que personne l’ait vu; le père Labutte est bien connu même de qui ne l’a pas vu, et l’on se représente aisément sa figure... l’imagination supplée à sa présence.»
Les Italiens disent: Fra Gaudentio, frère Gaudence.
LAGNY.—Il a été à Lagny, il sait combien vaut l’orge.
Ce dicton s’applique à un homme qui s’est attiré quelque mauvais traitement par ses indiscrètes plaisanteries.
Le duc de Lorges, assiégeant la ville de Lagny, était l’objet des railleries des assiégés qui, se croyant assez forts pour lui résister, fesaient beaucoup de quolibets sur son nom. Il jura de s’en venger en s’écriant: Je leur apprendrai combien vaut Lorges. Aussitôt qu’il les eut réduits par la force des armes, il leur fit essuyer toutes sortes d’affronts dont le souvenir leur devint si odieux, dans la suite, qu’il suffisait de prononcer le mot orge pour les mettre en fureur. Si quelque étranger commettait cette imprudence, ils le saisissaient sur-le-champ et le plongeaient dans une fontaine, en expiation de l’insulte qu’ils prétendaient en avoir reçue. De là le dicton et le jeu de société en dialogue, combien vaut l’orge.
LAINE.—Se laisser manger la laine sur le dos.
Souffrir tout, ne pas savoir se défendre, comme les brebis qui souffrent patiemment que les corbeaux se fixent sur leur dos et leur arrachent la laine.
LAMBIN.—C’est un Lambin.
Denys Lambin, professeur au collége de France, vers le milieu du XVIe siècle, donna plusieurs commentaires sur Plaute, Lucrèce, Cicéron, Horace, etc., dans lesquels on trouva une érudition vaste, mais fastidieuse par la prolixité des remarques, et ce fut par allusion à ce défaut que s’introduisirent les expressions proverbiales c’est un Lambin, il ne fait que lambiner, dont on se sert en parlant de quelqu’un qui met beaucoup de lenteur dans ce qu’il fait, qui n’en finit pas.
LAME.—La lame use le fourreau.
La vivacité de l’esprit use le corps.—«Ce proverbe, dit M. de Bonald, exprime une vérité certaine en physiologie, autant qu’en morale; et je crois que la première cause et la plus active de la dissolution, tantôt plus prompte, tantôt plus lente de nos organes, est leur faiblesse relativement à la force de la volonté et à l’exigence continuelle de ce maître impérieux. De là ces désirs qui nous tourmentent, ces efforts qui nous consument, ces chimères de plaisirs ou de travaux qui font le malheur des méchants et souvent le désespoir des gens de bien, et cette lutte éternelle de l’homme intérieur contre l’homme extérieur, rebelle par impuissance aux volontés de l’ame, et dont la force apparente, comparée à celle de l’ame, n’est jamais qu’une faiblesse réelle.»
LANCE.—Rompre une lance ou des lances.
La lance était l’arme principale dont les chevaliers se servaient. Ils fesaient assaut de lances dans les tournois, et souvent ils en brisaient plusieurs en se chargeant l’un l’autre vigoureusement. De là les expressions, autrefois employées au propre et maintenant au figuré, rompre une lance ou des lances avec quelqu’un, c’est-à-dire se mesurer avec lui à quelque exercice, à quelque jeu d’adresse, lui disputer un avantage, une supériorité, et rompre une lance ou des lances pour quelqu’un, c’est-à-dire prendre son parti, le défendre contre ceux qui l’attaquent.
Baisser la lance devant quelqu’un.
C’est lui céder, reconnaître sa supériorité, car le chevalier baissait sa lance en présence d’un autre chevalier à qui il voulait rendre hommage ou contre qui il n’osait se mesurer. On dit aussi baisser la lance pour fléchir, mollir, se relâcher. Mais il ne faut pas confondre cette expression avec cette autre, baisser les lances, qui, dans nos anciens auteurs, signifie engager le combat, parce que les champions couraient l’un sur l’autre, lances baissées.
Venir ou s’en retourner à beau pied sans lance.
C’est-à-dire à pied, en mauvais équipage, comme le chevalier qui avait été démonté et avait eu sa lance brisée dans le combat.
LANGUE.—La langue va où la dent fait mal.
On disait autrefois: Où deult la dent. Deult est la troisième personne du présent de l’indicatif du vieux verbe douloir, dérivé du latin dolere.—Ce proverbe signifie qu’on parle volontiers de ses peines.
Les dents sont bonnes contre la langue.
Proverbe cité dans le Lexique de l’ancienne langue britannique, par Boxhomius: Da daint rhag rafod. Il s’explique très bien par cet autre: Il vaut mieux se mordre la langue avant de parler qu’après avoir parlé.—Les Arabes disent: La bouche est la prison de la langue.
Il vaut mieux glisser du pied que de la langue.
Ce proverbe est pris du latin: Satius est equo labi quàm linguà. Il nous enseigne que les paroles indiscrètes peuvent attirer les plus grands maux sur leur auteur.—Lapsus falsæ linguæ quasi qui in pavimentum cadens (Eccles., c. XX, v 20). La chute de celui qui pèche par sa langue est comme une chute sur le pavé.
La langue est le témoin le plus faux du cœur.
On connaît le mot attribué à un diplomate célèbre de notre siècle, le prince de Talleyrand: La parole nous a été donnée pour déguiser notre pensée.
Tirer la langue.
C’est faire une grimace en montrant la langue.
«L’abbé de Canaye avait fait une petite satire bien amère et bien gaie des petits dialogues de son ami Rémond de Saint-Marc. Celui-ci, qui ignorait que l’abbé fût l’auteur de la satire, se plaignait, en sa présence, de cette malice à une de leurs communes amies, Mme Geoffrin. Pendant ce temps, l’ami, placé derrière lui et en face de la dame, s’avouait auteur de la satire et se moquait de son ami en tirant la langue. Les uns disaient que ce procédé de l’abbé était malhonnête, d’autres n’y voyaient qu’une espiéglerie. Cette question de morale fut portée au tribunal de l’érudit abbé Fénel, dont on ne put jamais obtenir d’autre décision, sinon que c’était un usage chez les anciens Gaulois de tirer la langue.» (Diderot.)
Cet usage est constaté par un fait historique. Le Gaulois tué par Manlius Torquatus fut représenté tirant la langue, et Marius fit ciseler sur son bouclier cette image, qui était devenue populaire à Rome.
C’est une langue de la Pentecôte.
Une langue qui n’épargne personne. C’est comme si l’on disait une langue de feu. L’allusion n’a pas besoin d’être expliquée; car personne ne peut ignorer que le Saint-Esprit descendit en langues de feu sur les disciples de Jésus-Christ, le jour de la Pentecôte.—On dit aussi d’un homme qui exprime sa façon de penser avec une rude franchise, qui ne garde pas de ménagement pour les opinions des autres, et qui trouve toute vérité bonne à dire: C’est un échappé de la Pentecôte. Autre allusion, aussi claire que la précédente, à la conduite des Apôtres qui, après avoir reçu le Saint-Esprit, le jour de la Pentecôte, allèrent en tous lieux pour y prêcher l’Évangile, opposé aux idées reçues alors, sans être arrêtés par la crainte des persécutions.
LANGUEYER.—Pour savoir le secret d’un maître, il faut langueyer les valets.
C’est-à-dire, il faut faire parler les valets, parce qu’il est difficile qu’un maître ait quelque chose de caché pour ses valets. Quand les croisés voulurent élire le premier roi de Jérusalem, ils langueyèrent les valets de chaque prétendant, et, après cette enquête, ils nommèrent Godefroy de Bouillon que le témoignage de ses serviteurs leur fit regarder comme le plus digne de la couronne.—Le verbe langueyer n’est plus usité que dans ce proverbe, et c’est dommage, car il faut recourir à une périphrase pour en exprimer la signification.
LANTERNE.—Prendre des vessies pour des lanternes.
Les Italiens disent: Prendere lucciole per lanterne. Prendre les vers luisants pour des lanternes.
Martial a fait une épigramme, qui est la 62e de son XIVe livre et est intitulée: Lanterna ex vesicâ, la lanterne de vessie. Il y fait parler ainsi cette lanterne:
Cornea si non sum, numquid sum fuscior? aut me
Vesicam contra qui venit esse putat?
Pour n’être pas de corne en suis-je moins brillante? Et celui qui vient vers moi me prend-il pour une vessie?
Si le proverbe ne vient pas de là, j’avoue que j’ignore absolument sa route. Cependant prendre des vessies pour des lanternes, c’est se tromper lourdement, d’après le sens du proverbe; tandis que, d’après le sens de l’épigramme, il y aurait erreur de ne pas prendre la vessie pour une lanterne.
Ce proverbe a fourni au marquis de Bièvre un de ses plus jolis calembourgs. Un jour qu’on parlait dans une société du chirurgien Daran, inventeur des sondes en gomme élastique dites bougies, qu’on introduit dans le canal de l’urètre, une dame lui demanda: Quel est donc ce Daran dont il est si souvent question?—Madame, répond-il, c’est un homme qui prend des vessies pour des lanternes.
LARIGOT.—Boire à tire larigot.
Boire excessivement et à longs traits.—Quelques étymologistes, entre autres l’abbé Morellet, font venir larigot de λάρυγγος, génitif d’un mot grec qui signifie larynx, et ils disent que boire à tire larigot signifie proprement boire de manière à tirer, à distendre le larynx ou le gosier. J’aime mieux l’étymologie imaginée par Rabelais, qui raconte que cette expression naquit parmi les soldats de Clovis, après la victoire que ce monarque remporta à Vouillé sur Alaric II. Les Francs, pour se réjouir de la défaite et de la mort du prince ennemi, buvaient, dit-il, en s’écriant: Je bé à ti, ré Alaric Goth (Je bois à toi, roi Alaric Goth). Cette étymologie est au moins amusante.
En voici une autre, qu’on regarde généralement comme vraie. Il y avait autrefois à Rouen une grosse cloche appelée la Rigault, du nom de l’archevêque Odo Rigault, qui la fit faire à ses frais, et la baptisa lui-même en 1282. Elle avait un son argentin et tellement agréable que le prélat ne pouvait se lasser de l’entendre. Pour se procurer souvent ce plaisir, il payait généreusement les sonneurs, et ceux-ci dépensaient l’argent au cabaret, où ils buvaient copieusement, soit pour prendre des forces afin de mieux sonner, soit pour se délasser de la fatigue qu’ils avaient eue à sonner, et ils appelaient cela boire en tire la Rigault ou à tire la Rigault.
On trouve souvent le mot Larigot employé pour désigner un fifre, une flûte, chez nos vieux auteurs, notamment chez Ronsard, qui a dit dans son églogue intitulée les Pasteurs:
Margot
Qui fait danser ses bœufs au son du Larigot.
Il est plus naturel de dériver la locution de ce mot. Ainsi, boire à tire larigot, c’est boire comme un joueur de fifre ou de flûte, ou comme un musicien; ce que le peuple appelle flûter, chalumeller.
LARME.—Rien ne sèche plus vite que les larmes.
Proverbe dont la phrase suivante de Quinte-Curce offre à la fois l’application et l’explication. Qui multùm in suorum misericordiam ponunt, ignorant quàm celeriter lacrymæ inarescant. Qui compte beaucoup sur la commisération des siens, ignore combien les larmes sèchent vite.—Cicéron a cité plusieurs fois ce proverbe pour rappeler que l’orateur ne doit pas trop chercher à émouvoir la compassion, et il en a attribué l’invention au rhéteur Apollonius: «Les esprits une fois émus, gardez-vous d’être prolixes dans vos plaintes; car, ainsi que l’a dit le rhéteur Apollonius, rien ne sèche plus vite que les larmes. Lacrymà nihil citiùs inarescit.» (Traité de l’Invent., liv. I, ch. 55.)
LARRON.—Bien est larron qui larron emble.
Proverbe maritime, qui se dit quand un corsaire en dépouille un autre. Embler est un verbe qui signifie faire un vol avec violence ou par surprise. Quelques étymologistes le dérivent du grec ἐμϐάλλειν (emballein), mettre la main sur. Quelques autres le tirent du latin involare, formé de vola, paume de la main, et employé pour dire: prendre ou retenir dans la paume de la main.
Embler se trouve dans le Roman de la Rose, dans les Ordonnances de saint Louis, et dans les Commandements de Dieu en vieux français, qui disent: L’avoir d’autrui tu n’embleras. Saint-Simon s’en est servi en parlant des ministres Colbert et Louvois, qu’il accuse d’avoir toujours tendu à embler la besogne d’autrui.
Du verbe embler, qui n’est plus guère usité que dans le proverbe, est venue l’expression adverbiale d’emblée, c’est-à-dire tout d’un coup, du premier effort.
S’entendre comme larrons en foire.
Expression très usitée, en parlant des personnes qui sont d’intelligence pour faire quelque chose de blâmable.—Les coquins se devinent, suivant l’expression de Duclos, et l’association est bientôt faite entre eux. Aristote (Morale, VI, 1) cite le proverbe suivant, que les Grecs employaient dans le même sens: Le larron connaît le larron, comme le loup connaît le loup.
On trouve dans la 1re prophétie de Nahum: Spinæ se invicem complectuntur. Les ronces se tiennent entrelacées.
LATIN.—Perdre son latin à une chose.
Y travailler en vain; y perdre son temps et sa peine. Cette expression est née dans le temps où les plaidoyers se fesaient en latin, où parler latin était le nec plus ultra de la science. On dit d’une chose très difficile à faire: Le diable y perdrait son latin. Les Italiens emploient dans un sens analogue, mais un peu ironique, ce proverbe très curieux: Cimabue non lo farebbe, lui che avrebbe dipinto una corregia nell’acqua. Cimabué ne le ferait pas, lui qui eût peint un gros pet dans l’eau.
LÉGAT.—Être plus occupé que le légat.
Le chancelier Duprat, cardinal et légat à latere, fut accablé d’affaires. Les événements multipliés qui eurent lieu dans l’État et dans l’Église sous son ministère, l’établissement du concordat désapprouvé par l’université, par le parlement et par le clergé, les nouveautés que Luther et ses disciples introduisirent dans la religion, la vénalité des charges judiciaires, la captivité de François Ier, le sac de Rome, la détention du pape Clément VIII, l’augmentation des impôts, le schisme d’Angleterre, beaucoup d’autres choses enfin dont il se mêla et dont il eût mieux valu qu’il ne se mêlât point, donnèrent naissance à l’expression proverbiale être plus occupé que le légat, pour marquer la situation d’un homme qui est surchargé de besogne et qui ne sait où donner de la tête.
LÉSINE.—Compagnon de la lésine.
Cette dénomination, qu’on applique à un homme d’une avarice sordide et raffinée, est venue d’un ouvrage curieux, composé en italien par un nommé Vialardi, vers la fin du xvie siècle, et traduit en français par un anonyme, en 1604. Cet ouvrage est intitulé: Della famosissima compagnia della lesina, etc. De la très fameuse compagnie de la lésine, etc. Le but assigné à cette compagnie est l’épargne la plus sordide. Tous les membres ont des noms et des emplois conformes à leur institut, et ils sont obligés par leurs statuts de pousser la lésine au plus haut point de raffinement, par exemple: de porter la même chemise aussi longtemps que l’empereur Auguste était à recevoir des nouvelles d’Égypte, c’est-à-dire quarante-cinq jours; de se couper les ongles des pieds jusqu’à la chair vive, de peur qu’ils ne percent les bas de chausse et les escarpins; de ne pas jeter de sable sur les lettres fraîchement écrites, afin d’en diminuer le port, et autres pratiques semblables, auxquelles on pourrait ajouter celle de ne pas mettre de points sur les i, pour épargner l’encre.
LESSIVE.—Faire une lessive.
Cette expression fait allusion à la lessive hermétique: elle fut originairement usitée en parlant des alchimistes ruinés à la recherche de la pierre philosophale, qu’ils prétendaient se procurer au moyen de cette lessive; elle s’appliqua ensuite aux malheureuses victimes de la passion du jeu, autre espèce d’alchimie qui conduit aussi à la misère en promettant des monts d’or, et l’application fut très naturelle, non seulement en raison de l’analogie que je viens de signaler, mais parce que les cartes à jouer étaient regardées par les adeptes comme un emblème des opérations du grand-œuvre, ce qui probablement les fit consacrer à l’usage de dire la bonne fortune.
Les vers latins suivants expliquent assez bien comment se fesait la lessive des alchimistes.
Calcinat in cinerem res ignis quaslibet; inde
Junctus aquæ cinis est nobile lixivium:
Lixivium bene concoclum sal fiet, at hic sal,
Si dissolvatur, mox oleasus erit.
Hoc oleum arcanâ si consolidabitur arte,
Laudatus sophies nascitur inde lapis.
Le feu réduit tout en cendres; les cendres mêlées avec de l’eau font une lessive excellente. Cette lessive bien cuite produit un sel qui se change en huile en se dissolvant, et cette huile rendue solide par les procédés mystérieux de la science hermétique, devient la pierre philosophale si renommée.
A laver la tête d’un Maure, on perd sa lessive.
C’est-à-dire qu’on se donne des soins et des peines inutiles pour faire comprendre à un homme quelque chose qui passe sa portée, ou pour corriger un homme incorrigible.—Ce proverbe existait chez les Grecs et chez les Latins. Il est venu d’une fable d’Esope, où il est parlé d’un maître qui fesait laver continuellement la figure d’un esclave éthiopien pour lui rendre le teint clair.
Diogène réprimandait un jour un méchant. Que faites-vous là? lui demanda quelqu’un.—Vous le voyez bien, répondit le philosophe, je lave la tête d’un Éthiopien, afin de le rendre blanc.
On dit aussi: A laver la tête d’un âne, on perd sa lessive. «L’instruction ne porte de fruit qu’autant que la nature la seconde. Quand même on mènerait l’âne du Christ à la Mecque, de retour il serait toujours un âne.» (Saady.)
LETTRE.—La lettre tue, et l’esprit vivifie.
C’est l’axiome théologique, littera occidit, spiritus autem vivificat. Il signifie qu’il ne faut pas, dans l’interprétation d’une loi, d’un précepte, s’attacher servilement au sens littéral des mots, mais chercher à saisir la pensée raisonnable, l’intention véritable cachée sous ces mots. Les théologiens turcs distinguent, comme les théologiens chrétiens, le sens positif et le sens allégorique, et ils disent proverbialement que le Coran porte tantôt une face de bête, et tantôt une face d’homme, pour signifier la lettre et l’esprit.
Notre proverbe s’emploie aussi en parlant des traductions trop serviles qu’on veut blâmer.
LIÈVRE.—Quand on mange du lièvre, on est beau sept jours de suite.
Pline le naturaliste rapporte ce proverbe, mis en vogue, dit-il, par un jeu frivole, mais cependant fondé sur quelque raison, puisqu’il est consacré par une opinion générale. Frivolo quodam joco, cui tamen debeat subesse causa in tantâ persuasione.
Le jeu frivole consiste dans le rapprochement des mots lepus, leporis (lièvre), et lepos, leporis (grâce, agrément). La raison est peut-être dans la superstition qui avait consacré le lièvre à l’amour.
Martial a fait de ce proverbe le fondement de l’épigramme 30 de son livre III:
Si quando leporem mittis mihi, Gellia, dicis:
Formosus septem, Marce, diebus eris.
Si non derides, si verum, lux mea, narras,
Edisti nunquam, Gellia, tu leporem.
Isabeau, lundi m’envoyastes
Un lièvre et un propos nouveau;
Car d’en manger vous me priastes,
En me voulant mettre au cerveau
Que par sept jours je serais beau.
Resvez-vous? avez-vous la fièvre?
Si cela est vray, Isabeau,
Vous ne mangeastes jamais lièvre.
(Cl. Marot.)
Avoir une mémoire de lièvre, qui se perd en courant.
C’est avoir une très mauvaise mémoire, oublier très promptement.—On disait autrefois mémoire de connil (de lapin). L’explication que Laurent Joubert, dans ses Erreurs populaires, a donnée de cette dernière expression convient également à la première. «Le connil, dit-il, a la mémoire si courte que, ne se souvenant pas du danger qu’il vient de courir, il retourne à son gîte, d’où on l’a fait lever peu auparavant, et c’est pourquoi on tient pour suspect le cerveau de cet animal, parce qu’il a la mémoire, qui consiste au cerveau, extrêmement courte.»
Il ne faut pas courir deux lièvres à la fois.
Il ne faut pas poursuivre deux affaires à la fois. Qui court deux lièvres à la fois n’en prend aucun, dit un autre proverbe.
Si les lièvres avaient des fusils, on n’en tuerait pas tant.
Proverbe usité parmi les chasseurs, pour dire que l’assurance et la hardiesse à la chasse, et par extension dans certaines affaires, en font principalement le succès.
LIMOGES.—Convoi de Limoges.
Cette expression, dont on se sert pour désigner des politesses cérémonieuses, des révérences sans fin, rappelle un ancien usage d’après lequel une personne qui avait reçu une visite accompagnait le visiteur jusque dans la rue, quelquefois même jusque chez lui, et en était accompagnée à son tour, quand elle revenait sur ses pas; de sorte que c’était toujours à recommencer. Cet usage, qui a introduit dans notre langue le verbe reconduire et le substantif reconduite, improprement employés aujourd’hui pour conduire et conduite, fut nommé convoi de Limoges, soit parce qu’il était né dans cette ville, soit parce qu’il y était plus observé qu’ailleurs.
LIMONADIER.—Limonadier de la passion.
On appelle ainsi le vinaigrier, et par extension tout mauvais limonadier. Cette expression populaire fait allusion au vinaigre que les Juifs donnèrent à boire à Jésus-Christ pendant sa passion.
LINCEUL.—Le plus riche en mourant n’emporte qu’un linceul.
Ce proverbe, très ancien dans notre langue, a été employé par le troubadour Pons de Capdueil:
Alexandres qui tot le mon avia
Ne portet ren mas un drap solamen.
Alexandre qui avait le monde entier, n’emporta qu’un linceul.
On lit dans une épigramme de Lucien: «Je suis arrivé nu sur la terre; je m’en irai nu dans son sein. A quoi bon me tourmenter inutilement?»
La même pensée se trouve dans les paroles suivantes de l’Ecclésiaste (ch. V, v. 14): «Comme l’homme est sorti nu du sein de sa mère, il y retournera de même les mains vides, et sans rien emporter de son travail.»
Job avait dit (ch. XXXI) avant Lucien et l’Ecclésiaste: «Je suis sorti nu du sein de ma mère; je rentrerai dans le sein de la terre tout nu.»
Saladin, à l’époque de sa mort, arrivée le 4 mars 1193, voulut qu’au lieu du drapeau élevé devant sa porte, on déployât le drap mortuaire dans lequel il devait être enseveli, et qu’un héraut criât: «Voilà tout ce que Saladin, vainqueur de l’Orient, emporte de ses conquêtes.»—C’était le proverbe mis en en action d’une manière sublime.
LION.—A l’ongle on connaît le lion.
Ex ungue leonem. Il suffit d’un seul trait pour faire connaître un homme d’un grand talent ou d’un grand caractère.
Ce proverbe, d’origine grecque, est venu de ce que le sculpteur Phidias, ayant à représenter un lion, en conçut la forme et la grandeur par l’inspection d’un seul de ses ongles, sans avoir jamais eu sous les yeux cet animal.
Il faut coudre la peau du renard à celle du lion.
On attribue l’invention de ce proverbe à Lysandre, fameux général lacédémonien, dont la politique ne connaissait que deux principes, la force et la perfidie, et dont la maxime favorite était qu’on doit tromper les enfants avec des osselets et les hommes avec des parjures. Un jour qu’on lui reprochait d’employer des ruses indignes d’un homme tel que lui, qui se glorifiait de descendre d’Hercule. Il faut, répondit-il en faisant allusion au lion de Némée, coudre la peau du renard où manque celle du lion.—Pindare avait dit avant Lysandre: Celui qui veut triompher d’un obstacle doit s’armer de la force du lion et de la prudence du serpent.
Habillé comme un gardeur de lions.
Cela se dit d’un homme qui ne change presque jamais d’habit, parce qu’un gardeur de lions est toujours vêtu de la même manière, afin que ces animaux redoutables le reconnaissent mieux.
LISIÈRE.—La lisière est pire que le drap.
Les gens qui habitent la frontière d’un pays valent moins que ceux qui en habitent l’intérieur. Les Italiens disent: Quei de’confini sono ladri o assassini. Les gens des confins sont larrons ou assassins. En effet, les vols et les meurtres paraissent avoir été toujours plus fréquents dans ces localités que dans les autres, à cause de la facilité laissée à ceux qui les commettent de s’enfuir à l’étranger.—Notre proverbe ne s’applique guère qu’en plaisantant, et pour répondre à quelqu’un qui rejette la solidarité des défauts imputés aux habitants de certaines provinces, attendu qu’il n’est pas leur compatriote, comme on le pense, mais seulement leur voisin.
LIT.—Comme on fait son lit on se couche.
C’est-à-dire que le bien ou le mal que l’homme éprouve est généralement le résultat de la conduite qu’il tient, des bonnes ou mauvaises mesures qu’il prend. Il peut se rendre heureux par un sage emploi des facultés que Dieu lui a départies; son bonheur dépend de lui; il doit le trouver dans l’accomplissement de ses devoirs. S’il est malheureux, ce n’est guère que par sa faute. Ce qu’il appelle son malheur n’est le plus souvent que l’expiation nécessaire de ses erreurs ou de ses sottises, et il ne souffre de vrais maux que ceux qu’il se fait lui-même. Tout ce qu’on a dit de plus philosophique sur la nécessité de vivre comme on voudrait avoir vécu, de n’imputer l’amertume de ses regrets qu’à l’intempérance de ses désirs, de chercher sa félicité au dedans de soi et son bien-être dans une vie laborieuse et bien réglée, tout cela est rappelé par ce proverbe si vulgaire, Comme on fait son lit on se couche.
LITANIES.—Tourner du côté des litanies.
Donner dans la dévotion.—Je rapporterai ici l’origine des litanies, qui est assez curieuse. Les Romains, à l’avénement d’un empereur, étaient dans l’usage de faire certaines acclamations, dans lesquelles ils énuméraient les secours qu’ils attendaient de lui. Ils s’écriaient, par exemple: Ut salvi simus, Jupiter optime maxime, serva nobis imperatorem; et quelques historiens ont pris soin de nous instruire que cette formule fut employée, à diverses reprises, par les sénateurs et par le peuple, dans le temple de la Concorde, où Pertinax reçut la pourpre. Cet usage des acclamations fut adopté par les premiers chrétiens, qui l’introduisirent même dans leurs synodes, malgré l’opposition de plusieurs Pères de l’église, auxquels il paraissait un peu trop profane, et il donna naissance aux litanies.
LIVRE.—Un grand livre est un grand mal.
Mot du poète grec Callimaque, bibliothécaire d’Alexandrie, qui disait aussi: Un petit livre vaut mieux qu’un gros, parce qu’il contient moins de sottises. Les deux propositions sont vraies en général, et elles s’expliquent très bien par ces pensées extraites de J.-J. Rousseau: «L’abus des livres tue la science. Croyant savoir ce qu’on a lu, on se croit dispensé de l’apprendre. Trop de lecture ne sert qu’à faire de présomptueux ignorants.... Tant de livres nous font négliger le livre du monde, ou, si nous y lisons encore, chacun s’en tient à son feuillet.—Celui qui aime la paix ne doit point recourir aux livres; c’est le moyen de ne rien finir. Les livres sont des sources de disputes intarissables...; les subtilités s’y multiplient; on y veut tout expliquer, tout décider, tout entendre. Incessamment la doctrine se raffine et la morale dépérit toujours plus.—J’ai cherché la vérité dans les livres, je n’y ai trouvé que le mensonge et l’erreur. J’ai consulté les auteurs, je n’ai trouvé que des charlatans qui se font un jeu de tromper les hommes, sans autre loi que leur intérêt, sans autre dieu que leur réputation.—Professeurs de mensonge, c’est pour abuser le peuple que vous feignez de l’instruire, et, comme ces brigands qui mettent des fanaux sur des écueils, vous l’éclairez pour le perdre.»
Je crains l’homme d’un seul livre.
Timeo virum unius libri. Parce que l’homme qui s’est bien nourri de la lecture d’un seul livre, qui en possède bien toutes les parties, qui en a bien fécondé, bien développé toutes les idées par ses méditations, est un adversaire redoutable pour ceux qui voudraient argumenter avec lui sur les matières explicitement ou implicitement contenues dans ce livre qu’on suppose bon.
Il n’y a presque pas d’effets que ne puisse produire, presque pas d’obstacles que ne puisse surmonter le génie d’un homme, soit dans la vie active, soit dans la vie spéculative, quand il l’applique invariablement à un seul objet. Diderot a dit: «L’homme qui est tout à son métier, s’il a du génie, devient un prodige; et, s’il n’en a point, il s’élève par une application constante au-dessus de la médiocrité. Heureuse la société où chacun serait à sa chose, et ne serait qu’à sa chose! Celui qui disperse ses regards sur tout, ne voit rien ou voit mal.» (Sat. 1re, sur les caractères.)
J’y brûlerai mes livres.
Je mettrai tout en œuvre pour le succès de cette affaire.
Cette façon de parler, dit l’abbé Morellet, est une allusion à la folie d’un certain alchimiste qui, cherchant la pierre philosophale, après s’être ruiné en charbon, et n’ayant plus que le dernier coup de feu à donner pour obtenir le grand-œuvre, emploie à chauffer son fourneau jusqu’à ses livres, dont il ne doit plus avoir besoin.
LOI.—Si veut le roi, si veut la loi.
Lorsque l’abolition du combat judiciaire eut rendu la connaissance et par conséquent l’étude des lois indispensable, les seigneurs, jusqu’alors juges dans leurs terres, désertèrent les tribunaux, et l’administration de la justice devint le partage des hommes de loi. Voilà l’origine de notre magistrature, et cette grande innovation ne remonte pas plus haut que les dernières années du XIIIe siècle. A cette époque, l’esprit de Grégoire VII animait encore ses successeurs, et les hauts barons s’agitaient pour reconquérir ce qu’ils avaient perdu sous les derniers règnes. A peine établi, le parlement lève sur toutes les classes de la société le glaive de la justice, en frappe indistinctement tout ce qui se montre hostile envers la couronne, et force l’épée des barons et la crosse des évêques à s’incliner devant la majesté du trône. Bientôt il ne reste en France qu’une seule autorité, l’autorité du roi, et le droit public des Français se concentre dans la maxime: Si veut le roi, si veut la loi.
Loisel a interprété d’une manière constitutionnelle cette maxime de l’ancienne jurisprudence, en disant qu’elle signifie que le roi ne peut vouloir que ce que veut la loi; mais pour qu’elle présentât un pareil sens, il faudrait qu’elle eût ses deux termes déplacés, et que le conséquent fût l’antécédent: Si veut la loi, si veut le roi, signifierait le régime de la légalité; si veut le roi, si veut la loi, signifie le régime du bon plaisir.
LONGIS.—C’est un Saint-Longis.
C’est-à-dire une homme plein de lenteur dans tout ce qu’il fait. Saint Longis, dont le nom seul a donné lieu à cette façon de parler, est le soldat qui perça d’un coup de lance le flanc droit du Sauveur crucifié, comme le disent les deux vers suivants, extraits d’une vie manuscrite de Jésus-Christ, et cités dans le glossaire de Carpentier.
Longis le coté droit ouvri
Et sang et aigue s’en issi.
La tradition rapporte que ce soldat, s’étant fait chrétien, fut martyrisé à Césarée, en Cappadoce.
LORIOT.—Compère Loriot.
Petit aposthème qui se forme au bord de la paupière et qui s’appelle ordinairement orgeolet ou orgelet, à cause de sa ressemblance avec un grain d’orge. Ce nom très singulier de Compère Loriot est venu d’une vieille opinion dont il est parlé dans l’Histoire naturelle de Pline (liv. XXX, ch. XI), et dans les Symposiaques de Plutarque (liv. V, quest. VII). Ces deux auteurs ont prétendu que le regard du loriot est salutaire aux personnes attaquées de la jaunisse, attendu que cet oiseau a la propriété d’attirer et de recevoir par les yeux l’humeur bilieuse dont l’épanchement cause cette maladie. Or, comme une telle opinion a été fort accréditée autrefois en France, et comme on a cru aussi que l’orgeolet provenait de quelque émanation morbifique reçue par l’organe de la vue, on a été amené de là, par une transition naturelle, à la dénomination de Compère Loriot, employée d’abord pour désigner le malade et appliquée depuis au mal.
LORRAIN.—Lorrain vilain, traître à Dieu et au prochain.
On prétend que ce dicton a été imaginé du temps de la ligue, par les partisans des Valois, contre les Guises, princes de la maison de Lorraine, qui voulaient usurper le trône, et qu’il ne concerne pas les Lorrains à qui on l’applique abusivement. Il est bien vrai qu’il fut très usité en ce temps, mais on peut croire qu’il existait antérieurement, et qu’il avait été fait pour les Lorrains en général, puisque d’autres dictons fort anciens leur reprochent de semblables défauts.
LOUER.—Il ne faut pas louer un homme avant sa mort.
Parce qu’un homme, tant qu’il vit, est sujet à démentir les éloges dont il peut avoir été l’objet.—Ce proverbe est pris du passage suivant de l’Ecclésiastique (ch. XI, v 30): Ante mortem ne laudes hominem quemquam, quoniam in filiis suis agnoscitur vir. Ne louez aucun homme avant sa mort, car on connaît un homme par les enfants qu’il laisse après lui.
Le havamal des Scandinaves dit: Louez la beauté du jour quand il est fini.
Vauvenargues pense que le proverbe Il ne faut pas louer un homme avant sa mort, a été inventé par l’envie et a été adopté trop légèrement par les philosophes. Au contraire, dit-il, c’est pendant leur vie que les hommes doivent être loués, lorsqu’ils ont mérité de l’être: c’est pendant que la jalousie et la calomnie, animées contre leur vertu ou leurs talents, s’efforcent de les dégrader, qu’il faut oser leur rendre témoignage. Ce sont les critiques injustes qu’il faut craindre de hasarder, et non les louanges sincères.
Socrate voulait qu’on donnât des louanges aux hommes de bien, comme de l’encens aux dieux.
Qui se loue s’emboue.
Laus propria sordet. La propre louange pue.
Ce proverbe est du moyen-âge. Les anciens ne connaissaient pas la modestie, dans le sens que nous attachons à ce mot. Ils pensaient que chacun avait droit de se louer soi-même, personne ne pouvant mieux savoir que lui comment il voulait être loué, et que la voix qu’il se donnait était une voix de plus, et une voix qui comptait. Les hommes les plus célèbres de Rome se conformaient volontiers à ce principe. Cicéron mandait à Atticus: «Vous avez reçu l’histoire de mon consulat que j’ai écrite en grec; quand j’aurai achevé la même histoire en latin, je vous l’enverrai, et je vous en promets une troisième en vers, afin de faire mon panégyrique de toutes les manières possibles. Pourquoi attendrais-je que les autres me louent, puisque je m’en acquitte si bien moi-même?»
Ce franc amour-propre des anciens ne valait-il pas mieux que cette fausse modestie des modernes, qui a été si bien nommée par Labruyère, le dernier raffinement de la vanité.
LOUP.—Avoir vu le loup.
Cette expression s’applique à un homme, pour signifier qu’il a vu le monde, qu’il est aguerri et expérimenté; mais elle s’applique à une femme pour lui reprocher une conduite déréglée. Dans ce dernier cas, c’est comme si l’on disait: cette femme est une louve; dénomination qu’on donnait autrefois aux prostituées, afin de les rendre odieuses par une comparaison convenable à leur vie brutale. On lit dans l’Amphithéâtre sanglant par P. C., évêque de Bellay: «Ces malheureuses louves (c’est-à-dire ces femmes débauchées) sont toujours prêtes à la curée et souffrent une faim canine de la chair humaine.» Les Latins employaient le mot lupa, louve, dans la même acception, comme on peut le voir dans le discours de Cicéron pro Milone. Acca Laurentia, qui allaita Romulus et Rémus, avait reçu cette qualification de ses voisins, à cause de la voracité de son appétit charnel. Lupanar signifiait lieu de prostitution.
Savoir la patenôtre du loup.
Lorsqu’on veut faire entendre à quelqu’un qui fait des menaces qu’on saura bien l’empêcher de les effectuer, on dit qu’on sait la patenôtre du loup, par allusion à une prière ainsi nommée à laquelle la superstition du moyen-âge attribuait la vertu d’éloigner les loups des bergeries. Voici cette singulière oraison telle que le curé Thiers l’a rapportée: «Au nom du Père + du Fils + et du Saint-Esprit +. Loups et louves, je vous conjure et charme: je vous conjure au nom de la très sainte et sur-sainte, comme Notre-Dame fut enceinte, que vous n’ayez à prendre ni écarter aucune des bêtes de mon troupeau, soit agneaux, soit brebis, soit moutons (on nomme les bestiaux que l’on veut préserver des loups), ni à leur faire aucun mal.» (Traité des superstitions, liv. VI, ch. 2.)
On croit encore à l’efficacité de la patenôtre du loup dans plusieurs hameaux du département de l’Aveyron, et il y a de prétendus sorciers appelés louvetiers qui, fesant métier de la dire, jouissent d’un grand crédit auprès de certains métayers.
Enfant de loup, qui n’a jamais vu son père.
Lorsque les louves sont en chaleur, dit Buffon, ce qui arrive en hiver, plusieurs mâles suivent la même femelle et cet attroupement est sanguinaire, car ils se la disputent cruellement. Ils grondent, ils frémissent, ils se battent, ils se déchirent, et il arrive presque toujours qu’ils mettent en pièces celui qu’elle a préféré. De là cette expression proverbiale par laquelle on désigne un bâtard.
Quand on parle du loup on en voit la queue.
Proverbe dont on fait l’application, lorsqu’il survient une personne au moment où l’on parle d’elle. Cette personne est probablement assimilée au loup, parce que sa présence inattendue déconcerte et fait taire, de même que l’apparition subite du loup produit un étonnement et une crainte qui coupent d’abord la parole. Mais pourquoi est-il question de la queue du loup, au lieu de la tête qui semblerait plus convenablement rappelée? C’est peut-être parce que cet animal, qui aperçoit ordinairement l’homme avant d’en être aperçu, se détourne rapidement pour s’enfuir, et ne se laisse voir que par derrière, et peut-être aussi parce que le mot queue forme une assonance, une sorte de rime, avec le mot leu (loup), qui figura primitivement dans le proverbe.
Les Latins disaient: Lupus est in fabulâ. Le loup est dans le discours. Ce qui doit être fondé sur la même raison que le proverbe français. Cependant il y a des parémiographes qui prétendent que lupus in fabulâ signifie proprement le loup dans la comédie, et fait allusion à une antique tradition romaine qui rapporte qu’un jour où l’on représentait, en plein air, sur le bord du Tibre, une pièce de théâtre, dans laquelle il s’agissait de Romulus et de Rémus allaités par une louve, on vit paraître un loup qui étonna comme un prodige, les spectateurs interdits. Mais ce fait est évidemment apocriphe, et ce qui prouve que fabula doit se traduire ici par discours, et non par comédie, c’est qu’on trouve dans Plaute et dans d’autres auteurs: Lupus est in sermone.
Le peuple parisien n’emploie guère que dans une acception de blâme le proverbe Quand on parle du loup on en voit la queue. Toutes les fois qu’il veut montrer de la politesse ou s’exprimer dans un sens d’éloge, il ne manque pas d’y substituer une de ces phrases poétiques: Quand on parle du soleil on en voit les rayons.—Quand on parle de la rose on en voit le bouton.
A chair de loup dent de chien.
Proverbe qui s’applique dans le même sens que: A rude âne rude ânier.—A méchant méchant et demi. Les Danois disent très originalement: Dur contre dur, s’écriait le diable en opposant son derrière au tonnerre.
Il faut hurler avec les loups.
Il faut s’accommoder aux mœurs, aux manières des gens avec lesquels on vit, avec lesquels on se trouve lié, quoiqu’on ne les approuve point.—Ce proverbe correspond au proverbe latin qu’on trouve dans les Bacchides de Plaute (act. IV, vers 10): Versipellem frugi convenit esse hominem pectus cui sapit. Il convient qu’un homme sage et avisé change quelquefois de peau; mot à mot, devienne versipellis. Les Latins entendaient par versipellis le loup-garou, c’est-à-dire l’homme à qui la superstition populaire attribue le pouvoir de se transformer en loup, et de revenir ensuite à sa première forme. Ainsi quand on dit: Il faut hurler avec les loups, c’est à peu près comme si l’on disait: Il faut savoir se faire loup-garou.
LOYER.—Qui sert et ne persert, son loyer perd.
Ce proverbe est le même que celui-ci: Qui sert et ne continue, sa récompense est perdue. L’un et l’autre sont fondés sur une ancienne coutume d’après laquelle les domestiques qui s’étaient loués pour un temps n’avaient droit à aucune partie de leurs gages, s’ils venaient à quitter leur service avant l’expiration du temps convenu. Leur sens moral est qu’on n’obtient rien sans la persévérance.
LUCE.—A la Sainte-Luce, les jours croissent du saut d’une puce.
L’année solaire se compose de 365 jours et 6 heures moins 11 minutes. Dans la correction faite au calendrier, sous Jules César, on négligea de tenir compte de ces onze minutes qui, étant employées de trop, tous les ans, avaient formé dix jours[61], vers la fin du seizième siècle. Comme il en résultait, dans l’office ecclésiastique un dérangement qui, croissant toujours, aurait fini par dérouter tous les calculs, le pape Grégoire XIII ordonna de passer du 5 octobre au 15 du même mois, en supprimant ces dix jours dans l’année 1582, qui n’en eut ainsi que 355, ce qui la fit surnommer la petite année. Avant cette suppression, par laquelle l’année civile fut mise en harmonie avec l’année solaire, les jours diminuaient jusqu’au onze décembre, dont la nuit était la plus longue de toutes, comme l’atteste cette épigramme d’Owen:
Nupsisti undecimo cur, Pontiliana, decembris?
—Nulla magis nox est longa diesque brevis.
Pourquoi, Pontiliana, vous êtes-vous mariée le onze décembre?—C’est qu’il n’y a pas de nuit plus longue, ni de jour plus court.
Par conséquent les jours recommençaient à augmenter le treize décembre, qui correspondait alors, comme le vingt-trois aujourd’hui, au lendemain du solstice d’hiver, et c’est même ce qui avait fait choisir le treize pour l’anniversaire de la fête de sainte Luce, à cause de l’analogie de ce nom avec le mot latin lux, lumière. Ainsi le proverbe, qui est faux maintenant, était vrai autrefois, et le poète Passerat avait raison de dire:
Heureux jour de Sainte-Luce,
Qui croît du saut d’une puce,
Raccourcissant les ennuis
Qu’apportent les longues nuits.
LUNE.—Aboyer à la lune.
Crier contre une personne à qui on ne peut nuire, faire des menaces impuissantes. Métaphore prise des chiens qui, d’après une opinion populaire, aboient contre la lune dont l’éclat les blesse. Quo plus lucet luna, magis latrat molossus. Plus la lune brille, plus le mâtin aboie.
La lune n’a rien à craindre des loups.
C’est aussi une opinion populaire que les loups ne peuvent souffrir la clarté de la lune, et qu’ils poussent des hurlements à sa vue. De là le proverbe traduit du latin, luna tuta à lupis, pour marquer l’impuissance des critiques et des envieux contre un mérite supérieur. Ce proverbe, dans le moyen-âge, s’appliquait particulièrement aux impies vainement déchaînés contre l’Église, dont la lune est le symbole mystérieux.
Poltron comme la lune.
C’est sans doute parce qu’elle se cache derrière les nuages que la lune est devenue le type de la poltronnerie. Mais si elle se cache, du moins elle n’a jamais reculé, et le soleil ne peut en dire autant. Toutefois il faut avouer que, depuis sa reculade, il s’est tenu constamment immobile à son poste.
Changeant comme la lune.
Je n’ai pas besoin de faire sentir la justesse de cette comparaison. Il me suffira de citer l’apologue suivant, rapporté par Plutarque, dans le Banquet des sept sages (ch. XLII): «La lune, un jour, pria sa mère de lui faire un manteau qui allât juste à sa taille. Eh! comment le pourrais-je, répondit la mère, puisque tu changes de taille toutes les semaines?»—Ce joli apologue sera certainement plus agréable aux lecteurs qu’un commentaire, et il leur donnera en même temps l’origine de cette autre expression proverbiale: Cela lui va comme un manteau à la lune, c’est-à-dire cela ne lui va pas du tout.
Faire un trou à la lune.
C’est manquer à ses engagements, faire faillite.—D’où vient donc cette expression qui paraît déraisonnable? Car si l’effet qu’elle signale était produit par chaque faillite, le disque de la lune devrait nous apparaître comme une écumoire. Je crois qu’elle ne désigne pas le satellite de la terre, mais certain corps opaque qu’on appelle la lune de Landernau, et qu’elle est tout simplement une variante comique de cette autre expression, facere bombum (faire un pet), employée pour dire, faire banqueroute. Si une telle explication, que je regarde comme la plus probable, n’était pas admise, je proposerais la suivante: autrefois le terme des contrats et des paiements était ordinairement fixé à la lune qui précède et détermine la fête de Pâques, avec laquelle commençait l’année, sous la troisième race de nos rois, jusqu’au règne de Charles IX. C’est pourquoi les débiteurs qui ne payaient pas plus à l’échéance de la pleine lune que s’il n’eût pas été pleine lune, ou qui déclinaient cette échéance par une banqueroute, furent supposés faire une brèche ou un trou à la lune; et cette locution figurée fut bientôt dans toutes les bouches, parce qu’elle joignait à la singularité le mérite de rappeler un proverbe des anciens, qui disaient d’un homme ingénieux à chercher des expédients dilatoires, lorsqu’il devait accomplir ses promesses ou acquitter ses dettes: Laconicas lunas causatur. Il allègue les lunes lacédémoniennes.
Ce proverbe des lunes lacédémoniennes était venu de ce que la mauvaise foi des Lacédémoniens envers les autres peuples, prenait souvent pour prétexte un conseil donné par Lycurgue, de n’entreprendre aucune expédition militaire ni aucune affaire importante, tant que la lune n’était pas dans son plein.
La lune annonce par sa pâleur la pluie, par sa rougeur le vent, et par sa blancheur la sérénité.
Pallida luna pluit, rubicunda flat, alba serenat.
Ce proverbe est fondé sur l’expérience, et il est d’une vérité incontestable. Mais de ce que la lune, à ses différentes phases, indique des changements de temps, il ne faut pas conclure qu’elle les produise. Malgré l’opinion généralement répandue dans les campagnes à ce sujet, il n’y a point de raisons pour affirmer l’influence de la lune sur les vicissitudes de l’atmosphère, et il y en a beaucoup, au contraire, pour la révoquer en doute, tant qu’on n’aura pas prouvé par une longue suite d’observations que ces vicissitudes se distribuent avec précision sur les époques des points lunaires, conformément à leur nature et à celle de ces points. Que devient d’ailleurs l’influence de la lune dans les climats où le temps reste constamment le même pendant plusieurs mois?
La lune de miel.
Le premier mois du mariage, où tout est douceur pour les époux. Expression prise de ce proverbe arabe: La première lune après le mariage est de miel, et celles qui la suivent sont d’absinthe.
LUNEL.—Il est de Lunel.
Il est timbré, il est fou. Ancien dicton, rapporté par Le Duchat, et moins usité aujourd’hui que cet autre qui a la même signification: Il a une chambre à Lunel. Ces dictons n’ont pas d’autre fondement, sans doute, qu’une mauvaise allusion de Lunel à la lune, qui, d’après l’opinion populaire, exerce une malicieuse influence sur le cerveau et détermine les accès des maniaques, nommés pour cette raison lunatiques.
LUNETTES.—Bonjour, lunettes; adieu, fillettes.
C’est-à-dire qu’il faut quitter l’amour, quand on commence à prendre les lunettes; ce qui arrive malheureusement à une époque de la vie où notre cœur est souvent en meilleur état que nos yeux, et où nous sommes d’autant plus à plaindre, qu’en amour tout nous abandonne, sans que nous voulions rien abandonner.
On dit aussi: Les lunettes sont des quittances d’amour.
LURON.—C’est un luron.
«Ce mot très caractéristique, très populaire, sans être trop trivial, et que Désaugiers, toujours si correct, a souvent employé dans ses jolies chansons, ne se trouve dans aucun dictionnaire. Il y a plus: on ne lui connaît aucune analogie immédiate, et la lettrine lur, qui exprime une des racines les plus gracieuses et les plus fluides que puisse articuler la voix humaine, est tout à fait inusitée chez nous comme initiale. Je ne serais pas éloigné de croire que luron est fait de ce mimologisme commun du chant et de la danse, de ce trala deri dera, qui supplée aux paroles, et quelquefois à la musique dans les fêtes joyeuses du peuple, et qui a fourni aux vieux chansonniers, entre autres gais refrains, luron, lurette et lalure. Un luron ne demande qu’à chanter et à danser. Ma lurette est devenu, dans ce sens, un nom de femme. Dans le langage grivois, on appelle une fille de mœurs suspectes, une landarirette, une luronne. Ménage n’aurait pas manqué de tirer luron de l’italien lurcone, un homme de plaisir, un voluptueux, un gourmand. S’il n’avait pas l’origine que je lui attribue, je le chercherais plus volontiers dans les langues du nord. C’est à elles que nous devons son complément godelureau, littéralement un bon lureau, ou un bon luron. Nous avons conservé cette dernière expression en adoptant l’autre.» (M. Ch. Nodier.)
LUSTUCRU.—C’est un lustucru.
Terme burlesque qui est formé des mots l’eusses tu cru, et qui s’emploie pour suppléer à un nom qu’on a oublié, quand on ne veut marquer aucune considération pour la personne qui porte ce nom. Le Roux dit qu’on traite de lustucru un benet, un sot, un mari trompé.
Le mot lustucru a été usité au féminin, si l’on en juge par un poème burlesque, intitulé le Mariage de Lustucru, et terminé par ces deux vers:
Et le pauvre Lustucru
Trouve enfin sa lustucrue.
LYNX.—Avoir des yeux de lynx.
Au propre, c’est avoir la vue fort bonne; au figuré, c’est pénétrer les pensées, les secrets, les desseins des autres.—Cette expression nous est venue des anciens, qui attribuaient au lynx, animal dont les yeux sont très perçants, la faculté merveilleuse de voir à travers les murs.